dimanche 20 novembre 2022

MORT encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

 


S'il fallait écrire ici une monographie proportionnée à l'importance attachée par l'humanité à la mort, l'encyclopédie tout entière n'y suffirait pas. Le rôle joué par l'idée de la mort dans la vie des peuples, comme dans la vie privée est formidable (voir le mot : vie). Pour tous, la mort, en effet, n'est pas seulement l'envers de la vie. Elle suggère, par voie d'association tout un monde d'idées et de sentiments. Philosophie, religions, morales, ethnologie, folklorisme, physiologie, médecine, poésie, art, mœurs, toutes ces disciplines, et combien d'autres encore, ont tenu à s'occuper du problème. Peu d'hommes y sont indifférents et si quelques-uns ont pu l'envisager comme un problème bio-pathologique aussi peu émouvant que la vie elle-même, l'accepter avec une sérénité impassible et souriante il est une infinité d'êtres humains pour qui la mort reste un sujet de terreur et d'angoisse qui ne le cède à aucun autre problème.

L'intensité de cette angoisse est en raison inverse du développement culturel de l'individu et de son émotivité, celle-ci considérée, dans l'espèce, déjà comme morbide, car l'on voit des intellectuels pour qui la mort est, quoi qu'ils fassent, un objet de phobie douloureuse.

Le fait historique est que ce phénomène banal de bio-pathologie a débordé sur la vie morale et sociale beaucoup plus que d'autres problèmes tels que celui de respirer, de manger ou d'aimer. C'est que, de très bonne heure, la mort a soulevé un problème d'ordre moral, uniquement comme conséquence de la croyance à l'existence d'une Âme, substance différente du Corps.

L'homme simple que fut le primitif, objective avant de penser et d'approfondir. Les impressions de plaisir et de peine sont à la base de toutes les philosophies. La seule contemplation du Phénomène « Mort », suivi de l'anéantissement, jugé absolu, de ce qui fut l'enveloppe de l'être, laquelle enveloppe tangible donnait seule l'idée de la vie ; la disparition parfois brutale et subite de cette manifestation dénommée vie ; sa cause apparemment immédiate dans la maladie, l'infirmité, l'usure ; l'idée d'une fin vraiment finale dans la souffrance, tout cela était bien de nature à épouvanter. La cessation du mouvement, dans l'ignorance du mécanisme et de la cause de ce mouvement qui incarnait la vie, la rupture définitive de tout rapport intellectuel ou affectif entre ce cadavre et l'ambiance, tout cela devait suggérer fortement l'idée d'une substance immatérielle étrangère à la guenille qu'elle habitait.

Et qui sait si, parmi les phénomènes générateurs du mysticisme, du dualisme substantiel, le phénomène Mort n'a pas été le plus influent ?... Il est certain que la Religion a beaucoup exploité ce phénomène pour établir l'autorité, l'empire de ses prêtres. On connait bien encore l'influence émouvante, irrésistible, d'un De Profundis et d'un Dies Irœ sur l'imagination humaine, même des mécréants. Ne faiton point tout ce qu'on veut d'un être meurtri par la terreur ?

Dès l'origine, il fut naturellement impossible de nier l'immatériel. Qui pouvait animer ce cadavre, hier encore agissant et donnant, suivant le mot courant, l'expression de la vie ? Toutes les théories spiritualistes, animistes, etc., reposent sur de telles bases, dont l'importance fait illusion.

Le positif en cette matière est la conquête du savoir humain. Mais quel bloc de préjugés doit-il soulever avant de pénétrer dans les esprits et de métamorphoser l'Idée ! Allez donc dégager la pensée d'un Breton de la superstition relative à l'Âme, à la mort, à l'éternité d'un Au-delà, différent de l'En-deça ! Cette révolution commence à peine et l'on peut à peine entrevoir les conséquences de ce bouleversement si nécessaire.

Le dualisme de la substance devait conduire à cette définition inscrite encore comme un truisme dans les livres sacrés : la mort est la séparation de l'Âme et du Corps, de même que la vie est un souffle divin qui anime la matière. Le Monisme, à l'encontre, concevra que le souffle ne soit pas séparable de son support et que la vie, de définition toute relative n'est autre chose qu'un attribut de la matière, dont l'irritabilité est le témoin et l'activité sa manifestation. L'éternité même de la matière remplit un des postulats des dualistes pour qui l'Immortalité est un dogme inattaquable.

Il y a dans la mort deux objets à exposer, à discuter : d'un côté, le néant de la dépouille dite mortelle, autrement dit la mort matérielle et, ce qu'on lui oppose : la survie de l'Âme, ce qui ramène le problème de la mort à un problème de reviviscence possible, fait important, car monistes et dualistes se posent la même question : que devient l'objet complètement ou partiellement mort, l'Âme ne mourant point, par définition ?

DE LA MORT MATÉRIELLE. – Soyons toujours objectifs et dégageonsnous de l'a priori, car c'est uniquement par l'observation directe, abstraction faite de toute hypothèse imprudente, qu'il est permis à l'homme de découvrir quelque embryon de vérité.

Et, tout d'abord, définissons: qu'est-ce que la mort, objectivement parlant ? C'est un changement d'état des êtres définis vivants (la mort est la cause de la cessation de la vie). La mort étant, par définition même, un état négatif, personne ne sera surpris qu'on la définisse par une négation, fait qui ne manquera point de déconcerter les imaginatifs pensant voir dans la mort quelque chose de concret, parfaitement délimité, quand il n'y a encore que relativité. Car pour savoir ce qu'est la mort, encore faudrait-il savoir ce qu'est la vie. Sur ce chapitre ni la science ni la métaphysique ne nous ont fourni aucune précision. La vie ne se définit que par certaines de ses qualités : le mouvement, l'activité physique, l'irritabilité de la matière, les échanges biochimiques, etc... L'esprit fait une synthèse de cet agrégat de propriétés et cet amalgame devient pour lui la vie. Pour d'autres, la vie est qualifiée par les échanges, la transformation, l'évolution. Elle serait l'apanage exclusif de la matière organique du protoplasme (voir ce mot), de tout ce qu'il est impossible à l'homme de créer in vitro ou dans son laboratoire, Seuls les règnes végétal et animal seraient capables de vie. Point capital. Car alors il faudrait dénier toute vie au minéral, à raison de son apparente inertie, nul n'ayant eu le pouvoir d'assister à la fin du végétal sous la forme de la tourbe ou de la houille. Il faudrait refuser la qualité de vivre au soleil, qui pourtant est le principe de toute vie : comment donner ce qu'on n'a point ?

Le lecteur comprendra maintenant combien complexe apparaît le problème de la mort quand celui de la vie défraie toutes les fantaisies et reste si discuté, si mal résolu dans son essence. Tout ce que nous savons est que la vie, telle que nos faibles moyens nous la font concevoir n'est qu'un moment dans l'immense évolution de la matière cosmique. Qu'est la disparition d'une mouche ou d'un homme dans le cosmos ? C'est à cette humble interrogation que se réduit l'incommensurable vanité de celui qui prétend émerger du torrent indomptable des atomes.

Biologiquement, la mort n'a point de commencement ; nul ne sait davantage quand elle est accomplie. L'image de la Mort que notre œil contemple figure un paroxysme ; un état de révolte suprême, bruyant, poignant, mais qui cache ses débuts plus ou moins loin en arrière et qui s'estompe, le silence une fois fait vers un lointain sans limite. Ce paroxysme global a été précédé d'extinctions partielles ; il est l'origine, à son tour, de transformations nouvelles. Il n'est que la stupéfaction brusque de milliards de cellules infiniment petites associées coopérativement, grâce à la brutale désharmonie des règles physico-chimiques hiérarchisées dont l'équilibre avait donné jusque là l'illusion d'une personnalité sur laquelle une convention sociale avait appliqué une désignation patronymique. Tout cela se désagrège, mais pour initier un nouveau cycle. C'est une séparation de corps, un divorce dont les facteurs vont chercher fortune ailleurs.

En fait, la mort que nous contemplons avec effroi n'est que la multiplication subintrante de morts partielles qui s'échelonne la vie durant. Que de fois n'a t-on pas dit que la vie n'est qu'une longue agonie, que le début de la vie n'est que le commencement de la mort ! Voyez cet homme parvenu au déclin de sa vie de météore – telle une nébuleuse qui surgit pendant quelques siècles à notre horizon, pour disparaître à jamais ; on la croit éteinte : elle vit intensément. Voyez cet homme au moment où, ballotté depuis toujours par les orages de la vie, il a collectionné dans son enveloppe toutes les causes possibles de désorganisation. Voyez son cerveau soumis déjà à des processus pathologiques localisés en des régions plus ou moins importantes de sa masse. Ramollies ou traumatisées par l'hémorragie, ces parties sont détruites pour jamais. Voyez son foie, ses reins, voyez son cœur dont les éléments anatomiques composants se sont épuisés, envahis par la graisse, par la sclérose : deux agents bien connus de la mort cellulaire. Et jugez l'ensemble de ce cadavre ambulant, qualifié vivant encore jusqu'au jour où les millions de petits cadavres que nous traînons en grimpant notre lent calvaire conquièrent à leur tour les imposantes unités cellulaires, spécifiquement résistantes, et préposées par une longue sélection à la régulation de la vie coloniale : centre de la circulation, centre de la respiration, le fameux nœud vital de Flourens. Alors éclate la bourrasque, l'orage qui frappe nos sens après avoir grondé depuis toujours dans l'obscurité de notre enveloppe. Et, à ce moment, il y a souvent beau jour que les éléments cellulaires dits supérieurs de notre cerveau ont cessé de fonctionner. Ce grand cadavre qu'une pompe ridicule va conduire à sa dernière demeure était mort depuis longtemps.

Notre naissance est une illusion ; notre mort en est une autre.

Ce que nous savons encore c'est que la mort dite totale sera le signal de vies nouvelles. La désagrégation physico-chimique du corps commence instantanément. Elle se manifeste par l'entrée en lice de myriades d'infiniment petits parasites, autant de nourrissons affamés, tenus en respect jusque-là, et dont l'activité dévorante va se traduire extérieurement par les signes de la putréfaction. La faune des tombeaux, qui achève l'heureuse disparition de l'ancien être défini vivant, fait une œuvre d'assainissement lente. Car notre substance hyper toxique serait un danger social n'était le parasitisme utile qui nous pousse au tout à l'égout pour l éternité. Tels, autrefois, les chiens de Constantinople accomplissaient un travail de voirie en dévorant les immondices. Mettez une grenouille morte au voisinage d'une fourmilière. En quelques heures elle est réduite à ses parties calcaires et inorganiques non nuisibles, dont la dissolution plus lente sera l'œuvre du temps.

Néant tout cela ? OUI, mais en apparence, car rien ne se crée, rien ne se perd. Et ce zéro est l'aurore de vies nouvelles, dont personne ne saurait prévoir l'organisation. Et, quoi que nous fassions pour justifier notre orgueil, nous ne valons ni mieux ni pire que cette grenouille au regard de la mort.

LA MORT DE L'ÂME. – Les dualistes, aveuglés par le préjugé et convaincus par de frêles apparences, n'ont été que des observateurs superficiels, quand ils ont négligé d'approfondir les phénomènes tangibles que j'ai rappelés. Pas plus qu'ils n'ont défini la vie, ils n'ont défini l'âme et, pour faire de l'immatériel quelque chose de mystique revêtu du simple mot « Âme » qui ne dit rien, ils ont réalisé de prodigieux efforts qui reculent simplement la solution du problème. Le royaume des mots donne bien l'idée du désert. La définition qu'ils ont donnée de la mort en disant qu'elle est la séparation de l'Âme et du Corps ne répond à rien de positif. Car le moment présumé de la mort totale n'est que le spasme, la convulsion suprême de toute une colonie solidariste vivante, porteuse déjà d'innombrables nécropoles. Le dernier soupir, si poétique, le dernier battement du cœur, signal conventionnel de la mort du point de vue de l'état-civil, n'a pris d'importance malgré son irréalité de fait, qu'à raison de toutes les légendes dont l'humanité s'est complu à aggraver la vie.

L'être humain répugne à croire qu'il disparait à tout jamais, comme un ver de terre dont il ne songe pas à concevoir la résurrection. Il ne saurait admettre, tant il se croit le nombril de l'Univers, que la désintégration de sa substance atteint du même coup ce que son ignorance gonflée de vanité lui a représenté comme son être conscient.

Il faut reconnaître que la vie sociale elle-même s'est gravement compliquée de tout ce qu'on a qualifié de moral, vie sentimentale, affective, esthétique etc., qui, pour la grosse majorité de citoyens alourdis par la tradition, ne saurait être de même essence que la vie organique. Il faut avouer que l'organisation sociale de la vie en commun a inventé une foule de contingences que l'on s'est cru obligé de prendre en considération pour donner des assises au groupe humain ; que, conventionnellement, on a créé une morale, une science du Devoir et surtout une Responsabilité ; que tous ces artifices forment un bloc rigoureusement charpenté, sous forme d'un contrat très vieux que, seuls, les fous ou les aveugles qualifient d'imposture. Il faut avouer enfin que le prêtre a proclamé des devoirs conventionnels, non plus seulement vis-à-vis des autres hommes, mais vis-à-vis d'une fiction dénommée Dieu ou Être suprême, à qui nous devons tout, le mal comme le bien, mais à qui il faut rendre hommage quand même.

Il faut reconnaître qu'une telle évolution séculaire a créé une notion, disons mieux : une phobie sur laquelle les ignorants, les timorés ont apposé l'étiquette d'Au-delà ; que la croyance à une vie future est venue imprimer au phénomène « Mort » un caractère spécial dont il n'est pas donné à tout le monde de s'abstraire et qui, finalement, fait de la mort apparente un drame humain familial et social, au lieu de la laisser confinée parmi les phénomènes naturels, normaux, comme le début d'une trêve qui représente, pour le plus grand nombre, plutôt une délivrance qu'une souffrance. Les mortels fort nombreux pour qui la vie n'aura pas été un bienfait ne sauraient envisager la mort comme une transition.

Et c'est cependant ce qui subsistera longtemps encore dans la pensée de ceux à qui la conception étroite de l'idée de justice, a pu faire croire à la réparation, ne serait-ce que par besoin d'équilibre et d'harmonie.

Ce n'est pas ici le lieu de décrire, ni de discuter les vues diverses de l'« Audelà », suivant les religions, depuis le ciel et l'enfer chrétiens jusqu'à la métempsychose et à l'épuration progressive des âmes migratrices à travers de nouveaux corps, jusqu'au repos suprême, et éternel au sein du Bouddha. De toute cette poésie, fille de la Peur, rien ne résiste à la critique.

Mais n'ignorons point l'objection des spiritualistes à cette conception navrante de la mort sans phrase tout aussi bien de l'immatériel que du solide : les monistes détruiraient tout idéal, toute idée de compensation, partant de justice ; ils ravalent l'homme au niveau du chien. Et l'idée d'Un enterrement sans prêtre plonge la foule dans l'épouvante.

L'objection n'est point sans valeur aux yeux de ceux qui, avancés dans la carrière de la philosophie positive et réelle, capables de contempler sereinement sans crainte ni illusion, les pires événements, conservent une tendresse, une pitié pour les attardés à qui il faut une consolation. Mais à cette objection, l'on peut dénier hardiment une réelle portée, car la conception matérialiste de la mort est loin d'être sans poésie, sans idéal, sans pureté. L'idée du repos, de l'oubli n'a-t-elle pas déjà valeur d un soulagement, celle du narcotique après la douleur ? J'engage les camarades à l'âme heureusement portée vers l'idéal à méditer longuement devant le plus émouvant édifice que je connaisse, le monument aux morts, de Bartholdi, au Père Lachaise. Je sais des gens qui ont bien souffert et qui en reviennent retrempés quand ils ont vu le calme, la sublime simplicité avec laquelle ces groupes de malheureux humains voient s ouvrir devant eux la porte de l'éternel Nirvana, à deux pas de ce crématoire où leur dépouille évaporée prendra son vol vers l'infini.

Les spectacles de la nature, vue dans son ensemble, et de très haut, grâce au privilège de notre imagination, restent grandioses et magnifiques quand même l'homme se voudrait réduire au niveau de l'atome. Quoi de plus beau, de plus génial, de plus esthétique, que ce tableau de l'évolution cosmique à laquelle l'homme le plus humble peut être fier de participer. Pour les orgueilleux, la pensée peut être satisfaite de savoir qu'ils sont une partie infime du Grand Tout et que le retour au sein du cosmos, après son éphémère vie, a pour l'imagination quelque chose de prodigieusement captivant. Les créations les plus luxuriantes sont sorties de ce rêve splendide. La pensée d'être un atome constructif du grand édifice mondial ; la pensée que, demain, tout ou partie de ma substance peut constituer les éléments de la rose ou du jasmin m'ouvre des perspectives dont je jouis à volonté présentement, grâce aux ressources de la folle du logis, plus près cependant de la réalité que les billevesées des croyants. Ces vues dépasseront à coup sûr en intérêt la vision où j'aperçois mon âme en contemplation perpétuelle de Dieu, ou rôtissant in œternum dans le grill-room de Satan.

La morale conventionnelle a-t-elle perdu ses droits en l'occurrence ? Le matérialiste prétendra le contraire et sa morale est juchée en des régions singulièrement plus élevées que celles où l'on voit l'idée du Devoir simplement adéquate à l'idée de sanction pénale ou de récompense. Le devoir basé sur l'intimidation ou l'intérêt manque de grandeur. Avoir peur est démoralisant. Accomplir son devoir fièrement, pour l'amour du devoir, conduit l'homme en un lieu éthéré, dont les morales de convention lui interdisent l'accès.

Or l'homme n'est qu'un chaînon dans la chaîne des êtres. Il est un moment dans l'évolution. Comme tel il est l'héritier de millions d'ascendants dont il subit fatalement l'influence. Il en souffre à certains points de vue, parce que l'évolution mal conduite, fille de l'erreur, de la vanité ou de l'égoïsme a fait de lui un pauvre esclave. L'humanité est fille de ses œuvres. Mais il en tire avantage à d'autres points de vue et c'est encore de son histoire qu'il tire tout ce qui dans sa vie présente peut être qualifié : joie, bonheur, satisfaction physique ou morale.

D'où dérive pour lui cette formidable notion de la solidarité raciale, qui cheville en lui cette autre notion que nous devons à autrui la part de mal et de bien que nous avons en partage, que, par suite, la fraction de mal et de bien qui est notre œuvre propre prépare pour nos descendants la vie future. L'humanité de demain sera notre œuvre. Or, qui est-elle cette humanité si ce n'est l'être qui sort de nousmêmes, ainsi que ses descendants. Qui est-elle si ce n'est nous-mêmes sous d'autres apparences ?

Le mal que je m'inflige volontairement ou par insouciance, ou par méconnaissance de mes obligations de solidarité, c'est le mal de mes fils. Comme le mal que j'ai subi, c'est le mal de mes ancêtres. Mais aussi le bien que je triture de mes mains, par mon effort combiné et raisonné, c'est le bien que je rêve pour mes successeurs et dont je jouis par avance, dans une anticipation d'un au-delà qui est mon œuvre. C'est ma part de paradis réalisée sur terre.

Quel admirable aiguillon pour le bien est une semblable conception, qui montre l'atome humain véhicule éternel des propriétés qui feront la vie et la mort de la race, de ses jouissances comme de ses misères. Et quelle supériorité caractérise l'intelligence de l'homme qui, dès la jeunesse, prend conscience d'un pareil devoir !

À la peur, aiguillon des morales artificielles se substitue l'amour, fécondant un altruisme issu, d'ailleurs, d'un égoïsme rationnel et bien compris. Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas recevoir toi-même, est un prétexte, religieux dans son origine, mais d'essence très humaine dans sa réalité. Et ce précepte n'est-il pas adéquat à l'idée de justice réparatrice ?

Mais pour concevoir la mort, comme je l'ai dépeinte, pour la confondre avec la vie et par suite pour la nier, Il ne faut pas être hypnotisé par le médiocre microbe que nous sommes, il faut envisager l'humanité elle-même, dans l'histoire successive des longues périodes qu'elle traverse, venant on ne sait d'où allant on ne sait où, mais pourtant digne dans la lutte pour l'existence, d'accéder à une somme de bienêtre d'autant plus précieux que tous les vivants en auront été les artisans.

La mort n'est qu'une apparence. Car la mort est encore la vie. C'est une roue qui tourne indéfiniment. Et cette infinité est le symbole de l'éternité.

– Docteur LEGRAIN.

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