Signifie
proprement briseur d'image. (L'appellation d'image s'appliquait, dès
l'antiquité, à toutes les figures peintes ou sculptées). Il
désigne particulièrement les personnes ou les sectes opposées à
l'adoration des images et en poursuivant la destruction.
L'iconoclastie appartient de ce fait à l'histoire des religions qui
ont admis et pratiqué le culte des images et à toutes les
manifestations qui en ont poursuivi, à travers le temps, les
apparentements religiosâtres… La loi de Moïse proscrivait, pour
leurs réminiscences païennes, les hommages aux représentations de
la divinité. Elle tentait ainsi d'atteindre toutes les dispersions
dites idolâtres qui, du fétichisme au sabéisme et à leurs
multiples dérivés, montaient jusqu'à l'anthropolâtrie et
l'invocation des esprits. Les anathèmes et les injonctions du
Décalogue visaient dans le polythéisme les formes qui, par leur
épuration relative, menaçaient le plus l'unité nouvelle,
risquaient, par, la confusion de pratiques similaires, d'amoindrir le
prestige du Dieu révélé. On connaît le martyre du néophyte
Polyeucte, soldat romain, qui, au IIIème siècle, renversa en
Arménie les idoles des dieux. Tirant de la légende de cet
iconoclaste chrétien, une tragédie aux puissants caractères,
Corneille, le premier, portera plus tard la religion sur le terrain
profane du théâtre. Mais le christianisme ne va pas tarder à
reprendre à son compte, voilées des prétextes du souvenir, les
coutumes des religions polythéistes. La substitution des images
sacrées aux figurations adverses nourrira maints épisodes de la
guerre des suprématies. Et l'exaltation mystique, grandie dans le
sang des arènes et des gibets, vouée par sa tension même à
l'effondrement, y retrouvera des éléments précieux de longévité…
Le soutien du concret est un élément dont ne peuvent longtemps
s'affranchir les plus ingénieuses constructions de la théogonie. La
foi des peuples et l'enthousiasme des foules ont besoin d'étreindre
l'objet de leur amour. Les croyants ne font d'incursions durables
dans l'impalpable et l'abstrait qu'à travers les embrassements de la
matière où s'incarnent leurs déités. Les souffrances du Dieu fait
homme et les formes corporelles de sa résurrection ont, plus que
toutes les mystiques paradisiaques, parlé à l'âme des éternels
enfants de la terre. Si prometteur soit le séjour des extases, il ne
peut flotter en délices imprécisions sur un fond fuyant
d'immensité. De confuses ripailles bousculent en ondes plantureuses
le lac trop lisse des contemplations infinies. Les inférences de la
vie portent jusqu'au ciel les festins et les ruts, toute la
sensualité païenne d'ici-bas. Et il faut sur la terre des temples
et de l'encens, des statues et des flammes, des images et des voix.
Ah! Dieu est partout! Mais le cœur des humbles le rendrait vite aux
régions mortelles de l'ombre s'il ne pouvait sur les autels en
dresser la chair fulgurante, suivre en chemins de croix les étapes
saignantes du Golgotha, tâter sous la plastique des marbres le
palpitement des béatitudes, par-delà les tableaux qu'un sobre nimbe
idéalise, apercevoir le frémissement humain des bienheureux… Dès
le IIIème siècle, les premiers chrétiens écartent l'anathème du
Sinaï et retrouvent l'anthropomorphisme irrésistible du Fils de
l'Homme et des martyrs. Gravie l'ère des persécutions, les maisons
du Seigneur crient au firmament l'ardeur physique de leur
attachement. Avides de porter au grand jour un prosélytisme à
l'étroit sous les cryptes et d'aller « dans son temple adorer
l'Eternel », ils y portent le Messie et les saints, compagnons
voisinants, éloquentes images, jusqu'aux tables du sacrifice.
L'Orient, berceau de la couleur et de l'extériorisation, souffrait
plus que tout autre d'une subjectivité sans aliment, s'étiolait
dans l'ascétisme du tabernacle intérieur. La contrainte écartée,
il épanche en floraisons matérielles sa passion concentrée,
prodigue les sculptures et les figurines, les tableaux et les icônes,
répand les tons luxuriants de sa palette sur les saints enfin
revivifiés, fond sous les effluves lumineux la glace des
perpétuations éthérées... La galerie des douloureux canonisés
répond en mirages chatoyants aux espérances des fidèles. Les
horizons célestes se rapprochent et la main les frôle aux voûtes
des églises. L'éternité enveloppe de chaude et tangible
sollicitude les séjours provisoires hier encore désolés… La
profusion réaliste des objets de vénération finit par porter
ombrage aux empereurs, ralliés davantage par politique que par
conviction au christianisme envahissant. De Léon III partent les
premières interdictions. L'ordre de « détruire les images dans
tous les édifices sacrés ou profanes » va, pour plus d'un siècle,
porter le trouble dans l'Eglise d'Orient, agiter de secousses
sanglantes les temples décorés. Le surnom d'Iconoclaste flagelle -
de père en fils - la tyrannie des persécuteurs. Du Saint-Synode,
docile et apeuré, Constantin Copronyme obtient, en 754, la
condamnation officielle des pratiques poursuivies. En 780, Irène,
impératrice régnante, amorce la pacification, tend la main au
Saint-Siège. Le deuxième concile œcuménique de Nicée, en 787,
réhabilite le culte des images, en proclame la légitimité,
distingue « les honneurs qu'il est convenable de leur rendre, du
culte de latrie, réservé à Dieu seul ». Mais, avec plus ou moins
de violence, le parti des iconoclastes étend jusqu'au milieu du
IXème siècle son hostilité et ses destructions, que couvre souvent
l'encouragement des empereurs. L'apaisement ne se fait qu'avec la
régence de Théodora… A Rome, le droit d'image, d'abord propre au
patriciat, s'amplifie bientôt grâce à l'accession des ennoblis de
la plèbe, aux magistratures curules. Les images statues, bustes de
cire peinte ou taillés dans le bois, le bronze ou le marbre - ornent
l'atrium et participent à la pompe des cérémonies, se mêlent aux
cortèges funéraires. De leur vivant, les images des empereurs sont
honorées à l'égal de celles des divinités. Elles figurent sur les
enseignes des légions, appellent des hommages tout religieux. Et les
soldats chrétiens vont au martyre pour les avoir méprisées, pour
s'être refusé à des devoirs qu'ils réservent aux attributs du
Seigneur ... Au Moyen-âge, d'imposantes images continuent à décorer
les palais et les édifices sacrés. Plus réduites, les images
d'intérieur, devenues meublantes (images de la Vierge, du Christ et
des saints patrons) cessent d'être l'apanage des manoirs
seigneuriaux et des riches demeures bourgeoises. Elles président -
grossières protectrices - au lourd repos des humbles ... Au XIIème
siècle, le culte des images est de nouveau controversé. Les
cathares (sectes puritaines qui périront avec les Albigeois) en
condamnent l'hérésie, l'écartent de leurs mœurs comme impur. Au
XVIème siècle, les protestants, à leur tour, le comprennent dans
les coupes sombres du révisionnisme. La doctrine catholique,
cependant, opportuniste et d'une psychologie plus avisée que le
schisme, en maintient l'exercice. En 1545, le concile de Trente,
disputant d'une part le terrain au protestantisme, précisant d'autre
part les directives de la foi noyées dans le confusionnisme des
tendances, résume en un décret l'attitude du traditionalisme
chrétien : « Il faut garder et retenir, surtout dans les temples,
les images de Jésus-Christ, de la Vierge et des autres saints. Il
faut, en même temps, leur rendre l'honneur et la vénération qui
leur sont dus, non que l'on croie qu'il y a en elles quelque divinité
ou vertu, ou qu'il faut leur demander quelque chose ou mettre sa
confiance en elles, comme faisaient les païens pour leurs idoles,
mais parce que l'honneur que l'on rend aux images se rapporte aux
origines qu'elles représentent ». Ce point de vue - tant dans
l'Eglise officielle romaine que dans la branche orthodoxe - n'a plus,
depuis, été sérieusement contesté. Il a cessé d'être en butte
aux assauts du pouvoir, aux entreprises agressives des partis et des
chapelles. Et l'iconoclastie n'eut guère, dès lors, au moins dans
les actes, que des adeptes isolés… Mais, quoique incorporé au
rituel et habilement délimité, vaines sont, quant au caractère du
culte des images, les subtilités de la théologie. Les adorations
hystériques des Cordicoles, la mise en exploitation des apparitions
aux images persistantes, les miracles des statues animées et
saignantes, l'enrichissement quotidien du musée mondial des fétiches
sacrés (par tonnes les fragments de la vraie croix, des pyramides
d'ossements authentiques) tenus pour doués de propriétés
salvatrices, attestent la survivance, en pleine société moderne,
d'un culte total d'essence singulièrement idolâtre… Les laïcs,
après quelques expurgations toutes scientifiques, n'ont pas manqué
de canaliser vers leurs glorifications des préjugés et des coutumes
si fortement enracinés. Ils ont immortalisé dans le marbre leurs
personnages préférés, nimbés d'héroïsme ou de vertu, entouré
leur culte de pratiques commémoratives. Et leurs portraits tapissent
les écoles et les édifices publics. Ils ont conservé les emblèmes
et tout le simulacre des adorations. Les drapeaux sont demeurés (de
style et d'hommages) « l'image vivante des patries ». Les chefs
d'Etat, les généraux constellés d'amulettes paradent en demi-dieux
sur le front des foules, exigent la remise des existences sur les
autels de la nation. Les Panthéons groupent les cendres cataloguées
des morts illustres. Sous les Arcs où se fige le Triomphe de la
bestialité, ils ont, magiciens funéraires qui savent que les
vivants oublient sur les morts le salut de leur propre sort, assemblé
quelques os de martyr, image anonyme du sacrifice. Au pays des
icônes, voilà saint Lénine truqué, momifié, offert en vitrine
aux regards des moujiks aberrés. Et pèlerins et rois mages
s'acheminent, en théorie inlassée, vers l'étoile du premier ciel
bolcheviste… Le culte des images avec son succédané le culte des
grands hommes - erre aux portes de l'anarchie, pousse des incursions
dans la cité, hisse des pavillons, veut dresser des statues. Il
reprend les voies classiques des religions et des doctrines. Il
esquisse des agglomérats où s'abdique l'unique, sonne l'appel aux
voies endormies des troupeaux, songe à galvaniser des masses
entraînées pour de nouveaux règnes grégaires ... Les illuminés
des religions lointaines - celles du temps n'ont plus que des habiles
- prompts à bousculer les colonnes des temples, à mettre en pièces
les statues, à fouler aux pieds les images, s'imaginent ouvrir ainsi
la voie aux « justes croyances », préparer l'avènement de la «
divinité légitime ». Ceux qui se regardent comme les détenteurs
de la « Vérité » peuvent justifier devant leur conscience la
brutalité de cette tactique de délivrance. Les mêmes bases des
dieux tombés seront les assises des leurs. Le fanatisme de leurs
convictions parfois déplace à leur profit l'axe de la crédulité.
Et s'ils ont pu dévier vers eux les courants favorables, s'ils
tiennent toutes prêtes, et capables de plaire, les idoles de
remplacement, les peuples, impulsifs et suggestionnables,
embrasseront peut-être les religions servies par l'audace. Mais nous
désirons le seul empire lucide de l'homme sur lui-même et nous
savons que rien de libre ne se fonde sur la violence, rien d'éclairé
sur le dogme. Nous n'offrons ni culte rajeuni, ni dieu sensationnel
et ne bâtissons d'espoir ni sur l'élan des masses ni sur leur
soumission. Qu'il n'y a pas dans les matérialités de la foi comme
un envoûtement de l'humanité et que de les détruire ouvrirait les
esprits, les siècles en ont disséminé la preuve. Au fond des êtres
veillent en germe les idoles et celles que nous aurons abattues
demain renaîtront - ou d'autres, leurs sœurs - si elles conservent
dans le cerveau des hommes leur berceau inébranlé… Nous ne
pouvons être, comme ceux-là, des iconoclastes. C'est au fond de
nous que nous brisons d'abord les images, le reliquat des fétiches
anciens, les idoles tapies dans la caverne de nos crânes, que nous
désagrégeons les fondations de l'église. Et nous aidons autrui à
secouer l'hallucination des images, à promener la torche et la
pioche dans son propre temple. Et nous lui disons : « Méfie-toi des
divinités et des cultes, guéris-toi des glorifications idolâtres,
cherche et agrandis le domaine de l'humain. En frères - et non en
prêtres ou en dieux : à ce signe reconnais-les - te donneront leur
clarté les hommes lumineux...».
- S. M. S.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire