n. f. (du latin mathematicus,
grec mathématikos) La mathématique étudie les grandeurs soit discontinues ou
numériques, soit continues ou géométriques ; c'est la science de la quantité.
Elle vise tant à mesurer les grandeurs qu'à déterminer les rapports de
variations corrélatives qui existent entre elles. La quantité discontinue fait
l'objet de l'arithmétique ; le nombre dont traite cette branche des mathématiques
provient essentiellement de l'addition de l'unité avec elle-même ; résultat de
l'activité créatrice de l'esprit, il implique abstraction et généralisation
préalables. Simplifiant davantage, l'algèbre remplace les chiffres déterminés
par des lettres représentant n'importe quel chiffre ; elle fait par rapport aux
nombres ce que fait le nombre par rapport aux objets. D'où le nom
d'arithmétique universelle que lui donnait Newton. Un degré d'abstraction de
plus et on obtient le calcul des fonctions qui recherche comment varie une
quantité lorsqu'on en fait varier une autre. La géométrie, science de la
quantité continue, établit les propriétés des figures tracées par l'esprit dans
l'espace homogène à l'aide du point et du mouvement. Par l'invention de la géométrie
analytique, Descartes a réconcilié les sciences, jusque là irréductibles, des
grandeurs continues et des grandeurs discontinues ; à chaque figure il fit
correspondre une équation et par l'étude des variations de la seconde il
parvint à déterminer les variations de la première. Enfin le calcul
infinitésimal, découvert par Leibnitz et Newton, permit la mesure des grandeurs
continues, grâce à l'adoption, comme unité conventionnelle, de l'élément
infiniment petit. Aujourd'hui la méthode des mathématiques est, avant tout,
déductive ; non qu'elle descende du général au particulier comme dans le
syllogisme verbal ; elle consiste dans une substitution de grandeurs
équivalentes et se présente comme une suite d'égalités. Loin de se borner à
piétiner sur place, à tirer d'une proposition générale les propositions
particulières qu'elle contient, la démonstration mathématique progresse vers
des vérités nouvelles et généralise constamment. Elle fournit le vrai type de
la déduction scientifique, bien différente de la déduction formelle dont les
scolastiques abusèrent si fâcheusement. Et la rigueur des conclusions qu'elle
permet d'établir a valu aux mathématiques le titre de sciences exactes. Mais il
n'en fut pas de même dès l'origine ; longtemps elles utilisèrent la méthode
expérimentale. Aucun procédé rationnel de démonstration géométrique chez les
Babyloniens, les Hébreux, les Égyptiens ; c'est expérimentalement qu'ils
estimèrent égal à 3 le rapport de la circonférence à son diamètre et que la
surface d'un triangle leur apparut comme le produit de la moitié du plus grand
côté par le, plus petit. En fait de mesure, ils s'en tenaient naturellement à
des approximations grossières, Galilée évaluait encore expérimentalement le
rapport de l'aire de la cycloïde à l'aire du cercle générateur, et Leibnitz
nous parle d'une géométrie empirique qui démontrait les théorèmes relatifs à l'
égalité des figures en découpant ces dernières et en rajustant les diverses
parties de manière à former des figures nouvelles. La physique moderne continue
de rendre des services nombreux aux sciences mathématiques ; elle leur impose
des problèmes et en suggère parfois la solution. Si les premiers éléments d'une
notion géométrique de l'espace se manifestent déjà dans les dessins
préhistoriques de l'âge du renne, peut-être faut-il remonter encore plus loin
quand il s'agit du nombre ; on démontre en effet qu'un chimpanzé parvient à
compter jusqu'à 5. Toutefois, parce que plus abstraite, l'arithmétique ne se
constitua comme science rationnelle qu'après la géométrie. Égyptiens,
Chaldéens, Phéniciens, arrivaient difficilement à concevoir des nombres
supérieurs à ceux que présente l'expérience ordinaire ; les Grecs eux[1]mêmes
ne s'élevèrent pas jusqu'à la notion du nombre pur que ne soutient aucune
intuition concrète ; et c'est d'une manière géométrique qu'ils résolvaient
d'ordinaire les problèmes numériques. L'invention par les Hindous, et
l'adoption par les Arabes, du système de numération qui est devenu le nôtre
permit à l'arithmétique de faire des progrès sérieux. Si nous devons la
géométrie aux Grecs, c'est aux orientaux incontestablement que nous
empruntâmes, au moyen-âge, les bases essentielles de la science des grandeurs
discontinues. Viète, qui vivait au XVIème siècle, peut êtreconsidéré comme le créateur
de l'algèbre ; Stévin, vers la même époque, trouva la mécanique rationnelle.
Dans son ensemble le développement des sciences exactes apparait donc lié à une
progression sans cesse croissante du pouvoir d'abstraction. Aujourd'hui,
l'expérience a complètement cédé la place à la déduction en mathématiques.
Définitions, axiomes, postulats constituent les éléments essentiels de cette
déduction. Génératrices des nombres et des figures, universelles, immuables,
pleinement adéquates à leur objet, les définitions, d'après la thèse
rationaliste, seraient essentiellement des créations de l'esprit ; quelques-uns
même ont prétendu qu'elles existaient toutes faites en nous, et qu'il suffisait
à la pensée de se replier sur elle-même pour les découvrir. D'après la thèse
empiriste, au contraire, elles dérivent de l'expérience et restent entièrement
tributaires des données sensibles. La notion de quantité numérique serait
extraite, par abstraction, des multiplicités concrètes et qualitativement
hétérogènes que nous percevons. De même les figures géométriques auraient une
origine expérimentale ; en se superposant les figures sensibles
neutraliseraient leurs irrégularités et l'abstraction achèverait de leur donner
un caractère idéal. Associant rationalisme et empirisme, certains ont défini
nombres et figures des créations de l'esprit suggérées par l'expérience. Pour
Henri Poincaré, les définitions mathématiques sont des conventions commodes,
sans aucun rapport avec l'expérience, mais qui peuvent varier selon les besoins
scientifiques de l'esprit ; il les appelle des hypothèses, ce terme n'étant pas
entendu dans son sens ordinaire mais signifient ce qu'on prend pour accordé, ce
dont on part. Conditions primordiales de la démonstration, elles en constituent
les principes immédiatement féconds. Le rôle des axiomes est moins apparent.
Applications directes, dans le domaine de la quantité, des principes d'identité
et de contradiction, les axiomes sont des propositions évidentes,
indémontrables qui énoncent des rapports constants entre des grandeurs
indéterminées. Ils n'interviennent pas visiblement dans la trame des
déductions, mais c'est eux qui légitiment les enchaînements des propositions
mathématiques et justifient la série des substitutions. Les postulats,
propositions spéciales à la géométrie, énoncent des propriétés particulières de
grandeurs déterminées ; ils sont indémontrables, mais leur évidence est moins
immédiate que celle des axiomes ; leur rôle est à rapprocher de celui des
définitions. Toutefois, pour Henri Poincaré, axiomes et postulats sont
simplement des définitions déguisées ; entre eux il n'y aurait qu'une
différence de complexité ; ce sont les définitions les plus générales,
nécessaires à l'ensemble des sciences mathématiques. Certains géomètres, entre
autres Lowatchewski, ont rejeté le postulat d'Euclide ; d'autres ont imaginé un
espace à 1 ou 2 ou 4 ou n dimensions. Mais les espaces à moins de 3 dimensions
ne sont que le résultat d'une abstraction, et les espaces à 4, 5, n dimensions
d'artificielles créations de l'esprit. Les équations entre 3 variables
correspondant à notre espace euclidien, on a supposé qu'aux équations entre 4, 5,
n variables correspondaient des espaces à 4, 5, n dimensions. En mathématiques,
la démonstration sera synthétique ou analytique selon qu'elle partira d'un
principe évident pour redescendre à un problème posé ou que d'un problème posé
elle remontera à un principe évident. Euclide nous a donné un merveilleux
exemple de la démonstration synthétique dans ses Éléments ; c'est à Hippocrate
de Chios que nous devons, semble-t-il, la première idée de la démonstration
analytique. La démonstration par l'absurde est un cas particulier de l'analyse
des anciens ; elle consiste à prouver une proposition par l'absurdité des
conséquences qui s'en suivraient si on ne l'admettait pas. Plusieurs savants
contemporains ont insisté sur le rôle de l'induction ; elle interviendrait
lorsqu'on généralise les résultats obtenus par démonstration, ainsi que dans
les raisonnements par récurrence, fréquents en arithmétique, en algèbre et en
analyse infinitésimale. Une propriété étant vérifiée pour le premier terme
d'une série, l'esprit suppose cette vérification valable pour le terme suivant
et, par récurrence, pour n'importe quel terme de la série. Mais, remarque
Poincaré, alors que l'induction ordinaire se fonde sur la croyance à un ordre
existant hors de nous, dans la nature, l'induction mathématique « n'est que
l'affirmation de la puissance de l'esprit qui se sait capable de concevoir la
répétition indéfinie d'un même acte, dès que cet acte est une fois possible ».
Ces deux formes d'induction apparaissent donc irréductibles l'une à l'autre et
sans autre lien que celui de la communauté du terme qui sert à les désigner. Depuis
toujours, les mathématiques passent pour les sciences par excellence. Il est
certain que leur valeur est grande, du point de vue pédagogique, pour la
formation de l'esprit ; elles développent le besoin d'évidence, le goût des
démonstrations rigoureuses, des raisonnements clairs. En nous plongeant dans un
monde abstrait, peut-être engendrent-elles aussi un dédain injustifié pour
l'observation, une méconnaissance dangereuse des mille contingences du monde
concret. D'autre part, c'est aux mathématiques que les sciences expérimentales
demandent les formules nettes, précises, distinctes qui remplacent, dans
l'énoncé des lois, les déterminations qualificatives toujours vagues dont on
eut tort de se contenter trop longtemps. Bacon insistait de préférence sur
l'aspect expérimental des sciences de la nature ; Descartes, par contre, voyait
dans les mathématiques une sorte de plan général du monde. Arithmétique et
algèbre, écrivait-il, « règlent et renferment toutes les sciences
particulières. Elles sont le fondement de toutes les autres ». Il rêvait de construire
avec elles, une science universelle capable de résoudre même les problèmes
d'ordre concret. Le point de vue de Bacon a triomphé un moment, aujourd'hui,
c'est celui de Descartes qui l'emporte ; délaissant la qualité, les sciences
positives s'intéressent surtout à la quantité. Elles utilisent des instruments
de précision, exigent des mesures, et finalement traduisent en langage
mathématique les résultats obtenus. Dans ses parties les plus avancées, la
physique aboutit à des séries de formules qui facilitent les applications
techniques et permettent de suivre aisément la marche des phénomènes ; la
chimie, elle aussi, fait appel de plus en plus à la mesure et au calcul.
Biologie, sociologie ne sont pas encore parvenues au stade du mathématisme,
mais elles s'en rapprochent lentement, la première surtout qui fait de
fréquents emprunts à la physique et à la chimie. Contre ce triomphe des
mathématiques, Boutroux, Bergson et d'autres philosophes se sont insurgés
vainement. Applicables avec rigueur ou presque dans le monde inorganique, les
formules mathématiques cessent de l'être dans le domaine de la vie et plus
encore dans celui de la pensée, d'après Boutroux. Les lois scientifiques nous
renseignent sur la marche ordinaire des phénomènes ; mais, dans la nature, il y
a de la contingence, de l'indétermination ; il arrive que les faits sortent des
limites que nos formules leur assignaient, comme les eaux d'un fleuve débordent
quelquefois hors du lit qui les contient habituellement. Bergson prétend de son
côté, que l'évolution est créatrice et qu'il y a dans la nature incessante
apparition de nouveauté. Comme la raison qui les engendre, les mathématiques
visent des buts pratiques ; très utiles pour l'action, elles sont incapables de
nous donner une connaissance vraie du réel ; ne saisissant des choses que la
surface, le dehors, solidifiant ce qui est devenir ininterrompu, elles déforment
absolument les faits vitaux et psychologiques auxquels on prétend les
appliquer. Comme de juste, les belles phrases de Boutroux et de Bergson n'ont
pas arrêté les savants ; chaque jour des découvertes nouvelles prouvent que,
dans la nature, rien n'échappe au déterminisme. Il faut la mauvaise foi ou
l'ignorance d'un évêque pour déclarer, comme celui de Plymouth, Masterman : «
L'atome paraît se comporter de manières aussi différentes qu'inexplicables et
une sorte de liberté rudimentaire semble appartenir à la structure du monde
physique ». Il n' y a place dans la nature que pour un enchaînement rigoureux
de causes et d'effets. ‒
L. BARBEDETTE.
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