"Mettre en branle cette vivante machine de Marly, qui s’appelait la cour, n’était pas, qu’on le croie bien, une petite affaire : l’acte le plus simple d’une personne royale, le plus vulgaire incident d’une existence auguste exigeait un p.310 concours de figurants presque aussi savamment dressés qu’un chœur d’opéra. La seule maison civile du roi comptait, dit M. Raudot, quatorze cents officiers, et celle de la reine en comptait quatre cent cinquante 1 , tous possesseurs de charges, fastueuses ou ridicules, achetées à haut prix, tous enflés de l’honneur de vivre à la cour, et d’autant plus jaloux de leur prérogative et du bout de rôle qui leur était assigné, qu’ils sentaient mieux combien l’importance personnelle de chacun des acteurs s’évanouissait dans la grandeur du spectacle. De là, des empiétements fréquents, une éternelle dispute sur la borne précise qui séparait les droits limitrophes ; de là un froissement de vanités furieuses, une âpre émulation de tous ces inutiles à se tirer de leur pompeux néant, à courir après un air d’importance et un semblant d’utilité, à se donner à euxmêmes l’illusion flatteuse d’être ou de paraître quelque chose. Un mot, dans la langue du pays, exprimait ce conflit habituel de prétentions, ces misères de la domesticité royale : on appelait cela des difficultés. La science de l’étiquette avait donc pour objet principal de débrouiller cet enchevêtrement de fonctions parasites, de statuer au contentieux sur ces grandes affaires de l’amour-propre, et d’interposer l’autorité de la tradition dans une matière à procès où l’humeur des comtesses de Pimbesche pouvait si aisément se donner carrière."
"Bachaumont a un mérite comme critique : il juge bien et tout de suite ; il exprime dès le premier jour, sur les ouvrages les plus controversés, l’opinion qui prévaudra. Voici ce qu’il écrivait en juin 1762, sur l’Émile de Rousseau, qui venait de paraître : « Le livre de Rousseau fait très grand bruit. Il est singulier, écrit fortement et pensé de même ; du reste impossible dans l’exécution. La partie judicieuse est d’emprunt ; le fond est une contradiction, puisque l’auteur qui veut faire un traité d’éducation détruit toute société. Mais p.388 par un talent rare, il a le secret d’enchaîner son lecteur et il l’empêche de voir le vide de l’ouvrage. Son éloquence mâle, rapide et brûlante porte de l’intérêt dans les moindres détails. L’amertume sublime qui coule de sa plume lui gagne les cœurs. On pardonne tout à qui sait émouvoir."
"Dans la foule des écrits qui attirent son attention nous remarquons une Vie de Jésus, publiée en 1770, et ainsi annoncée par les Mémoires secrets : « Il a paru dernièrement une Vie de Jésus, ou Histoire critique de la vie de Jésus-Christ. On sent que le critique a fondu adroitement dans son livre la substance d’une quantité d’autres ouvrages sur le même sujet, mais que leur érudition ou les langues savantes dans lesquels ils sont écrits mettaient hors de portée du commun des lecteurs. Il résulte de son ouvrage que p.395 Jésus n’était qu’un artisan enthousiaste, mélancolique, et jongleur maladroit, sorti d’un chantier pour séduire des hommes de sa classe. L’auteur fait voir aussi comment le christianisme s’est établi ; il rend raison de ses progrès rapides, qu’il ne faut point, suivant lui, attribuer à un miracle, mais à des causes naturelles. En calculant la durée des extravagances humaines qui ont leur période, il prétend que l’erreur finira tôt ou tard. Mais qu’y substituer ? la Raison 2. »"
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