En Postface de cette lettre, Maurice Blanchot s'exprime.
Lettre à personne: ce titre déjà me met dans l'embarras. Texte sans destinataire? Ou bien opuscule qui s'adresse à ce qui, en moi, en nous, n'est personne, cet inconnu qui échappe: le secret, toujours à l'écart.
1/ - S'agit-il d'un carnet ou d'un journal? J'ai noté jadis, qu'écrire son journal, c'était se mettre à l'abri des tourments de l'écriture, se confier au quotidien de la vie pour dissimuler qu'on n'écrit pas. Jules Renard:"Je crois que j'ai touché le fond du puits...et ce journal qui me distrait, m'ennuie et me stérilise." Ce qui est en cause dans cette lettre est différent, tout en suggérant le péril d'une existence désormais sans écriture.
2/ - Supposons que l'auteur de cette lettre ( je souligne que d'une certaine façon je ne le connais pas) vient de terminer l'ouvrage sublime, l'écrit ultime qui a répondu à l'exigence d'écrire, de telle sorte que celle-ci ne peut plus rien demander. (C'est peut-être le problème de Kant: si le monde est moral, il n'a plus lieu à une éthique.) Cet auteur donc devrait être heureux ou du moins satisfait au sens que Hegel donne à ce terme. Or cela n'est pas. Il ne peut plus écrire ( il n'a plus rien à dire), mais il s'aperçoit, avec horreur, avec terreur, que le désir d'écrire persiste en lui. Le désir d'écrire, désir personnel, et l'exigence d'écriture, postulation impersonnelle, ne coïncident pas. Réfléchissons sur ce problème. Il est peut-être insoluble, parce qu'il ne devrait pas se poser.
3/ _ "J'envie ( c'est une façon de parler) tout homme qui a le temps de préparer quelque chose comme un livre, qui, en étant venu à bout, trouve le moyen de s'intéresser au sort de cette chose, ou au sort qu'après tout cette chose lui fait."
Je retiens d'André Breton cette dernière phrase. Quel sort est désormais réservé à celui que l'accomplissement de son oeuvre rend posthume?
L'auteur de la lettre examine la destinée des écrivains qui brusquement ont cessé d'écrire. Qu'en est-il du silence de Racine, de celui de Rimbaud, du murmure de Holderlin, du mutisme de Nietzsche? Il y a énigme, mais chaque fois incomparable. Ce que je pourrais en dire ( ce que moi-même j'en ai dit) ne sera jamais qu'une autre manière d'alléger le fardeau.
4/ - Tandis qu'il écrit encore ( et si je m'en souviens bien, dans Moriendo toujours), il lui faut répéter:" Poursuivre, poursuivre, il le faut"', et dans Nadja :"Se peut-il qu'ici cette poursuite éperdue prenne fin?" Est-ce le même mot, est-ce le même regret que la poursuite - l'interminable- en vienne à se terminer? Et lorsque André Breton interroge, finalement: "Qui vive? Est-ce vous, Nadja...Est-ce moi seul? Est-ce moi-même?", ne retrouvons-nous pas la même question pathétique: "N'y a-t-il pas quelqu'un sur le seuil? Est-ce toi? " Et pourtant tous deux savent qu'au delà ou en deçà de la figure, c'est le neutre de l'inconnu qui est en jeu dans la "rencontre". André Breton: "Je ne sais pourquoi c'est là, en effet, que mes pas me portent sans but déterminé, sans rien de décidant que cette donnée obscure, à savoir que c'est là que se passera cela? "Cela? Et Laporte:"J'ai admis que la "chose" est à jamais étrangère."
Nous savons certes que Nadja z existe et que Breton s'est fait l obligation rigoureuse de ne rien écrire qui ne dise ce qui s est passé. Et pourtant l atteinte toujours se dérobe. C est la poursuite haletante, harassante. "Toujours Nadja est rencontrée, toujours il faut recommencer de la rencontrer, toujours soustraire des qu elle s offre, promise a la dérobée, jusqu a sa disparition aussi incertaine et plus obscure que sa manifestation et que n abolit pas l événement, mais qui a lieu dans le même espace - le non-lieu- de la rencontre" (le demain
"J irai jusqu au bout", lit-on dans Moriendo. Au contraire, un écrivain qui se protège, note: " Le bon auteur, comme le bon général, toujours quelque chose en réserve..." (Jünger). Breton aurait eu horreur d une telle prudence, bien que politiquement, au regard de la Révolution, il se reconnaisse " la force d attendre". Mais l attente supprimé le temps et l oeuvre a précisément épuisé l avenir du temps.
5/ Biographie. Ah! Je ne reviendrai pas sur l ambiguïté de ce terme. Écrire l écriture et, par la, créer de la vie ou la subvertir, en acceptant d elle ce qui la supprime, c est a dire ce qui l'a provoque jusqu à l extrême limite où elle éclaté - a l infini. Moriendo est ce mouvement; "tout s éteint, tout disparaît", dit encore Nadja; l écriture s écrit en mourant, tandis que survit l écrivain qui n écrit plus, sauf en nous confiant ( en nous transmettant) le désir mélancolique que nous sommes appelés à préserver de toute nostalgie
Mais qu entends tu par la vie ( la vie de l écriture) ? Puis je t entendre maintenant, alors que tu t'es toujours refusée a l entente, de même qu il n y a plus que moi pour t entendre, fût-ce dans la mésentente toujours irrésolue?
Maurice Blanchot
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire