samedi 21 avril 2018

Article de ReporTerre journal d'écologie


Les faits se déroulent aux alentours de 5h vendredi 20 avril, à la faculté de Tolbiac, occupée par le mouvement étudiant. La police intervient pour en déloger les occupants. Deux témoins directs de la scène rapportent les détails à Reporterre. Un petit groupe d’occupants – dont les témoins, des SDF qui participaient activement à l’occupation depuis une dizaine de jours – tente de fuir la police en s’échappant par l’arrière du bâtiment, via les terrasses, qu’une échelle relie à une rue adjacente, la rue Baudricourt. Des policiers de la Brigade anti criminalité (BAC) leur donnent la chasse. Tous les occupants parviennent à descendre dans la rue, sauf un. Au moment où ce dernier allait descendre, un agent de la BAC lui agrippe une jambe. L’occupant, déséquilibré, bascule tête en avant et s’écrase au moins trois mètres plus bas.
Les deux témoins ont vu le geste du policier et la chute du fuyard. Un troisième témoin confirme à Reporterre leur description du corps, qu’il a vu à terre. Le blessé, tombé sur le visage, a du sang qui sort par la bouche, le nez et les oreilles. Les témoins tentent de le réanimer, en vain. L’homme est dans un état d’inconscience. L’un des témoins appelle aussitôt les pompiers, qui arrivent sur les lieux trente minutes plus tard et emportent le jeune homme.
Peu après, la police barre l’accès à la rue Baudricourt, lieu de la chute. À sept heures, les agents du nettoyage municipaux entrent dans la rue. Un des deux témoins directs les voit effacer les traces de sang au sol. Or, rappelle l’avocat Me Raphaël Kempf, citant l’article 434-4 du Code pénal : «  est puni de trois ans d’emprisonnement (...) le fait, en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité : De modifier l’état des lieux d’un crime ou d’un délit soit par l’altération, la falsification ou l’effacement des traces ou indices ». Pourtant, la préfecture de police continue à nier les faits.
Nul ne sait précisément où se trouve samedi matin le jeune homme, ni qui il est. Des occupants de Tolbiac rapportent l’avoir vu lors de la première semaine d’occupation, avant son retour pour la nuit du 19 au 20 avril. Quant à son lieu d’hospitalisation, le flou demeure « total », aux dires du syndicat Sud Santé Sociaux vendredi après-midi. Après de premières nouvelles évoquant l’hôpital Cochin dans le XIVe arrondissement, il se pourrait que le blessé se trouve à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre. Quoi qu’il en soit, les ex-occupants de Tolbiac vont prochainement effectuer une déposition judiciaire, en s’appuyant sur les déclarations d’un témoin direct (l’autre craignant des représailles de la police) et du témoin qui a vu le corps à terre.
La préfecture de police a quant à elle publié un communiqué dans l’après-midi du 20 avril assurant « qu’aucun blessé grave qui puisse être en lien avec cette opération d’évacuation n’a été hospitalisé dans les services de réanimation tant médicale que chirurgicale ou neurochirurgicale ».
Cependant, dans un communiqué publié samedi 21 avril, le syndicat Sud Santé écrit : « De source hospitalière, nous savons qu’un patient a été proposé à la grande garde de neurochirurgie mais refusé parce que ne relevant pas de la chirurgie, et transféré dans un autre établissement. »
Le site Paris Luttes indique de son côté qu’un rassemblement se tiendra devant l’hôpital Cochin samedi 21 avril à 14h « pour obtenir la vérité de la part des services hospitaliers ».

Vendredi soir, à 18h, a également lieu un rassemblement devant le site de Tolbiac, barré par un cordon de CRS. Les organisateurs ont dénombré entre 1.200 et 1.500 personnes, qui clamaient, entre autres slogans : « Police partout, justice nulle part ! » Aux alentours de 19h15, entre 500 et 600 personnes sont partis en manifestation sauvage, en direction de l’avenue d’Ivry et la porte d’Italie, où ils ont bloqué un temps une partie du périphérique. La police a dispersé la manifestation entre la porte de Choisy et Ivry-sur-Seine. Toutefois, une partie des manifestants a rejoint le site de Censier, encore occupé par les étudiants, pour une AG inter-facs nocturne.

Témoignages des personnes sur Tolbiac

« On s’échappait par les toits, à l’arrière du bâtiment, pour descendre dans une petite rue à côté. Les gars de la BAC [Brigade anti-criminalité]étaient à nos trousses. Un camarade a voulu enjamber le parapet pour se laisser glisser le long du mur. Un baqueux lui a chopé la cheville. Ç’a l’a déséquilibré, et le camarade est tombé du haut du toit, en plein sur le nez. On a voulu le réanimer. Il ne bougeait pas. Du sang sortait de ses oreilles… » 

« À cinq heures du matin, les guetteurs nous ont averti de l’arrivée de la police. Il y avait 300 CRS. Ceux à l’extérieur portaient des fusils d’assaut. Ceux à l’intérieur, des tronçonneuses, des matraques et des gazeuses. Ils ont tout défoncé, et maintenant, ils nous font porter le chapeau pour les violences qu’ils ont commises. »

« Quand on a entendu la police débarquer, on n’a pas eu le temps de faire grand-chose. On a cherché à fuir avec cinq autres gars, mais on s’est retrouvé coincés dans le sas des ascenseurs, derrière une porte blindée. L’un de nous connaissait le code des ascenseurs, alors on a essayé de monter le plus haut possible, vu que l’électricité était coupée. On s’est réfugié au quatrième étage, et on a attendu les flics. On les a très clairement entendus tout détruire, y compris les portes, lorsqu’ils montaient nous chercher. »

« Une personne blessée à la cheville avait fait un malaise. Je l’avais aussitôt placée en PLS [Position Latérale de Sécurité] et avec plusieurs camarades, on la protégeait de nos corps. Lorsque les flics sont arrivés avec leurs boucliers, je leur ai crié : “N’avancez pas ! On a un blessé !” Ils ont continué à avancer. Ils m’ont bousculé, m’ont fait tomber sur le blessé, l’ont piétiné. Je leur demandais d’arrêter, ils continuaient. Certains souriaient, j’en ai même vu filmer la scène. C’était le summum de la barbarie. »

« On s’échappait par les toits, à l’arrière du bâtiment, pour descendre dans une petite rue à côté. Les gars de la BAC [Brigade anti-criminalité] étaient à nos trousses. Un camarade a voulu enjamber le parapet pour se laisser glisser le long du mur. Un baqueux lui a chopé la cheville. Ç’a l’a déséquilibré, et le camarade est tombé du haut du toit, en plein sur le nez. On a voulu le réanimer. Il ne bougeait pas. Du sang sortait de ses oreilles… »
Désiré* et ses camarades ont aussitôt appelé les pompiers, « en courant ». Emmené par les pompiers, dans un état d’inconscience, on ne sait pas dans quel hôpital il se trouve. Quoi qu’il en soit, la rue où a eu lieu sa chute demeure barrée par la police. Désiré*, qui est allé y jeter un coup d’œil, revient, fulminant de rage : « Les enfoirés ! Ils ont effacé toutes les traces de sang ! »
  • Les prénoms ont été modifiés

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