vendredi 22 octobre 2021

Le testament de Jean Meslier

 "Pour ce qui est des prétendus miracles rapportés dans le Vieux Testament, ils n'auraient été faits que pour marquer, de la part de Dieu, une injuste & odieuse acception de peuples & de personnes, & pour accabler de maux, de propos délibéré, les uns pour favoriser tout particulièrement les autres. La vocation & le choix que Dieu fit des patriarches Abraham, Isaac, & Jacob, pour, de leur postérité, se faire un peuple qu'il sanctifierait & bénirait par-dessus tous les autres peuples de la terre, en est une preuve. Mais, dira-t-on, Dieu est le maître absolu de ses grâces & de ses bienfaits, il peut les accorder à qui bon lui semble, sans qu'on ait droit de s'en plaindre ni de l'accuser d'injustice. Cette raison est vaine, car Dieu, l'auteur de la nature, le père de tous les hommes, doit également les aimer tous, comme ses propres ouvrages, & par conséquent il doit également être leur protecteur & leur bienfaiteur : car celui qui donne l'être doit donner les suites & les conséquences nécessaires pour le bien-être ; si ce n'est que nos Christicoles veuillent dire que leur Dieu voudrait faire exprès des créatures pour  les rendre misérables, ce qu'il serait certainement indigne de penser d'un Être infiniment bon."


"Quoi ! Il aurait envoyé aux premiers chefs du genre humain, Adam & Ève, un démon, un Diable, ou un simple serpent, pour les séduire, & pour perdre par ce moyen tous les hommes ? Cela n'est pas croyable."


"On voit plusieurs de ces miracles dans les Evangiles ; mais on en voit beaucoup plus dans les livres que nos Christicoles ont faits des vies admirables de leurs saints : car on y lit presque partout que ces prétendus bienheureux guérissaient les maladies & les infirmités, chassaient les démons presque en toute rencontre, & ce, au seul nom de Jésus, ou par le seul signe de la croix ; qu'ils commandaient, pour ainsi dire, aux éléments ; que Dieu les favorisait si fort qu'il leur conservait, même après leur mort, son Divin pouvoir, & que ce Divin pouvoir se serait communiqué jusqu'au moindre de leurs habillements, & même jusqu'à l'ombre de leurs corps, & jusqu'aux instruments honteux de leur mort. Il est dit que la chaussette de St Honoré ressuscita un mort au 6 de janvier ; que les bâtons de St Pierre, de St Jacques & de St Bernard, opéraient des miracles. On dit de même de la corde de St François, du bâton de St Jean de Dieu, & de la ceinture de sainte Mélanie. Il est dit : de St Gracilien qu'il fut Divinement instruit de ce qu'il devait croire & enseigner, & qu'il fit, par le mérite de son oraison, reculer une montagne qui l'empêchait de bâtir une église ; que du sépulcre de St André il en coulait sans cesse une liqueur qui guérissait toutes sortes de maladies ; que l'âme de St Benoît fut vue monter au ciel, revêtue d'un précieux manteau & environnée de lampes ardentes ; St Dominique disait que Dieu ne l'avait jamais éconduit de choses qu'il lui eût demandées ; que St François commandait aux hirondelles, aux cygnes & autres oiseaux, qu'ils lui obéissaient, & que souvent les poissons, les lapins & les lièvres, venaient se mettre entre ses mains & dans son giron ; que St Paul & St Pantaléon, ayant eu la tête tranchée, il en sortit du lait au lieu de sang ; que le bienheureux Pierre de Luxembourg, dans les deux premières années d'après sa mort, 1388 & 1389, fit deux mille quatre cents miracles, entre  lesquels il y eut quarante deux morts ressuscités, non compris plus de trois mille autres miracles qu'il a faits depuis, sans ceux qu'il fait encore tous les jours  ; que les cinquante philosophes que sainte Catherine convertit ayant tous été jetés dans un grand feu,  leurs corps furent après trouvés entiers, & pas un seul de leurs cheveux brûlé  ;  que le corps de sainte Catherine fut enlevé par les anges  après sa mort, & enterré  par eux sur le mont Sinaï  ; que le jour de  la canonisation de St  Antoine de Padoue toutes les cloches de la ville de Lisbonne  sonnèrent d'elles-mêmes sans que l'on sût d'où cela venait  ; que ce saint étant un jour sur le bord de la mer, & ayant appelé les poissons pour les prêcher, ils vinrent  devant lui en foule, et, mettant la tête hors de l'eau, ils l'écoutaient attentivement. On ne finirait point s'il fallait rapporter toutes ces balivernes  ; il n'y a sujet si vain &  si frivole, & même si ridicule, où les auteurs de ces Vies de saints  ne prennent plaisir d'entasser miracles sur miracles, tant ils  sont habiles à forger de beaux mensonges. Voyez aussi le sentiment de Naudé sur cette matière, dans son Apologie des grands hommes, chap. Ier, page 13. "

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