samedi 7 avril 2018

Journal Officiel de la Commune de Paris


Paris, le 20 mars 1871. La Révolution du 18 mars.

Les journaux réactionnaires continuent à tromper l’opinion publique en dénaturant avec préméditation et mauvaise foi les événements politiques dont la capitale est le théâtre depuis trois jours. Les calomnies les plus grossières, les inculpations les plus fausses et les plus outrageantes sont publiées contre les hommes courageux et désintéressés qui, au milieu des plus grands périls, ont assumé la lourde responsabilité du salut de la République.
L’histoire impartiale leur rendra certainement la justice qu’ils méritent, et constatera que la Révolution du 18 mars est une nouvelle importante dans la marche.
D’obscurs prolétaires, hier encore inconnus, et dont les noms retentiront bientôt dans le monde entier, inspirés par un amour profond de la justice et du droit, par un dévouement sans borne à la France et à la République, s’inspirant de ces généreux sentiments et de leur courage à toute épreuve, ont la liberté menacée. Ce sera là leur mérite devant leurs contemporains et devant la postérité.
Les prolétaires de la capitale, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en mains la direction des affaires publiques.
Ils ont usé du pouvoir que le peuple a remis entre leurs mains avec une modération et une sagesse qu’on ne saurait trop louer. Ils sont restés calmes devant les provocations des ennemis de la République, et prudents en présence de l’étranger.
Ils ont fait preuve du plus grand désintéressement et de l’abnégation la plus absolue. A peine arrivés au pouvoir, ils ont eu hâte de convoquer dans ses comices le peuple de Paris, afin qu’il nomme immédiatement une municipalité communale dans les mains de laquelle ils abdiqueront leur autorité d’un jour.
Il n’est pas d’exemple dans l’histoire d’un gouvernement provisoire qui se soit plus empressé de déposer son mandat dans les mains des élus du suffrage universel.
En présence de cette conduite si désintéressée, si honnête et si démocratique, on se demande avec étonnement comment il peut se trouver une presse assez injuste, malhonnête et éhontée pour déverser la calomnie, l’injure et l’outrage sur des citoyens respectables, dont les actes ne méritent jusqu’à ce jour qu’éloge et admiration.
Les amis de l’humanité, les défenseurs du droit, victorieux ou vaincus, seront toujours les victimes du mensonge et de la calomnie ?
Les travailleurs, ceux qui produisent tout et qui ne jouissent de rien, ceux qui souffrent de la misère au milieu des produits accumulés, fruit de leur labeur et de leurs sueurs, devront-ils donc sans cesse être battus à l’outrage ?
Ne leur sera-t-il jamais permis de travailler à leur émancipation sans soulever contre eux un concert de malédictions ?
La bourgeoisie, leur aînée, qui a accompli son émancipation il y a plus de trois quarts de siècles, qui les a précédés dans la voie de la révolution, ne comprend elle pas aujourd’hui que le tour de l’émancipation du prolétariat est arrivé ?
Les désastres et les calamités publiques dans lesquels son incapacité politique et sa décrépitude morale et intellectuelle ont plongé la France devraient pourtant lui prouver qu’elle a fini son temps, qu’elle a accompli la tâche qui lui avait été imposée en 89, et qu’elle doit sinon céder la place aux travailleurs, au moins les laisser arriver à leur tour à l’émancipation sociale.
En présence des catastrophes actuelles, il n’est pas trop du concours de tous pour nous sauver.
Pourquoi donc persiste-t-elle avec un aveuglement fatal et une persistance inouïe à refuser au prolétariat sa part légitime d’émancipation ?
Pourquoi met-elle sans cesse en péril toutes les conquêtes de l’esprit humain accomplies par la grande révolution française ?
Si depuis le 4 septembre dernier la classe gouvernante avait laissé un libre cours aux aspirations et aux besoins du peuple ; si elle avait accordé franchement aux travailleurs le droit commun, l’exercice de toutes les libertés, si elle leur avait permis de développer toutes leurs facultés, d’exercer tous leurs droits et de satisfaire leurs besoins ; si elle n’avait pas préféré la ruine de la patrie au triomphe certain de la République en Europe, nous n’en serions pas où nous en sommes et nos désastres eussent été évités.
Le prolétariat, en face de la menace permanente de ses droits, de la négation absolue de toutes ses légitimes aspirations, de la ruine de la patrie et de toutes ses espérances, a compris qu’il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en main ses destinées et d’en assurer le triomphe en s’emparant du pouvoir.
C’est pourquoi il a répondu par la révolution aux provocations insensées et criminelles d’un gouvernement aveugle et coupable, qui n’a pas craint de déchaîner la guerre civile en présence de l’invasion et de l’occupation étrangères.
L’armée, que le pouvoir espérait faire marcher contre le peuple, a refusé détourner ses armes contre lui, elle lui a tendu une main fraternelle et s’est jointe à ses frères.
Que les quelques gouttes de sang versé, toujours regrettables, retombent sur la tête des provocateurs de la guerre civile et des ennemis du peuple, qui, depuis près d’un demi-siècle, ont été les auteurs de toutes nos ruines nationales. Le cours du progrès, un instant interrompu, reprendra sa marche, et le prolétariat accomplira, malgré tout, son émancipation !

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