Les
faits se déroulent aux alentours de 5h vendredi 20 avril, à la
faculté de Tolbiac, occupée par le mouvement étudiant. La police
intervient pour en déloger les occupants. Deux témoins directs de
la scène rapportent les détails à Reporterre. Un petit
groupe d’occupants – dont les témoins, des SDF qui
participaient activement à l’occupation depuis une dizaine de
jours – tente de fuir la police en s’échappant par l’arrière
du bâtiment, via les terrasses, qu’une échelle relie à une rue
adjacente, la rue Baudricourt. Des policiers de la Brigade anti
criminalité (BAC) leur donnent la chasse. Tous les occupants
parviennent à descendre dans la rue, sauf un. Au moment où ce
dernier allait descendre, un agent de la BAC lui agrippe
une jambe. L’occupant, déséquilibré, bascule tête en avant et
s’écrase au moins trois mètres plus bas.
Les
deux témoins ont vu le geste du policier et la chute du fuyard. Un
troisième témoin confirme à Reporterre leur
description du corps, qu’il a vu à terre. Le blessé, tombé sur
le visage, a du sang qui sort par la bouche, le nez et les oreilles.
Les témoins tentent de le réanimer, en vain. L’homme est dans un
état d’inconscience. L’un des témoins appelle aussitôt les
pompiers, qui arrivent sur les lieux trente minutes plus tard et
emportent le jeune homme.
Peu
après, la police barre l’accès à la rue Baudricourt, lieu de la
chute. À sept heures, les agents du nettoyage municipaux entrent
dans la rue. Un des deux témoins directs les voit effacer les traces
de sang au sol. Or, rappelle l’avocat Me Raphaël Kempf,
citant l’article 434-4 du Code pénal : « est
puni de trois ans d’emprisonnement (...) le fait, en vue de faire
obstacle à la manifestation de la vérité : De modifier l’état
des lieux d’un crime ou d’un délit soit par l’altération, la
falsification ou l’effacement des traces ou indices ».
Pourtant, la préfecture de police continue à nier les faits.
Nul
ne sait précisément où se trouve samedi matin le jeune homme, ni
qui il est. Des occupants de Tolbiac rapportent l’avoir vu lors de
la première semaine d’occupation, avant son retour pour la nuit du
19 au 20 avril. Quant à son lieu d’hospitalisation, le flou
demeure « total », aux dires du syndicat Sud
Santé Sociaux vendredi après-midi. Après de premières nouvelles
évoquant l’hôpital Cochin dans le XIVe arrondissement,
il se pourrait que le blessé se trouve à l’hôpital du
Kremlin-Bicêtre. Quoi qu’il en soit, les ex-occupants de Tolbiac
vont prochainement effectuer une déposition judiciaire, en
s’appuyant sur les déclarations d’un témoin direct (l’autre
craignant des représailles de la police) et du témoin qui a vu le
corps à terre.
La
préfecture de police a quant à elle publié un communiqué dans
l’après-midi du 20 avril assurant « qu’aucun
blessé grave qui puisse être en lien avec cette opération
d’évacuation n’a été hospitalisé dans les services de
réanimation tant médicale que chirurgicale ou neurochirurgicale ».
Cependant,
dans un communiqué
publié samedi 21 avril,
le syndicat Sud Santé écrit : « De
source hospitalière, nous savons qu’un patient a été proposé à
la grande garde de neurochirurgie mais refusé parce que ne relevant
pas de la chirurgie, et transféré dans un autre établissement. »
Le
site Paris
Luttes indique
de son côté qu’un rassemblement se tiendra devant l’hôpital
Cochin samedi 21 avril à 14h « pour
obtenir la vérité de la part des services hospitaliers ».
Vendredi
soir, à 18h, a également lieu un rassemblement devant le site de
Tolbiac, barré par un cordon de CRS. Les organisateurs ont
dénombré entre 1.200 et 1.500 personnes, qui clamaient, entre
autres slogans : « Police partout, justice nulle
part ! » Aux alentours de 19h15, entre 500 et 600
personnes sont partis en manifestation sauvage, en direction de
l’avenue d’Ivry et la porte d’Italie, où ils ont bloqué un
temps une partie du périphérique. La police a dispersé la
manifestation entre la porte de Choisy et Ivry-sur-Seine. Toutefois,
une partie des manifestants a rejoint le site de Censier, encore
occupé par les étudiants, pour une AG inter-facs
nocturne.
Témoignages
des personnes sur Tolbiac
« On
s’échappait par les toits, à l’arrière du bâtiment, pour
descendre dans une petite rue à côté. Les gars de la BAC [Brigade
anti-criminalité]étaient
à nos trousses. Un camarade a voulu enjamber le parapet pour se
laisser glisser le long du mur. Un baqueux lui a chopé la cheville.
Ç’a l’a déséquilibré, et le camarade est tombé du haut du
toit, en plein sur le nez. On a voulu le réanimer. Il ne bougeait
pas. Du sang sortait de ses oreilles… »
« À
cinq heures du matin, les guetteurs nous ont averti de l’arrivée
de la police. Il y avait 300 CRS. Ceux à l’extérieur
portaient des fusils d’assaut. Ceux à l’intérieur, des
tronçonneuses, des matraques et des gazeuses. Ils ont tout défoncé,
et maintenant, ils nous font porter le chapeau pour les violences
qu’ils ont commises. »
« Quand
on a entendu la police débarquer, on n’a pas eu le temps de faire
grand-chose. On a cherché à fuir avec cinq autres gars, mais on
s’est retrouvé coincés dans le sas des ascenseurs, derrière une
porte blindée. L’un de nous connaissait le code des ascenseurs,
alors on a essayé de monter le plus haut possible, vu que
l’électricité était coupée. On s’est réfugié au quatrième
étage, et on a attendu les flics. On les a très clairement entendus
tout détruire, y compris les portes, lorsqu’ils montaient nous
chercher. »
« Une
personne blessée à la cheville avait fait un malaise. Je l’avais
aussitôt placée en PLS [Position
Latérale de Sécurité] et
avec plusieurs camarades, on la protégeait de nos corps. Lorsque les
flics sont arrivés avec leurs boucliers, je leur ai
crié : “N’avancez
pas !
On a un blessé !” Ils
ont continué à avancer. Ils m’ont bousculé, m’ont fait tomber
sur le blessé, l’ont piétiné. Je leur demandais d’arrêter,
ils continuaient. Certains souriaient, j’en ai même vu filmer la
scène. C’était le summum de la barbarie. »
« On
s’échappait par les toits, à l’arrière du bâtiment, pour
descendre dans une petite rue à côté. Les gars de la BAC [Brigade
anti-criminalité] étaient à nos trousses. Un camarade a
voulu enjamber le parapet pour se laisser glisser le long du mur. Un
baqueux lui a chopé la cheville. Ç’a l’a déséquilibré, et le
camarade est tombé du haut du toit, en plein sur le nez. On a voulu
le réanimer. Il ne bougeait pas. Du sang sortait de ses oreilles… »
Désiré*
et ses camarades ont aussitôt appelé les pompiers, « en
courant ». Emmené par les pompiers, dans un état
d’inconscience, on ne sait pas dans quel hôpital il se trouve.
Quoi qu’il en soit, la rue où a eu lieu sa chute demeure barrée
par la police. Désiré*, qui est allé y jeter un coup d’œil,
revient, fulminant de rage : « Les enfoirés !
Ils ont effacé toutes les traces de sang ! »
- Les prénoms ont été modifiés
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