samedi 5 novembre 2022

"L'entretien infini" par Maurice Blanchot

 "Naturellement, ce jugement, lui aussi, est très simplifié. Mais il est vrai que Nietzsche a été victime de l'intérêt excessif que nous portons aux œuvres mises en notre possession, non par la vie, mais par la mort de leur auteur. Comme il est étrange que les plus grandes gloires littéraires de notre temps soient nées d'oeuvres entièrement posthumes: Kafka, Simone Weil, Hopkins, ou partiellement comme Holderlin, Rimbaud, Lautréamont, Traki, Musil, et en un sens plus cruel: Nietzsche. On aimerait recommander aux écrivains: ne laissez rien derrière vous, détruisez vous-même tout ce que vous désirez voir disparaitre , ne soyez pas faibles, ne vous fiez à personne; vous serez nécessairement trahis un jour. Dans le cas de Nietzsche, la folie qui l'a brusquement livré aux autres et a fait entrer dans la nuit une masse d'écrits de toutes sortes, a justement donné une valeur surprenante et un faux eclat nocturne à ses paroles survivantes et comme si elles avaient contenu le secret même et la vérité pour laquelle il était devenu fou. On voit que des préjugés tout différents se sont unis pour faire triompher en Nietzsche le Nietzsche qu'il ne nous avait pas légué: d'abord l'idée qu'il avait réussi à donner à sa pensée l'expression dogmatique, capable de la rendre influente; puis l'idée que c'est par dela la clairvoyance et la raison, avec l'autorité prophétique d'une voix sortie du tombeau, que cette philosophie nous parlait, au nom du destin."


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