Lignes collection dirigée par Michel Surya
A la communauté Par Mathilde Girard
« Un jour, il m’a dit :
tu entres trop dans les choses.
C’était, je crois, de ma vie
amoureuse que nous parlions, mais ça aurait pu valoir pour autre chose ;
une façon de me rapprocher trop, en général : des gens, des problèmes, des
objets – et même de certains livres dont j’aime sentir l’odeur.
Ce fut, je crois, la seule
parole qu’il ait jamais eu qui ait pu relever du jugement, de la valeur, du
plus ou du moins ; la seule fois où j’ai pu penser qu’il soulignait chez
moi un défaut, un manque, une erreur.
Je marche à la tombée de la
nuit.
[…]Comment ne pas entrer dans
les choses et pouvoir en sortir sans se blesser ; pouvoir en sortir
simplement sans être devenu à son tour la chose où l’on est entré ? Chaque
question affective est déjà philosophique, et chaque question philosophique a
pour centre l’amour, qui tombe, exactement comme la lumière, grâce à elle, sur
l’objet qu’il faut penser, sans trop entrer dedans, un objet qui s’éclaire
parce que je le considère, et qui me renvoie cette lumière. Je me suis dit qu’il
fallait de la distance, qu’il fallait reculer, un peu en effet, pour voir
comment les choses sont éclairées. Comment la lumière les prend, comment la
pensée éclaire un objet. »
« Il y a un évènement qui
a lieu entre moi et moi-même quand tout le monde est parti, quand tout s’est
retiré. C’est un face-à-face et un éloignement. Si je me rapproche trop, si j’entre trop, je tombe, et le sujet s’efface
dans les ris de l’eau.
Oui, ll m’aurait fait voir la
fable de Narcisse comme le mauvais destin, l’erreur de celui qui est au bord d’une
étape absolument cruciale, d’une assomption miraculeuse par l’image, mais qui
abuse du plaisir d’apparaitre enfin pour lui-même. Ce plaisir le déborde, il le
rapporte, encore, à un autre personnage qui est dessous, cet autre lui-même qu’il
ne reconnait pas.
C’est cela : dans sa méprise,
il se prive du plaisir de s’aimer lui-même, à vouloir trop se rapprocher. »
« Le jour où j’ai appris
sa mort, j’ai eu soudain une énorme énergie. J’ai pensé à lui, à son corps et à
sa pensée ; à cette pensée qui n’était jamais entravée par le corps ;
à ce corps qui n’entravait (même dans les moments de faiblesse où il était
malade) jamais la pensée. Il n’était empêché par rien qui soit intérieur.
Aucune raison interne à la difficulté. Freud a écrit quelque part qu’un des
buts de la psychanalyse serait que les hommes ne meurent que pour des raisons
externes – et non pour des raisons internes. Autrement dit : faire que les
hommes ne contribuent pas intérieurement à la mort qui les attend, de toute
façon ».
« Comment nos corps et
nos âmes s’unissent pour nous faire voler, sauter, ou à l’inverse, sombrer, qu’est
ce qui décide de la vitesse, de l’élan ou au contraire de la lenteur, du poids
de la pensée ? ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire