«De son côté, François Mitterrand,
le ministre de l’Intérieur chargé des départements français de l’Algérie,
considérant que la police était impuissante à maintenir l’ordre républicain,
envoya son directeur de cabinet au ministère de la Défense nationale pour y
requérir la troupe et déclara sans ambiguïté ce même 12 novembre, devant les
députés : « Je n’admets pas de négociations avec les ennemis de la Patrie. La
seule négociation, c’est la guerre ! »
C’est ainsi que le conflit fut
officialisé, même si l’on ne parla jamais que de maintien de l’ordre. »
« Rien dans ma formation
n’avait pu laisser supposer un instant que j’étais destiné à de pareilles
aventures : ni mon premier prix de version latine au concours général, ni la
khâgne du lycée Montaigne de Bordeaux où je fus le condisciple de
l’universitaire pacifiste Robert Escarpit, futur chroniqueur au Monde, et
d’André Mandouze qui devait s’illustrer comme ténor des intellectuels critiques
à l’égard de l’armée française en célébrant la « juste cause » du FLN, ni ma
licence de latin-grec-philologie. Tout cela me prédisposait plutôt à une carrière universitaire
tranquille. Au pire, j’aurais pu être diplomate. »
« Par exemple en sautant
au-dessus de l’Ariège, en uniforme de capitaine de Sa Majesté, pour aller aider
les maquis de la fédération anarchiste ibérique. »
« Jusqu’à mon arrivée à
Philippeville, j’avais été amené à interroger des prisonniers mais je n’avais
jamais torturé. J’avais entendu dire que des procédés semblables avaient déjà
été utilisés en Indochine, mais de manière exceptionnelle. En tout cas, cela ne
se pratiquait pas dans mon bataillon et la plupart des unités engagées dans la
guerre d’Algérie n’avaient jamais été jusque-là confrontées au problème. Avec
le métier que j’avais choisi, j’avais déjà tué des hommes et fait des choses
éprouvantes pour les nerfs, mais je ne m’attendais vraiment pas à ça. J’avais
souvent pensé que je 31/304 serais torturé un jour. Mais je n’avais jamais
imaginé la situation inverse : torturer des gens. »
« Dans la Résistance,
puis au sein du Service, les copains m’avaient dit qu’il était impossible de
résister à la torture et qu’il venait un moment où il était légitime de parler.
La moindre des choses était de tenir quarante-huit heures en criant le plus
fort possible. Il y a des tortionnaires qui sont plus fragiles que leurs
victimes et que ça peut impressionner. Et puis, crier, ça fait du bien quand on
a mal. En outre, ces quarante-huit heures laissaient à ceux qui risquaient
d’être dénoncés le temps de prendre leurs dispositions. Au pire, on avalait sa
capsule de poison, et tout était terminé.
« Un jour que nous
évoquions pudiquement les difficultés de notre métier en sirotant un pastis, un
policier, qui avait compris que le problème de la torture ne me laissait pas indifférent,
trancha soudain : — Imagine un instant que tu sois opposé par principe à la
torture et que tu arrêtes quelqu’un qui soit manifestement impliqué dans la
préparation d’un attentat. Le suspect refuse de parier. Tu n’insistes pas.
Alors l’attentat se produit et il est particulièrement meurtrier. Que dirais-tu
aux parents des victimes, aux parents d’un enfant, par exemple, déchiqueté par
la bombe, pour justifier le fait que tu n’aies pas utilisé tous les moyens pour
faire parler le suspect ? — Je n’aimerais pas me trouver dans cette situation.
— Oui, mais conduis-toi toujours comme si tu devais t’y trouver et alors tu
verras bien ce qui est le plus dur : torturer un terroriste présumé ou
expliquer aux parents des victimes qu’il vaut mieux laisser tuer des dizaines
d’innocents plutôt que de faire souffrir un seul coupable. »
« Un conseil interministériel
décida à la mimai de renforcer les moyens militaires et de porter les troupes
françaises en Algérie de soixante à cent mille hommes. Des instructions
drastiques furent données pour écraser la rébellion, notamment en autorisant
les bombardements aériens auxquels, jusque-là, on s’était oppose. En même
temps, Paris, secrètement, prit la décision de liquider les chefs du FLN par
tous les moyens, y compris en utilisant les services spéciaux. »
« L’homme refusait de
parler. Alors, j’ai été conduit à user de moyens contraignants. Je me suis
débrouillé sans les policiers. C’était la première fois que je torturais
quelqu’un. Cela a été inutile ce jour-là. Le type est mort sans rien dire. Je
n’ai pensé à rien. Je n’ai pas eu de regrets de sa mort. Si j’ai regretté
quelque chose, c’est qu’il n’ait pas parlé avant de mourir. Il avait utilisé la
violence contre une personne qui n’était pas son ennemie. Quelqu’un qui avait
juste le tort de se trouver là. Un responsable, même un militaire, j’aurais pu
comprendre. Mais là, un quidam de Philippeville, et de connaissance, par
surcroît. Je n’ai pas eu de haine ni de pitié. Il y avait urgence et j’avais
sous la main un homme directement impliqué dans un acte terroriste : tous les
moyens étaient bons pour le faire parler. C’étaient les circonstances qui
voulaient ça. »
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