lundi 4 octobre 2021

Une minute quarante neuf. Par Riss

" Revenir parmi les vivants, c’est faire le choix de se taire. Parler ne servirait à rien. Ils ne comprendront rien, nous regarderont comme des fous et nous tiendront à l’écart. Il ne faut pas effrayer les vivants. Les vivants sont vivants et n’aiment pas qu’on leur parle de la mort. Il ne faut donc pas tout leur dire. Pour être accepté des vivants, il faut leur ressembler. Apprendre à les singer. Il faut les observer et leur faire plaisir, car rien ne serait pire que les décevoir et qu’ils vous abandonnent. Instinctivement, les survivants deviennent des animaux de compagnie qui espèrent retrouver leur place aux côtés des vivants en les apitoyant. “Pauvre bête, je ne vais quand même pas la laisser tomber.” Condamnés à émouvoir s’ils veulent qu’on les garde encore. Tant qu’ils sauront tirer des larmes, ils n’auront rien à craindre. Mais si l’un d’eux proteste et mord, à la fourrière on le jettera sans hésiter. Ne revendique rien d’autre que la miséricorde, survis et ferme ta gueule. S’il veut être écouté, le survivant n’a d’autre choix que de se tourner vers ses semblables. Vers les autres bêtes apeurées de son chenil. Ce n’est qu’entre eux qu’ils se sentent bien car ensemble ils sont sûrs de n’importuner personne. Dans leur niche à survivants."

"Dans les années 1990, alors qu’en Algérie les islamistes égorgeaient quotidiennement, Charlie Hebdo publia toutes les semaines une rubrique intitulée “Embauchez un intellectuel algérien” avec la notice suivante : “Si vous lui trouvez du boulot, il pourra rester en France. Sinon, la préfecture le renverra se faire tuer en Algérie.” L’idée était d’accueillir un Algérien menacé par les islamistes. En créant cette rubrique teintée d’humour noir, les membres de la rédaction n’imaginaient pas que, vingt ans après, ce serait Charlie Hebdo tout entier qui demanderait asile au journal Libération. D’abord en 2011, après l’incendie des locaux, puis une deuxième fois en 2015, après l’attentat du 7 janvier. Durant la même période, le Front national prenait de plus en plus de place dans la vie politique française. Pour contrer l’ascension apparemment inexorable de ce parti d’extrême droite, Charlie Hebdo lança en 1995 une pétition qui réclamait sa dissolution. Nous estimions que les valeurs du Front national étaient incompatibles avec celles de la République et qu’il était suicidaire de le laisser impunément diffuser ses discours racistes et xénophobes. Avec générosité et naïveté, la démocratie donnait des droits à un parti qui, selon nous, avait pour seul objectif de la faire disparaître. 168 196 lecteurs signèrent cette pétition."


"Dessiner ou écrire dans Charlie Hebdo a toujours été un acte politique, et si leurs dessins peuvent déclencher les rires, les dessinateurs du journal ne sont ni des comiques ni des humoristes. Chacun de leurs dessins est l’affirmation de leurs convictions et la violence de leur trait n’est que l’écho de celle du monde qui les entoure. Car contrairement à ce que beaucoup s’imaginent sans jamais l’avoir ouvert, Charlie Hebdo n’est pas un journal de “blagues”. L’humour est un moyen, pas un but. Un moyen pour emmener le lecteur là où il n’aurait pas eu l’idée d’aller seul. “Peut-on rire de tout ?” est une question stupide. On ne peut pas rire de “tout” pour une raison simple : qui peut prétendre connaître “tout” pour ensuite décider d’en rire. À part Dieu puisqu’il est le créateur de ce “tout” ? Lui seul est donc capable de rire de “tout”. Mais quand on constate à quel point les religions exècrent le rire, l’existence de Dieu redevient, une fois encore, une hypothèse bien fragile."



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