« Toujours la même vieille malédiction des genres. Laquelle divise entre la littérature et la pensée – division familière, mais violente.
Qui ne divise pas moins (division
à la puissance deux) entre la littérature elle-même ; je veux dire :
entre la poésie et le roman. Etrange
division ou absurde, qui ne marque pas seulement la possibilité d’une
prédilection (admissible, compréhensible), mais celle d’une antinomie, sinon d’une
hostilité. Division qu’il faut du coup lire ainsi : poésie ou roman. L’histoire de la littérature
strictement « poétique » le permet peut-être : Rimbaud, Breton,
etc. Elle n’y oblige pas, pourtant : Nerval encourage même au contraire
(pas le moindre des noms à pouvoir la représenter, et que Bernard Noël aime
tout particulièrement). Reverdy aussi… »
« Un déplacement est
nécessaire. Qu’il faut effectuer, même s’il présente les apparences d’une
surenchère plutôt que d’un apaisement. On substituera pour cela au mot « politique »
- compromis, convenons-en provisoirement, au moins par esprit de conciliation
-, le mot « révolution ». Est-ce fait pour que les tensions s’apaisent ?
Ne l’est-ce pas plutôt pour que le gâchis s’aggrave ? La beauté, n’y
perdra-t-elle pas encore un peu plus de l’éclat qui fut le sien ? La
beauté « poétique » s’entend. Dès lors que ce dont il est question, c’est
d’œuvrer à leur hypothétique compatibilité. A l’hypothétique compatibilité de
la poésie et de la politique. »
« Magnanime, Bernard
Noël concédera sans doute, et sans trop de résistance, le mot « politique »,
dont il sait plus qu’un autre dans quelles pauvres figures il s’est fourvoyé et
perdu. Mais il ne concédera sans doute pas le mot « révolution ». Ce
qui aggrave son cas ? Ce qui l’aggrave. « Politique » est petit
aujourd’hui, consent à toutes les compromissions possibles, ment essentiellement.
De ce point de vue, Bernard Noël tombera même éventuellement d’accord avec ceux
qui font le procès de celui-ci. Avec ceux dont les procès accusent le mot de
compromettre le sens. Raison de plus pour lui de surenchérir ; d’affirmer
qu’il n’y a de politique (réelle, authentique, etc.) que révolutionnaire (définitive
ou permanente : un « perpétuel
recommencement »). Que la politique est révolutionnaire ou qu’elle n’est
pas. Identité outrancière ? Peut-être, mais pas davantage que celle formée
par Malraux au sujet du XXI° siècle ; lequel, affirmait sans rire qu’il
serait spirituel, ou qu’il ne serait pas (ce qu’il n’y a personne à ne dire
après lui, sans rire plus que lui). »
« La politique sera
révolutionnaire ou elle ne sera pas : formidable affirmation !
Affirmation qu’il n’y a (presque) plus personne à former. Qu’il n’y a plus
aucune poésie (aucun poète) à former – qu’on ne forme pas en effet sans, par le
fait, tout amphatiser, tout héroïser, apparemment. Et qui renverse tout. N’est-ce
pas pourtant ce que la poésie (moderne) voulait ? Et est-ce que Bernard
Noël ne s’inscrit pas par-là dans cette modernité qui voulait qu’il revint à la
poésie, et à elle seule, de tout renverser ? Renverser, en outre, le
rapport – hypothétique et hostile, je l’ai dit- qu’entretiennent maintenant les
deux mots : poésie et politique(ou les trois, suivant la précision qu’il
nous a, chemin faisant, fallu apporter : poésie, politique et révolution). Affirmation qui dit en
réalité : c’est en tant que la poésie s’est séparée de la politique (de la
révolution) qu’elle est devenue ce à quoi Bernard Noël rechigne tant çà
appartenir ; ce à quoi il redoute tant qu’on le réduise (à la vérité, qu’il
hait). Parce que c’est en tant qu’elle a cessé d’être politique et
révolutionnaire que la poésie a, en même temps, cessé d’être ce qui séduisait
(folle séduction), ce qui saisissait (saisissement fatal) : le corps, l’esprit,
l’existence. Ce qui ne les emportait pas moins que l’amour – ce qui a constitué
ce bonheur sans borne à quoi c’est toute poésie comme c’est toute politique qui
aspire désespérément. »
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