Faux
bruit, invention malveillante que certains individus colportent,
imputant de mauvaises actions à des gens qu'ils veulent discréditer.
La calomnie est une arme vile et abjecte employée de tous temps par
les envieux, les esprits bas et sans scrupule, les gens d'église, de
politique et de Pouvoir à l'égard de ceux qui militent en
contempteurs de toute autorité, et qui ne peuvent se résoudre à
garder pour eux seuls une vérité bienfaisante à tous.
Tour
à tour, les premiers chrétiens, les Juifs, les protestants, les
socialistes et les anarchistes furent en butte aux accusations les
plus stupides, en même temps que les plus ignobles, de la part de
ceux dont ils dérangeaient les plans et contrariaient les appétits.
C'est ainsi qu'à Rome, quand les disciples de Paul de Tarse eurent
fait d'assez grands progrès moraux dans la population, le
gouvernement de Néron fit circuler sur leur compte mille histoires
horribles. On les accusait de tuer les petits enfants, de manger de
la chair humaine, de comploter contre la vie des gens, de prêcher le
vol, le viol et le meurtre. Ce qui faisait que grâce à ces
légendes, le peuple était heureux d'aller au cirque pour assister
aux supplices des chrétiens. Quand Néron ordonna l'incendie de
Rome, il réussit pendant près d'un an à faire croire au peuple que
c'étaient les chrétiens qui avaient commis ce crime, tant était
grande la puissance de la calomnie savante et réitérée des
caudataires du César.
Lorsque,
grâce à la conversion de Constantin, les chrétiens parvinrent à
partager avec l'empereur l'autorité toute-puissante, les prêtres de
la nouvelle église oublièrent totalement le martyrologe de leurs
devanciers.
À
leur tour ils manièrent de main de maître la calomnie. Ce furent
tout d'abord les Juifs qui furent choisis comme victimes ― et l'on
peut dire qu'en cette occasion, le travail des prêtres réussit
au-delà de toute espérance, car aujourd'hui encore on colporte sur
les hébreux les pires infamies ― même dans les milieux qui
échappèrent depuis à l'emprise catholique, on fait du mot « juif
» un terme de mépris. Cette campagne persévérante eut quelquefois
de sanglants résultats : les pogroms russes et polonais sont les
plus frappants exemples de l'état d'égarement dans lequel l'église
catholique sut plonger les crédules. Plus tard, ce furent les
protestants qui subirent l'assaut. À cette occasion se forma une
secte qui devint célèbre. Un ancien soudard espagnol : Ignace de
Loyola, créa la « Compagnie de Jésus », qui avait comme but
initial l'affermissement de la puissance ecclésiastique. L'arme
principale de cette association fut naturellement la calomnie. On
connait le discrédit qui s'attache maintenant aux disciples de
Loyola, et le terme « jésuite » signifie la plus forte expression
de répugnance que l'on puisse émettre quant à la valeur morale
d'un individu.
Caron
de Beaumarchais, en créant son Don Bazile, a campé admirablement le
jésuite, et l'axiome « Calomniez, calomniez ! il en restera
toujours quelque chose » est devenu justement célèbre.
Ensuite,
ce furent les républicains, puis les socialistes qui supportèrent
lourdement le poids de la calomnie officielle. Et enfin, depuis une
quarantaine d'années, ce sont les anarchistes qui se voient le plus
implacablement chargés de tous les méfaits imaginaires. Les
anarchistes sont davantage accablés, parce que, adversaires
implacables de tous les charlatans, ils voient se liguer contre eux
toutes les forces religieuses et politiques. Il n'est pas un crime,
pas un méfait qui ne se commette sans qu'on essaie de prouver que le
ou les auteurs de ce crime ou méfait est un anarchiste.
Disons
que malgré cela, petit à petit la vérité se fait jour grâce à
l'inlassable propagande des militants et que les exploités
commencent à comprendre que les anarchistes sont encore leurs
meilleurs et leurs seuls véritables amis.
Mais
il n'y a pas que sur le terrain politique ou philosophique que la
calomnie est employée.
Journellement,
dans .les rapports les plus intimes, pour les motifs les plus futiles
(quelquefois, même, sans motif aucun), l'arme empoisonnée est
dirigée contre quelqu'un qui n'en peut mais ! Les méchants, les
jaloux, les êtres faibles et nuls manient avec vigueur cette
incomparable auxiliaire de la vilenie, de l'envie et de la
médiocrité. Le plus souvent la calomnie _ rampe lentement et met un
temps infini à parvenir aux oreilles du calomnié. C'est d'abord un
racontar, une incrimination qui, au fur et à mesure qu'elle
s'éloigne de son point de départ se mue en affirmation, puis en
accusation.
De
bouche en bouche, le bruit, faible d'abord, ne tarde pas à devenir
un tonnerre. Alors, le mal fait est Irrémédiable. Comme il est rare
que l'on puisse remonter à la source exacte d'une calomnie, on lui
prête une quantité infinie d'auteurs et, en vertu de ce proverbe
inepte : Il n'y a pas de fumée sans feu, les gens qui se sont
faits les récepteurs de la calomnie y croient dur comme fer et ne se
privent pas de la transmettre « sous le sceau du secret »... pour
qu'elle circule plus vite. Et le plus terrible, c'est qu'aucune
preuve, si magistrale, si péremptoire fût-elle, ne peut détruire
l'ouvrage monstrueux accompli par le propagateur de ragots... C'en
est désormais fini pour le calomnié. S'il n'a pas eu l'heur de
trouver le calomniateur au début du méfait, il verra toute sa vie
empoisonnée par la flèche venimeuse qu'un criminel lui aura lancée
et que la stupide crédulité et la lâche passivité des autres
auront ancrée en lui.
Pour
être calomniateur, point n'est besoin d'avoir inventé la basse
besogne. Pour avoir sur la conscience le poids d'une vilenie, nul
besoin n'est d'être soi-même l'auteur de cette vilenie. Celui qui
entend une accusation monstrueuse contre un autre est aussi un
calomniateur s'il n'exige pas des preuves et se rend, par cela même,
complice de la calomnie. Point n'est besoin. même, de s'être fait
le propagateur d'une affirmation infamante pour avoir droit à
l'épithète de calomniateur. Il suffit simplement d'avoir entendu
une accusation contre quelqu'un, et de ne pas avoir prévenu la
victime, de ne pas avoir essayé de mettre en face l'accusateur et
l'accusé, pour s'être, par un silence passif, fait le complice de
la mauvaise action. Et c'est souvent pire qu'une mauvaise action,
c'est un véritable crime que la calomnie. Toute une vie de labeur,
de droiture et d'abnégation peut être détruite par une assertion,
et la victime terrassée n'a plus qu'a essayer la besogne titanesque
de réduire à néant l'oeuvre infâme. Elle en sortira meurtrie,
broyée et sanguinolente, elle aura connu toute l'amertume des
reniements d'amitié, toute la douleur de se voir trahi et sali et
l'horrible, l'indescriptible souffrance de se sentir injurié,
suspecté, même dans les actions les plus nobles et les
plus
désintéressées. Car la mentalité de nos contemporains est ainsi
faite qu'elle accepte difficilement un récit montrant quelqu'un
comme un être d'élite, mais qu'elle accueille avec une avidité
déconcertante tout ce qui tend à avilir et à dégrader un
quelconque personnage. Et c'est là une constatation qu'on peut faire
personnellement : les noms des criminels restent gravés dans la
mémoire des gens, mais ceux des savants, des bienfaiteurs de
l'humanité s'effacent aussi vite qu'ils ont été enregistrés, si
tant est qu'ils le furent. Aussi, peut-on dire, sans crainte d'être
taxé d'exagération, que la calomnie est un véritable crime.
Elle
est la cause de grands et terribles drames, et c'est assurément la
calamité qui a, à son compte, le plus grand nombre de victimes.
Il
faut travailler de toutes nos énergies à enlever de nos moeurs
cette dégradation de l'être. Pour cela, il nous faut habituer les
gens à la franchise, il nous faut, toutes les fois que nous le
pourrons, arrêter net la calomnie à ses débuts. Quand nous
entendons quelqu'un lancer une accusation contre un autre, forçons
l'accusateur à confirmer ses dires devant celui qu'il veut accabler
; demandons, exigeons des preuves formelles, sinon, n'hésitons pas à
le flétrir et à s'écarter de lui comme on s'écarte d'un
pestiféré, comme on se sépare d'un mouchard : car le calomniateur
dépasse quelquefois le mouchard en vilenie. N'accueillons pas les
racontars, ne ramassons pas les accusations à la légère.
Disons-nous bien que celui qui voyant se perpétrer un crime ne fait
rien pour l'empêcher devient aussi criminel que l'auteur du crime.
Et mettons-nous bien cette pensée dans la tête : que le
calomniateur est l'être le plus vil, le plus lâche, le plus
ignoble, le plus abject et le plus criminel qui puisse être. Et pour
arrêter à jamais le règne infâme de la calomnie, faisons de la
franchise un devoir dans nos relations humaines, et nous aurons bien
travaillé pour l'avènement d'une société dans laquelle la vérité
sera le principal pilier de la fraternité entre tous les hommes.
Louis
LORÉAL
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