Fait contraire aux lois naturelles. Les lois naturelles sont conditionnées par la nature même des choses ; elles sont le résultat du rapport des choses entre elles et on ne peut concevoir d'événements qui leur soient opposes ou en dehors de leur logique.
Les lois naturelles qui
portent avec elles leur agent d exécution, ou plutôt sont agent d'exécution, ne
peuvent pas, comme les lois humaines, être violées. Rien n'échappe à leur
rigueur. Si vous les négligez un moment, ou si vous tentez de les transgresser,
la sanction ne se fait pas attendre. Oubliez que vous êtes pesant et laissez-vous
choir d'une certaine hauteur ; oubliez que le feu brûle et mettez-y votre main,
vous serez vite rappelé à la réalité. Les lois naturelles ne souffrent aucune dérogation.
Or, c'est cette dérogation qui constitue le miracle.
Par exemple, l'eau
doit, normalement, se transformer en vapeur à une température de 100°. Si,
parvenue au point d'ébullition, elle se changeait en glace, je pourrais dire :
Il y a miracle. Mais cela est tellement invraisemblable que n'importe qui, en
voyant se produire un tel phénomène, soupçonnerait, il aurait même la certitude
qu'il cache quelque supercherie, ou que le témoin est victime d'une illusion.
D'ailleurs, pour constater qu'il y a miracle et tenir pour tel le fait signalé,
il faudrait connaître, dans sa totalité, le jeu des lois naturelles, ce dont
personne ne peut se vanter, et, ensuite, avoir pénétré dans leurs moindres
détails, toutes les circonstances qui ont déterminé le miracle. Qu'il demeure
la plus petite cause obscure et le miracle est contestable.
Croire à un miracle
parce que vous en avez eu le spectacle, spontané ou provoqué ? Mais, alors,
pourquoi ne pas authentiquer le merveilleux que fera défiler sous vos yeux le
premier prestidigitateur venu ? Pourquoi ne pas accorder sans réserve votre foi
aux tours d'adresse et de subtilité, que la surprise et la rapidité d'exécution
ne vous permettront pas de comprendre, et qui paraîtront apporter des résultats
incroyables ? Et cependant, vous demeurerez sceptiques devant les tours de passe-passe
prodigués pour votre amusement, alors que vous croiriez au miracle proclamé,
enseigné par le religieux ? Pourquoi ? Parce que le prestidigitateur, tout en
provoquant des faits, des enchaînements de faits aussi extraordinaires que le second
ne fera pas intervenir au cours de ses présentations ingénieuses, un être imaginaire
et ne vous inspirera pas de la crainte. Sauf le cas où il est, lui aussi, l'instrument
de quelque théurgie, il ne cherche qu'à vous laisser l'impression qu'il est un
homme extrêmement habile et doué de capacités qui vous manquent, à un tel degré
du moins. Il ne s'entourera pas, pour frapper votre esprit de l'appareil rituélique
des religions...
Mais qu'il introduise
un peu plus de sérieux dans ses tours de physique, qu'il revête ses opérations
d'un cérémonial approprié, qu'il vous dise que c'est l'esprit de Louis XIV ou
de Voltaire qui fait tourner la table ou qui frappe des coups à la porte et
voilà déjà que vous ne prenez plus la chose « à la rigolade », vous ne riez
plus, car vous redoutez de paraître sot ou d'être irrévérencieux, ou de
déplaire à l'esprit qui pourrait vous clouer sur place ou vous emporter avec
lui dans le fond de la terre ou l'immensité de l'espace. Vous sentez que votre
doute a quitté le persiflage et s'oriente vers l'acceptation. Vous ne parlez de
ce que vous avez « vu » qu'avec précaution et respect. Vous ne savez pas encore
si vous devez faire crédit au surnaturel, mais vous n'osez nier...
Les enfants, et aussi
les peuples (qui sont, en grand, l'image de l'enfance dans la société), ont
toujours aimé les réalisations merveilleuses, les événements qui s'accompagnent
de quelque féerie. Ne pouvant arriver assez vite, à leur gré, à commander aux
éléments par leurs découvertes et leur travail, ils aiment doter des êtres
imaginaires d'un pouvoir qu'ils voudraient posséder eux-mêmes, et leur faire accomplir
les choses les plus extraordinaires conçues par leur imagination. Aussi, les
contes, les fables, les récits (voir fable, légende, mythologie,
etc... ) qui narraient ces actions saisissantes, ces faits enchanteurs furent
toujours goûtés des foules, et ils se les transmirent, avec plus
d'embellissement encore que de fidélité, de génération en génération. Le
fantasmagorique, l'irréel ont toujours bercé les peuples, endormi leurs misères
ou flatté leur orgueil. Si puissante est la séduction exercée par le merveilleux
que, même présenté sous forme de conte, on arrive sans peine à l'identifier au
réel. On commence par désirer que les choses se soient passées ainsi ; puis, à
force d'animer ce désir, on se range tout entier sous le charme et on finit par
croire que c'est vrai. Ne voyons-nous pas des enfants, et même des grandes personnes,
après la lecture d'un beau roman qui les a passionnés, arriver à dire : « Cela,
a dû être vécu, ce doit être arrivé, les personnages de ce livre ont bel et
bien existé ». Il en est de même pour le cinéma qui laisse de telles empreintes
sur le cerveau des enfants qu'ils croient non seulement à l'exactitude, à la
véracité (rien, ni personne d'ailleurs, ne fait, en général, pour leurs esprits
neufs, la démarcation) des spectacles les plus fantaisistes qu'on leur fait
admirer, mais en viennent, plus d'une fois, a tenter de les réaliser eux-mêmes.
Cette disposition des
peuples à croire tout ce qui force leur admiration a grandement facilité les
entreprises religieuses. Elles ont su s'implanter à leur faveur et, grâce à
elles, se maintiennent encore ou à peu près. Elles ont dû faire accomplir à
leurs dieux, des actions surnaturelles, des miracles pour donner à la croyance populaire
un aliment. Un Dieu qui ne pourrait faire de miracles ne serait pas un Dieu. Il
ne tarderait pas à être détrôné, « disqualifié ».
Si nous faisons une
incursion dans la religion catholique, qui est davantage à notre portée, pour y
examiner le « miracle » religieux, nous nous heurtons, dès l'abord, a la
coexistence des lois naturelles et d'un Dieu à la fois créateur et omnipotent.
S'il est animateur de
toutes choses, Dieu est également le créateur des rapports des choses entre
elles, c'est-à-dire des lois naturelles. S'il a créé et s'il régit ces lois, il
est maître, en effet, d'y faire des dérogations c'est-a-dire de faire des miracles.
Mais on se demande quel besoin a un Dieu omnipotent, omniscient et omniprésent,
de cette norme régulatrice que sont les lois naturelles. Puis qu'il peut tout,
sait tout, voit tout et est partout, c'est là pour lui combinaison
superfétatoire. Il lui suffit de dire : « Dans chaque circonstance de
l'Univers, il arrivera ce que je voudrai qu'il arrive. Nul autre que moi n'a le
droit de prévoir ni de savoir ce que je me réserve de faire, car je veux
conserver ma toute-puissance ». L'établissement de « lois naturelles » est une
abdication de sa puissance ; si d'autres que lui peuvent traiter la matière et
savoir ce qu'ils en obtiendront dans des circonstances données, il n'est plus
le maître absolu, il n'est plus le Dieu qui s'agite pour nous dans l'imprévisible.
La constatation de l'existence de lois naturelles est ainsi une preuve de
l'inexistence de Dieu. Mais, d'autre part, si les lois naturelles n'existaient
pas, elles ne pourraient subir de dérogations ; il n'y aurait donc pas de place
pour le miracle ou, ce qui revient au même, tout serait miracle. Cela montre
que, pareil à tant d'inventions destinées à abuser les naïfs, le miracle se
désagrège à l'analyse et qu'il n'a point de consistance pour l'homme qui pense.
Aussi la religion le
sait-elle qui ne fait état de ses miracles qu'auprès de ceux que leur
simplicité dispose à les accueillir quand, devançant la stratégie religieuse, ils
ne vont pas eux-mêmes jusqu'à les inventer. Auprès des personnes réfléchies,
les marchands de miracles sont plutôt embarrassés et ils se délesteraient
volontiers des plus grossiers qui illustrent la Bible s'ils pouvaient les jeter
par-dessus bord. De même que le Dieu exalté par l'Église, lorsqu'elle discute
avec des incrédules, n'a pas grand chose de commun avec celui qui donna à Moïse
les tables de la loi divine.
Elle ne soutient pas
les mêmes miracles avec les gens de libre examen qu'avec ceux qu'elle sait
disposée à tout accepter sans contrôle. Mais aussi comme elle sait bien que la
grande majorité des êtres humains ne réfléchit guère au pourquoi ni au comment
des choses et qu'il lui faut du merveilleux, elle continue de lui servir périodiquement
des « miracles » qu'exaltent, auprès de la clientèle religieuse, ou à masque de
religion, les bulletins paroissiaux, les Croix, et autres feuilles sacrées. La
Bible est farcie de « miracles » tellement stupides que l'Église n'en fait plus
guère état aujourd'hui tellement ils sont en contradiction avec les faits.
C'est d'abord celui de la création en sept jours, puis celui du déluge, de la
confusion des langues, et une foule d'autres où Dieu opère en personne. Fatigué
sans doute de ces travaux d'Hercule, il délégua ensuite le pouvoir de faire des
miracles à certains de ses prophètes. C'est alors Jonas, avalé par une baleine
(au gosier distendu pour la circonstance), qui sort vivant le troisième jour ;
c'est Josué arrêtant le soleil (!) pour lui permettre d'achever l'extermination
de ses ennemis ; c'est Samson tuant mille Philistins avec une mâchoire d'âne
(on ne dit pas si c'est la sienne ou celle de l'auteur du récit) et faisant
écrouler un temple en en renversant les piliers ; ce sont les eaux de la Mer
Rouge se soulevant pour laisser passer les Juifs poursuivis par les Égyptiens
et se refermant ensuite sur ces derniers ; ce sont les murs de Jéricho qui, au
siège de cette ville par les Juifs, s'effondrent au bruit des trompettes, etc.,
etc. On croirait lire les contes des Mille et une Nuits avec, en faveur de
ceux-ci, cette différence qu'ils ne nous éblouissent que pour nous charmer,
tandis qu'ailleurs n y poursuit, sans rire, des prétentions grotesques à la
véracité. Puis ce sont les miracles de Dieu le Fils : Jésus-Christ guérit les
incurables, multiplie les pains, ressuscite le mort Lazare et se ressuscite
lui-même trois jours après sa mort ; puis il monte enfin au ciel où il trône
depuis ce temps à côté du Père et du Saint-Esprit, ne faisant qu'un Dieu à eux
trois, entouré des anges et des saints.
De nos jours, la
fabrique aux miracles, essoufflée sans doute par l'effort de tant d'oeuvres
d'art, ne sort plus de produits aussi sensationnels que ceux qu'a consignés la
Bible. Nous sommes trop près pour les voir dans tout leur enjolivement. Nous
n'avons pas le recul favorable au mirage. Les miracles, pour nous, n'ont pas eu
le temps de s'embellir et de s'enfler comme toutes les légendes à mesure
qu'elles s'enfoncent dans le passé, au point de nous méduser par leur importance.
L'Église moderne
refrène habilement l'extravagance compromettante. Elle se contente de miracles
plus modestes. Elle opère le plus souvent dans cette partie où la science est
encore la plus imprécise : la médecine, où les cas, mal connus, apparaissent
encore tellement variables avec les individus qu'on ne peut guère, jusqu'ici,
formuler de règles générales. La plus grande officine de miracles est sans contredit
celle de Lourdes, où les malades guérissent en se baignant dans la piscine aux
microbes.
En psychologue avisé,
c'est toujours aux êtres faibles que s'attaque surtout l'Église pour assurer sa
domination et c'est sur ce terrain qu'elle arrive à circonvenir également les
forts, car tout être est faible à un moment donné de sa vie. C'est sur les
enfants, les femmes, les pauvres, qu'elle se jette pour inculquer ses principes
; aux vieillards, aux moribonds, qu'elle arrache les acquiescements de la
terreur, en un mot c'est sur tous ceux qui ont besoin d'aide et ne peuvent
guère lui résister qu'elle étend son dévolu. Il en cuit souvent à quiconque est
faible et ne veut pas se plier aux exigences de l'Église. D'ailleurs la
débilité mentale accompagne souvent la faiblesse physique et prévient même
toute possibilité de résistance. Obstinez-vous au contraire à repousser les
avances cléricales et ce peut être pour vous la perte du travail, le
congédiement du maigre logis si vous êtes pauvre, et l'abandon, même par votre
famille, si vous êtes malade et ne voulez pas vous prêter à la comédie de Lourdes
ou autres pèlerinages et épreuves semblables. Car il n'y a pas que les croyants
qui vont à l'Église et ont recours aux offices de la religion dans certaines circonstances
de leur vie Les vrais croyants sont d'ailleurs très rares, presque aussi rares
que les vrais athées dans un monde soumis à des milliers d'années de pression religieuse.
Mais entre ces deux extrêmes il existe une multitude d'individus amorphes, sans
opinion arrêtée ou indifférents, ou attentifs seulement aux avantages, ou sous
l'empire de craintes vagues et persistantes. Ceux-là suivent la mode ou
cherchent à se ménager les influences favorables : ils se rangent toujours du
côté où les pousse leur intérêt ou leur lâcheté. Ils marchent dans la vie selon
l'habitude ou la peur mais jamais par conviction. Ils restent fidèles aux
religions sans y croire parce qu'ils savent que l'Église, force insinuante et
bien organisée, peut leur nuire dans une foule de circonstances alors que les
athées, les incroyants ne se vengeront pas sur eux, ni ne chercheront à leur
nuire à cause de leurs pratiques religieuses. C'est là aussi une des raisons
pour lesquelles les idées d'affranchissement et de liberté avancent si
lentement. Mais revenons à Lourdes et à ses miracles.
Parmi ceux qui vont
chercher la guérison en la cité pyrénéenne, il en est qui sont véritablement,
organiquement malades et incurables. Ceux-là en reviennent exactement dans
l'état où ils étaient à leur départ, quelquefois avec une déception de plus,
s'ils avaient quelque vague espoir, ou une aggravation due aux imprudences du voyage,
des séances de piété et des immersions. L'eau de la piscine est sans pouvoir sur
eux. Cependant la faillite du miracle ne laisse pas la religion au dépourvu :
c'est parce que le malade n'était pas assez croyant, n'avait pas une foi assez
profonde, n'était pas assez pur que la guérison ne s'est pas produite ou bien
encore parce que Dieu veut prolonger encore l'épreuve du fidèle, s'il est
vraiment croyant, afin de lui faire mieux mériter le paradis. Et ces
explications trouvent toujours crédit...
Il en est, par contre,
qui guérissent, et radicalement. Ceux-là sont montés en épingle et cités en
exemple. Les feuilles catholiques publient leurs noms et leurs adresses et cela
produit toujours son effet auprès de ceux qui les lisent sans en connaître les
héros ou les héroïnes. Par contre, il est bien rare que ceux qui ont connu les
miraculés avant leur guérison accordent crédit au miracle. Souvent ils ont remarqué
quelque chose de louche dans la maladie et les allures du malade. Sa moralité,
sa, ruse habituelle laissent supposer quelque chose d'anormal. Pas de doute,
c'est un simulateur.
Certains simulent
complètement une maladie : paralysie, rhumatisme, sciatique, etc. ; d'autres
entretiennent et aggravent même intentionnellement des maux ou plaies qui, bien
entendu, ne peuvent guérir que du jour où ils cessent de les alimenter.
D'autres encore ont des maladies ou des maux qu'ils font soigner par un médecin
mais dont on ne proclame la guérison, obtenue par la science, qu'au retour de
Lourdes. Quelques-uns sont des névropathes que galvanise la suggestion mystique,
mais que guérirait, plus sûrement, la suggestion clinique. Approchez d'un peu
près les « miraculés » de Lourdes et vous doutez de suite du miracle. Contrôlez-les
sérieusement et vous découvrez la supercherie.
Dans un livre fort
instructif et documenté : « Lourdes et ses mystères », le docteur Pierre
Vachet examine quelques-unes des guérisons miraculeuses les plus importantes,
celles dont l'Église fait état avec le plus d'insistance et il montre la simulation
indiscutable des miraculés les plus notoires. Il cite des cas où les miraculés
étaient vraiment trop intéressés pour que leur guérison, ou leur maladie,
puisse être prise au sérieux. Et il explique aussi comment il peut se faire que
des guérisons soient réellement obtenues à Lourdes, comme elles pourraient
l'être n'importe où, si les mêmes circonstances étaient réunies. C'est le cas
pour les névrosés, les hystériques, les malades par suggestion. Il n'est pas surprenant
que, dans ces derniers cas, il soit obtenu des guérisons puisque tout est fait
pour impressionner les malades, pour les persuader qu'ils vont guérir, etc. ;
mais ces cas de guérison n'ont rien de miraculeux et il serait encore
préférable pour ces malades d'être soignés dans des établissements de
psychothérapie par des médecins capables d'étudier sérieusement leur cas,
plutôt que d'aller à l'officine des charlatans de Lourdes... On peut affirmer
sans crainte de se tromper que les guérisons, obtenues à Lourdes, de malades de
cette catégorie (les malades plus ou moins imaginaires) ne comptent que pour un
chiffre infime parmi les réussites proclamées, la plus grande partie, la
presque totalité des « guérisons » obtenues étant celles de simulateurs ou de
ceux qui entretenaient un mal jusqu'à leur passage à Lourdes ou cachaient une
guérison obtenue par les médecins pour la faire proclamer à leur sortie de la
fameuse piscine.
Les prétendus miracles
de Lourdes, comme tous les miracles d'ailleurs, ne sont qu'astucieuse
tromperie. Mais ils servent à entretenir le prestige de l'Église auprès des
simples d'esprit... Comme la maladie est une bonne chose à exploiter et qu'il
n'y a pire que ceux qui ont la promesse d'un paradis pour avoir peur de la
mort, il n'y a pas qu'à Lourdes qu'on obtient des guérisons miraculeuses. Un
peu partout il existe des guérisseurs qui, avec des signes de croix, de l'eau
bénite et des prières, s'attaquent à toutes les maladies. Nombreux sont encore
ceux qui s'adressent à ces gens tout en se faisant soigner, d'autre part, par
un médecin. Il est bien entendu que s'il y a guérison, c'est le « toucheux »,
comme on l'appelle vulgairement, qui l'a obtenue. Et lorsqu'on revient sans
être guéri, on ne s'en vante pas, de sorte que ces croyances perdurent
longtemps. C'est comme dans une baraque foraine où l'on s'est fait « rouler »
ayant payé très cher pour ne rien voir : on ne manque pas de dire en sortant à
ceux qui vous demandent des renseignements que c'est « épatant », afin de cacher
sa propre déconvenue et de savourer, en compensation, la jobardise des imitateurs.
On constate cependant
que malgré les éclaircissements de la science, la tendance à croire au miracle
ne recule que très lentement. À peine une croyance « usagée » passe-t-elle au
rebut qu'une autre « à la mode » lui est substituée... Il faut dire que presque
toutes les superstitions favorisent trop les desseins de la classe dirigeante
pour qu'elle ne fasse pas l'impossible pour en assurer la survie ou en faciliter
le développement. La croyance a ses vogues, ses courants. Elle se porte comme
les fétiches et les amulettes. Et il est de bon ton d'afficher celles que l'opinion
consacre. Ne va-t-on pas au pèlerinage à Lourdes ou ailleurs, comme il est à la
mode d'aller voir le spirite ou la somnambule ! On se moque de l'Arabe ou du Sénégalais
qui se croient perdus s'ils n'ont pas sur eux leur « grigri » porte-bonheur et
l'on ne partirait pas en auto sans son fétiche protecteur et sa médaille de
Saint Christophe, sauvegarde contre les accidents ! (Que serait-ce donc s'ils
n'en avaient pas ?)
La science (nombre de
savants du moins qui ont partie liée avec la classe dont ils sont issus) feint
de planer au-dessus de ces superstitions puériles. Elle évite, pour diverses
raisons, de les attaquer de front. D'abord la bourgeoisie ne tient pas à ce que
la science dessille les yeux de ceux qu'elle berne avec tant d'avantages. Ensuite
elle préfère s'attacher les sympathies des trafiquants de la crédulité qui opèrent
autour de toutes les croyances et tirent influence ou monnaie des miracles de
Lourdes, de ceux de la communion ou de l'âme éternelle. Aujourd'hui que tout est
commercialisé, où les actes ne sont que des jalons du bénéfice, il est de bonne
tactique d'annexer à sa fortune les bonnes dispositions de M. Mercanti, qu'il
soit marchand de médailles, de couronnes, de chapelets, d'eau bénite, bazardier
ou régaleur public.
La croyance au miracle
disparaîtra lorsque les hommes, au lieu de chercher sottement les solutions
dans l'invraisemblance, auront la sagesse de réserver leur adhésion jusqu'au
jour où les investigations méthodiques d'une science désintéressée auront mis
en lumière les vérités explicatives, dont l'absence momentanée favorise de
barbares superstitions.
– E. COTTE.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire