samedi 23 octobre 2021

MARXISME encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure

(Point de vue du socialisme rationnel) Dans une étude relative au problème social, nous exposerons que la question d'appartenance des richesses est du domaine du raisonnement et non l'effet mécanique du prétendu déterminisme économique comme l'enseigne plus ou moins nettement le marxisme en tant que doctrine socialiste. Quoiqu'en disent les marxistes de stricte observance aussi bien que quelques néo-marxistes, le marxisme n'est qu'une religion aussi inopérante, socialement, que celle qu'il prétend remplacer pour l'instauration du socialisme Par le fait que la solution du problème social dépend, selon Marx avant tout, du déterminisme économique, le marxisme ne peut conduire la société que vers des déceptions plus ou moins cruelles. Cela ne veut pas dire, à notre époque d'ignorance sociale sur la réalité du droit, que le marxisme n'est qu'un cadavre à enterrer. Comme tous les préjugés, le marxisme a et aura la vie longue. Alors que les religions révélées défaillantes donnaient la mesure de leur incapacité à vaincre le paupérisme intellectuel, moral et économique, Marx et quelques disciples pensèrent que l'Humanité avait fait fausse route en cherchant à infuser dans la conscience individuelle un sentiment religieux ou moral de solidarité humaine. Pour eux, la société n'a pas à s'intéresser à la question morale qui se résoudra toute seule par l'efflorescence du politique dans l'économique. Le mécanisme suffit à tout pour bien des marxistes. Ce que les religions révélées n'ont pu faire, au nom de la foi et de la grâce, la religion marxiste du déterminisme économique avec Marx et ses disciples, le résout au nom de la fatalité d'une science mystique bien plus spécieuse que réaliste. Il est presque inutile de s'intéresser à ce qui doit être, diront plus ou moins les marxistes, l'Usine marxiste fabriquera toujours des produits socialistes quelle qu'en soit l'origine. Les produits seront sains ou nocifs, moraux ou amoraux selon les besoins ; ainsi le veut l'Évangile de Marx. C'est ainsi qu'avec des sophismes de circonstances, le marxisme, pendant la seconde moitié du siècle dernier et le commencement de celui-ci, va remplir de gestes politico-économiques la plupart des manifestations populaires. Grâce aux fictions sur lesquelles le marxisme repose, il pourra faire de nombreux adeptes dans les classes laborieuses, cependant que les classes possédantes n'auront pas à souffrir des conquêtes illusoires qu'elles accorderont aux prolétaires. Il y aura mirage à l'avantage des élites. Cependant, le marxisme apparaissait et reste nettement une méthode empirique de réalisation socialiste toujours prochaine. Du fait de cette croyance prolétarienne, la parodie socialiste s'ancrait dans le cerveau d'un grand nombre d'opprimés et un mouvement de libération sociale naissait d'une méthode, d'une doctrine qui s'annonçait révolutionnaire en théorie et restait conservatrice dans la pratique. Comme résultat, les prolétaires, qui n'ont ni le temps ni les moyens de s'instruire, attendent... l'avènement du socialisme promis mécaniquement et se demandent, non sans crainte, de quoi demain sera fait. Vu à travers les lunettes du marxisme, le socialisme s'annonce comme une utopie. Ses prêtres avaient cependant prêché maintes fois du haut des chaires de l'église socialiste marxiste, qu'une catastrophe rédemptrice ne pouvait tarder à se produire. Il y a quelque quatorze ans que la prophétie semblait se réaliser. Nul ne peut nier que, comme catastrophe, la guerre mondiale n'en ait été une grande, et que la Révolution Russe, aux mains des marxistes, n'ait pas donné l'illusion que les prophéties marxiennes allaient donner la mesure de leur valeur sociale. La transsubstantiation de l'ordre capitaliste à l'ordre socialiste n'allait pas tarder à se produire ; les travailleurs allaient être débarrassés du cauchemar économique et l'harmonie sociale allait régner, d'abord en Russie, dans l'Univers ensuite. Il serait superflu, sans vouloir dénigrer le moins du monde l'expérience russe, d'entrer dans des explications développées pour savoir que, non seulement le travail n'est pas plus libre en Russie qu'ailleurs, et constater qu'il n'a pas anéanti le paupérisme moral. Ce sont cependant des marxistes, plus ou moins orthodoxes, qui détiennent le pouvoir et les richesses. L'éducation socialiste est entre leurs mains. Le temps, et un temps relativement prochain, nous dira ce qu'a valu cette éducation. Ce qui s'est produit en Russie était inévitable et depuis 1900 nous l'avons exposé, dit et redit dans de nombreux articles de journaux, de revues et dans les livres sur la Souveraineté du Travail et le Collectivisme Rationnel. Nous verrons en exposant quelques-uns des sophismes sur lesquels le marxisme repose, qu'il fallait mettre beaucoup de complaisance pour croire à la puissance créatrice de certains mythes. De différentes manières, la vie sociale de notre époque nous prouve que le déterminisme économique qui est, en quelque sorte, le pivot sur lequel le marxisme repose, peut, tout aussi bien accoucher de l'impérialisme financier le plus redoutable aux opprimés, comme aux États-Unis, que du socialisme libérateur du travail. Pour être plus explicite, nous reconnaissons qu'il n'y a que de bien faibles chances pour que ce déterminisme opère en faveur des opprimés, quelles que soient les apparences que des rhéteurs habiles mettront en relief. Si, comme nous en avons la conviction, le socialisme doit être instauré sur notre terre et y vivre, c'est à une conception scientifique de liberté et par suite de responsabilité, non seulement différente de celle de notre époque, mais le plus souvent opposée, que nous le devrons. Le socialisme succédera au capitalisme, sans le continuer, comme le jour succède à la nuit. Bien des signes avant-coureurs font comprendre que le jour approche où il ne sera plus possible de diriger une nation par le sophisme d'un progrès qui ne fait qu'augmenter les moyens de domination d'une caste et le mirage d'une production faisant de plus en plus comprendre aux masses laborieuses le manque de satisfaction des besoins ressentis. Nous pensons avec H. de Man, sans nous associer le moins du monde à sa méthode de réaliser le socialisme toujours à venir, que « le moment est de placer les questions sur leur véritable terrain, de se débarrasser d'anciennes formules qui cachent plus souvent qu'elles n'expriment ce que l'on veut en réalité. » Il n'y a pas qu'en Belgique où le marxisme soit contesté et combattu : les pays anglo-saxons n'ont jamais compris que le marxisme puisse avoir un prestige sur les masses. En France, la question n'est pas moins trouble qu'ailleurs ; nous sommes tentés de dire qu'elle est pire. Des politiciens se réclament du communisme, d'autres du seul mot de socialiste, pendant que certains se désignent comme républicains socialistes et d'autres se veulent être des radicaux-socialistes qu'il ne faudrait pas confondre avec les socialistes-radicaux. Pour un peu, tous les parlementaires arboreraient la cocarde socialiste. Dans un pays où tant de... socialismes foisonnent, il est tout indiqué qu'il n'y en ait aucun de scientifique et d'équitable. Aussi, assistons-nous à des marchandages politiques sans fin et sans portée réellement socialiste. Le profit personnel est roi. S'il apparaît que le vieux monde politico-économique chancelle, on ne s'intéresse pas, pour cela, à étudier ce qu'il faudrait mettre à la place si un incendie ou une inondation obligeait à remplacer la maison détruite. On cherche, par un éclectisme de circonstance, à faire quelques réparations qui dureront autant, sans doute, que les législateurs qui les ordonnent... Dans son nouveau livre « le Marxisme a-t-il fait faillite ? » M. Vandervelde fait un sérieux effort, quoique se disant agnostique, pour expliquer que le Manifeste Communiste aussi bien que le programme d'Erfurh ont conservé leur valeur socialiste ; et, s'appuyant sur certaines déclarations, cherche à revigorer la doctrine marxiste d'une âme nouvelle. À cet effet, il veut bien nous faire savoir qu'une littérature marxienne a été publiée en Russie et qu'elle compte quarante-deux volumes. Désormais, en s'appuyant sur Marx ou sur quelque autre marxiste, plus ou moins orthodoxe, il sera toujours possible d'utiliser, quelques mots extraits d'un livre, quelques phrases d'un document ou quelques passages sortis à propos d'un ouvrage pour montrer que le marxisme est le pur socialisme et le seul système social qui puisse résister à l'examen. En utilisant, par le même procédé, des extraits appropriés à une thèse différente ou opposée, divers passages des écrits des mêmes auteurs, on peut étayer un système social contraire. Encore une fois ce que nous disons du marxisme ne signifie pas que tout est mauvais dans la théorie marxiste ni dans la pratique de cette doctrine, qui est plutôt une méthode à appliquer selon les lieux et les circonstances, mais prouve qu'elle prend trop souvent ses désirs pour la réalité, ce qui n'est pas... bien... scientifique... Le marxisme n'est pas une doctrine, mais une méthode souple et variable, qui s'adapte merveilleusement aux circonstances quand le recrutement politique, pour la conquête des pouvoirs publics, le permet. En peu de mots, le marxisme est, avant tout, une machine électorale pour assurer l'élection de ceux qu'il prend sous sa protection. Le marxisme, étudié de près, n'est qu'un mysticisme permanent de matérialisme et de déterminisme économique valable pour la conquête des pouvoirs publics. Rien d'étonnant que le marxisme touche à tout, sans rien déterminer scientifiquement ; et c'est la raison pour laquelle, selon les lieux et les circonstances le marxisme rejette brusquement les idées relatives à la morale, à la liberté et à la justice, quitte à les reprendre vaguement pour les besoins de la cause politique à défendre à une autre occasion. Pour un socialiste marxiste, le socialisme est une espèce de transsubstantiation matérielle qui change en pur diamant tous les erzats que l'économie politique fait surgir des institutions sociales, en commençant par la prétendue production... socialisée, chère aux déterministes aussi bien qu'à M. E. Vandervelde. Le rôle social des futurs dirigeants marxistes sera d'autant plus aisé à remplir que la fatalité des événements, devant suppléer à la volonté et à la science humaine, aura préparé la route à suivre. Dès lors, du côté intellectuel et moral, le socialisme n'a pas à s'intéresser, comme le soutiennent Colins et ses disciples, depuis près d'un siècle, de ce que Lafargue appelle des grues métaphysiques. C'est simple, et, disons-le nettement, trop simple pour avoir une valeur sociale sérieuse. Le socialisme ne peut être que l'application de la justice à la société. Alors que le marxisme n'est pas une science réelle, il peut être considéré au point de vue social, comme une théorie d'adaptation au milieu, susceptible de prendre les formes les plus diverses et par là, dans certains cas, pourra aider à l'avènement du socialisme rationnel, seul durable et scientifique. Il pourra aussi être le naufrageur du socialisme. Cette manière de poser la question sociale ouvre au marxisme un horizon nouveau avec des avenues commodes pour atteindre le pouvoir et les richesses qu'il orienterait vers l'usage général, en raison du travail et du mérite de chacun dans une atmosphère d'harmonie sociale où la liberté individuelle n'aura plus rien à craindre. L'ignorance sociale de l'époque sert le marxisme, qui repose sur des mythes économiques... Le socialisme rationnel substitue au marxisme une méthode réaliste, morale, économique et pratique, telle que Colins l'a formulée dans son œuvre immortelle de science sociale. Pour résumer notre pensée sur le marxisme, nous dirons : 1° Que cette doctrine est un modèle d'illusionnisme ; 2° que l'illusionnisme est aussi vieux que le monde, mais qu'il a servi jusqu'ici, avec des secousses morales et économiques, à maintenir un ordre relatif ; 3° que tant que le désordre n'a pas commis tout le mal qu'il peut faire et que, de ce fait, la nécessité sociale n'est pas suffisamment exigeante pour y mettre fin, la société ignorante doit continuer d'expier ses fautes sous le fouet de l'illusion ; 4° que pour si chaotique et boueuse que soit notre époque, il peut être nécessaire de faire l'expérience d'une illusion nouvelle ; 5° que de plusieurs maux il faut choisir le moindre, surtout quand ce mal nécessaire peut devenir un bien relatif à l'instauration du Socialisme juste et scientifique, où l'illusion fera place à la vérité-réalité que le bon raisonnement déterminera, après avoir retourné dos à dos le matérialisme et l'anthropomorphisme. De ce que nous avons dit du marxisme, il résulte que cette méthode d'organisation économique se présente comme facteur possible, plus ou moins déterminant, d'un éclectisme presque providentiel, où l'on trouve de tout un peu. En époque d'ignorance sociale, le marxisme, en déplaçant certains maux dont souffre la société, peut amener quelques modifications accidentelles favorables à la vie générale, en attendant que la nécessité sociale oriente l'Humanité vers la suppression effective du paupérisme moral aussi bien que matériel. Le marxisme conduit au fonctionnarisme et à une variété de socialisme étatiste. Le marxisme prétend, non seulement organiser la propriété générale, mais il tend à organiser aussi l'exploitation des richesses. Par là, le marxisme prépare la gestation et la naissance du fonctionnarisme le plus despotique que l'univers ait connu. Il est conduit à cette solution parce qu'il ne discerne pas scientifiquement, dans l'appropriation sociale des richesses, la différence essentielle qu'il y a entre la source passive des richesses ‒sol général ‒qui est nécessaire, pour la production générale, et les produits travail, simplement utiles au bonheur social. Le marxisme fait, plus ou moins ouvertement, cause commune avec l'économie politique courante, ne remarquant pas que l'escobarderie des politiciens enseigne la confusion de l'indispensable avec l'utile en confondant ainsi le propre avec le figuré. Cette confusion générale des richesses, voulue par les économistes et passablement de socialistes, a, pour conséquence sociale de faire payer tous les impôts par les travailleurs, d'établir le salaire ‒ou prix du travail ‒au minimum des circonstances, et, par suite, de maintenir, le mieux possible, l'esclavage des masses. Le marxisme, loin d'être le fossoyeur du régime bourgeois, qu'il combat théoriquement par des mythes, le continue pratiquement sur un plan fonctionnariste où, par une solidarité illusoire la liberté individuelle et l'égalité relative au mérite de chacun seraient écrasées par une vague et irresponsable administration des choses aussi despotique que la féodalité financière de notre époque. Le socialisme rationnel, en tant qu'organisation sociale, peut et doit développer, chez les travailleurs, l'esprit d'examen et par suite, selon les connaissances et les circonstances, l'esprit d'association libre... L'homme, naturellement, ne peut tendre, en toute circonstance, pour une association forcée...comme il ressort du marxisme appliqué... L'homme doit être libre de travailler en association ou isolément. De ce qui précède, il résulte que le marxisme est la caractéristique d'une époque de dissolution sociale. Ne sachant exactement quelle route suivre, il s'attache mystiquement à l'apparence des faits qui naissent du mécanicisme d'une période de désordre social et économique. Fasciné par le mirage économique de la théorie du mouvement, le marxisme étudie spécialement les effets d'un système d'iniquités sociales sans remonter aux causes. Dans un but spécialement politique, le marxisme entretient l'équivoque, soit en ne faisant qu'effleurer le sujet dont il paraît s'occuper, soit en passant sous silence les faits dont il redoute l'examen. Le marxisme, plus ou moins orthodoxe ou I'Au-delà du marxisme, reposent sur des fictions ou des utopies qui situent le socialisme dans le domaine du mysticisme. ‒ *

 

Élie SOUBEYRAN

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