dimanche 19 juin 2022

L’insoutenable légèreté de l’être par Milan Kundera

« Elle pensait alors que l’univers communiste était le seul où régnait cette barbarie de la musique. A l’étranger, elle constate que la transformation de la musique en bruit est un processus planétaire qui fait entrer l’humanité dans la phase historique de la laideur totale. Le caractère total de la laideur s’est d’abord manifesté par l’omniprésente laideur acoustique : les voitures, les motos, les guitares électriques, les marteaux-piqueurs, les haut-parleurs, les sirènes. L’omniprésence de la laideur visuelle ne tardera pas à suivre. »

« C’est  peut-être de là que vient sa répugnance pour tout extrémisme. Les extrêmes marquent la frontière au-delà de laquelle la vie prend fin, et la passion de l’extrémisme, en art comme en politique est désir déguisé de mort ».

« Comme par la lumière, il est attiré par l’obscurité. De nos jours, éteindre pour faire l’amour passe pour ridicule ; il le sait et laisse une petite lumière allumée au-dessus du lit. A l’instant de pénétrer Sabrina, il ferme pourtant les yeux. La volupté qui s’empare de lui exige l’obscurité. Cette obscurité est pure, entière, sans images ni visions, cette obscurité n’a pas de fin, pas de frontières, cette obscurité est l’infini que chacun de nous porte en soi (oui, qui cherche l’infini n’a qu’à fermer les yeux !).

Au moment où il sent la volupté se répandre dans son corps, Franz se déploie et se dissout dans l’infini de son obscurité, il devient lui-même l’infini. Mais plus l’homme grandit dans son obscurité intérieure, plus il se ratatine dans son apparence extérieure. Un homme aux yeux fermés n’est qu’un rebut de lui-même. C’est désagréable à voir, Sabina ne veut donc pas le regarder et ferme à son tour les yeux. Mais cette obscurité-ci ne signifie pas pour elle l’infini, seulement le désaccord avec ce qu’elle voit, la négation de ce qui est vu, le refus de voir ».

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