Quatrième journée 5:
"On ne peut pas en vouloir à Ruzena d'être de mauvaise humeur. Mais pourquoi était-elle à ce point irritée qu'Olga refuse de se laisser filmer? Pourquoi s'identifiait-elle totalement à la foule des grosses femmes qui avaient accueilli l'arrivée des hommes par de joyeux piaillements?
Et, au fait, ^pourquoi ces grosses femmes avaient-elles si joyeusement piaillé? Voulaient-elles afficher leur beauté devant de jeunes hommes et les séduire?
Non. Leur ostensible impudeur venait justement de leur certitude de ne disposer d'aucune beauté. Elles étaient pleines de rancunes pour la jeunesse des femmes et souhaitaient exposer leurs corps sexuellement inutilisables pour calomnier et tourner en dérision la nudité féminine. Elles voulaient se venger et torpiller avec la disgrâce de leurs corps la gloire de la beauté féminine, car elles savaient que les corps, qu'ils soient beaux ou laids, sont en fin de compte les mêmes et que le laid projette som ombre sur le beau en chuchotant à l'oreille de l'homme: regarde, la voici la vérité de ce corps qui s'ensorcelle ! Regarde, ce gros téton flasque est la même chose que ce sein que tu adores comme un insensé.
La joyeuse impudeur des grosses dames de la piscine était une danse nécrophile autour de la fugacité de la jeunesse en une ronde d'autant plus joyeuse qu'une jeune femme était présente dans la piscine pour servir de victime. Quand Olga s'était enveloppé dans le drap de bain, elles avaient interprété ce geste comme un sabotage de leur rite cruel et elles s'étaient mises en furie.
Mais Ruzena n'était ni grosse ni vieille, elle était même plus joli qu'Olga! Alors, pourquoi ne s'était-elle pas solidarisée avec elle?
Si elle avait décidé d'avorter et si elle avait été persuadé qu'un amour heureux l'attendait avec Klima, elle eût réagi tout autrement. La conscience d'être aimée sépare la femme du troupeau et Ruzena aurait vécu avec ravissement son inimitable singularité. Elle aurait vu dans les grosses dames des ennemies et dans Olag une sœur. Elle lui serait venue en aide, comme la beauté vient en aide à la beauté, le bonheur à un autre bonheur, l'amour à un autre amour.
Mais la nuit passée, Ruzena avait très mal dormi et elle avait décidé qu'elle ne pouvait pas compter sur l'amour de Klima, de sorte que tout ce qui la séparait du troupeau lui faisait l'effet d'une illusion. La seule chose qu'elle possédât, c'était dans son ventre ce germe bourgeonnant protégé par la société et la tradition. La seule chose qu'elle possédât, c'était la glorieuse universalité du destin féminin qui lui promettait de combattre pour elle.
Et ces femmes, dans la piscine, représentaient justement la féminité dans ce qu'elle a d'universel: la féminité de l'enfantement; de l'allaitement, du dépérissement éternels, la féminité qui ricane à la pensée de cette seconde fugace où la femme croit être aimée et où elle a le sentiment d'être une inimitable individualité.
Entre une femme qui est convaincue d'être unique, et les femmes qui ont revêtu le linceul de l'universelle destinée féminine, il n'y a pas de conciliation possible. Après une nuit d'insomnie lourde de réflexions, Ruzena s'était ( pauvre trompettiste!) rangée du côté de ces femmes-là."
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