vendredi 29 octobre 2021

Les questions mémorielles portant sur la colonisation française et la guerre d Algérie par Benjamin Stora

 Discours de Nicolas Sarkozy prononcé à Constantine`devant des étudiants algériens

 Mercredi 5 décembre

 Monsieur le Président de la République, 

 Cher Abdelaziz, qu‘il me soit permis en commençant de vous dire mon amitié, mon respect et mon admiration, 

 Monsieur le Premier ministre, 

 Mesdames et Messieurs les ministres, 

 Mesdames et Messieurs, 

 C‘est une immense joie pour moi de pouvoir m‘adresser à vous aujourd‘hui, et à travers vous à la jeunesse et au peuple algériens. Si j‘ai souhaité le faire ici, à Constantine, ce n‘est pas seulement parce que cette ville est, comme tant d‘autres villes de la Méditerranée, l‘héritière d‘une histoire plusieurs fois millénaire qui a mêlé depuis la plus haute Antiquité les destins de tant de peuples. Si j‘ai souhaité venir dans cette ville qui porte encore le nom du premier Empereur romain converti au christianisme, ce n‘est pas seulement parce que Constantine est depuis si longtemps le symbole de l‘identité arabo-musulmane de l‘Algérie. Tout homme qui vient à elle ne peut s‘empêcher, quelles que soient ses croyances, d‘éprouver à son contact ce sentiment religieux d‘être dans un de ces lieux sacrés où le Ciel paraît si proche et la foi si naturelle. Combien de visiteurs ont ressenti ce qu‘avait ressenti ce voyageur des siècles passés qui, voyant apparaître Constantine audessus des brumes matinales, croyait voir quelque cité fantastique éclose tout à coup des ombres de la nuit et portée dans le ciel par deux oiseaux blancs ? Cette ville  est  une  ville  de  foi.  Combien  d‘hommes  qui  n‘avaient  pas  la  même  religion,  qui n‘avaient  pas  la  même  culture,  qui  n‘avaient  pas  la  même  origine,  se  sont  pourtant sentis  saisis  par  la  même  émotion,  celle  que  j‘ai  éprouvée  tout  à  l‘heure  en  arrivant devant  Constantine  que  tant  de  travail,  que  tant  de  peine,  que  tant  de  volonté farouche  ont  suspendue  au-dessus  des  ravins  comme  pour  témoigner  qu‘il  n‘est  rien de plus  fort  que  la  volonté  humaine  lorsqu‘elle  est  soutenue  par  une  foi  vivante  ?  Ainsi est  votre  ville  de  Constantine.    J‘ai  donc  souhaité  parler  dans  ce  lieu,  ce  lieu  qui appartient  à  tous,  les  hommes  parce que ce  lieu  incarne  pour  tous  les  hommes l‘esprit de résistance,  l‘esprit  de  conquête,  l‘esprit  de  dépassement  de  soi.    J‘ai  souhaité  parler dans  ce  lieu  où  l‘identité  et  la  civilisation  musulmanes  parlent  à  tous  les  hommes.    Et j‘ai  souhaité  parler  à  la  jeunesse  algérienne  parce  que  la  jeunesse  d‘Algérie  tient  dans ses  mains  une  partie  du  destin  d‘une  grande  civilisation  qui  a  tant  apporté  à l‘Humanité  de  sagesse,  d‘art,  de  culture  et  de  science,  et  dans  laquelle  tant  d‘hommes dans  le  monde  espèrent  encore.    Jeunes  d‘Algérie,  je  suis  venu  vous  dire  que  vous pouvez être  fiers  de  votre  pays  parce  que  l‘Algérie  est  un  grand  pays.    Jeunes  d‘Algérie, je  suis  venu  vous  dire  que  vous  pouvez  être  fiers  d‘être  des  jeunes  musulmans  parce que  la  civilisation  musulmane  est  une  grande  civilisation.     Jeunes  d‘Algérie,  je  suis  venu  vous  dire  que  le  peuple  français  vous  aime  et  que  le peuple  français  vous  respecte.    Je  sais,  Cher  Abdelaziz,  les  souffrances  du  passé,  je  sais les  blessures  profondes  que  les  tragédies  de  l‘Histoire  ont  laissées  dans  l‘âme  du peuple  algérien.   Et  dans cette ville  de Constantine,  je  n‘ignore nullement  que les  universités  portent  les noms de grands  résistants  qui  furent  des  héros  de  la  cause  algérienne.     Dans  cette  ville,  que  je  n‘ai  pas  choisie  par  hasard,  les  pierres  se  souviennent  encore de  ce  jour  de  1837  où  un  peuple  libre  et  fier,  exténué  après  avoir  résisté  jusqu‘à l‘extrême  limite  de  ses  forces,  fut  contraint  de  renoncer  à  sa  liberté.    Les  pierres  de Constantine  se  souviennent  encore  de  cette  journée  terrible  du  20  août  1955  où chacun  fit  couler  ici  le  sang,  pour  la  cause  qui  lui  semblait  la  plus  juste  et  la  plus légitime.  Ce  n’est  pas  parce  que  1955  est  l’année  de  ma  naissance  que  je  dois  ignorer cette  bataille  et  cette  date.  Le  déferlement  de  violence,  le  déchaînement  de  haine qui,  ce  jour-là,  submergea  Constantine  et  toute  sa  région  et  tua  tant  d’innocents étaient  le  produit  de  l‘injustice  que  depuis  plus  de  cent  ans  le  système  colonial  avait infligée  au  peuple  algérien.     L‘injustice  attise  toujours  la  violence  et  la  haine.  Beaucoup  de  ceux  qui  étaient  venus s‘installer  en  Algérie,  je  veux  vous  le  dire,  étaient  de  bonne  volonté  et  de  bonne  foi.  Ils étaient  venus  pour  travailler  et  pour  construire,  sans  l’intention  d‘asservir,  ni d‘exploiter  personne.  Mais  le  système  colonial  était  injuste  par  nature  et  le  système colonial  ne  pouvait  être  vécu  autrement  que  comme  une  entreprise  d‘asservissement et  d‘exploitation.     De  part  et  d‘autre,  -et  c‘est  mon  de  voir  de  Président  de  la  République  de  le  dire-,  de part  et  d‘autre,  il  y  a  eu  des  douleurs,  il  y  a  eu  des  souffrances,  il  y  a  eu  des  peines.  Ces douleurs,  ces  souffrances  et  ces  peines,  nul  en  Algérie  ni  en  France  ne  les  a  oubliées. Je  n‘oublie  ni  ceux  qui  sont  tombés  les  armes  à  la  main pour que le peuple algérien  soit de  nouveau  un  peuple  libre,  je  n‘oublie  ni  les  victimes  innocentes  d‘une  répression aveugle  et  brutale,  ni  ceux  ont  été  tués  dans  les  attentats  et  qui  n‘avaient  jamais  fait de mal à personne,  ni  ceux  qui ont  dû  tout  abandonner  :  le  fruit  d‘une  vie  de  travail,  la terre  qu‘ils  aimaient,  la  tombe  de  leurs  parents,  les  lieux  familiers  de  leur  enfance.   Mais,  jeunes  d‘Algérie,  c‘est  en  regardant  ensemble,  Algériens  et  Français,  vers  l‘avenir, que nous serons  fidèles  aux  souvenirs  de  nos  morts,  qu‘ils  soient  Algériens  ou  Français.   C‘est  en  tendant  l‘un  vers  l‘autre  une  main  fraternelle  que  nos  deux  peuples comprendront,  que tant  de fautes,  que tant  de  crimes,  que tant  de malheurs n‘auront pas  été  vains  puisqu‘ils  nous  auront  appris  à  détester  la  guerre  et  à  rejeter  la  haine.   Je  ne  suis  pas  venu  nier  le  passé.  Je  suis  venu  vous  dire  que  le  futur  est  plus  important.   Ce  qui  compte  c‘est  ce  que  nous  allons  accomplir,  et  ce  que  nous  allons  accomplir ensemble  ne  dépend  que  de  nous.    Ce  qui  compte  c‘est  que  l‘Algérie  est  aujourd‘hui un  pays  libre,  un  pays  moderne.    Ce  qui  compte  c‘est  que  l‘Algérie  et  la  France  ont  en commun des valeurs, une culture, des intérêts.   Ce qui compte c‘est que la géographie, la  mer,  la  culture,  l‘héritage  des  siècles  lient  à  jamais  les  destinées  de  l‘Algérie  et  de  la France.    Ce qui compte c‘est que dans tant de cŒurs français l‘attachement à l‘Algérie soit  si  fort,  ce  qui  compte  c‘est  que  tant  d‘Algériens  ne  peuvent  s‘empêcher  au  fond d‘eux-mêmes  de  considérer  la  France  comme  une  forme  de  deuxième  patrie.    Ce  qui compte c‘est  que l‘Algérie  et  la  France  aient  la  langue  française  en  partage  et  que  tant d‘écrivains,  tant  de  savants  expriment  en  Français  ce  qu‘il  y  a  de  plus  grand  et  de  plus beau  dans  l‘art,  dans  la  sagesse  et  dans  la  pensée  algérienne.  Et  je  souhaite  que davantage  de  Français  prennent  en  partage  la  langue  arabe  par  laquelle  s‘expriment tant  de  valeurs  de  civilisation  et  de  valeurs  spirituelles.  En  2008  j‘organiserai  en  France les  Assises  de  l‘enseignement  de  la  langue  et  de  la  culture  arabes,  parce  que  c‘est  en apprenant  chacun  la  langue  et  la  culture  de  l‘autre  que  nos  enfants  apprendront  à  se connaître  et  à  se  comprendre.  Parce  que  la  pluralité  des  langues  et  des  cultures  est une  richesse  qu‘il  nous  faut  à  tout  prix  préserver.     Mes chers amis,  je  vous  le  dis  du  fond  du  cœur,  ce  qui  compte ce n‘est  pas ce qui a  été pris  hier,  c‘est  ce  qui  sera  donné  demain  ;  ce  n‘est  pas  le  mal  qui  a  été  fait,  c‘est  le  bien qui  sera  rendu  ;  ce  n‘est  pas  ce  qui  a  été  détruit,  c‘est  ce  qui  sera  construit.  C‘est  le message,  au  nom  de  la  République  française,  que  je  voulais  dire  au  peuple  d‘Algérie  et à  la  jeunesse  d‘Algérie.   Les fautes et les crimes du passé furent impardonnables. Mais c‘est sur notre capacité à conjurer l‘intolérance, le fanatisme et le racisme qui préparent les crimes et les guerres de demain que nos enfants nous jugerons. Je le dis dans cette ville qu‘on appelait jadis la Jérusalem du Maghreb parce que sa communauté juive y était la plus importante d‘Afrique du Nord, dans cette ville qui se souvient encore que pendant des siècles Juifs et Musulmans y vécurent en paix les uns avec les autres : l‘antisémitisme n‘est pas qu‘un crime contre les Juifs c‘est un crime contre tous les hommes et un crime contre toutes les religions. Aucune cause aussi juste soit-elle ne peut justifier, à mes yeux, ce crime. Je le dis dans Constantine si croyante et dont la tolérance fut pendant tant de siècles la marque du génie : Il ne s‘agit pas seulement de condamner le racisme, encore moins de répondre au racisme par le racisme, il s‘agit de le combattre. Je combattrai le racisme qu‘il soit anti-arabe, anti-juif, anti noir, anti blanc, il n‘est pas possible de transiger avec le racisme. Et la France ne transigera jamais avec le racisme. La France sera toujours au côté de ceux qui ne transigent pas. La France ne transigera pas avec l‘islamophobie. La France ne transigera pas avec l‘antisémitisme. La France ne transigera pas avec le fanatisme. La France ne transigera pas avec l‘intégrisme. Elle ne transigera avec aucune forme d‘extrémisme, avec aucune forme de terrorisme. L‘Algérie, -je suis venu vous le dire-, trouvera toujours la France à ses côtés lorsqu‘il s‘agira de combattre le terrorisme, l‘extrémisme, l‘intégrisme, l‘islamophobie. Mais si nous voulons ensemble vaincre un jour l‘islamophobie, l‘antisémitisme, le racisme, le fanatisme, si nous voulons décourager le terrorisme, il ne faut pas que nous transigions non plus avec la Justice. Et je sais que le mot justice ici, en Algérie, cela compte. Car c‘est du sentiment de l‘injustice que les terroristes tirent leur plus grande force. Priver les Palestiniens d‘un Etat-nation, est une injustice que la France n‘acceptera pas. Ne pas reconnaître à Israël le droit de vivre en sécurité est une injustice. Empêcher les croyants de pratiquer leur religion, refuser la liberté de conscience et la liberté de culte, c‘est une injustice. On ne combat pas le fanatisme, on ne combat pas l‘intégrisme en combattant la religion. On combat l‘intégrisme et le fanatisme en favorisant une idée ouverte et tolérante de la religion. Je ne crois pas que les grandes religions soient une menace pour la paix. Je ne crois pas que les grandes religions constituent un obstacle au progrès, je ne crois pas que les grandes religions soient un facteur d‘obscurantisme. Je crois tout le contraire. Je crois que le sentiment religieux est un sentiment très noble. Et quand je regarde vos mosquées et quand je regarde nos cathédrales, je vois ce que la foi peut accomplir de grand et de plus beau.   Et je me dis que ce que nous pouvons accomplir ensemble, Musulmans, Chrétiens, Juifs, doit pouvoir être plus beau et plus grand encore. Je pense à la coupole de la Basilique Notre-Dame d‘Afrique à Alger, sur laquelle il est écrit : Notre Dame d‘Afrique, priez pour nous Chrétiens et pour les musulmans . Je pense au testament si émouvant du Père Christian, supérieur du monastère de Tibhirine, s‘adressant, visionnaire, à son assassin : Et toi aussi, l‘ami de la dernière minute qui n‘auras pas su ce que tu faisais (… ) qu‘il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux au Paradis, s‘il plaît à Dieu, notre Père à tous les deux . Et Père Christian termine en disant : Amen ! Inch Allah ! Ce jour-là, le Père Christian a fait honneur à l‘Algérie, à la France et à la foi universelle dans le monde des croyants. Je pense à l‘Emir Abd El Kader, sans doute la plus belle et la plus noble figure de l‘histoire algérienne, je pense à sa foi, une foi si rayonnante, je pense à son Islam si authentique, si ouvert, si humaniste. Je pense à ce héros qui s‘était battu jusqu‘au bout de ses forces pour l‘indépendance de l‘Algérie et qui en 1860 à Damas sauva tant de vies chrétiennes du massacre, non pas parce qu‘elles étaient chrétiennes mais parce que c‘étaient des vies et qu‘il considérait que sa foi de musulman lui faisait un devoir de sauver des vies. C‘est cela le message de l‘Islam que vous devez porter en Algérie et ailleurs. Oui, moi, le Président de la République française, je pense à la sagesse de cet homme de culture et de foi qui entretenait une correspondance suivie avec l‘évêque d‘Alger, qui s‘intéressait à la Franc Maçonnerie et qui voulut être enterré à côté du tombeau d‘Ibn Arabî, ce grand sage de l‘Islam dont il se considérait comme le disciple et qui a dit : Je professe la religion de l‘Amour, l‘Amour est ma religion et ma foi . Les terroristes salissent un Islam qu‘ils ne connaissent pas. C‘est à cette Algérie de la tolérance, c‘est à cette Algérie de l‘amour qui est son plus beau visage que je veux m‘adresser. Si chacun d‘entre nous, Chrétiens, Musulmans, Juifs, nous allons au fond de nous-mêmes, au fond de nos traditions, au fond de nos croyances, au fond des cultures dont nous sommes les héritiers, alors nous découvrirons au-delà de tout ce qui nous sépare, de tout ce qui nous oppose, que ce que nous avons accompli de plus beau et de plus grand procède, au fond, des mêmes valeurs, de la même raison et du même idéal. En m‘adressant aujourd‘hui à la jeunesse algérienne, je m‘adresse à la jeunesse d‘un pays qui s‘est toujours reconnu dans un Islam humaniste et ouvert, un Islam des Lumières. En m‘adressant à la jeunesse algérienne, je veux parler à ces centaines de millions de musulmans dans le monde qui se reconnaissent comme les héritiers d‘un Islam qui a toujours su faire dialoguer la foi et la raison. Je veux parler d‘ici, à Constantine, à ces centaines de millions de musulmans dans le monde qui ne sont pas seulement les enfants d‘Ibn Arabî, mais aussi les enfants de Platon, d‘Aristote et de Saint Augustin, et qui ne se reconnaissent pas dans le fanatisme et dans l‘intégrisme. Je ne veux pas d‘un amalgame entre l‘Islam et  les  terroristes.  Je  ne  veux  pas  d‘un  amalgame  entre  les  musulmans  et  les  fanatiques. Il  fallait  que  cela  soit  dit  ici,  à  Constantine.  Au  nom  de  la  France  laïque  et  républicaine, je  veux  dire  à  des  centaines  de  millions  de  musulmans  dans  le  monde  que  leur  foi,  que les  valeurs  de  la  civilisation  dont  ils  sont  les  dépositaires  peuvent  être  une  chance  pour le  monde.    Je veux  leur  dire  qu‘ils  doivent  se  battre  pour  l‘idée  qu‘ils  se  font  de  leur  foi et  pour leurs  valeurs.    Je  veux  leur  dire que  la  France  les  aime,  que  la  France  les  respecte et  que  dans  ce  combat  elle  sera  à  leur  côté  parce  que  ce  combat  d‘un  Islam  ouvert, d‘un  Islam  des  Lumières,  est  un  combat  pour  tous  les  hommes,  un  combat  pour  toute l‘humanité.    Je  ne  suis  pas  venu  vanter  une  fois  de  plus  les  mérites  d‘un  dialogue hypothétique  des  civilisations,  des  cultures  ou  des  religions.  Parce  qu‘il  ne  s‘agit  plus simplement  de  dialoguer,  il  s‘agit  d‘agir  et  de  construire  maintenant,  tout  de  suite, ensemble.    A  voir  la  situation  politique,  économique  et  sociale  dans  certaines  parties du  monde  méditerranéen,  à  voir  les  conflits  qui  les  déchirent  à  plusieurs  endroits,  à voir  les  inégalités  souvent  si  grandes  et  la  misère  si  criante,  à  constater,  comme l‘actualité  nous  en  donne  chaque  jour  l‘occasion,  le  retour  de  la  violence  primitive  à travers  toutes  les  formes  du fanatisme religieux et du terrorisme,  je veux me demander devant  vous si depuis  quelques décennies  nous  n‘avons pas trop parlé  et  pas assez agi.   On  peut  se  demander  si  le  moment  n‘est  pas  enfin  venu  d‘aller  solliciter  au  fond  de nous-mêmes  ce  qui  fait  l‘unité  intellectuelle,  morale,  religieuse  du  monde méditerranéen  que  durant  des  siècles  tant  de  croisades,  de  guerres  prétendument saintes,  d‘entreprises  coloniales  ont  fait  éclater.  Tournons  la  page  !    C‘est  le  temps maintenant.    Dans  le  monde  tel  qu‘il  est  aujourd‘hui,  où  des  forces  matérielles  et humaines  d‘une  extraordinaire  puissance  sont  à  l‘Œuvre,  il  nous  faut  nous  convaincre les  uns  et  les  autres  qu‘il  est  devenu  vital  de  donner  plus  de  force  à  ce  qui  nous  unit  et d‘arrêter  de  parler  de  ce  qui  nous  oppose.     Nous  devons  réapprendre  à  vivre  avec  un  mot  que  je  veux  vous  proposer  en  partage, nous  devons  apprendre  à  vivre  notre  diversité  au  nom  de  ce  que  nous  avons  en commun. Le mot diversité ne me fait pas peur. Il est beau. La Méditerranée ne se place à  l‘avant-garde  de  la  civilisation  mondiale  que  lorsqu‘elle  sait  brasser  les  hommes  et les  idées.   La  civilisation  méditerranéenne  n‘a  jamais  été  grande  que  par  l’échange,  que  par  le mélange  et  j‘ose  le  mot,  elle  n‘a  jamais  été  si  grande,  la  civilisation  méditerranéenne, que  par  le  métissage.  La  civilisation  méditerranéenne  ne  résistera  pas  autrement demain  à  l‘aplatissement  programmé  du  monde.  La  civilisation  méditerranéenne  ne conjurera  pas  autrement  le  risque  d‘un  choc  des  civilisations  et  d‘une  nouvelle  guerre des  religions.  Elle  n‘empêchera  pas  autrement  la  grande  catastrophe  écologique  qui nous  menace.    La  diversité,  j‘ai  voulu  qu‘elle  soit  reconnue  en  France  en  organisant l‘Islam  de  France.  Je  salue  la  présence  de  Dalil.  Mais  la  diversité,  nous  devons  la reconnaître  partout  comme  une  valeur  de  civilisation,  comme  un  principe  politique fondamental  aussi  important  que  la  démocratie.    C‘est  au  nom  de  la  diversité  que  le Liban  doit  vivre  libre,  indépendant,  débarrassé  des  influences  extérieures.    C‘est  au nom  de  la  diversité  que  l‘intégrisme  et  l‘intolérance  doivent  être  combattus  sans merci.  Le  peuple  d‘Algérie,  vous  avez  été  bien  courageux  dans  les  années  90,  et  bien seuls.  Ceux  qui  vous  jugeaient  alors  voient  dans  le  tribunal  de  l‘histoire  qu‘ils  ont  eu tort,  parce  que  si  vous  n‘aviez  pas  combattu  dans  les  années  90,  eh  bien  nous  n‘en serions  pas  là  et  je  ne  pourrais  pas  aujourd‘hui,  à  Constantine,  dire  ce  que  j‘ai  envie  de dire.    La  diversité,  l‘échange,  le  métissage,  l‘ouverture  à  l‘autre,  tels  sont  les  principes qui  doivent  fonder  l‘Union  de  la  Méditerranée.  Tels  sont  les  principes  sur  lesquels  les pays  riverains  de  la  Méditerranée  doivent  s‘entendre  pour  construire  un  avenir commun qui ne soit pas seulement celui que le destin  et les  événements choisiront  de nous  imposer.    Alors,  les  sceptiques,  Abdelaziz,  et  Dieu  sait  s‘il  y  en  a,  doutent  qu‘une telle  entreprise  puisse  réussir.    Les  sceptiques  croient  que  les  différences  sont  trop grandes,  les  fractures  trop  profondes.  Tous  ceux  qui  m‘expliquaient  :   c‘est  dur  d‘aller en  Algérie  .  Ah  bon,  pourquoi  ?  Ce  n‘est  jamais  que  deux  heures  et  demie  d‘avion  !   Mais  moi,  je  pose  la  question  :  ce  que  firent  jadis  les  grands  savants  musulmans  qui transmirent  à  l‘Occident  l‘héritage  de  la  Grèce  qu‘ils  avaient  sauvé  de  la  destruction, eux  l‘ont  réussi  et  nous,  nous  ne  le  pourrions  pas  ?    Pourquoi  le  grand  miracle  andalou, pourquoi  le  miracle  de  Cordoue  et  celui  de  Grenade,  ne  pourraient-ils  plus  se reproduire  ?  Ils  étaient  donc  plus  intelligents,  plus  courageux  que  nous  ?  Pourquoi  la diversité  qui  fut  si  longtemps  le  lot  de  Constantine,  d‘Alexandrie  ou  de  Beyrouth, pourquoi  cette  diversité  serait-elle  devenue  impossible  ?  Serions-nous  si  peu  à  l‘image de  ceux  qui  nous  ont  précédés  ?  Ils  étaient  ouverts,  nous  serions  devenus  sectaires. Alors  qu‘il  n‘a  jamais  été  aussi  facile  de  se  déplacer  et  de  communiquer,  ce  qu‘ils  ont fait  avant-hier,  nous  ne  serions  pas  capables  de  le  faire  pour  demain  ?    Pourquoi  les grandes  religions  monothéistes,  dont  j‘affirme  qu‘elles  sont  des  religions  d‘amour  et non  de  haine,  pourquoi  donc  seraient-elles  incapables  de  vivre  en  paix  les  unes  avec les  autres  ?  Je  n‘ai  pas  l‘intention  que  nous  nous  laissions  imposer  le  calendrier  et  le bréviaire  de  tous  les  fanatiques  du  monde.   Pourquoi  la  sagesse  d‘Abd  El  Kader  seraitelle  hors  de  portée  des  croyants  d‘aujourd‘hui  ?  Pourquoi  les  croyants  d‘aujourd‘hui  se laisseraient-ils  manipuler  ?    Pourquoi  le  testament  du  père  Christian  sur  cette  terre d‘Algérie  n‘amènerait-il  pas  les  hommes  de  bonne  volonté  à  préférer  le  pardon  à  la vengeance  ?    Pourquoi  la  paix  et  la  fraternité  seraient-elles  plus  difficiles  entre  nous, les  peuples  de  la  Méditerranée  qu‘elles  ne  l‘ont  été  dans  l‘après-guerre  entre  les peuples  européens  ?  Croyez-vous  que nous nous soyons moins battus en Europe qu‘en MÒéditerranée  ?  Nous  nous  sommes  tant  combattus  en  Europe,  pendant  des  siècles, et  nous  nous  sommes  combattus  en  Europe  jusqu‘à  l‘extrême  limite  de  l‘horreur  ?  Et  pourtant,  nous  nous  sommes  pardonnés.    L‘Union  de  la  Méditerranée,  je  ne  l‘ignore nullement,  c‘est  un  pari  et  c‘est  un  défi.  Un  pari  dicté  par  l‘idéal  autant  que  par  la raison.  Un  pari  qui  n‘est  ni  plus  ni  moins  raisonnable  que  celui  de  l‘Europe  il  y  a  une soixante  ans.  Je  fais  le  pari  de  la  compréhension,  du  respect,  de  la  solidarité  et  de l‘amour.  Je  préfère  ce  pari  là  à  celui  de  la  vengeance,  des  malentendus,  de  la  haine,  de la  barbarie.    Ce  pari,  la  France  est  venue  le  proposer  à  l‘Algérie.  Ce  pari,  la  France  veut le  gagner  avec  l‘Algérie.  Comme  la  France  offrit  jadis  à  l‘Allemagne  de  construire l‘Union  de  l‘Europe  sur  l‘amitié  franco-allemande,  la  France  est  venue  aujourd‘hui proposer  à  l‘Algérie  de  bâtir  l‘Union  de  la  Méditerranée  sur  l‘amitié  franco-algérienne.     C‘est  parce  qu‘il  y  avait  tant  de  douleurs  à  surmonter  que  ce  que  firent  le  Chancelier Adenauer  et  le  Général  de  Gaulle  eut  une  telle  importance  pour  l‘Europe.    C‘est  parce qu‘il  y  a  tant  de  douleurs  à  surmonter  que  ce  que  vont  faire  ensemble  l‘Algérie  et  la France  a  tant  d‘importance pour  ce qui  va  advenir  de la Méditerranée.    Vous savez,  j‘ai été  élevé  par  mon  grand-père.  Il  détestait  les  Allemands.  Chez  moi,  on  n‘appelait  pas les  Allemands  de  ce  nom-là.  J‘ai  été  élevé  comme  cela.  Quant  de  Gaulle  a  dit  avec Adenauer  qu‘il  fallait  pardonner  et  qu‘il  fallait  regarder  vers  l‘avenir,  mon  grand-père qui  avait  eu  peur  et  qui  avait  tant  souffert,  a  suivi  les  hommes  d‘Etat  qui  proposaient la  paix  et  non  pas  la  vengeance.     Eh  bien,  croyez-moi,  je  n‘ignore  nullement  les  douleurs,  les  souffrances,  les  malheurs que  votre  peuple  a  ressenti.  Mais  je  vous  dis  une  chose  :  ce  qu‘il  a  été  possible  de  faire en  Europe,  il  est  possible  de  le  faire  en  Méditerranée.     Cette  amitié  entre  nos  deux  peuples,  elle  ne  peut  reposer  que  sur  la  confiance.   Il  faut  que  l‘Algérie  et  la  France  se  fassent  confiance.  C‘est  difficile  de  dire  cela  et  je n‘ignore  rien  de  tout  ce  qui  se  passe,  mais  il  faut  se  faire  confiance.     L‘accord  de  coopération  dans  le  nucléaire  civil  que  nos  deux  pays  ont  conclu  est  la marque  de  cette  confiance  que  la  France  fait  à  l‘Algérie.    Et,  je  le  dis  au  nom  de  la France,  le  partage  du  nucléaire  civil  sera  l‘un  des  fondements  du  pacte  de  confiance que  l‘Occident  doit  passer  avec  le  monde  musulman.    Parce  qu‘elles  ont  choisi  de  se faire  confiance,  l‘Algérie  et  la  France,  se  sont  mises  d‘accord  pour  réfléchir  à  la  mise en  Œuvre  d‘une  nouvelle  politique  d‘immigration  qui  serait  décidée  ensemble.  Il  faut parler  des  questions  qui  fâchent.  C‘est  la  seule  façon  de  surmonter  des  malentendus et  des  désaccords.  Parce  qu‘elles  se  feront  confiance,  l‘Algérie  et  la  France permettront  aux  jeunesses  de  nos  deux  pays  de  pouvoir  aller  étudier  plus  facilement là  où  elles  le  souhaitent  ;  à  ceux  qui  veulent  aller  rendre  visite  à  leurs  familles  de  mieux pouvoir  le  faire  ;  aux  entrepreneurs,  aux  hommes  d‘affaires,  aux  chercheurs  de  circuler plus  librement  ;  mais  elle  permettrait  aussi  de  mieux  lutter  ensemble  contre  une immigration  clandestine,  ou  de  définir  ensemble  les  incitations  à  mettre  en  place  pour que l‘élite  de  la  jeunesse  algérienne  formée  dans  les  écoles  et  les  universités  françaisessoit  encouragée  à  revenir  en  Algérie,  parce  que  l‘Algérie  a  besoin  de  l‘intelligence,  des compétences,  de  l‘énergie  et  de  l‘imagination  de  ses  jeunes  élites.     M ais  l‘amitié, c‘est  la  jeunesse  qui  la  fera  vivre.    Cette  amitié,  Abdelaziz,  les  gouvernants  peuvent  en  faire  le  principe  de  leurs politiques  mais,  en  fin  de  compte,  cette  amitié  sera  l‘Œuvre  de  la  jeunesse  algérienne et de la jeunesse française.   Puissent-elles,  l‘une  et  l‘autre,  comme  la  jeunesse  française  et  la  jeunesse  allemande quand  il  s‘est  agi  pour  nos  deux  vieux  pays  si  longtemps  ennemis  de  se  tourner  vers l‘avenir,  puissent-elles  se  rapprocher,  se  connaître  mieux,  se  lier  davantage.    Les jeunesses  de  nos  deux  pays  ont  ceci  en  commun  que  se  pose  à  elles  avec  insistance l‘angoissante  question  de  leur  avenir.  Je  voudrais  que  pour  une  partie  au  moins  nous  y répondions  ensemble.     C‘est  pourquoi  j‘ai  proposé  au  Président  Bouteflika  de  réfléchir  à  la  création  d‘une université  commune  franco-algérienne.    Ce  sera  l‘objectif  aussi  des  pôles  d‘excellence communs  composés  d‘universitaires,  de  chercheurs  et  de  techniciens  de  nos  deux pays  que  nous  allons  mettre  en  place  dans  la  médecine,  dans  la  microbiologie,  dans l‘eau,  dans  les  énergies  renouvelables  ou  les  risques  majeurs…     La  France apportera son concours à la réforme des écoles d‘ingénieurs  qui va  être mise en  Œuvre  par  le  gouvernement  algérien.  La  France  continuera  d‘accueillir  encore  plus d‘étudiants  algériens  dans  ses  écoles  et  dans  ses  universités.    Mais  le  plus  important peut-être  serait  pour  que  les  jeunesses  de  nos  deux  pays  se  lient  davantage,  que  nous puissions  un  jour,  Abdelaziz,  créer  une  institution  commune  franco-algérienne  de  la jeunesse.    Elle  permettrait  de  faciliter  les  échanges  d‘écoliers,  de  lycéens,  d‘étudiants, de  sportifs,  d‘organiser  des  événements,  des  rencontres.    Elle  pourrait  servir  de préfiguration à  d‘autres  institutions  du  même genre autour de la Méditerranée et peutêtre  même  à  une  institution  méditerranéenne  de  la  jeunesse  qui  pourrait  s‘inspirer  de ce  qui  se  fait  déjà  au  sein  de  l‘Union  européenne  entre  tous  les  pays  membres  avec  le programme  Erasmus.    Jeunes  d‘Algérie,  depuis  bien  longtemps  nos  deux  pays  se mélangent.  Depuis  longtemps  ce  ne  sont  plus  deux  pays  étrangers  l‘un  à  l‘autre.   Beaucoup  d‘entre  vous  apprennent  le  français  et  beaucoup  d‘entre  vous  rêvent  de venir  en  France.  , Il  reste  en  Algérie  28  000  anciens  combattants  de  la  Seconde  Guerre  Mondiale  qui  se sont battus  pour  la  libération  de la  France et  envers  qui la  France a  une dette éternelle. La  France  n‘oubliera  jamais  ce  qu‘ont  fait  les  Algériens  pour  sa  libération.    La  plupart des  Algériens  ont  un  membre de leur famille  qui  vit  en France.   Il y  a en  France presque un  million  d‘Algériens  officiellement  enregistrés  dont  près  de  la  moitié  a  la  double nationalité.    Des  centaines  de  milliers  de  Français  sont  nés  en  Algérie.  Cette imbrication de nos deux peuples nous crée un devoir, un devoir de solidarité appelé à devenir toujours plus fort. Cette solidarité, nous devons la refonder sur l‘amitié et sur la confiance. A la France, il appartient de repenser son modèle d‘intégration. A l‘Algérie, il appartient de décider ce qu‘elle veut faire avec la France et comment elle veut le faire. A chacun de nos deux pays, il appartient de respecter la mémoire de l‘autre, et sans rien oublier, de regarder vers l’avenir. A chacun de nos deux pays, il appartient de promouvoir la meilleure part de lui-même, la plus ouverte, la plus humaniste, la plus tolérante, sans renoncer à ce qu‘il est. Après bien des détours et des ruses de l‘Histoire, la France et l‘Algérie se trouvent en même temps confrontées au même défi. La France et l‘Algérie ont besoin l‘une et l‘autre d‘une nouvelle Renaissance. La France et l‘Algérie ont besoin l‘une et l‘autre d‘une politique de civilisation qui ne produise pas seulement des progrès matériels mais qui produise aussi des valeurs, qui produise aussi de l‘identité, qui produise aussi une espérance, qui produise de la qualité et pas seulement de la quantité. Je veux lancer ici à Constantine un appel pressant à l‘Occident pour qu‘il se dépouille de toute volonté de domination et qu‘il cesse de croire, qu‘il est à lui seul toute la civilisation mondiale. Je veux lancer le même appel pressant à tous ceux qui se reconnaissent dans un Islam de progrès pour qu‘il défende l‘égalité de l‘homme et de la femme, pour qu‘il défende les droits de l‘Homme, pour qu‘il défende le respect de la diversité, parce que ces principes, ces valeurs lui appartiennent aussi. Je lance un appel à cet Islam de progrès pour qu‘il reconnaisse au peuple d‘Israël qui a tant souffert le droit de vivre libre. Je lance un appel au peuple d‘Israël pour qu‘il n‘inflige pas au peuple palestinien la même injustice que celle qu‘il a subie lui-même pendant tant de siècles. Je lance un appel aux dirigeants du peuple israélien et du peuple palestinien pour qu‘ils saisissent la paix qui est aujourd‘hui à portée de leurs mains s‘ils savent se montrer capables de surmonter la haine qui se nourrit du souvenir de leurs malheurs respectifs. Je lance un appel à tous les peuples de la Méditerranée pour qu‘ils s‘unissent et que dans cette union ils mettent toute leur énergie et toutes leurs forces au lieu de les mettre à se combattre, et à se détester. Il n‘y a pas d‘avenir dans la haine. Et à vous, jeunes d‘Algérie, je veux lancer un message d‘amitié et de confiance. Faites vôtre ce grand rêve méditerranéen de fraternité qui attend depuis des siècles qu‘une jeunesse ardente s‘en empare et avec votre intelligence, avec votre vitalité, avec votre imagination vous changerez l‘Algérie, vous changerez le monde. Vive l‘Algérie ! Vive la France !     

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