"Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d'un nuage épais toujours embarrassées;
Le jour de la raison ne saurait le percer.
Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit , ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement ,
Et les mots pour le dire arrivent aisèment.
Surtout qu'en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée.
En vain, vous me frappez d'un son mélodieux
Si le terme est impropre ou le tour vicieux:
Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme,
Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme.
Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.
Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez pas d'une folle vitesse:
Un style si rapide, et qui court en rimant,
Marque moins trop d'esprit que peu de jugement.
J'aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu 'un torrent débordé qui, d'un cours orageux,
Roule, plein de graviers, sur un terrain fangeux.
Hâtez vous lentement; et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage:
Polissez le sans cesse et repolissez le;
Ajoutez quelque fois, et souvent effacez..."
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