Annexe: Le mot "communisme", par défaut.
Ce texte a été écrit en réponse à la question en forme d'enquête posée par Daniel Bensaid pour la revue ContreTemps sous le titre: "De quoi le communisme est-il le nom?". Il a paru dans le N°4, quatrième trimestre 2009 ( nouvelle série, éditions syllepse). A peine modifié ici, le titre excepté; lequel était, dans sa première publication: " Le mot "communisme", puisqu'il en faut un" auquel aura été ici préféré, pour appuyer les réserves qu'il inspire: "Le mot "communisme", par défaut".
Le mot: " communisme", puisqu'il en faut un et puisque c'est celui-là que vous avez retenu.
On remarquera cependant:
Que tout, ou à peu près, appelait le mot : "communisme" à disparaitre;
Qu'il n'a pas disparu, qu'il reparait même ( je veux dire qu'il connait ce surcroit d'actualité), à la faveur de l"'usage qu'en a fait Alain Badiou il y a peu.
On assortira cependant cette seconde remarque d'une précision: Badiou n'emploie pas le mot sans en restreindre sensiblement la portée; l'articulant tantôt au mot "hypothèse", tantôt au mot "idée"
(Hypothèse communiste" dans un cas; "idée du communisme" dans l'autre). Ce qui, dans la mathématique qui n'est pas pour rien la sienne, même il parle de politique, veut dire que vérification devra nécessairement être faite de la validité de son emploi ( présent et à venir). Précision que complète cette seconde: "communisme", dit-il, vaut aussi bien pour : "émancipation", etc. Autrement dit, s'il convient qu'un mot est nécessaire, et s'il compte celui-là au nombre de ceux que la situation appelle, c'est en partie disposé à soutenir que c'est lui qu'elle appelle préférentiellement; pas au point donc de ne pas être prêt à en appeler à d'autres si les méprises l'emportent qu'il est susceptible de susciter.
Autrement dit, il ne choisit pas davantage qu'il n'insiste ( il n'insulte pas l'avenir, laissant aux autres le soin d'insulter le passé). Cette dernière précision pour dire: la chose n'est certes pas douteuse ( elle ne l'est aucunement) qui veut que tout doive être renversé ( le monde ainsi qu'il est), même si le mot l'est ( ou peut l'être). J'ajoute: assez douteux pour ne pas s'imposer même à celui qui semble l'imposer. Et encore: même s'il semble en imposer à ceux qui le reprennent ( et il importe peu alors qu'ils le reprennent de lui, puisque celui-ci s'est abstenu d'en établir absolument le sens).
D'autres questions se présentent à l'esprit:
Pourquoi le mot "communisme" n'a-t-il pas disparu quoique tout l'appelât à disparaitre? De quelles réserves dispose-t-il que l'histoire, dont il a entre-temps été chargé ( souillé), n'a pas épuisées?
Il faudra y revenir.
Pourquoi le reprendre, et que reprend-on le reprenant?
D'autres mots n'auraient-ils pas mieux convenu, que l'histoire n'eût pas pareillement - entre-temps- chargés ( souillés)?
La troisième question est elle-même une réponse: oui d'autres mots auraient, de beaucoup, mieux convenu ( "anarchie", par exemple), à ceci près qu'il n'y a aucun sens à le prétendre dès lors que c'est "communisme" et que ce n'est pas "anarchie" qui est revenu. Nul n'est venu parler d'"hypothèse" ou d'"idée" anarchiste; nul en tout cas ne l'a fait de façon telle que quiconque voulût le reprendre ( c'est regrettable et je le regrette: mais, sans doute, le mot "anarchie" n'est-il pas fait pour revenir ou, du moins, pas pour revenir pareillement - il n'a, il est vrai, jamais mobilisé les mêmes ambitions ni, partant, aucune "masse"). (En même temps, il ne cessera jamais de venir-revenir hanter le mot "communisme" lui-même, comme son mauvais témoin, aussi longtemps que celui-ci veindra-reviendra hanter le langage.)
Répondre à la troisième question, c'est répondre à la première partie de la deuxième ( je la rappelle: pourquoi le reprendre?). Reste alors, avec la seconde partie de la deuxième question ( que reprend-on le reprenant?), toute la première: pourquoi "communisme" - le mot- n'a-t-il pas disparu que l'histoire - "Staline", la "bureaucratie", comme vous dites, bien d'autres choses encore - a pourtant retourné, défiguré, rendu horrifique? La réponse n'est pas nécessairement simple, ni rassurante. Elle peut vouloir dire que le mot est substantiellement supérieur à ses défigurations successives; autrement dit, que la promesse qu'il porte n'est pas mesurable aux compromis qu'il a dû passer; ou bien que ses compromissions elles-mêmes, si considérables qu'elles aient pourtant été, ne mettent pas en cause l'inspiration initiale à partir de laquelle elles ont été passées; à la fin, que cette inspiration persiste qui ne demande qu'à être retrouvée. Soit! On pourra tout aussi justifiablement prétendre qu'il ne s'est agi là ni de compromis ni de compromissions, mais d'un travestissement du tout au tout qui demande qu'on retrouve, sous la cendre des mots et des morts, l'inspiration initiale. Pourtant, on ne pourra pas ne pas faire, dans un cas comme dans l'autre, qu'on n'idéalise et l'inspiration et le mot. Qu'on ne s'en tienne à l'idéalité qu'il désigne aussi, quelque obstinée violence qui s'y oppose nécessairement et ne cessera jamais de s'y opposer. C'est ceci qui n'est pas rassurant: ces réserves sont celles d'une piété et toute piété, qui s'est toujours célébrée au moyen d'un mot, n'a jamais passé avec le monde réel, avec le monde politique, que des compromis ou des compromissions où elle a perdu l'âme dont elle se prétendait dotée.
Dans la controverse qui a récemment opposé Daniel Bensaid et Alain Badiou, controverse intéressante à plus d'un titrez, plusieurs traits demandent à être un moment remarqués. Je retiens pour ma part celui-ci qui autorise le premier à reprocher au second de tenir toute l'histoire du communisme "réel" pour "stalinienne". Toute, c'est-à-dire indistinctement: léniniste, stalinienne, trotskiste...On comprend que Bendsaid proteste, lequel tient - comme au communisme lui-même- que penser celui-ci, c'est en penser l'histoire, et que l'histoire n'en est pas la même selon qu'elle est léniniste, trotskiste ou stalinienne. Il tient qu'on ne doit pas méconnaitre comment l'histoire s'écrite, qu'on le doit d'autant moins que la plupart de ceux qui la revendiquent, et militent encore en son nom aujourd'hui, sont volontiers portés à l'oublier ( vieilles lunes, dont leurs luttes n'auraient plus rien affaire). Mais Badiou a raison aussi: à très peu près, l'histoire est la même et il n'est plus temps de savoir avec précision ou certitude quand la trahison a commencé et avec qui: Staline, Lénine, Trotski, Boukharine, etc... - vieilles lunes, si l'on veut, de ce point de vue, qu'il n'est pas même impossible de faire remonter à Marx et Engels eux-mêmes ( ce qu'on avait vu faire aux philosophes dits "nouveaux" à la fin des années soixante-dix). Quelque usage que certains en aient fait en effet, et infamants, ce n'est pourtant pas une querelle subalterne. ce l'est si peu qu'elle permet au premier de reprocher au second (reproche inattendu) de former là une "hypothèse" plus "philosophique" que "politique". Admettons le, au moins provisoirement ( même si eux-mêmes ne sauraient tomber d'accord là-dessus). L'admettre permet au moins qu'on déporte un instant l'attention du mot "communisme" vers le mot "hypothèse", et que la querelle par le coup s'en trouve renouvelée. C'est-à-dire, elle permet qu'on restitue au mot "hypothèse" - mot qui ne divise pas- l'importance que le mot "communisme" - qui divise- semblait avoir prise toute. Ce qui est acquis en effet, et auquel il faut se tenir, c'est:
1/ le principe d'une opposition irréductible à l'actuel système de domination;
2/ que relèvera du mot "hypothèse" ( ou le pourra) n'importe laquelle (ou presque) des formes que revêtira cette opposition;
3/ que "communiste" ne constituera qu'une des formes que cette hypothèse sera susceptible de revêtir, quand bien même serait-elle celle sur laquelle le plus grand nombre, non sans raison, s'accorde.
C'est pourquoi il faut en revenir à la question que vous posez, que je rappelle: "de quoi le communisme est-il le nom?" A celle-ci, on est tenté de répondre d'abord ceci:
1/ de trop de choses à la fois pour qu'il soit possible de dire ici quoi.
Réponse rapide à laquelle il est possible d'en opposer une autre qui l'est plus encore:
2/ d'un matérialisme -réponse, on le voit, qui présente l'avantage de ne pas diviser à priori l'hypothèse entre son versant politique et son versant philosophique.
Pas n'importe quel matérialisme, cependant: le premier, sinon le seul qui ait fait du matérialisme une politique ou toute la politique ( alors qu'il avait déjà fait des philosophies).
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