dimanche 1 avril 2018

BRIGANDAGE Encyclopedie Anarchiste Sébastien Faure



On désigne actuellement sous le nom de brigandage le vol à main armée lorsqu'il atteint une certaine envergure. La bourgeoisie a fait s'élargir peu à peu dans la langue cette acception, ce qui lui permet de se servir du mot pour désigner tout acte insurrectionnel ou toute reprise individuelle violente. Elle s'efforce ainsi de desservir ses adversaires, tels les anarchistes terroristes, dans l'esprit public, grâce au sens péjoratif du mot brigandage. Pourtant les brigands ne sont pas là où les bourgeois veulent les faire voir. Bien au contraire ils se trouvent parmi ces bourgeois eux-mêmes ou leurs valets. Prenons en effet le sens du mot brigand à son origine. Le mot de brigand fut donné au XIVe siècle à des soldats mercenaires qui portaient une cotte de maille dite brigandine. La profession de brigand devint, pendant la guerre de Cent Ans, une profession honorée. Les pillards logés dans les châteaux (qu'ils avaient soustraits à leurs dignes compères et concurrents : les seigneurs), rançonnaient le pays environnant. On le trouvait si naturel, en haut lieu, que l'on vit le pape Innocent VI, à Avignon, recevoir un brigand, Regnault de Cervote, dit l'Archiprêtre. On cite aussi parmi les brigands les plus célèbres : Aimarigot, Marches et Rodrigue de Villandrareda. On voit donc que le véritable sens du mot brigand n'a rien de commun avec le sens qu'on voudrait lui donner aujourd'hui en l'appliquant au pauvre bougre qui vole pour manger ou qui s'insurge contre les ignominies de la société actuelle. Les brigands sont tout simplement des soudards fainéants, assassins de métier, parfois encombrants pour leurs maîtres, lorsque ceux-ci n'ont pas de crimes à leur faire perpétrer, Vous croyez peut-être que cette espèce de brigands s'est éteinte avec la « civilisation » ? Détrompez-vous, elle existe toujours, aussi puissante qu'au moyen-âge. La mondiale boucherie de 1914-18 pourrait en fournir maints exemples mais, comme il se trouvait des inconscients mêlés aux spadassins professionnels, nous n'insisterons pas. D'autres exemples, bien trop nombreux, hélas ! sont là. Citons les beaux faits d'armes qui illustrèrent la prise de Sikasso (Soudan Français) par les « glorieuses » troupes coloniales : Après le siège, l'assaut. Ba Bemba se tue. On donne l'ordre du pillage. Tout est pris ou tué. Tous les captifs (4000 environ) rassemblés en troupeau. On fait avec eux des étapes de 40 kilomètres. Les enfants et tous ceux qui sont fatigués sont tués à coups de crosse et de baïonnette. Les cadavres étaient laissés au bord des routes. Une femme est trouvée accroupie. Elle est enceinte. On la pousse à coups de crosse. Elle accouche debout, en marchant. On a coupé le cordon sans se retourner pour voir si c'était garçon ou fille... (C.-A. Laisant). - Mentionnons cet épisode du Journal d'un marin : « Nous voici dans le Katinou, au milieu des vaincus. Là, j'assiste au plus horrible spectacle qui se soit jamais reflété en des prunelles de civilisé. Le village était pris et Bokary tué, les troupes blanches ont gagné le bord et il ne reste plus sur les décombres que les auxiliaires. L'un d'eux, en ricanant, éventre une femme mourante et s'amuse à lui casser les dents sous ses talons ; un autre émascule voluptueusement une sorte d'hercule qui râle encore et dont les deux bras carbonisés demandent grâce ; un troisième va de-ci de-là, piétinant tous les cadavres avec une indicible frénésie et plongeant le bout de sa sagaie dans tous les yeux où bri11e un dernier éclair d'agonie. Celui-ci entortille de sanglants intestins sur le canon de son fusil et son voisin s'acharne à scier avec la lame ébréchée de son sabre, les seins d'une vieille dont la maigre carcasse palpite. Je vois une fillette de six à sept ans
dont le corps a été tranché en deux parties égales ; à côté des tronçons, un enfantelet (le frère sans doute) est couché, son petit crâne aplati comme un fromage, et j'aperçois se tendant vers eux les bras raidis et crispés . d'un cadavre de femme gisant, le ventre ouvert, dans une marmelade de viscères... » (P. Vigné D'OCTON). - Lors des expéditions « civilisées » en Chine, en 1860, rappelons le pillage de Pékin : « Après que tout ce qui pouvait s'emporter eût passé dans les sacs ou pris place sur les fourgons à bagages, après que les hommes eurent dormi ou paillardé sur les étoffes les plus précieuses, on chargea le feu d'achever cette oeuvre. Le Palais d'Eté devint la proie des flammes : bibliothèque pleine des produits littéraires de plus de quarante générations, pagodes deux ou trois fois plus vieilles que les plus anciens monuments d'Europe, palais, kiosques, ponts pittoresques, terrasses, vases, statues de granit, de marbre, tout cela n'est plus aujourd'hui ! » (Paul WARIN). - Et encore: « A la Résidence, le palais impérial a été souillé, les ambassadeurs et leurs femmes mêmes ont volé les inestimables objets d'art des appartements intérieurs, les ignobles contempleurs des sciences ont brûlé en partie la grande bibliothèque ; et comme des chiens pour un os, ils se sont battus entre eux pour les célèbres instruments d'observatoire impérial. Quant à la bibliothèque, c'est le plus grand désastre qui, depuis l'année 625, date de la destruction de la bibliothèque d'Alexandrie, ait frappé la civilisation. Les pertes, surtout celle de la Grande Encyclopédie, sont absolument irrémédiables. Il faudrait détruire toutes les bibliothèques du domaine de la civilisation occidentale pour avoir le corrélatif de cette catastrophe... » (Alexandre DUR, juin 1901). - Nous pourrions multiplier les récits de ce genre, conter comment le colonel Pelissier fit enfumer dans des grottes huit cents Arabes ; comment à Lamina, le 5 juin 1894, on brûla 412 cases sur 498 après avoir pris le bétail, l'or, les vivres et 804 captifs qui furent. distribués comme esclaves aux gens de l'expédition (Georges-ANQUETIL.) ; comment le capitaine Voulet fit prendre vingt femmes mères avec des enfants en bas-âge et les fit tuer à coups de lance... pour l'exemple (interpellation de P. Vigné d'Octon, à la Chambre des députés, le 19 novembre 1900) ; comment les soldats français, après la prise de Bossé, se servirent comme appât vivant pour les fauves, d'une fillette de dix ans qu'on avait liée toute nue sur un nid de fourmies noires pour qu'elle criât et qui mourut rongée par les fourmis (SÉVERINE) ; comment un administrateur vola le cheval d'un indigène qu'il fit ensuite envoyer au bagne sur une fausse accusation pour pouvoir s'emparer de sa femme sans danger (Mme Hubertine AUCLERT) ; comment, à Blagoustcheusk, 5.000 paisibles chinois, hommes, femmes et enfants, furent poussés dans le fleuve Amour par les troupes du général Gribsky (il fallut incinérer les cadavres par crainte de la peste) (Georges-ANQUETIL.) ; comment à Tien-Tsin, les Russes embrochaient même les enfants à la mamelle puis les jetaient en l'air pour les rattraper de nouveau sur la baïonnette, etc... , etc... Qui oserait dire, après cela, que ces monstres enrégimentés ne sont pas les dignes descendants des brigands sanguinaires du moyen-âge ? A côté de ces affreux brigandages l'attentat du terroriste n'est-il pas un geste de saine révolte, d'une révolte qui sait la persuasion impuissante à toucher le coeur ou l'esprit de ces affreuses brutes ? Et comment les lois bourgeoises peuvent-elles avoir l'audace de punir le malheureux qui vole parce qu'il a faim, tandis que l'officier sadique et sanglant voit, à la fin de sa carrière de meurtrier, une décoration fleurir sa boutonnière ? Hélas, il existe toujours des brigands et les lois sont à leur service. Seule, la révolution pourra venir à bout de ce brigandage-là, le seul véritable. Il appartient aux anarchistes d'aider de toutes leurs forces à l'assainissement de la Société de demain en dénonçant hardiment les crimes et les rapines de tous les malfaiteurs officiels.

    Georges VIDAL.

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