On
désigne actuellement sous le nom de brigandage le vol à main armée
lorsqu'il atteint une certaine envergure. La bourgeoisie a fait
s'élargir peu à peu dans la langue cette acception, ce qui lui
permet de se servir du mot pour désigner tout acte insurrectionnel
ou toute reprise individuelle violente. Elle s'efforce ainsi de
desservir ses adversaires, tels les anarchistes terroristes, dans
l'esprit public, grâce au sens péjoratif du mot brigandage.
Pourtant les brigands ne sont pas là où les bourgeois veulent les
faire voir. Bien au contraire ils se trouvent parmi ces bourgeois
eux-mêmes ou leurs valets. Prenons en effet le sens du mot brigand
à son origine. Le mot
de brigand fut donné au XIVe siècle à des soldats mercenaires qui
portaient une cotte de maille dite brigandine. La profession de
brigand devint, pendant la guerre de Cent Ans, une profession
honorée. Les pillards logés dans les châteaux (qu'ils avaient
soustraits à leurs dignes compères et concurrents : les seigneurs),
rançonnaient le pays environnant. On le trouvait si naturel, en haut
lieu, que l'on vit le pape Innocent VI, à Avignon, recevoir un
brigand, Regnault de Cervote, dit l'Archiprêtre. On cite aussi parmi
les brigands les plus célèbres : Aimarigot, Marches et Rodrigue de
Villandrareda. On voit donc que le véritable sens du mot brigand
n'a rien de commun
avec le sens qu'on voudrait lui donner aujourd'hui en l'appliquant au
pauvre bougre qui vole pour manger ou qui s'insurge contre les
ignominies de la société actuelle. Les brigands sont tout
simplement des soudards fainéants, assassins de métier, parfois
encombrants pour leurs maîtres, lorsque ceux-ci n'ont pas de crimes
à leur faire perpétrer, Vous croyez peut-être que cette espèce de
brigands s'est éteinte avec la « civilisation » ? Détrompez-vous,
elle existe toujours, aussi puissante qu'au moyen-âge. La mondiale
boucherie de 1914-18 pourrait en fournir maints exemples mais, comme
il se trouvait des inconscients mêlés aux spadassins
professionnels, nous n'insisterons pas. D'autres exemples, bien trop
nombreux, hélas ! sont là. Citons les beaux faits d'armes qui
illustrèrent la prise de Sikasso (Soudan Français) par les «
glorieuses » troupes coloniales : Après le siège, l'assaut. Ba
Bemba se tue. On donne l'ordre du pillage. Tout est pris ou tué.
Tous les captifs (4000 environ) rassemblés en troupeau. On fait avec
eux des étapes de 40 kilomètres. Les enfants et tous ceux qui sont
fatigués sont tués à coups de crosse et de baïonnette. Les
cadavres étaient laissés au bord des routes. Une femme est trouvée
accroupie. Elle est enceinte. On la pousse à coups de crosse. Elle
accouche debout, en marchant. On a coupé le cordon sans se retourner
pour voir si c'était garçon ou fille... (C.-A. Laisant). -
Mentionnons cet épisode du Journal d'un marin : « Nous voici dans
le Katinou, au milieu des vaincus. Là, j'assiste au plus horrible
spectacle qui se soit jamais reflété en des prunelles de civilisé.
Le village était pris et Bokary tué, les troupes blanches ont gagné
le bord et il ne reste plus sur les décombres que les auxiliaires.
L'un d'eux, en ricanant, éventre une femme mourante et s'amuse à
lui casser les dents sous ses talons ; un autre émascule
voluptueusement une sorte d'hercule qui râle encore et dont les deux
bras carbonisés demandent grâce ; un troisième va de-ci de-là,
piétinant tous les cadavres avec une indicible frénésie et
plongeant le bout de sa sagaie dans tous les yeux où bri11e un
dernier éclair d'agonie. Celui-ci entortille de sanglants intestins
sur le canon de son fusil et son voisin s'acharne à scier avec la
lame ébréchée de son sabre, les seins d'une vieille dont la maigre
carcasse palpite. Je vois une fillette de six à sept ans
dont
le corps a été tranché en deux parties égales ; à côté des
tronçons, un enfantelet (le frère sans doute) est couché, son
petit crâne aplati comme un fromage, et j'aperçois se tendant vers
eux les bras raidis et crispés . d'un cadavre de femme gisant, le
ventre ouvert, dans une marmelade de viscères... » (P. Vigné
D'OCTON). - Lors des expéditions « civilisées » en Chine, en
1860, rappelons le pillage de Pékin : « Après que tout ce qui
pouvait s'emporter eût passé dans les sacs ou pris place sur les
fourgons à bagages, après que les hommes eurent dormi ou paillardé
sur les étoffes les plus précieuses, on chargea le feu d'achever
cette oeuvre. Le Palais d'Eté devint la proie des flammes :
bibliothèque pleine des produits littéraires de plus de quarante
générations, pagodes deux ou trois fois plus vieilles que les plus
anciens monuments d'Europe, palais, kiosques, ponts pittoresques,
terrasses, vases, statues de granit, de marbre, tout cela n'est plus
aujourd'hui ! » (Paul WARIN). - Et encore: « A la Résidence, le
palais impérial a été souillé, les ambassadeurs et leurs femmes
mêmes ont volé les inestimables objets d'art des appartements
intérieurs, les ignobles contempleurs des sciences ont brûlé en
partie la grande bibliothèque ; et comme des chiens pour un os, ils
se sont battus entre eux pour les célèbres instruments
d'observatoire impérial. Quant à la bibliothèque, c'est le plus
grand désastre qui, depuis l'année 625, date de la destruction de
la bibliothèque d'Alexandrie, ait frappé la civilisation. Les
pertes, surtout celle de la Grande Encyclopédie, sont absolument
irrémédiables. Il faudrait détruire toutes les bibliothèques du
domaine de la civilisation occidentale pour avoir le corrélatif de
cette catastrophe... » (Alexandre DUR, juin 1901). - Nous pourrions
multiplier les récits de ce genre, conter comment le colonel
Pelissier fit enfumer dans des grottes huit cents Arabes ; comment à
Lamina, le 5 juin 1894, on brûla 412 cases sur 498 après avoir pris
le bétail, l'or, les vivres et 804 captifs qui furent. distribués
comme esclaves aux gens de l'expédition (Georges-ANQUETIL.) ;
comment le capitaine Voulet fit prendre vingt femmes mères avec des
enfants en bas-âge et les fit tuer à coups de lance... pour
l'exemple (interpellation de P. Vigné d'Octon, à la Chambre des
députés, le 19 novembre 1900) ; comment les soldats français,
après la prise de Bossé, se servirent comme appât vivant pour les
fauves, d'une fillette de dix ans qu'on avait liée toute nue sur un
nid de fourmies noires pour qu'elle criât et qui mourut rongée par
les fourmis (SÉVERINE) ; comment un administrateur vola le cheval
d'un indigène qu'il fit ensuite envoyer au bagne sur une fausse
accusation pour pouvoir s'emparer de sa femme sans danger (Mme
Hubertine AUCLERT) ; comment, à Blagoustcheusk, 5.000 paisibles
chinois, hommes, femmes et enfants, furent poussés dans le fleuve
Amour par les troupes du général Gribsky (il fallut incinérer les
cadavres par crainte de la peste) (Georges-ANQUETIL.) ; comment à
Tien-Tsin, les Russes embrochaient même les enfants à la mamelle
puis les jetaient en l'air pour les rattraper de nouveau sur la
baïonnette, etc... , etc... Qui oserait dire, après cela, que ces
monstres enrégimentés ne sont pas les dignes descendants des
brigands sanguinaires du moyen-âge ? A côté de ces affreux
brigandages l'attentat du terroriste n'est-il pas un geste de saine
révolte, d'une révolte qui sait la persuasion impuissante à
toucher le coeur ou l'esprit de ces affreuses brutes ? Et comment les
lois bourgeoises peuvent-elles avoir l'audace de punir le malheureux
qui vole parce qu'il a faim, tandis que l'officier sadique et
sanglant voit, à la fin de sa carrière de meurtrier, une décoration
fleurir sa boutonnière ? Hélas, il existe toujours des brigands et
les lois sont à leur service. Seule, la révolution pourra venir à
bout de ce brigandage-là, le seul véritable. Il appartient aux
anarchistes d'aider de toutes leurs forces à l'assainissement de la
Société de demain en dénonçant hardiment les crimes et les
rapines de tous les malfaiteurs officiels.
Georges
VIDAL.
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