samedi 20 novembre 2021

Le cache de la poste. Par Nicolas Jounin

 "Le dernier paradoxe, c est moi. La Poste se veut "opérateur de confiance". Ce sont ses procédures qui lui ont obtenu la reconnaissance officielle d un haut niveau de sécurité de son identité numérique, et c est son image qui amène des usagers a solliciter une telle identité. Or, ce matin, l opérateur de la confiance c était moi, c est à dire un facteur vieux de trois semaines, qui découvrait l adresse et l immeuble pour la première fois, qui nageait dans des liasses de courrier désordonnées, qui a présenté à la cliente le visage d un novice pataud. En m envoyant là pour le "gros truc du jour"  - en n ayant pas d autre alternative, faute d effectifs expérimentés disponibles -, la Poste ne scie t elle pas elle même la branche de confiance sur laquelle elle espère non seulement s asseoir mais prospérer ?"

"Contrairement au reste des tâches de distribution' l hétérogénéité de ce matériau de travail n est pas pétrie et réduite au siège de la poste. Elle est au contraire localement démultipliée par les attentes spécifiques des clients. Ce qui pose tout d abord un problème de formation : les facteurs n ont pas de compétence particulière en internet, en photographie, en assurance, en diagnostic de santé, en administration de questionnaire ou en vente d articles de mode, et sûrement pas dans tout ça à la fois. Cela pose aussi des problèmes opérationnels : par exemple, apporter leurs repas à des personnes âgées suppose de respecter un horaire, alors que le volume de courrier, l état de la circulation, la météo, entre autres, font varier chaque jour le rythme auquel le facteur parcourt sa tournée."

"Autre exemple: les directions d'établissement, à travers leurs "organisateurs", ont progressivement anéanti la "souplesse". Notion longtemps centrale de la conception des tournées, sorte d'équivalent des "coefficients de sécurité" que les ingénieurs de la matière ajoutent une fois leurs calculs de charges établis, la "souplesse" est le laps de temps qui sépare la durée théorique de la tournée de la durée réglementaire de la journée, la première devant demeurer inférieure à la seconde. Elle était pensée comme une marge d'absorption des imperfections de la modélisation ou des évènements du quotidien, ce que Taylor appelle les "délais accidentels ou inévitables". Sur une journée de sept heures, les organisateurs réservaient jusqu'à vingt minutes théoriques, c'est-à-dire 5% du temps total, à cette "souplesse". Taylor lui-même, on l'a vu, admettait que ses temps n'étaient qu'une "approximation" nécessitant l'ajout d'"une grande marge de sécurité, qui va de 20% à 22,5%"...[...] Pour l'organisateur, la durée réglementaire de la journée de travail est un verre vide qu'il faut remplir à ras bord avec des morceaux de parcours. Il n'est plus rare de voir la durée théorique d'une tournée inférieure de seulement une ou deux minutes ( voire supérieure d'une ou deux minutes) à la durée officielle de la journée. Toute référence aux aléas, sans parler des temps d'échange gratuit avec les usagers, est désormais exclue du calcul de la charge."


Aucun commentaire: