« Mais tous les matins, même présence, même blessure ; sous mes yeux se dessine l’inévitable image qu’impose le miroir : visage maigre, épaules voûtées, regard myope, plus de cheveux, vraiment pas beau. Et c’est dans cette vilaine coquille de ma tête, dans cette cage que je n’aime pas, qu’il va falloir me montrer et me promener ; à travers cette grille qu’il faudra parler, regarder, être regardé ; sous cette peau, croupir. Mon corps, c’est le lieu sans recours auquel je suis condamné. Je pense, après tout, que c’est contre lui et comme pour l’effacer qu’on a fait naitre toutes ces utopies. »
« Toutes ces utopies
par lesquelles j’esquivais mon corps, elles avaient tout simplement leur modèle
et leur point premier d’application, elles avaient leur lieu d’origine dans mon
corps lui-même. J’avais bien tort, tout à l’heure, de dire que les utopies
étaient tournées contre le corps et destinées à l’effacer : elles sont
nées du corps lui-même et se sont peut-être ensuite retournées contre lui ».
« Peut-être faudrait-il
dire aussi que faire l’amour, c’est sentir son corps se refermer sur soi, c’est
enfin exister hors de toute utopie, avec toute sa densité, entre les mains de l’autre.
Sous les doigts de l’autre qui vous parcourent, toutes les parts invisibles de
votre corps se mettent à exister, contre les lèvres de l’autre les vôtres
deviennent sensibles, devant ses yeux
mi-clos votre visage acquiert une certitude, il y a un regard enfin pour voir
vos paupières fermées. L’amour, lui aussi, comme le miroir et comme la mort,
apaise l’utopie de votre corps, il la fait taire, il la calme, il l’enferme
comme dans une boîte, il la clôt et il la scelle. C’est pourquoi il est si
proche parent de l’illusion du miroir et de la menace de la mort ; et si
malgré ces deux figures périlleuses qui l’entourent, on aime tant faire l’amour,
c’est parce que dans l’amour le corps est ici ».
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