n. f. (rad. médecin) La
médecine est l'art de soigner les malades. Depuis qu'il y a des hommes, elle
s'est penchée sur la souffrance pour la soulager. Elle a pris, pour arriver à
cette fin, ce qui lui a semblé le meilleur, c'est-à-dire qu'elle a usé des
connaissances qu'elle avait sous la main ‒ connaissances qui n'étaient parfois
que des croyances ou des préjugés, mais qui souvent étaient des acquisitions
empiriques d'une efficacité réelle, bien qu'assez limitée. La médecine est donc
essentiellement une pratique. Le médecin est surtout un praticien ; il a
souvent besoin d'agir tout de suite, sans attendre la certitude, d'agir pour le
mieux, avec la préoccupation de ne pas nuire à son client. En toutes choses
l'humanité a vécu d'empirisme, c'est-à-dire qu'elle a agi par tâtonnements.
Mais elle s'est efforcée de remonter aux causes des phénomènes et même de les
mesurer : c'est ce qui constitue la science, qui, elle, nous donne le moyen de
reproduire le phénomène, ou de l'éviter, ou de le combattre. La science est en
perpétuel devenir. Ce n'est pas parce qu'elle se meut dans le relatif qu'il
faille proclamer sa faillite. Ceux qui ont besoin d'une certitude absolue ont
conservé l'âme et la mentalité des primitifs, c'est-à-dire de ceux qui ne
savent rien. La science a commencé de se constituer dans l'étude des phénomènes
les plus simples. Même là, l'évolution a été très lente. L'esprit humain était
trop encombré par la croyance aux influences mystiques pour envisager la
causalité toute nue. Les Grecs ont libéré l'esprit humain, mais l'arrivée du
christianisme a annihilé l'essor scientifique, et il a fallu parvenir aux temps
modernes pour que la science reprît librement le cours de ses recherches. Il
n'y a pas si longtemps que la chimie est étudiée scientifiquement. À cause de
la complexité des phénomènes et de l'impossibilité presque complète de faire
des expériences, la médecine et la sociologie vont encore plus lentement.
Pourtant un grand pas a été fait, lorsque Pasteur, qui était non pas médecin,
mais chimiste, découvrit, en étudiant les fermentations, la cause des maladies
infectieuses. Or, les maladies infectieuses, c'est-à-dire les maladies
microbiennes, tiennent la plus grande part dans la pathologie. La connaissance
des microbes, de leur culture, de leurs réactions a été un débroussaillement
nécessaire. L'étude des réactions humorales, celle des glandes à sécrétion
interne commencent à s'amorcer. On ira plus loin, on ira, de plus en plus loin.
La pratique scientifique de la médecine ne fait que commencer. Elle a déjà eu
des résultats éclatants dans l'art chirurgical. Les progrès de la chimie
avaient donné le pouvoir d'annihiler la douleur en endormant le patient. La
connaissance de la cause des suppurations a permis de faire, en toute sécurité,
grâce à l'antisepsie et à l'asepsie, les opérations les plus risquées : comme
d'ouvrir un ventre, ce qui se fait aujourd'hui couramment. En cinquante ans la
pratique chirurgicale a étendu son domaine triomphalement. Il semble même
qu'elle a atteint son point culminant et que les progrès dans l'art de soigner
et de guérir les tumeurs, les cancers, les processus inflammatoires (par
exemple dans le cas de l'appendicite) rétréciront peu à peu son champ d'action.
De toute façon, avant d'agir, le médecin est obligé d'établir un diagnostic,
c'est-à-dire d'interroger et d'examiner le malade, souvent même de recourir à
l'aide du laboratoire ou au concours d'un spécialiste, pour déterminer la cause
des symptômes morbides dont se plaint le patient. Celui-ci ne voit que le
malaise qui le gêne, il ne se rend pas compte que ce malaise n'est qu'une des
apparences d'un état pathologique plus profond. Il ira parfois chercher
directement chez le pharmacien un cachet contre un mal de tête ou une potion
contre la toux, ou quelque chose pour couper la fièvre. Il se laissera aussi
bien guider par les réclames de la 4ème page des journaux. Il s'adressera à un
charlatan, à un vendeur d'orviétan ou de tout autre remède secret et
miraculeux. Or, le mal de tête, par exemple, peut être une névralgie causée par
une mauvaise dent ou par une sinusite, par une tumeur, ou bien une migraine, ou
bien une céphalée entraînée par une mauvaise accommodation visuelle, ou bien le
symptôme d'un embarras gastrique, ou bien le prélude d'une maladie infectieuse
en incubation, ou bien l'accompagnement d'une syphilis à la période secondaire,
ou bien encore des troubles liés à une urémie latente, etc. La conduite a tenir
n'est pas la même dans tous les cas, et l'administration inconsidérée d'un
remède peut même aggraver l'état de l'urémique. Pour agir avec quelque
efficacité, il faut donc découvrir la cause des symptômes apparents. Les
anciens médecins s'en rendaient bien compte, mais ils n'avaient que très
rarement le moyen de remonter à cette cause. Ils se contentaient de faire le
diagnostic d'une péritonite, ils savaient qu'elle apparaissait souvent comme
symptôme terminal de la fièvre des femmes en couches, sans d'ailleurs concevoir
le rôle de l'infection, mais ils ignoraient que souvent aussi elle est le
symptôme terminal d'une appendicite méconnue, car ils ignoraient l'appendicite
et ils parlaient alors d'une péritonite a frigore (causée par un
refroidissement). Ils englobaient sous le nom de fièvre putride toutes sortes
de maladies infectieuses, sous le nom d'affections pulmoniques chroniques, ou
de bronchites chroniques, des états divers où la tuberculose tenait sans doute
la plus grande part. L'étiquette d'anémie recouvrait des états pathologiques
les plus différents. Les médecins regardaient le chancre mou, la blennorragie et
la syphilis comme les manifestations d'une même maladie vénérienne. Ils
ignoraient l'hérédo-syphilis. Encore de nos jours confondons-nous sous le nom
de rhumatisme des affections différentes, et notre classification actuelle des
maladies cutanées et celle des maladies mentales sont-elles quelque peu
obscures. Mais on progresse. Lorsque Bichat eut commencé à créer l'anatomie
pathologique, lorsque de nouveaux procédés d'exploration, comme la percussion
et l'auscultation, eurent permis de localiser nombre de lésions des organes,
lésions qu'on pouvait étudier à l'autopsie, on put préciser de nombreux
diagnostics, par exemple celui d'une pleurésie. Celle-ci paraissait avoir
définitivement conquis son existence et son autonomie. Ce fut presque un
scandale quand, il y a 30 ans, Landouzy émit l'hypothèse que la grande majorité
des pleurésies relevait d'une tuberculose de la plèvre. La lésion de l'organe
n'est pas tout. On cherche maintenant à établir son diagnostic étiologique, c
est-a-dire le diagnostic de la cause qui a amené la lésion. Le diagnostic une
fois établi, on sait ce qu'il faut taire et surtout ce qu'il ne faut pas faire.
Mais il faut connaître aussi l'état des différents organes, évaluer la
possibilité de leur tolérance ou de leur défaillance vis-à-vis de tel ou tel
médicament, il faut prévoir, autant que faire se peut, les réactions humorales
etc. Le médecin agit en s'aidant des connaissances accumulées par les travaux
médicaux du monde entier et en se guidant sur son expérience personnelle. Tous
les jours la science médicale fait de nouveaux progrès. Elle est
Internationale. Des congrès de médecine générale ou spécialisée rassemblent
chaque année des travailleurs du monde entier. Les périodiques professionnels
tiennent d'ailleurs les praticiens au courant des recherches en cours, des
hypothèses et des découvertes faites par les médecins dans tous les pays
civilisés. Il n y a plus de remède secret. Une découverte amorcée dans un
laboratoire est souvent parachevée dans un autre. Il se passe en médecine ce
qui se passe dans les autres sciences. Leur progrès s'appuie sur la solidarité
et sur la rivalité intellectuelle (ce qui est la même chose) d'une multitude de
travailleurs, en dépit des erreurs et des bluffs, d'ailleurs vite reconnus.
Depuis. soixante ans environ, ce progrès marche à pas de géant. Il y a cent
ans, la veuve d'un médecin en vendant la bibliothèque de son mari, pouvait en tirer
un prix rémunérateur. Aujourd'hui, au bout de cinq ans, les ouvrages de
pathologie sont périmés. Le médecin est obligé de rester un perpétuel étudiant.
Le progrès des autres sciences (physique, chimie) apporte de nouveaux procédés
d'exploration (radiologie) ou de traitement. L'art médical devient de plus en
plus complexe et compliqué, ce qui entraîne la naissance de nombreuses
spécialités. La médecine traditionnelle a vécu. Le médecin d'aujourd'hui ne
peut plus agir seul. Il a besoin du laboratoire pour l'examen à
l'ultra-microscope, pour des analyses de crachats en série, pour de multiples
analyses du sang ou du liquide céphalo-rachidien etc. etc. Il a besoin
d'examens radiographiques ou radioscopiques. Il a besoin de faire pratiquer la
cystoscopie par un spécialiste des voies urinaires, l'examen du fond de l'œil
par un ophtalmologiste, du larynx par un laryngologiste, etc., etc. En dehors
des traitements afférents à sa spécialité, le spécialiste, dans l'examen
général d'un malade ne peut être qu'un analyste, fournissant un renseignement
particulier au praticien. En somme c'est ce dernier, qui, grâce à un travail
d'induction, peut faire la synthèse des éléments recueillis, établir le
diagnostic et orienter le traitement. Son influence morale a aussi une grande
importance. Mais la collaboration est nécessaire et constante entre le
praticien et ses confrères spécialisés. Les nouveaux procédés d'investigation
permettent un diagnostic non seulement plus précis, mais aussi plus précoce.
Or, il est extrêmement important de pouvoir reconnaitre une affection à son
début ; l'efficacité de la thérapeutique est à ce prix. Confirmer le diagnostic
d'un chancre dès son apparition, déceler la tuberculose pulmonaire de bonne
heure permet d'instituer un traitement qui pourra, dans la plupart des cas,
enrayer l'évolution de la maladie. On s'efforce de découvrir le cancer aussitôt
que possible, car si l'intervention chirurgicale peut être tentée, c'est au
début qu'elle aura les plus grandes chances de succès. Les anciens médecins
n'avaient guère pour avertissement que la souffrance qui amenait les patients à
leur consultation. Or, si la douleur est un signal d'alarme, elle est souvent
beaucoup trop tardive et elle manque de précision. La médecine de l'avenir sera
la médecine préventive. Déjà la médecine actuelle est capable de déceler de
petits risques d'insuffisance fonctionnelle des reins, auxquels elle peut
remédier, grâce à quoi elle peut écarter ou éloigner l'apparition brutale de
l'urémie. Il en est ainsi pour le foie, pour le cœur, etc. Mais nous sommes
encore bien loin des possibilités futures. Pour me faire mieux comprendre, je
prendrai pour exemple l'art dentaire. Il y a cent ans, arracher la dent était
le seul remède contre la douleur. Aujourd'hui non seulement on peut supprimer
la souffrance en dévitalisant la pulpe, mais on empêche la carie par un
plombage précoce. Il ne devrait plus y avoir de mâchoires édentées et puantes.
Les personnes aisées se font examiner la bouche tous les six mois, pour que le
dentiste puisse apercevoir les premiers signes d'altération dentaire. Le
médecin de l'avenir sera sans doute capable de combattre les déficiences
humorales qui causent la décalcification et d'empêcher les pyorrhées de
s'amorcer. Il n'y aura plus de dents gâtées que par hasard ; et les dentiers ou
les bridges seront devenus rarissimes. La preuve des progrès de la médecine est
dans la diminution de la mortalité dans les pays civilisés, surtout de la
mortalité infantile. De grandes masses humaines peuvent se rassembler (par
exemple dans la dernière guerre) sans être décimées par des épidémies
meurtrières, comme c'était la règle autrefois. L'hygiène sociale s'appuie sur
les bases scientifiques de la médecine. On sait la façon dont se propagent les
grands fléaux sociaux, les causes de l'insalubrité, le rôle des taudis, de
l'encombrement, de l'obscurité, de l'ignorance et de la misère, on connaît la
pollution des eaux, du lait, etc., et les falsifications alimentaires. Mais on
n'y remédie pas toujours, car, dans une société mercantile, les intérêts
particuliers sont souvent plus respectables et plus puissants que la santé
publique. Le progrès de la médecine continuera. Nous n'avons aucune idée des
moyens d'investigation dont nos successeurs disposeront. Il y a quarante ans,
personne n'aurait pu se douter de la découverte des rayons X et des nouveaux
moyens qu'ils allaient donner. L'outillage dont se serviront les médecins de
l'avenir sera de plus en plus compliqué. Le praticien ne pourra plus exercer
isolément, il sera obligé de donner ses consultations dans une maison de santé
de quartier. La naissance et la mort ne se passeront plus dans les domiciles
particuliers. Les malades seront traités dans des cliniques pourvues des
derniers perfectionnements. Le machinisme médical coûtera cher. Il sera
impossible au jeune médecin de s'installer en pleine indépendance. En dehors
des hôpitaux de l'Assistance publique, où les malades sont considérés comme des
indigents, et couchés dans la promiscuité des salles communes, à qui
appartiendra la maison de soins ? Aux caisses, créées par les Assurances
sociales, où les médecins seront des fonctionnaires obéissants et salariés ? À
des médecins riches, comme certains chirurgiens, ayant sous leurs ordres une
équipe de praticiens spécialisés ? À des entreprises financières et
capitalistes, où les médecins seront traités comme des employés ? Au point de
vue social, la meilleure solution serait sans doute que les médecins qui sont
des producteurs de soins, fussent organisés librement en coopératives de
production, comprenant praticiens et spécialistes. Les maisons de santé
seraient édifiées par les coopératives de consommateurs (les consommateurs de
soins) ; elles seraient pourvues de laboratoires et de l'outillage moderne.
Mais la direction technique appartiendrait en toute indépendance à la
coopérative médicale. Ce problème s'apparente à celui de l'avenir des
techniciens en général dans la société capitaliste. Sa résolution aura non
seulement un effet social, mais aussi une répercussion sur le développement de
la technique elle-même, suivant que celle-ci sera libre ou asservie. ‒
Docteur M. PIERROT
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