Vol
à main armée pillage sur les grands chemins. Au figuré :
concussion, rapine. Tel est le sens que le dictionnaire donne au mot
« brigandage ». Sens étroit, sens bourgeois qu'il convient
d'élargir.
Par
brigandage, nous entendons autre chose, et les brigands ne sont point
exclusivement ceux qui attendent le passant au coin de la route pour
le dévaliser dans l'ombre complice. Ceux dont nous voulons parler
sont riches, honorés, haut placés, très souvent décorés, parlent
et commandent en maîtres à tous les peuples.
Ces
brigands-là sont extrêmement nombreux, mieux armés et plus
dangereux que les autres, qui ne sont, eux, que des malheureux
affamés et ne sont devenus brigands que contraints et forcés par
l'état de choses actuel. Ce sont les grands brigands qui ont
engendré et engendrent les autres, les voleurs de grands chemins.
Ces
derniers sont des victimes, les autres sont des coupables conscients
de leurs actes et de leur conséquences. Le patron qui fait
travailler ses ouvriers pour un salaire de famine n'est-il pas un
brigand, un brigand qui opère à l'abri de la loi, avec le concours
des gendarmes et de la police ? Si les ouvriers se révoltent contre
ce brigand, tout le régime le soutient contre ses victimes.
Grands
brigands aussi les grands capitalistes et les banquiers, dont
l'action malfaisante et quotidienne a pour but d'affamer les peuples,
de les précipiter les uns contre les autres pour défendre des
intérêts qui leur sont étrangers. N'est-ce pas du brigandage que
de faire tuer par millions des hommes pour s'emparer des richesses du
sol, pour régner sur de nouveaux territoires ?...
Et
les guerres coloniales, ne sont-elles pas autant d'actes de
brigandages, au cours desquels les soldats enivrés, les malheureux,
volent, pillent, assassinent, violent pour permettre à des
industriels, à des négociants, à des financiers de mettre en coupe
réglée individus et production d'un pays jusqu'alors libre ?
Qui
dira jamais, comme Vigné d'Octon, les brigandages commis au cours
des expéditions du Tonkin, de la Chine, de la Tunisie, de
Madagascar, du Maroc, qui continuent après la conquête pour
l'enrichissement scandaleux des négriers, des capitalistes des
métropoles ?
Brigandage
encore l'action qui consiste, pour quelques gredins, à s'enrichir
pendant les guerres à ramasser dans le sang, sur les ruines, parmi
les deuils innombrables, des fortunes colossales. Et ceux qui ont
amassé encore des fortunes dans l'exhumation et l'exploitation des
cadavres, ne faisaient-ils pas acte de brigandage sur ces champs de
bataille après la grande guerre de 1914-1918 ?
Et
les coquins qui se faisaient payer jusqu'à cent fois la valeur des
dommages de guerre, n'étaient-ils pas, eux aussi, des brigands,
qu'on décore et qu'on salue ? Les pétroliers, les armateurs, les
propriétaires de mines qui accaparent, transportent et vendent à
des prix majorés, ne font-ils pas encore acte de brigandage ? Le
mandataire aux Halles qui jette à l'égout les marchandises, les
denrées au lieu d'en baisser le prix ; le meunier qui vend la farine
au prix fort après l'avoir additionnée de succédanés ; le
commerce, le négoce, tout ce qui vend à gros bénéfices, ne
sont-ce pas des brigands qui spéculent sur la santé publique et sur
le porte monnaie du consommateur ?
La
vérité, c'est que le brigandage s'étale partout, dans ce monde de
corrompus et de jouisseurs. Il est roi et ses auteurs protestent et
crient comme des putois lorsqu'ils sont, par un juste retour des
choses, l'objet de la peine du talion modestement appliquée. S'il
n'y avait pas eu de brigandage, si, cette action n'avait pas été
élevée à la hauteur d'un principe, si on n'en avait pas fait une
institution, il n'y aurait pas de propriété, pas de riches, pas
d'exploiteurs, ni non plus de misères, de malheureux, d'exploités.
«
La propriété, c'est le vol », a dit Proudhon. Ajoutons: c'est le
brigandage qui a permis de constituer la propriété. Il y a aussi le
brigandage scientifique, littéraire, qui consiste à dépouiller un
inventeur, un chercheur, un artiste du produit de son travail, à le
dépouiller parce qu'il est pauvre, en acquérant, pour un faible
prix, une invention, un procédé de fabrication. qui permet de
gagner des millions à celui qui dévalisera le pauvre savant,
l'humble chercheur.
Brigandage
encore, l'acte qui consisté à faire travailler un artiste de talent
pour des prix dérisoires pour revendre ses productions au prix fort.
Brigandage toujours que de piller les idées, la pensée des autres,
pour les faire siennes. Les cas de ce genre sont légion. Les hommes
de valeur meurent pauvres, inconnus et leurs détrousseurs sont
célèbres et passent à la postérité, atteignent aux honneurs et à
la fortune.
Que
sont, auprès de cela, les peccadilles accomplie sous l'aiguillon de
la faim, sous l'empire de la misère, pour assurer la vie des êtres
chers?
Pierre
BESNARD.
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