"Sous la Présidence de Nicolas Sarkozy, une décision encore inconcevable il y a quelques années est annoncée en octobre 2007 : la France restitue à l’Algérie le plan des mines, posées pendant la guerre d’Algérie, aux frontières algérienne et marocaine. En tout, onze millions de mines antipersonnel ont été enfouies pour empêcher les Algériens de l’ALN, à l’époque, d’accéder en Tunisie et au Maroc. Depuis 1962, l’armée algérienne a entamé des opérations de nettoyage des régions truffées de mines. Huit millions de mines ont été détruites, alors que trois autres millions présentent toujours une source de danger pour les populations des régions limitrophes. Depuis des années, les Algériens évoquaient les ravages de ces fameux champs de mines, le chiffre de 40 000 victimes, blessés et morts, depuis l’indépendance de 1962, a été avancé par Alger."
" Beaucoup de Français découvrent alors, à cette occasion, l’ampleur de cette guerre longtemps restée sans nom, et le lourd silence qui a entouré ses pratiques. D’autres gestes sont accomplis, comme la restitution des archives audiovisuelles, et deux déclarations importantes : la condamnation en 2005 des massacres de Sétif de 1945 par l’ambassadeur de France Hubert Colin de Verdière, et celle des événements de Guelma et Kherrata qui avaient été concomitants à ceux de Sétif, par le nouvel ambassadeur Bernard Bajolet en mai 2008. Ce dernier qualifie de massacres la répression par les autorités françaises des manifestations d'Algériens en faveur de l'indépendance, immédiatement après la fin de la seconde guerre mondiale. Le 8 mai 1945, dit-il, alors que les Algériens fêtaient dans tout le pays, avec les Européens, la victoire sur le nazisme, à laquelle ils avaient pris une large part, d'épouvantables massacres ont eu lieu à Sétif, Guelma et Kherrata . Le diplomate français souligne la très lourde responsabilité des autorités françaises de l’époque dans ce déchaînement de folie meurtrière (…) Aussi durs que soient les faits, la France n'entend pas, n'entend plus, les occulter. Le temps de la dénégation est terminé Ces massacres ont fait insulte aux principes fondateurs de la République française et marqué son histoire d'une tache indélébile. "
"En effet, cette déclaration sur L’Affaire Audin évoque un système établi à la faveur des Pouvoirs spéciaux (voté en mars 1956 par l’ensemble des forces de gauche de l’époque), qui a limité la liberté d’expression, entravé les droits individuels, légitimé des centres de rétention administrative, mis en place des zones interdites où l’on pouvait tirer sans sommation sur un civil aperçu. Ce vote de mars 1956 a également permis l’envoi des jeunes du contingent en Algérie."
"La question des disparus n’a cessé de hanter les mémoires blessées de la guerre d’Algérie. Comment accomplir un travail de deuil en l’absence du corps de celui qui a disparu ? Pour que le détachement puisse exister avec la période traumatique de la guerre, rendant finalement possible de nouveaux investissements (affectifs, sociaux, familiaux,) les avancées vers cette question sont nécessaires."
"Ajoutons une dimension essentielle que l’historien Pierre Nora, dans un entretien récent, en aout 2020, pour annoncer la fin de la revue Le Débat, mentionne : L’histoire n'était plus une discipline pivot. Ce n'est pas seulement une déshistorisation, mais une défaite de la conscience. Les jeunes sont aujourd’hui accablés par le poids de l'Histoire, qu’ils esquivent. Je crains que le temps ne soit pas éloigné où les historiens n'écriront plus que pour les historiens ."
"Le Japon est, lui aussi, touché par une série de conflits autour des questions mémorielles. La lutte complexe et multiforme contre l’oubli se voit bien dans les batailles de mémoires autour du sanctuaire de Yasukuni au Japon, qui rend hommage aux martyrs militaires japonais, considérés par la communauté internationale comme des criminels de guerre, tombés dans les guerres. Cet espace mémoriel est devenu une référence centrale, quasi religieuse, de glorification de la fierté nationale, suscitant des réactions outragées de nombreux Japonais et des opinions publiques dans toute l’Asie du SudEst, en Chine ou en Corée. Et l’on voit alors que le discours, d’excuses et pas seulement de reconnaissance des massacres, ne suffit pas à calmer les mémoires blessées, à faire progresser le savoir sur cette question, à faire reculer les stéréotypes, le racisme. Car si l’on fait un détour par l’Asie sur les relations entre le Japon, la Chine et la Corée au XXe siècle, on sait que des excuses ont été pourtant prononcées… Suite à la victoire japonaise contre la Russie en 1905, la Monarchie coréenne est placée sous protectorat japonais puis le pays est finalement annexé en 1910 et la monarchie déposée, avec l’accord tacite des grandes puissances occidentales. Dans les faits, la Corée est colonisée par le Japon, mais les nationalistes coréens ne reconnaîtront jamais cet état de fait. Pour eux, la Corée a été occupée illégalement par le Japon. En 1945, la défaite japonaise met un terme à la colonisation. En 1965, suite aux pressions américaines, les négociations s’accélèrent entre Séoul et Tokyo, les relations diplomatiques sont rétablies (il n’y en avait plus depuis 1945…) et le Japon reconnaît le gouvernement de la République de Corée (Corée du Sud) comme le seul gouvernement légitime dans la péninsule. En échange, la Corée s’engage à ne plus exiger d’indemnités au titre de la colonisation. Le contentieux subsistera néanmoins, notamment sur la lecture du passé et secondairement sur la souveraineté sur quelques îles. A l’égard de Pékin, suite au voyage de Nixon en Chine en 1971, les Japonais reconnaissent le gouvernement communiste en 1972, et expriment leurs excuses pour le passé colonial du Japon. Mais, également avec la Chine, le contentieux de fond subsiste sur cette question. Par la suite, même l’empereur Akihito exprimera ses regrets. Toutefois, les lobbies nationalistes qui sont extrêmement puissants au sein de l’appareil d’Etat japonais font pression pour que ces excuses et ces regrets ne soient jamais validés dans les faits. Avec, par exemple, les visites fréquentes des Premiers ministres de droite au sanctuaire Yasukuni à Tokyo où sont vénérées les âmes des soldats tombés au combat pendant les guerres japonaises, y compris les dirigeants et militaires exécutés par les Américains au terme du Procès de Tokyo en 1948. La responsabilité de l’État japonais n’est pas remise en cause par les excuses officielles. Le Japon ne considère pas avoir une responsabilité juridique, par exemple dans le cas des femmes de réconfort 40 , car les coupables étaient des cocontractants privés de l’armée . Cela empêche les femmes de réconfort de demander une réparation financière. L’Etat japonais estime également que l’affaire est prescrite, En conséquence, les excuses japonaises paraissent hypocrites aux yeux de l’opinion publique en Corée et en Chine, pays qui s’enflamment toujours contre les revanchards japonais."
"Il est clair que la politique des excuses et même des indemnités financières ne calme en rien le ressentiment chinois ou coréen contre le Japon. Les historiens japonais ont beau soulever les questions qui fâchent (travail de Yoshimi Yoshiaki sur les femmes de réconfort, celui de Kasahara Tokuji sur le massacre de Nankin (à paraître prochainement en français), tous les deux publiés dans les années 1990), les autorités japonaises restent amnésiques, en arguant du fait qu’elles ont déjà présentés des excuses, et que ce passé est clos . Au Japon, certains cercles culturels et politiques continuent de nier les les massacres (comme celui de Nankin en 1937 commis par les Japonais contre la population chinoise), et les exactions commises au temps colonial. Pour faire passer un passé qui ne passe pas, note l’historien PierreFrançois Souyri, il faudrait que le gouvernement japonais accomplisse un travail sérieux de remise en question de sa politique avant 1945 et qu’il la laisse s’exprimer notamment dans les manuels scolaires, en cessant de cautionner les tentatives de valorisation du fait colonial."
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