TRIBUNAUX
COUR D’ASSISES DE MAINE-ET-LOIRE
(Angers).
Présidence de M. Morin.
INFANTICIDE.
Voici les faits, tels qu’ils sont rapportés par l’acte d’accusation.
Rosalie-Anne Chevrollier occupe avec son frère au lieu-dit la Grande-Saulaie, commune de Chambellay, une métairie pour le compte de leurs père et mère demeurant dans le voisinage.
A la date du 10 décembre 1870, vers six heures du matin, Rosalie Chevrollier accouchait d’un enfant du sexe féminin. Elle n’avait fait aucun préparatif pour le recevoir, et avait dissimulé sa grossesse, même aux yeux de sa mère qu’elle voyait tous les jours.
Celle-ci, venant quelque temps après l’accouchement, s’aperçut que sa fille perdait du sang, elle l’interrogea, et, sur ses indications, elle trouva l’enfant dans son lit complètement caché sous les couvertures. Il était mort, mais encore chaud.
Jean-Auguste Chevrollier, frère de l’accusée, habite au premier étage de la maison. Il était entré le matin dans la chambre de sa sœur qui couche au rez-dechaussée, près de la cuisine, mais il ne remarqua rien de particulier.
Elle lui avoua seulement qu’elle était malade, et refusa de pénétrer à la cuisine pour se chauffer et prendre son repas.
Rosalie Chevrollier, dans un premier interrogatoire, disait être accouchée avant l’entrée de son frère chez elle, après une nuit de douleurs et d’insomnie.
Dans un second interrogatoire, un mois plus tard environ, revenant sur son premier dire, elle affirmait que son enfant n’était venu au monde qu’après la visite de son frère, au moment où celui-ci et ses deux domestiques mangeaient leur soupe à quelques pas d’elle.
Quoique la porte de séparation fût ouverte, le lit empêchait qu’on ne vit d’une pièce dans l’autre ce qui se passait à la place occupée par l’accusée.
Dans tous les cas, aucun des témoins n’entendit pas de cris. L’autopsie fit connaître que l’enfant était né presque à terme, bien constitué, viable, et qu’il avait largement respiré.
Le médecin constata, en outre, autour du cou, des ecchymoses indiquant que des violences extérieures avaient été exercées durant la vie, et il conclut que la mort était due à une asphyxie produite probablement par suffocation.
Or, l’accusée prétend que son enfant devait être mort en naissant : il a peutêtre remué, dit-elle ; mais elle n’en est pas sûre et ne peut y croire. Elle insiste particulièrement et à diverses reprises sur ce fait qu’enveloppant son enfant dans une serviette et le mettant dans son lit, elle a eu le soin de lui laisser la tête au dehors. Or, ce soin était inutile à prendre si, comme elle le croyait, l’enfant n’avait pas de vie. Une circonstance est à retenir : quoique souffrante depuis la veille, Rosalie Chevrollier n’avait fait connaître son état à aucun de ceux qui l’entouraient.
Il est donc établi que c’est à la volonté de l’accusée et non à son imprudence qu’est due la mort de son enfant.
En conséquence, Rosalie Chevrollier est accusée d’avoir, le 10 décembre 1870, à Chambellay, volontairement donné la mort à son enfant nouveau-né.
Après les plaidoiries et le résumé de M. le président, celui-ci annonce aux jurés qu’il va leur poser la question subsidiaire d’homicide par imprudence, comme résultant des débats.
Le jury rapporte un verdict négatif sur les deux questions. En conséquence, le président prononce l’acquittement de l’accusée et ordonne qu’elle soit mise en liberté.
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