n. m. (du zend mazdâo, grandement
savant, omniscient) On ne sait dans quelle partie exacte de l'Iran, le
mazdéisme ou zoroastrisme prit naissance. Ce fut sans doute dans une contrée
particulièrement froide, puisque le soleil et le feu sont pour lui des
divinités bienfaisantes, alors qu'il voit dans l'hiver une création diabolique.
D'après la légende, cette religion aurait pour fondateur un prêtre, Zoroastre
(Zarathustra), mède ou bactrien qui vécut vers 1100 avant l'ère chrétienne.
Mais sur lui nous ne savons rien de positif et beaucoup d'historiens mettent
son existence en doute. Ahura-Mazda ou Ormazd, le dieu bon, lui aurait dicté en
personne le texte de l'Avesta. Cyrus connaissait déjà les préceptes de
Zoroastre, puisqu'il s'est conformé à l'un d'eux en détournant le cours du
Gyndanès pour retrouver le cadavre d'un cheval qui souillait les eaux. Darius,
dans ses inscriptions, invoque Ahura-Mazda qui, pour lui, n'est pas le dieu
unique, mais le plus grand des dieux. Jamais ce prince ne fait allusion à
Angra-Mainyu, dieu du mal, l'Ahriman du persan moderne ; d'où l'on a parfois
conclu, mais sans preuves, qu'il ignorait la dualité mazdéenne. Par contre, que
la religion des Achéménides diffère sur plusieurs points de celle que
pratiqueront plus tard les Sassanides, c'est ce que confirme la lecture
d'Hérodote. L'Avesta actuel, appelé encore Zendavesta, le livre sacré dès
mazdéens, n'est qu'une minime partie de l'ouvrage primitif. Adopté par les
Sassanides, vers 230 de notre ère, il comprend des morceaux très anciens et
d'autres beaucoup plus modernes. La mythologie de l'Iran et la légende de
Zoroastre y voisinent avec des recettes pharmaceutiques, des hymnes en dialecte
archaïque, des formules de prières. Tant d'inepties fourmillent d'un bout à
I'autre que Voltaire déclarait : « On ne peut lire deux pages de l'abominable
fatras attribué à ce Zoroastre sans avoir pitié de la nature humaine.
Nostradamus et le médecin des urines sont des gens raisonnables en comparaison
de cet énergumène ». Animisme et totémisme ont laissé, dans ce livre, des
traces nombreuses ; animaux, plantes, éléments y sont personnifiés.
D'innombrables prohibitions y sont annoncées dans un style alambiqué et
prétentieux. À la demande de Zarathustra qui voulait connaître « l'acte le plus
énergiquement mortel par lequel les mortels sacrifient aux démons », Athura-Mazdu,
répondit : « C'est quand ici les hommes, se peignant et se taillant les cheveux
ou se coupant les ongles, les laissent tomber dans des trous ou dans une
crevasse. Alors, par cette faute aux rites, il sort de la terre des Daévas, des
Khrafstas que l'on appelle des poux et qui dévorent le grain dans les greniers,
les vêtements dans la garde-robe. Toi donc, ô Zarathustra, quand tu te peignes,
ou te tailles les cheveux, ou que tu te coupes les ongles, tu les porteras à
dix pas des fidèles, à vingt pas du feu ; à cinquante pas des faisceaux
consacrés du baresmân. Et tu creuseras un trou profond et tu y déposeras tes
cheveux en prononçant à haute voix ces paroles, etc. » Pourtant, de l'Avesta se
dégage une leçon de justice, d'élévation morale, un désir de progrès et même un
souci d'hygiène qui placent le mazdéisme au premier rang des religions orientales.
C'est dans la lutte du bien et du mal, d'Ahura le Zoroastrisme résume
l'essentiel de sa doctrine. Le premier, créateur du monde, est aidé dans sa
tâche par six divinités principales, dont Straosha qui juge les âmes après la
mort, et par des myriades de génies qui personnifient soit des abstractions
morales, soit des forces de la nature. Mais sa puissance est limitée ; contre
lui se dressent le dieu des ténèbres, Angra-Mainya, et l'armée de démons
malfaisants qu'il dirige ; de ces derniers, six occupent une place
prépondérante, les autres, les drujs, sont chargés de lutter à outrance contre
les esprits créés par Ahura-Mazda. En nombre égal, bons et mauvais génies ont
chacun un adversaire particulier qui entrave leur influence. Après de longs
combats, Ahriman sera vaincu, grâce au secours que les prières et les
sacrifices des hommes apportent au dieu bon, grâce aussi à Sraosha resté
fidèle. Alors naîtra un Messie, Bahram-Amavand, qui ressuscitera les morts ;
les justes seront séparés des pécheurs, dont la peine toutefois ne sera pas
éternelle et qui, après une purification générale du monde, deviendront à leur
tour des adorateurs d'Ormazd. Toute souillure étant produite par un démon, les
purifications jouent un rôle primordial dans le mazdéisme. Plusieurs sont d'une
complication qui dut rendre leur observance difficile, même autrefois. Des
peines corporelles sont exigées dans certains cas ; il faut 2.000 coups de
verge pour racheter une offense Involontaire à la pureté. La destruction
d'animaux néfastes rentre aussi parmi les pénitences imposées : « Il tuera
1.000 serpents, dit l'Avesta, il tuera 1.000 grenouilles de terre, 2.000 grenouilles
d'eau ; il tuera 1.000 fourmis voleuses de grains et 2.000 de l'autre espèce ».
Souiller la terre, l'eau ou le feu est un véritable crime. Pline l'Ancien
raconte qu'un mage se refusait à naviguer pour ne point salir l'eau avec ses
excréments ; et c'est pour n'avoir ni à brûler, ni à ensevelir le cadavre
humain, chose impure par excellence, que les Parsis le donnent à manger aux
vautours. Le repentir efface certaines fautes, mais il en est d'inexpiables ;
des offrandes aux temples permettent de se racheter des pénitences corporelles.
Le sacerdoce est héréditaire, mais le fils d'un prêtre doit subir trois
initiations successives avant d'être prêtre lui-même : la première, à l'âge de
sept ans et demi, le fait entrer dans la communauté mazdéenne ; elle consiste
en un bain rituel, suivi de l'imposition d'une camisole et d'une ceinture de
laine, faite de soixante-douze fils entrelacés, que les Parsis portent sur eux
constamment. Dans les temples, une chambre obscure abrite un feu éternel, dont
l'entretien est minutieusement réglé ; pour ne le souiller ni par son
attouchement ni par son haleine, le prêtre qui l'approche porte aux mains des
gants et un voile devant la bouche. Des offrandes de viande, de lait, de
fleurs, de fruits, de petits pains non levés ont lieu ; la plante liturgique
par excellence est le haôma dont les feuilles jaunes sont douées de vertus
surnaturelles. Sa cueillette, sur I'Elbruz, est faite par les prêtres, avec des
faisceaux de baguettes sacrées appelées baresmân et suivant des rites invariables.
L'urine de bœuf, qui intervient dans certaines purifications, est douée
pareillement de propriétés magiques. Dans l'ordre moral le mazdéisme prescrit
la sincérité, l'amour du travail ; il condamne la contemplation stérile et
l'ascétisme contraire à la nature. Un liquide extrait de l'haôma est versé par
le prêtre dans la bouche et les oreilles du Parsi à l'agonie ; après la mort
son cadavre est porté, à Bombay du moins, sur les fameuses tours du silence
signalées par tous les voyageurs. Des oiseaux de proie viennent dévorer les
chairs ; et les os qui restent sont jetés dans un puits central. Pour le
mazdéen, le mariage consanguin est presque une obligation ; chaque homme ne
doit avoir qu'une seule femme, néanmoins, si elle est stérile, il peut, avec sa
permission expresse, en épouser une seconde. Quand le dernier roi des
Sassanides, Yezdigerd, dut s'enfuir, après des défaites répétées, devant
l'envahisseur musulman, quelques zoroastriens suivirent Firouz, fils du roi,
dans le Turkestan d'abord, puis en Chine. Un nombre beaucoup plus considérable
gagna le Konhistan ; d'où, cent ans plus tard, leurs descendants partiront pour
la ville d'Ormuzd sur le golfe Persique. Ils y séjourneront quinze ans, puis
s'embarqueront pour l'Inde ; établis à Dia d'abord, ils s'installeront,
dix-neuf ans plus tard, à Sandjan et ne tarderont pas à se répandre dans
d'autres localités. Vainqueurs des musulmans qui s'avançaient du côté de
l'Inde, ils seront, ensuite, irrémédiablement battus et tomberont dans une
complète décadence. Au début du XVIIIème siècle, le sort des mazdéens restés en
Perse était bien supérieur à celui de leurs frères émigrés dans l'Inde. Mais,
depuis, la situation s'est modifiée : les sectateurs de Zoroastre forment à
Bombay une colonie extrêmement florissante, alors qu'ils vivent misérablement
dans leur pays d'origine. Toutefois ceux de l'Inde ont subi, au point de vue
physique, une détérioration due au climat ; ceux de Perse, au contraire,
forment une race plus belle et plus saine que la race musulmane qui les
environne. Iraniens authentiques, ils ont évité le mélange de sang arabe,
mongol et turc qui résulte des invasions successives. D'une religion qui jadis
régna sur l'ensemble de la Perse, il ne subsiste, on le voit, que de rares
représentants. Une branche issue du mazdéisme devait jeter dans l'histoire un
éclat particulier : nous voulons parler de la réforme manichéenne, opérée au
IIIème siècle de notre ère. Son fondateur Mani, ancien élève des mages, fut
très mal reçu par eux ; après de nombreux voyages, il finit, à l'âge de 60 ans,
sur une croix, comme Jésus. Mais des disciples enthousiastes continuèrent de
prêcher sa doctrine, dont l'idée dominante reste celle du combat entre le bien
et le mal, la lumière et les ténèbres avec, en plus, des éléments empruntés
tant au christianisme qu'au bouddhisme. Persécutés en Perse, les manichéens se
répandirent vers l'Inde, le Turkestan, la Chine et aussi vers la Syrie et le
nord de l'Afrique. Dioclétien, puis les empereurs chrétiens prirent de sévères
mesures contre eux ; poursuivis d'une façon impitoyable par Justinien et ses
successeurs, on les retrouve néanmoins en Arménie sous le nom de Pauliciens, du
VIIème au XIIème siècle, et en Thrace sous celui de Bogomiles, au Xème et XIème
siècles. En France, ils donnèrent naissance, à la secte des Albigeois ou
Cathares, exterminée si cruellement par ordre du pape Innocent III. Gens fort
paisibles, les manichéens furent calomniés et persécutés, par les clergés des
Églises existantes, avec un acharnement qui n'était pas désintéressé. Leur
doctrine, longuement combattue par saint Augustin, ne manquait ni de poésie, ni
de grandeur. Pour eux, Dieu, l'esprit bon, résidait dans le monde de la
lumière, avec ses émanations primitives ou éons, et Satan clans celui des
ténèbres. Mais ce dernier rêve de conquérir les champs de la lumière éternelle
; pour défendre son royaume, Dieu suscita une émanation nouvelle, l'âme du
monde, qui, assaillie par les puissances de la nuit, fut vaincue et mise en
pièces. Avec ses débris, l'esprit divin, envoyé à son aide, fit le monde :
soleil, lune, étoiles, en sont les parties les plus éthérées, animaux et objets
sensibles les parties les plus matérielles. Dispersée dans chacun des atomes de
notre univers, l'âme du monde se trouve donc comme emprisonnée ; elle doit
lutter contre les entraves qui partout l'enchaînent. Souffrante, cette essence
divine s'efforce vers la délivrance ; elle n'est autre que Jésus, messager de
lumière, dont la naissance et la mort ne furent que de trompeuses apparences.
Ce n'était point, pensaient les manichéens, pour répandre un sang qu'il n'avait
pas que le Christ était venu sur la terre, mais pour apporter une vérité
capable d'attirer les parties spirituelles égarées dans la matière. Dans
l'homme, si l'âme était lumineuse le corps était obscur ; aussi est-ce à
l'affranchissement de l'âme captive et à son ascension vers le soleil, séjour
du Christ, qu'il importait de travailler durant la vie présente. Ici-bas on
trouvait des pneumatiques ou parfaits, capables de se débarrasser de la chair
et de se purifier dans la lumière ; ils formaient le clergé manichéen et
s'abstenaient du mariage, de viande, de vin. Mais la masse des fidèles était
composée de psychiques, passionnés, faibles quoique non mauvais, qui devaient
recommencer une vie nouvelle dans d'autres corps. Au-dessous les hyliques,
pécheurs incorrigibles, en puissance des démons, ne pouvaient espérer
l'immortalité future. Ainsi, l'âme ordinaire avait à traverser plusieurs
existences, soit dans d'autres hommes, soit dans des animaux ou même des
plantes, avant de se réunir au principe divin ; c'était le dogme de la
métempsycose, très répandu dans l'antiquité et que les théosophes continuent
d'admettre aujourd'hui. La religion manichéenne était fort simple ; elle
comportait des jeûnes, des prières, une sorte d'initiation donnée, en général,
à l'article de la mort parce qu'elle assurait la remise des fautes passées. Sa
morale se résumait dans les trois sceaux : sceau des lèvres, sceau des mains,
sceau de la poitrine. Le premier avait pour but de fermer la bouche au
blasphème et à toute nourriture animale ; le second portait défense de tuer les
animaux et de cueillir les plantes, vrais soupiraux de la terre, dont les
parfums et les exhalaisons sont des essences divines s'élevant vers le ciel ;
le troisième fermait le cœur aux passions, le mariage et la procréation des
enfants ne pouvant s'accommoder d'une vie parfaite. C'est surtout parce qu'il
ne poussait point à la multiplication de l'espèce humaine que le manichéisme
fut, de bonne heure, suspect aux pouvoirs publics. Saint Bernard, n'ayant pu
convertir les Albigeois français, dont la doctrine s'inspirait de celle des Pauliciens
bulgares, l'Église leur déclara une guerre implacable. Une croisade fut prêchée
contre eux et, durant vingt ans on tua sans pitié dans la région du Midi
occupée par ces hommes inoffensifs. À Béziers soixante mille personnes
périrent, catholiques ou albigeois : « Tuez-les tous, avait dit le légat du
pape, Dieu reconnaîtra les siens ». Et Simon de Montfort n'entendit faire grâce
à personne, pas même à ceux qui abjuraient : « S'il est sincèrement converti,
disait-il de l'un de ces derniers, il expiera ses péchés dans la flamme qui
purifie tout ». D'innombrables malheureux montèrent sur les bûchers ou
pourrirent dans les geôles de l'Inquisition. Ainsi disparut le manichéisme qui
avait recruté de nombreux partisans sur le sol français. ‒
L. BARBEDETTE
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