S'il fallait écrire ici une
monographie proportionnée à l'importance attachée par l'humanité à la mort,
l'encyclopédie tout entière n'y suffirait pas. Le rôle joué par l'idée de la
mort dans la vie des peuples, comme dans la vie privée est formidable (voir le
mot : vie). Pour tous, la mort, en effet, n'est pas seulement l'envers de la
vie. Elle suggère, par voie d'association tout un monde d'idées et de
sentiments. Philosophie, religions, morales, ethnologie, folklorisme,
physiologie, médecine, poésie, art, mœurs, toutes ces disciplines, et combien
d'autres encore, ont tenu à s'occuper du problème. Peu d'hommes y sont
indifférents et si quelques-uns ont pu l'envisager comme un problème
bio-pathologique aussi peu émouvant que la vie elle-même, l'accepter avec une
sérénité impassible et souriante il est une infinité d'êtres humains pour qui
la mort reste un sujet de terreur et d'angoisse qui ne le cède à aucun autre
problème.
L'intensité de cette
angoisse est en raison inverse du développement culturel de l'individu et de
son émotivité, celle-ci considérée, dans l'espèce, déjà comme morbide, car l'on
voit des intellectuels pour qui la mort est, quoi qu'ils fassent, un objet de
phobie douloureuse.
Le fait historique est que
ce phénomène banal de bio-pathologie a débordé sur la vie morale et sociale
beaucoup plus que d'autres problèmes tels que celui de respirer, de manger ou
d'aimer. C'est que, de très bonne heure, la mort a soulevé un problème d'ordre
moral, uniquement comme conséquence de la croyance à l'existence d'une Âme,
substance différente du Corps.
L'homme simple que fut le primitif,
objective avant de penser et d'approfondir. Les impressions de plaisir et de
peine sont à la base de toutes les philosophies. La seule contemplation du
Phénomène « Mort », suivi de l'anéantissement, jugé absolu, de ce qui fut
l'enveloppe de l'être, laquelle enveloppe tangible donnait seule l'idée de la
vie ; la disparition parfois brutale et subite de cette manifestation dénommée
vie ; sa cause apparemment immédiate dans la maladie, l'infirmité, l'usure ;
l'idée d'une fin vraiment finale dans la souffrance, tout cela était bien de
nature à épouvanter. La cessation du mouvement, dans l'ignorance du mécanisme
et de la cause de ce mouvement qui incarnait la vie, la rupture définitive de
tout rapport intellectuel ou affectif entre ce cadavre et l'ambiance, tout cela
devait suggérer fortement l'idée d'une substance immatérielle étrangère à la
guenille qu'elle habitait.
Et qui sait si, parmi les
phénomènes générateurs du mysticisme, du dualisme substantiel, le phénomène
Mort n'a pas été le plus influent ?... Il est certain que la Religion a
beaucoup exploité ce phénomène pour établir l'autorité, l'empire de ses
prêtres. On connait bien encore l'influence émouvante, irrésistible, d'un De
Profundis et d'un Dies Irœ sur l'imagination humaine, même des mécréants. Ne
faiton point tout ce qu'on veut d'un être meurtri par la terreur ?
Dès l'origine, il fut
naturellement impossible de nier l'immatériel. Qui pouvait animer ce cadavre,
hier encore agissant et donnant, suivant le mot courant, l'expression de la vie
? Toutes les théories spiritualistes, animistes, etc., reposent sur de telles
bases, dont l'importance fait illusion.
Le positif en cette matière
est la conquête du savoir humain. Mais quel bloc de préjugés doit-il soulever
avant de pénétrer dans les esprits et de métamorphoser l'Idée ! Allez donc
dégager la pensée d'un Breton de la superstition relative à l'Âme, à la mort, à
l'éternité d'un Au-delà, différent de l'En-deça ! Cette révolution commence à
peine et l'on peut à peine entrevoir les conséquences de ce bouleversement si
nécessaire.
Le dualisme de la substance
devait conduire à cette définition inscrite encore comme un truisme dans les
livres sacrés : la mort est la séparation de l'Âme et du Corps, de même que la
vie est un souffle divin qui anime la matière. Le Monisme, à l'encontre,
concevra que le souffle ne soit pas séparable de son support et que la vie, de
définition toute relative n'est autre chose qu'un attribut de la matière, dont
l'irritabilité est le témoin et l'activité sa manifestation. L'éternité même de
la matière remplit un des postulats des dualistes pour qui l'Immortalité est un
dogme inattaquable.
Il y a dans la mort deux objets
à exposer, à discuter : d'un côté, le néant de la dépouille dite mortelle,
autrement dit la mort matérielle et, ce qu'on lui oppose : la survie de l'Âme,
ce qui ramène le problème de la mort à un problème de reviviscence possible,
fait important, car monistes et dualistes se posent la même question : que
devient l'objet complètement ou partiellement mort, l'Âme ne mourant point, par
définition ?
DE LA MORT MATÉRIELLE. –
Soyons toujours objectifs et dégageonsnous de l'a priori, car c'est uniquement
par l'observation directe, abstraction faite de toute hypothèse imprudente,
qu'il est permis à l'homme de découvrir quelque embryon de vérité.
Et, tout d'abord,
définissons: qu'est-ce que la mort, objectivement parlant ? C'est un changement
d'état des êtres définis vivants (la mort est la cause de la cessation de la
vie). La mort étant, par définition même, un état négatif, personne ne sera
surpris qu'on la définisse par une négation, fait qui ne manquera point de
déconcerter les imaginatifs pensant voir dans la mort quelque chose de concret,
parfaitement délimité, quand il n'y a encore que relativité. Car pour savoir ce
qu'est la mort, encore faudrait-il savoir ce qu'est la vie. Sur ce chapitre ni
la science ni la métaphysique ne nous ont fourni aucune précision. La vie ne se
définit que par certaines de ses qualités : le mouvement, l'activité physique,
l'irritabilité de la matière, les échanges biochimiques, etc... L'esprit fait
une synthèse de cet agrégat de propriétés et cet amalgame devient pour lui la
vie. Pour d'autres, la vie est qualifiée par les échanges, la transformation,
l'évolution. Elle serait l'apanage exclusif de la matière organique du
protoplasme (voir ce mot), de tout ce qu'il est impossible à l'homme de créer
in vitro ou dans son laboratoire, Seuls les règnes végétal et animal seraient
capables de vie. Point capital. Car alors il faudrait dénier toute vie au
minéral, à raison de son apparente inertie, nul n'ayant eu le pouvoir
d'assister à la fin du végétal sous la forme de la tourbe ou de la houille. Il
faudrait refuser la qualité de vivre au soleil, qui pourtant est le principe de
toute vie : comment donner ce qu'on n'a point ?
Le lecteur comprendra
maintenant combien complexe apparaît le problème de la mort quand celui de la
vie défraie toutes les fantaisies et reste si discuté, si mal résolu dans son
essence. Tout ce que nous savons est que la vie, telle que nos faibles moyens
nous la font concevoir n'est qu'un moment dans l'immense évolution de la
matière cosmique. Qu'est la disparition d'une mouche ou d'un homme dans le
cosmos ? C'est à cette humble interrogation que se réduit l'incommensurable
vanité de celui qui prétend émerger du torrent indomptable des atomes.
Biologiquement, la mort n'a
point de commencement ; nul ne sait davantage quand elle est accomplie. L'image
de la Mort que notre œil contemple figure un paroxysme ; un état de révolte
suprême, bruyant, poignant, mais qui cache ses débuts plus ou moins loin en
arrière et qui s'estompe, le silence une fois fait vers un lointain sans
limite. Ce paroxysme global a été précédé d'extinctions partielles ; il est
l'origine, à son tour, de transformations nouvelles. Il n'est que la
stupéfaction brusque de milliards de cellules infiniment petites associées
coopérativement, grâce à la brutale désharmonie des règles physico-chimiques
hiérarchisées dont l'équilibre avait donné jusque là l'illusion d'une
personnalité sur laquelle une convention sociale avait appliqué une désignation
patronymique. Tout cela se désagrège, mais pour initier un nouveau cycle. C'est
une séparation de corps, un divorce dont les facteurs vont chercher fortune
ailleurs.
En fait, la mort que nous
contemplons avec effroi n'est que la multiplication subintrante de morts
partielles qui s'échelonne la vie durant. Que de fois n'a t-on pas dit que la
vie n'est qu'une longue agonie, que le début de la vie n'est que le
commencement de la mort ! Voyez cet homme parvenu au déclin de sa vie de
météore – telle une nébuleuse qui surgit pendant quelques siècles à notre
horizon, pour disparaître à jamais ; on la croit éteinte : elle vit
intensément. Voyez cet homme au moment où, ballotté depuis toujours par les
orages de la vie, il a collectionné dans son enveloppe toutes les causes
possibles de désorganisation. Voyez son cerveau soumis déjà à des processus
pathologiques localisés en des régions plus ou moins importantes de sa masse.
Ramollies ou traumatisées par l'hémorragie, ces parties sont détruites pour
jamais. Voyez son foie, ses reins, voyez son cœur dont les éléments anatomiques
composants se sont épuisés, envahis par la graisse, par la sclérose : deux
agents bien connus de la mort cellulaire. Et jugez l'ensemble de ce cadavre
ambulant, qualifié vivant encore jusqu'au jour où les millions de petits
cadavres que nous traînons en grimpant notre lent calvaire conquièrent à leur
tour les imposantes unités cellulaires, spécifiquement résistantes, et
préposées par une longue sélection à la régulation de la vie coloniale : centre
de la circulation, centre de la respiration, le fameux nœud vital de Flourens.
Alors éclate la bourrasque, l'orage qui frappe nos sens après avoir grondé
depuis toujours dans l'obscurité de notre enveloppe. Et, à ce moment, il y a
souvent beau jour que les éléments cellulaires dits supérieurs de notre cerveau
ont cessé de fonctionner. Ce grand cadavre qu'une pompe ridicule va conduire à
sa dernière demeure était mort depuis longtemps.
Notre naissance est une
illusion ; notre mort en est une autre.
Ce que nous savons encore
c'est que la mort dite totale sera le signal de vies nouvelles. La désagrégation
physico-chimique du corps commence instantanément. Elle se manifeste par
l'entrée en lice de myriades d'infiniment petits parasites, autant de
nourrissons affamés, tenus en respect jusque-là, et dont l'activité dévorante
va se traduire extérieurement par les signes de la putréfaction. La faune des
tombeaux, qui achève l'heureuse disparition de l'ancien être défini vivant,
fait une œuvre d'assainissement lente. Car notre substance hyper toxique serait
un danger social n'était le parasitisme utile qui nous pousse au tout à l'égout
pour l éternité. Tels, autrefois, les chiens de Constantinople accomplissaient
un travail de voirie en dévorant les immondices. Mettez une grenouille morte au
voisinage d'une fourmilière. En quelques heures elle est réduite à ses parties
calcaires et inorganiques non nuisibles, dont la dissolution plus lente sera
l'œuvre du temps.
Néant tout cela ? OUI, mais
en apparence, car rien ne se crée, rien ne se perd. Et ce zéro est l'aurore de
vies nouvelles, dont personne ne saurait prévoir l'organisation. Et, quoi que
nous fassions pour justifier notre orgueil, nous ne valons ni mieux ni pire que
cette grenouille au regard de la mort.
LA MORT DE L'ÂME. – Les
dualistes, aveuglés par le préjugé et convaincus par de frêles apparences, n'ont
été que des observateurs superficiels, quand ils ont négligé d'approfondir les
phénomènes tangibles que j'ai rappelés. Pas plus qu'ils n'ont défini la vie,
ils n'ont défini l'âme et, pour faire de l'immatériel quelque chose de mystique
revêtu du simple mot « Âme » qui ne dit rien, ils ont réalisé de prodigieux
efforts qui reculent simplement la solution du problème. Le royaume des mots
donne bien l'idée du désert. La définition qu'ils ont donnée de la mort en
disant qu'elle est la séparation de l'Âme et du Corps ne répond à rien de
positif. Car le moment présumé de la mort totale n'est que le spasme, la
convulsion suprême de toute une colonie solidariste vivante, porteuse déjà
d'innombrables nécropoles. Le dernier soupir, si poétique, le dernier battement
du cœur, signal conventionnel de la mort du point de vue de l'état-civil, n'a
pris d'importance malgré son irréalité de fait, qu'à raison de toutes les
légendes dont l'humanité s'est complu à aggraver la vie.
L'être humain répugne à
croire qu'il disparait à tout jamais, comme un ver de terre dont il ne songe
pas à concevoir la résurrection. Il ne saurait admettre, tant il se croit le
nombril de l'Univers, que la désintégration de sa substance atteint du même coup
ce que son ignorance gonflée de vanité lui a représenté comme son être
conscient.
Il faut reconnaître que la
vie sociale elle-même s'est gravement compliquée de tout ce qu'on a qualifié de
moral, vie sentimentale, affective, esthétique etc., qui, pour la grosse
majorité de citoyens alourdis par la tradition, ne saurait être de même essence
que la vie organique. Il faut avouer que l'organisation sociale de la vie en
commun a inventé une foule de contingences que l'on s'est cru obligé de prendre
en considération pour donner des assises au groupe humain ; que,
conventionnellement, on a créé une morale, une science du Devoir et surtout une
Responsabilité ; que tous ces artifices forment un bloc rigoureusement
charpenté, sous forme d'un contrat très vieux que, seuls, les fous ou les
aveugles qualifient d'imposture. Il faut avouer enfin que le prêtre a proclamé
des devoirs conventionnels, non plus seulement vis-à-vis des autres hommes,
mais vis-à-vis d'une fiction dénommée Dieu ou Être suprême, à qui nous devons
tout, le mal comme le bien, mais à qui il faut rendre hommage quand même.
Il faut reconnaître qu'une
telle évolution séculaire a créé une notion, disons mieux : une phobie sur
laquelle les ignorants, les timorés ont apposé l'étiquette d'Au-delà ; que la
croyance à une vie future est venue imprimer au phénomène « Mort » un caractère
spécial dont il n'est pas donné à tout le monde de s'abstraire et qui,
finalement, fait de la mort apparente un drame humain familial et social, au
lieu de la laisser confinée parmi les phénomènes naturels, normaux, comme le
début d'une trêve qui représente, pour le plus grand nombre, plutôt une
délivrance qu'une souffrance. Les mortels fort nombreux pour qui la vie n'aura
pas été un bienfait ne sauraient envisager la mort comme une transition.
Et c'est cependant ce qui
subsistera longtemps encore dans la pensée de ceux à qui la conception étroite
de l'idée de justice, a pu faire croire à la réparation, ne serait-ce que par
besoin d'équilibre et d'harmonie.
Ce n'est pas ici le lieu de
décrire, ni de discuter les vues diverses de l'« Audelà », suivant les
religions, depuis le ciel et l'enfer chrétiens jusqu'à la métempsychose et à
l'épuration progressive des âmes migratrices à travers de nouveaux corps,
jusqu'au repos suprême, et éternel au sein du Bouddha. De toute cette poésie,
fille de la Peur, rien ne résiste à la critique.
Mais n'ignorons point
l'objection des spiritualistes à cette conception navrante de la mort sans
phrase tout aussi bien de l'immatériel que du solide : les monistes
détruiraient tout idéal, toute idée de compensation, partant de justice ; ils
ravalent l'homme au niveau du chien. Et l'idée d'Un enterrement sans prêtre
plonge la foule dans l'épouvante.
L'objection n'est point sans
valeur aux yeux de ceux qui, avancés dans la carrière de la philosophie
positive et réelle, capables de contempler sereinement sans crainte ni
illusion, les pires événements, conservent une tendresse, une pitié pour les
attardés à qui il faut une consolation. Mais à cette objection, l'on peut
dénier hardiment une réelle portée, car la conception matérialiste de la mort
est loin d'être sans poésie, sans idéal, sans pureté. L'idée du repos, de
l'oubli n'a-t-elle pas déjà valeur d un soulagement, celle du narcotique après
la douleur ? J'engage les camarades à l'âme heureusement portée vers l'idéal à
méditer longuement devant le plus émouvant édifice que je connaisse, le
monument aux morts, de Bartholdi, au Père Lachaise. Je sais des gens qui ont
bien souffert et qui en reviennent retrempés quand ils ont vu le calme, la
sublime simplicité avec laquelle ces groupes de malheureux humains voient s
ouvrir devant eux la porte de l'éternel Nirvana, à deux pas de ce crématoire où
leur dépouille évaporée prendra son vol vers l'infini.
Les spectacles de la nature,
vue dans son ensemble, et de très haut, grâce au privilège de notre
imagination, restent grandioses et magnifiques quand même l'homme se voudrait
réduire au niveau de l'atome. Quoi de plus beau, de plus génial, de plus
esthétique, que ce tableau de l'évolution cosmique à laquelle l'homme le plus
humble peut être fier de participer. Pour les orgueilleux, la pensée peut être
satisfaite de savoir qu'ils sont une partie infime du Grand Tout et que le
retour au sein du cosmos, après son éphémère vie, a pour l'imagination quelque
chose de prodigieusement captivant. Les créations les plus luxuriantes sont
sorties de ce rêve splendide. La pensée d'être un atome constructif du grand
édifice mondial ; la pensée que, demain, tout ou partie de ma substance peut
constituer les éléments de la rose ou du jasmin m'ouvre des perspectives dont
je jouis à volonté présentement, grâce aux ressources de la folle du logis,
plus près cependant de la réalité que les billevesées des croyants. Ces vues
dépasseront à coup sûr en intérêt la vision où j'aperçois mon âme en
contemplation perpétuelle de Dieu, ou rôtissant in œternum dans le grill-room
de Satan.
La morale conventionnelle
a-t-elle perdu ses droits en l'occurrence ? Le matérialiste prétendra le
contraire et sa morale est juchée en des régions singulièrement plus élevées
que celles où l'on voit l'idée du Devoir simplement adéquate à l'idée de
sanction pénale ou de récompense. Le devoir basé sur l'intimidation ou
l'intérêt manque de grandeur. Avoir peur est démoralisant. Accomplir son devoir
fièrement, pour l'amour du devoir, conduit l'homme en un lieu éthéré, dont les
morales de convention lui interdisent l'accès.
Or l'homme n'est qu'un
chaînon dans la chaîne des êtres. Il est un moment dans l'évolution. Comme tel
il est l'héritier de millions d'ascendants dont il subit fatalement
l'influence. Il en souffre à certains points de vue, parce que l'évolution mal
conduite, fille de l'erreur, de la vanité ou de l'égoïsme a fait de lui un
pauvre esclave. L'humanité est fille de ses œuvres. Mais il en tire avantage à
d'autres points de vue et c'est encore de son histoire qu'il tire tout ce qui
dans sa vie présente peut être qualifié : joie, bonheur, satisfaction physique
ou morale.
D'où dérive pour lui cette
formidable notion de la solidarité raciale, qui cheville en lui cette autre
notion que nous devons à autrui la part de mal et de bien que nous avons en
partage, que, par suite, la fraction de mal et de bien qui est notre œuvre
propre prépare pour nos descendants la vie future. L'humanité de demain sera notre
œuvre. Or, qui est-elle cette humanité si ce n'est l'être qui sort de
nousmêmes, ainsi que ses descendants. Qui est-elle si ce n'est nous-mêmes sous
d'autres apparences ?
Le mal que je m'inflige
volontairement ou par insouciance, ou par méconnaissance de mes obligations de
solidarité, c'est le mal de mes fils. Comme le mal que j'ai subi, c'est le mal
de mes ancêtres. Mais aussi le bien que je triture de mes mains, par mon effort
combiné et raisonné, c'est le bien que je rêve pour mes successeurs et dont je
jouis par avance, dans une anticipation d'un au-delà qui est mon œuvre. C'est
ma part de paradis réalisée sur terre.
Quel admirable aiguillon
pour le bien est une semblable conception, qui montre l'atome humain véhicule
éternel des propriétés qui feront la vie et la mort de la race, de ses
jouissances comme de ses misères. Et quelle supériorité caractérise
l'intelligence de l'homme qui, dès la jeunesse, prend conscience d'un pareil
devoir !
À la peur, aiguillon des
morales artificielles se substitue l'amour, fécondant un altruisme issu,
d'ailleurs, d'un égoïsme rationnel et bien compris. Ne fais pas à autrui ce que
tu ne voudrais pas recevoir toi-même, est un prétexte, religieux dans son
origine, mais d'essence très humaine dans sa réalité. Et ce précepte n'est-il
pas adéquat à l'idée de justice réparatrice ?
Mais pour concevoir la mort,
comme je l'ai dépeinte, pour la confondre avec la vie et par suite pour la
nier, Il ne faut pas être hypnotisé par le médiocre microbe que nous sommes, il
faut envisager l'humanité elle-même, dans l'histoire successive des longues
périodes qu'elle traverse, venant on ne sait d'où allant on ne sait où, mais pourtant
digne dans la lutte pour l'existence, d'accéder à une somme de bienêtre
d'autant plus précieux que tous les vivants en auront été les artisans.
La mort n'est qu'une
apparence. Car la mort est encore la vie. C'est une roue qui tourne
indéfiniment. Et cette infinité est le symbole de l'éternité.
– Docteur LEGRAIN.
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