Paris,
le 20 mars 1871. La Révolution du 18 mars.
Les
journaux réactionnaires continuent à tromper l’opinion publique
en dénaturant avec préméditation et mauvaise foi les événements
politiques dont la capitale est le théâtre depuis trois jours. Les
calomnies les plus grossières, les inculpations les plus fausses et
les plus outrageantes sont publiées contre les hommes courageux et
désintéressés qui, au milieu des plus grands périls, ont assumé
la lourde responsabilité du salut de la République.
L’histoire
impartiale leur rendra certainement la justice qu’ils méritent, et
constatera que la Révolution du 18 mars est une nouvelle importante
dans la marche.
D’obscurs
prolétaires, hier encore inconnus, et dont les noms retentiront
bientôt dans le monde entier, inspirés par un amour profond de la
justice et du droit, par un dévouement sans borne à la France et à
la République, s’inspirant de ces généreux sentiments et de leur
courage à toute épreuve, ont la liberté menacée. Ce sera là leur
mérite devant leurs contemporains et devant la postérité.
Les
prolétaires de la capitale, au milieu des défaillances et des
trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était
arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en mains la
direction des affaires publiques.
Ils
ont usé du pouvoir que le peuple a remis entre leurs mains avec une
modération et une sagesse qu’on ne saurait trop louer. Ils sont
restés calmes devant les provocations des ennemis de la République,
et prudents en présence de l’étranger.
Ils
ont fait preuve du plus grand désintéressement et de l’abnégation
la plus absolue. A peine arrivés au pouvoir, ils ont eu hâte de
convoquer dans ses comices le peuple de Paris, afin qu’il nomme
immédiatement une municipalité communale dans les mains de laquelle
ils abdiqueront leur autorité d’un jour.
Il
n’est pas d’exemple dans l’histoire d’un gouvernement
provisoire qui se soit plus empressé de déposer son mandat dans les
mains des élus du suffrage universel.
En
présence de cette conduite si désintéressée, si honnête et si
démocratique, on se demande avec étonnement comment il peut se
trouver une presse assez injuste, malhonnête et éhontée pour
déverser la calomnie, l’injure et l’outrage sur des citoyens
respectables, dont les actes ne méritent jusqu’à ce jour qu’éloge
et admiration.
Les
amis de l’humanité, les défenseurs du droit, victorieux ou
vaincus, seront toujours les victimes du mensonge et de la calomnie ?
Les
travailleurs, ceux qui produisent tout et qui ne jouissent de rien,
ceux qui souffrent de la misère au milieu des produits accumulés,
fruit de leur labeur et de leurs sueurs, devront-ils donc sans cesse
être battus à l’outrage ?
Ne
leur sera-t-il jamais permis de travailler à leur émancipation sans
soulever contre eux un concert de malédictions ?
La
bourgeoisie, leur aînée, qui a accompli son émancipation il y a
plus de trois quarts de siècles, qui les a précédés dans la voie
de la révolution, ne comprend elle pas aujourd’hui que le tour de
l’émancipation du prolétariat est arrivé ?
Les
désastres et les calamités publiques dans lesquels son incapacité
politique et sa décrépitude morale et intellectuelle ont plongé la
France devraient pourtant lui prouver qu’elle a fini son temps,
qu’elle a accompli la tâche qui lui avait été imposée en 89, et
qu’elle doit sinon céder la place aux travailleurs, au moins les
laisser arriver à leur tour à l’émancipation sociale.
En
présence des catastrophes actuelles, il n’est pas trop du concours
de tous pour nous sauver.
Pourquoi
donc persiste-t-elle avec un aveuglement fatal et une persistance
inouïe à refuser au prolétariat sa part légitime d’émancipation
?
Pourquoi
met-elle sans cesse en péril toutes les conquêtes de l’esprit
humain accomplies par la grande révolution française ?
Si
depuis le 4 septembre dernier la classe gouvernante avait laissé un
libre cours aux aspirations et aux besoins du peuple ; si elle avait
accordé franchement aux travailleurs le droit commun, l’exercice
de toutes les libertés, si elle leur avait permis de développer
toutes leurs facultés, d’exercer tous leurs droits et de
satisfaire leurs besoins ; si elle n’avait pas préféré la ruine
de la patrie au triomphe certain de la République en Europe, nous
n’en serions pas où nous en sommes et nos désastres eussent été
évités.
Le
prolétariat, en face de la menace permanente de ses droits, de la
négation absolue de toutes ses légitimes aspirations, de la ruine
de la patrie et de toutes ses espérances, a compris qu’il était
de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en main
ses destinées et d’en assurer le triomphe en s’emparant du
pouvoir.
C’est
pourquoi il a répondu par la révolution aux provocations insensées
et criminelles d’un gouvernement aveugle et coupable, qui n’a pas
craint de déchaîner la guerre civile en présence de l’invasion
et de l’occupation étrangères.
L’armée,
que le pouvoir espérait faire marcher contre le peuple, a refusé
détourner ses armes contre lui, elle lui a tendu une main
fraternelle et s’est jointe à ses frères.
Que
les quelques gouttes de sang versé, toujours regrettables, retombent
sur la tête des provocateurs de la guerre civile et des ennemis du
peuple, qui, depuis près d’un demi-siècle, ont été les auteurs
de toutes nos ruines nationales. Le cours du progrès, un instant
interrompu, reprendra sa marche, et le prolétariat accomplira,
malgré tout, son émancipation !
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