vendredi 16 août 2019

Lignes N°59 Les gilets jaunes une querelle des interprétations

Du discrédit   par Chloé Mareste


"Le 1 décembre, je décide de me rendre à la manifestation des gilets jaunes avec des amis complices en luttes, des interlocuteurs pour moi sur les questions politiques et les modalités d'action. Depuis plusieurs années, je constate la séparation entre les derniers acteurs des luttes politiques qui étaient des interlocuteurs auparavant, et qui n'ont pas voulu suivre, ni le cortège de tête, ni Nuit debout ( et qui ne suivront pas davantage ce mouvement). La lutte réelle, l'action, la mobilisation de soi dans un espace collectif, à un moment donné, quels qu'en soient les risques, retombe systématiquement dans un discrédit de la pensée. On ne sortira jamais de ce clivage, ou bien on y est retourné. S'il est nécessaire d's'écarter et s'abstraire d'un mouvement pour en juger, pour écrire, et penser, je vois le fossé se creuser entre ce dont les uns parlent et ce que les autres vivent, et des malentendus considérables se former, des représentations toujours plus éloignées des faits se constituer. La société est divisée, et à cela s'ajoute que les représentations, les termes et les images dont nous disposions pour nous identifier ne fonctionnent plus, sont en train de muter."

"Noel arrive, avec son lot de régression clanique, de petites pensées et de nausée collective. La présence des néonazis, des royalistes, des antisémites au sein du mouvement - et plus largement le rapport possible du mouvement à cette présence est une question épineuse, dès les premières semaines. Elle se manifeste plus encore à ce moment-là. Je reçois des SMS inquiets, ou carrément accusateurs, de certains amis qui on vu Dieudonné à la télévision. Je suis accusée pour le mouvement. J'éprouve du dégoût. Je ne vois plus que laideur de la bêtise moyenne et des zombis fluorescents circuler dans la ville, hagards, une bière à la main. De l'extérieur, de la télévision, et globalement aux yeux de nombreux penseurs et de plusieurs amis, le mouvement est fasciste, proto-fasciste ou d'extrême droite en tout cas, puisqu'il n'est pas de gauche, puisqu'il n'est rien. Il n'est rien de politique. Il est tellement primitif en termes de revendications , et de subjectivités qu'il ne peut être considéré que de droite. Ces quelques jours entre les fêtes , j'ai du mal à le défendre. J'ai le dégoût. Je le rejette. On ne parle pas assez, parmi les activistes et militants, de l'ambivalence, de la haine essentielle, de ce qu'il y a aussi d’insupportable dans le fait du nombre et la responsabilité d'une lutte. Considérer, et penser les tendances d'extrême droite du mouvement, ainsi que toute la banalité de la bêtise humaine dont je ne suis pas épargnée suppose de passer par la reconnaissance de mes propres limites, du fait que les hommes se haïssent tendanciellement. Ce moment de décembre est marqué par une mise au point. Aux discussions sur les ronds-points, à la parole librement échangée, vont s'ajouter des prises de position plus nettes et vindicatives des antifascistes au sein des manifestations."

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