Est-il une locution plus belle dans le vocabulaire ? On peut, forçant quelque peu le sens habituel de l’adjectif, la considérer dans les deux sens du mot « conscience » ; soit que le père et la mère, doués d’une haute conscience morale, ne donnent naissance au nouvel être formé de leurs deux chairs qu’avec le sentiment de la grande responsabilité que, ce faisant, ils assument à l’égard de l’enfant comme envers l’humanité : soit qu’ils le fassent consciemment, avec toute la connaissance que cette expression implique et que l’acte procréateur requiert pour des humains très civilisés. Certes, il y a un abîme entre cet idéal et la réalité commune. Cet idéal n’est guère davantage, actuellement, que l’apanage d’un petit groupe de scientistes et de réformateurs moraux et sociaux, suivis par un petit nombre d’humains d’élite qui le traduit en fait. Et il faut que la grande masse de l’humanité soit encore bien arriérée, tant au point de vue de l’intelligence qu’à celui de la moralité, pour qu’il soit encore nécessaire de militer, plus ou moins dangereusement, pour l’application du concept de maternité consciente. Ce que, depuis longtemps, les éleveurs font pour les animaux de l’étable ou de la basse-cour, ce que les cultivateurs accomplissent pour les céréales, les légumes et les fruits, l’homme le refuse à son espèce et son enfant est le résultat du hasard et de l’inconscience, quand il n’est pas celui de bas calculs (voir naissance). C’est qu’évidemment, dans le cas de l’homme, nous nous trouvons dans un domaine où ni la raison ni le grand amour ne sont maîtres. L’instinct le plus aveugle et le plus puissant, allié aux passions les plus obscures et les plus secrètes, d’une part ; les intérêts évidents de certains dominateurs et prédateurs, l’ignorance et la crédulité de leurs victimes, d’autre part, entrent en jeu dans le déterminisme de la reproduction de l’espèce humaine. Mais les facultés les plus intelligentes et les vertus les plus hautes, des vertus qui d’ailleurs, n’ont rien d’orthodoxe, sont nécessaires aux humains pour qu’ils procèdent à leur génération consciemment et avec conscience. Raison, maîtrise de soi, égo-altruisme, pitié envers les faibles, et les souffrants, respect de la personne d’autrui, justice, amour, grand amour : voilà quelques-unes des nécessités intellectuelles et morales de l’homme, et spécialement du masculin, pour que la maternité consciente soit la règle et non plus la très rare exception. Tout être humain en qui vibre une sensibilité affinée éprouve une angoisse à la pensée des souffrances dont il peut être l’ouvrier sur autrui par le simple effet de la vie qui est en lui-même. Celui-là s’efforce de réduire au minimum les conséquences du pouvoir de malfaisance qu’il porte à l’égal de tout être vivant. Autrui, c’est d’abord l’enfant qu’il faut introduire dans l’existence. Il le voudrait fort, en bonne santé, heureux. Si, par malheur, il est porteur de quelque tare héréditairement transmissible, il s’abstiendra de toute procréation, quelque amer regret que puisse lui laisser une telle résolution. Doter un enfant de, la faiblesse, de la maladie, de la pauvreté qui pourra en être la conséquence, de la douleur, cette pensée lui fait horreur. Car si, dans un couple, un seul des associés sexuels est taré ou que l’un et l’autre le soient, l’homme et la femme sont criminels en transmettant la vie, ne fût-ce qu’une fois. S’ils ne le sentent pas d’eux-mêmes, on doit le leur apprendre, et si l’éducation sexuelle était donnée à l’école, comme elle devrait l’être, ce serait une des tâches les plus urgentes de cet enseignement que de faire naître chez les jeunes le sentiment d’une telle responsabilité. Les saboteurs de la vie doivent être considérés et traités comme des malfaiteurs par les humains affinés qui sentent en eux-mêmes la souffrance de tous les pauvres êtres ainsi engendrés. Et leurs enfants, à l’âge de raison, auront parfaitement le droit de les mépriser et de les haïr..
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Il existe chez les individus
sains, normalement constitués, une capacité de résistance à tous les maux, à
tous les périls, qui leur confère une immunité relative, qui les rend moins
aptes à contracter les maladies dont sont immédiatement atteints les individus
physiquement plus faibles. Comme dit certain proverbe : « Bon sang ne peut
mentir ». C’est ce type seul qui devrait se reproduire, qui devrait être
produit. Ceux qui, malades, engendrent des malades sont des gens infâmes. Et ce
fait n’est pas, comme on pourrait le croire, uniquement celui de
l’inconscience. Il est parfois au service d’un calcul cynique, de
considérations d’argent, d’héritage, etc. Ce qui n’empêche que ces scélérats
manifestes sont, selon la morale courante, de dignes et estimables parents.
Plus on descend dans les classes de la société inférieures au point de vue
économique, moins il y a de chances de créer des individus forts. « Il y a
certainement, dit Niceforo, dans la foule des classes pauvres une sensible
quantité d’individus qui sont redevables de leur infériorité économique et
sociale à leur infériorité physique et mentale ; ils constituent le dernier échelon
d’héritages successifs de maux physiques et moraux qui marquent l’individu de
leur sceau et de leurs tares inguérissables ». Mais il y a aussi ceux qui sont
victimes du milieu défectueux. Niceforo ne l’ignore pas et il ajoute : « Il
n’est pas moins certain qu’une grande quantité de stigmates d’infériorité
physique et mentale constatés chez les pauvres est le résultat - et non là
cause - des conditions externes : milieu tellurique, économique, intellectuel
et autres ». Ceux-là sont les victimes du milieu défectueux, pour autant qu’on
puisse dissocier les deux agents de dégénérescence. La victime de l’hérédité et
la victime du milieu sont en effet assez souvent confondues dans le même
individu. Souvent aussi, si l’intelligence avait gouverné et la sensibilité
inspiré les actes de ses parents, il n’aurait pas vu le jour. Qu’un taré mette
au monde des enfants qui hériteront de sa tare pour en souffrir, c’est un
malfaiteur. Qu’un pauvre fasse de même pour des enfants qui sont voués à la
pauvreté, c’en est un également.
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Se soucier de l’individualité
en germe de l’enfant n’implique nullement que celle de la femme qui lui donne
la vie soit à dédaigner ou même à considérer comme l’objet d’un souci
secondaire, comme une chose subordonnée à l’être futur. Laissons une fois de
plus cette cruauté à l’Eglise qui, lorsqu’il faut choisir, sacrifie la mère à
l’enfant, ce qui existe, sent et pense à ce qui existe à peine, sent
confusément et ne pense pas. Le soin des deux individualités doit être
harmonisé autant que possible. Ce serait un singulier individualisme que celui
qui, dans une sorte de religion de l’évolution, sacrifierait sans cesse le
présent à l’avenir, l’être vivant et développé à celui qui n’est qu’en
puissance ou à l’état rudimentaire. Notre conception de la maternité consciente
est scientifique et rationnelle à tous égards. Certes, elle est aussi
idéaliste, mais notre idéalisme n’est pas mystique ; il tient à faire bon
ménage avec notre réalisme. L’idée de maternité consciente embrasse aussi bien
le bonheur de la mère que celui de l’enfant d’aujourd’hui et de l’homme de
demain. Une femme a, cela va de soi, droit à l’individualité, à la personnalité
même, autant que son compagnon et son enfant. A nous d’établir l’harmonie entre
ces trois unités constituantes de la famille. C’est elle qui supporte le
fardeau des maternités et de l’élevage, qui souffre pour mettre l’enfant au
monde, qui parfois meurt durant cette opération : il résulte des statistiques
publiées par le ministère de la santé d’Angleterre qu’en ce pays 3.000 femmes,
en moyenne, meurent chaque année en couches ou des conséquences de
l’accouchement. En dehors de ce que tout être vivant a droit à l’individualité
du seul fait qu’il existe, droit plus ou moins nettement admis par les sociétés
les plus civilisées et en. tout cas reconnu par l’élite humaine, ces lourdes
charges constituent pour la femme un titre indiscutable au dit droit. Mais la
mère n’est pas seule dans la conception de l’enfant. Il est difficile de parler
de maternité consciente sans s’occuper parallèlement de l’idée de paternité
consciente. L’homme droit éduqué dans la morale traditionnelle, qui ne songe
pas un instant qu’on puisse adhérer publiquement à cette morale et,
hypocritement, faire le contraire de ce qu’elle prescrit, cet homme s’indigne
de l’acte de quelque « fils de bonne famille » rendant mère une jeune fille
grâce à son ignorance et l’abandonnant ensuite, elle... et son enfant. La même
répugnance est éprouvée par l’homme qui a fait sienne l’éthique nouvelle que
nous préconisons ici, devant l’individu qui, fût-il marié légitimement avec
elle, profite de l’ignorance, de l’inconscience ou de la faiblesse de sa
compagne, pour lui imposer, par égoïsme ou pour toute autre raison, une
maternité qu’elle ne désirait pas... L’homme noble a de l’individualité de sa
compagne un souci égal à celui de la sienne propre. Il juge aussi criminel de
rendre une femme mère contre sa volonté que de commettre un acte d’oppression
ou un meurtre quelconques... Outre la nécessité pour les humains d’acquérir la
connaissance des diverses raisons d’ordre physique et moral qui commandent la
maternité consciente, il est nécessaire, pour la pratique de cette dernière par
le plus grand nombre possible d’individus, qu’une sensibilité nouvelle se
manifeste en eux, principalement chez les hommes, mais aussi chez les femmes.
Nous disons bien : une sensibilité nouvelle, car trop peu d’humains la
connaissent aujourd’hui et pour la plus grande masse elle serait vraiment une
nouveauté. Elle doit être suscitée, développée, cultivée pour que naisse en
chaque être humain de l’un et l’autre sexe le sens de la responsabilité
parentale et en chaque homme le respect de l’individualité féminine... Tout
homme doit apprendre que la femme n’est pas une esclave qu’un Dieu masculiniste
aurait créée pour le plaisir de l’autre sexe, qu’elle a son individualité
propre, qu’elle a droit à la culture, à la joie, au bonheur. Une femme qui est,
par la force de violence ou de ruse, en vertu de quelque impulsion secrète du
mâle, plongée contre son gré dans des maternités indésirées, voire abhorrées,
cette femme est réduite à une sujétion aussi abjecte que celle de la femme
orientale ou de la femelle du primitif, il faut bien le dire, c’est surtout
dans le prolétariat que cette situation se rencontre... Si l’amour de sa
compagne existait chez l’homme, il ne la contraindrait pas à une maternité à
laquelle elle répugne, à laquelle elle peut avoir des raisons de répugner,
surtout si maintes autres l’ont précédée, comme c’est généralement le cas dans
les classes pauvres. La maternité consciente implique la maternité consentie.
Non seulement le souci de sa compagne, mais la pensée de l’être à naître doit
émouvoir cette sensibilité nouvelle que nous voudrions voir susciter chez le
générateur. Chez la génératrice aussi, il va sans dire qu’on doit provoquer
l’éclosion de cette sensibilité neuve à l’égard de l’enfant.
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La morale sexuelle ancienne
(voir sexe, morale sexuelle, etc.), qui survit à sa raison périmée, avec son
actuelle louange aprioriste et barbare des familles nombreuses, de la fécondité
illimitée des couples, cette morale a sa part de responsabilité dans le présent
état de choses. Mais l’éthique sexuelle nouvelle, une éthique qui s’ennoblit
d’esthétique, se substitue peu à peu à elle. Elle s’opposera un jour,
fermement, à la continuation des pratiques d’égoïsme inférieur et cruel des
dégénérés, des imprévoyants et de ceux, intéressés ou stupides, qui les
encouragent. Victorieuse, elle nous délivrera de l’enfer génésique où la
civilisation menace de sombrer, soit par la dégénérescence qu’entraîne la
multiplication des tarés, soit par la guerre que la surpopulation ramène périodiquement.
Manuel DEVALDÈS
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