Lignes Collection dirigée par Michel Surya
Passer Outre : L'univers d'infamie d'un "écriteur" par Linda Lê
"Dans Discours de l'ombre et du blason", Giorgio Manganelli rappelle que la littérature n'est écrite par personne, qu'elle est une organisation de la démence et du sortilège : "Enveloppé dans sa page de peau, maintenu en vie par la grâce d'une encre de sang, l'homme s'écrit lui-même; il écrit sur cette page qui est l'enveloppe de ses viscères. Et cependant personne n'écrit, il n'y a que des choses écrites. Il y a des écritures." Pierre Guyotat aurait sans doute souscrit à cette définition de l'art comme démence et comme sortilège, capacité d'obséder, dirait Michel Leiris, une rigoureuse logique opérant cependant dans ses textes où, comme il les nommait lui-même, les grandes mécaniques musicales qu'il mettait en oeuvre ( dans certaines de ses déclarations, il se défendait d'être un subversif, tout en se définissant comme un musicien, un analphabétiseur) sont autant de manifestes d'insoumission, des remises en question de ce qui s'appelle communément la littérature et qu'il ne concevait pas sans un désir de révolution, sans une volonté d'y risquer sa propre vie. Sa création passe outrez à tous les tabous, outrepasse les conventions dictées par la société littéraire ordinaire. C'est dans cet espace, entre ce qui est toléré, accepté et ce qui se joue des interdits, que s'opère le sortilège des livres de Pierre Guyotat, où la démence ne va pas sans un salut à la raison.""Pierre Guyotat ne dénonçait rien, car pour lui la dénonciation en littérature a quelque chose de fallacieux: c'est une façon commode de se donner le beau rôle. Il dessillait les yeux uniquement par ses mots crus, à vif, chaque fiction tenant du mythe où il veille à créer un rythme de façon à ce que les étrangetés, les inventions verbales, les excès rappellent que ses livres s'affirment avant tout comme des écrits en liberté, que la poésie rimbaldienne et la réflexion sur la guerre d'Algérie sont les forces principales à l'origine du surgissement de son écriture."
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