7 Thèses pour en finir avec la gauche radicale en France Par Philippe Corcuff
"Une autre intersection confusionniste au sein de la gauche radicale a consisté dans la progression de l'équivalence relativiste entre le centre-droit néolibéral d'Emmanuel Macron et l'extrême droite au moment du second tour de la campagne présidentielle de 2017. Il y avait des raisons légitimes de ne pas voter pour Emmanuel Macron sans apparaître comme un "allié objectif" de l'extrême droite. Ce n'est donc pas le vote qui est visé ici, mais la prolifération à gauche de la gauche de discours du type "Macron=Le Pen sur internet, les réseaux sociaux ou dans la rue ( les manifestations, notamment de lycéens, dans plusieurs villes le 27 avril 2017 avec le slogan "ni Marine, Ni Macron, ni patrie, ni patron"). Cela a été accompagné par les atermoiements de Jean-Luc Mélenchon et les discours de mise en équivalence entre Le Pen et Macron par Philippe Poutou pour le NPA et Nathalie Arthaud pour Lutte Ouvrière. Une telle pente relativiste est radicalisée par l'éditeur Eric Hazan dans son soutien aux gilets aunes quand il avance que, dans le combat anti-Macron, les militants d'extrême droite ne sont "pas vraiment" ses amis; "mais un peu quand même", ouvrant ainsi la porte à des alliances pratiques et ponctuelles. Ces propos ont ensuite été justifiés de manière emberlificotée par l'historien des idées François Cusset exhibant son courage mondain face au "chantage électoral à la peste brune". Dans un récent livre François Begaudeau approfondit cette évolution qui déplace l'équivalence relativiste de la présidentielle vers une préférence provocatrice pour l'extrême droite. Tenté de quitter la critique sociale structurelle pour les frissons du "politiquement incorrect", l'écrivain en vient à lancer goulûment qu' il "déteste davantage Macron" que Marine Le Pen, en ne se sentant pas " concerné" par une éventuelle " victoire de Le Pen" , et qu'il se sent plus "proche" d'Eric Zemmour, à cause de son " analyse de classes", que de Raphael Enthoven. Le jugement de goût et les plaisirs de la profanation provocatrice remplacent la pensée critique structurelle et alimentant un confusionnisme politique brouillant un peu plus les repères d'une politique d'émancipation."
"Sortir de cet âge encore quasi théologique de la politique supposerait une véritable révolution intellectuelle. La France insoumise, quant à elle, constitue déjà un objet politique qui ne correspond plus que partiellement à la gauche radicale des années 1990, car, affectée par son mode d'organisation nationale césariste, par les ambiguïtés du thème "populisme de gauche" et par les zones confusionnistes entretenues par ses dirigeants, elle se présente comme une mutation génétique à partir de la gauche radicale."
"Il faudrait alors réinventer une gauche d'émancipation" sur les décombres de la gauche radicale des années 1990. L'émancipation ne peut plus être aujourd'hui simplement républicaine et/ou socialiste. Elle appelle une configuration post-républicaine et post-socialiste ( et donc avec des composantes républicaines-démocratiques et socialistes-anticapitalistes) bariolée: féministe, écologiste, décoloniale, queer, intersectionnelle, pluriculturelle et laïque, soucieuse des individualités, promouvant des identités individuelles et collectives plurielles, métissés et ouvertes, expérimentant des dispositifs radicalement démocratiques où des formes inévitables, mais limitées et contrôlées, de délégation verticale sont contrebalancées par le déploiement de rapports horizontaux. Les militants et les sympathisants des organisations de la gauche radicale sont vraisemblablement une partie de la solution, mais ces organisations sont également une partie du problème. Même chose pour les "gilets jaunes". Le principal pourrait venir d'initiatives associatives localisées , de groupes pour l'émancipation s'efforçant de trouver des convergences. Il y a un vivier de potentialités , de ce point de vue, dans dans ce que j'appelle la gauche mélancolique , c'est-à-dire des personnes se reconnaissant encore dans le "peuple de gauche" mais non militantes et en attente de quelque chose de réellement renouvelé. Cependant, en histoire, rien n'est inéluctable et la question de l'émancipation sociale pourrait se voir marginalisée pour longtemps.
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