« Après le voyage de 1981, on observe la conclusion de nombreux accords de coopérations, et le développement des relations économiques. Mais encore une fois, les questions mémorielles ne seront pas abordées. D’autant que le passé algérien de François Mitterrand, lorsqu’il était Ministre de l’Intérieur puis Ministre de la Justice entre 1954 et 1957, reste à l’époque très peu connu du grand public (en particulier son rôle sur les condamnations à mort de militants nationalistes algériens lorsqu’il était ministre de la Justice, pendant la fameuse ! Bataille d’Alger "). »
« Au début des années
2000, une accélération mémorielle se produit. Le 10 juin 1999 l’Assemblée
Nationale française reconnaissait le terme de ! Guerre d’Algérie " pour
caractériser cette période de l’histoire. La France s’est enfin décidée à
parler de ! Guerre ". Près de quarante ans après, la conclusion de
celle-ci, l’exigence de reconnaissance est devenue trop forte dans la société
française pour que les euphémismes puissent persister. L’aspect traumatique de
ce conflit avec tout ce qui touche au domaine des mémoires a traversé
l’ensemble des générations. Le fait de reconnaître cette guerre ouvre une
nouvelle période difficile à traiter, et aux conséquences incalculables. Se
confrontent encore les réclamations des soldats, des harkis, des ! Pieds-noirs
", mais aussi des Algériens, de tous les protagonistes et de toutes les
victimes de cette tragédie aux effets encore sensibles. Avec la reconnaissance
officielle en France de la ! Guerre d’Algérie ", le problème de
terminologie n’est pourtant pas vraiment réglé concernant la dénomination de
cette guerre. Le mot utilisé n’est pas le même sur les deux rives de la
Méditerranée. En Algérie, il est possible d’évoquer une ! Guerre de libération
", une ! Guerre d’indépendance ", une ! Révolution algérienne ".
En France, après avoir longtemps parlé ! D’événements «, D’opérations de police
", reconnaît-on vraiment la guerre ? Dans la loi du 10 juin 1999, il est
question de ! Guerre d’Algérie " et non de ! Guerre en Algérie ".
Dire ! Guerre en Algérie ", ce serait reconnaître alors une guerre entre
deux pays séparés. Mais l’Algérie n’était pas séparée de la France à l’époque
coloniale, formant trois départements intégrés au territoire national. Les
querelles de mots ont leur importance car ceux-ci traduisent et forgent des
imaginaires séparés. Le travail mémoriel s’accélère.»
« Le samedi 4 novembre
2000, le Premier ministre français Lionel Jospin apporte son soutien à un appel
lancé par des intellectuels, publié par le journal communiste L’Humanité le 31
octobre 2000. Dans cet appel, signé entre autres par Henri Alleg (son ouvrage
La question, publié puis interdit en 1958 avait fait grand bruit) ou le
mathématicien Laurent Schwartz (fondateur du comité Maurice Audin en 1957), on
pouvait lire qu’il revient à la France, eu égard à ses responsabilités, de
condamner la torture qui a été entreprise en son nom durant la guerre d’Algérie
". Le soutien du Premier ministre est perçu comme un encouragement au
développement de témoignages, et prises de positions idéologiques, sur cette
question de la torture. Le quotidien Le Monde est en pointe sur ce thème. Ce
journal avait déjà publié le 20 juin 2000 le témoignage recueilli par Florence
Beaugé, de Louisette Ighilariz, une militante algérienne indépendantiste.
Pendant trois mois à la fin de 1957, à Alger, cette jeune fille alors âgée de
vingt ans, fut atrocement torturée à l’état-major de la dixième division
parachutiste du général Massu. Toujours sous la signature de Florence Beaugé,
Le Monde publie le 9 novembre 2000 la terrible histoire d’une jeune femme,
Kheira, violée par des militaires français puis, le 11 novembre, les récits de
Pierre Alban Thomas, capitaine au deuxième bureau chargé de renseignement, de
Georges Fogel et d’André Brémaud, simples soldats du contingent en Algérie. Ils
disent avoir regardé la torture sans intervenir, et ce souvenir si longtemps
occulté leur laisse un sentiment de dégoût et de honte. »
« L’année 2001-2002
marque donc le franchissement d’un seuil. Le jeudi 5 décembre 2002, le
Président de la République française, Jacques Chirac, inaugure à Paris un mémorial
national " à la mémoire des soldats français morts en Algérie, au Maroc et
en Tunisie de 1952 à 1962. Il déclare : Quand le bruit des armes s’est tu
depuis longtemps, quand les plaies se sont lentement refermées, non sans
laisser de profondes cicatrices, alors, vient le temps de la mémoire et de la
reconnaissance. Aujourd’hui, au nom de tous les Français, je veux rendre
l’hommage de la nation aux soldats morts pour la France en Afrique du Nord, il
y a presque un demi-siècle. Ils furent plus de 22 000. Je veux saluer, avec
ferveur et gratitude, leur dévouement, leur courage, leur jeunesse sacrifiée.
Je veux dire à leurs familles meurtries que nous ne les oublierons jamais.
C’est le message que porte ce mémorial national de la guerre d’Algérie et des
combats du Maroc et de la Tunisie "27. Jacques Chirac a également associé
à l'hommage les harkis - les Algériens qui ont combattu aux côtés des Français
pendant la guerre d'indépendance de l'Algérie (1954-1962) - qui ont tant donné
à notre pays ". La France, adresse aujourd'hui un message tout particulier
d'estime, de gratitude et d'amitié à leur égard ", a poursuivi le
président français. ! Quarante ans après la fin de la guerre d'Algérie, après
ces déchirements terribles au terme desquels les pays d'Afrique du Nord se sont
séparés de la France, notre République doit assumer pleinement son devoir de
mémoire ". Ce mémorial, situé quai Branly à Paris, près de la tour Eiffel,
consiste en un ensemble de trois colonnes alignées, hautes de six mètres. Dans
chacune d’elles, un afficheur électronique fait défiler dans un premier temps
les noms et prénoms de quelque 23.000 soldats, dont 3.000 harkis. Se construisent
de la sorte des espaces mémoriels qui, à leur tour et avec le passage du temps,
deviendront des instruments de perpétuation de la mémoire. L’année suivante,
plusieurs centaines de milliers de personnes se pressent à Alger puis à Oran,
aux premiers jours de mars 2003, pour acclamer le président Chirac, en visite
d'Etat en Algérie. La foule des Algériens massés le long du parcours officiel
surprend par son ampleur et son enthousiasme. Au lendemain de cette visite où
des espoirs de réconciliation sont permis, un traité d’amitié entre les deux Présidents,
Abdelaziz Bouteflika et Jacques Chirac est envisagé sérieusement. »
« Autre manifestation de
ce devoir de mémoire ", le Président français dépose une gerbe au
cimetière de Bologhine (ex-Saint Eugène), dans les faubourgs Ouest d’Alger, qui
comporte vingt-cinq mille tombes européennes et quatre mille huit cents tombes
juives. Il annonce, devant la communauté française locale, un plan visant à
entretenir et rénover les cimetières européens d’Algérie, dont la plupart sont
pratiquement à l’état d’abandon. Preuve d’un changement évident de climat
" autour de la mémoire de la guerre d’Algérie : aucune grande association
de pieds-noirs " ou de harkis ne proteste contre cette visite d’État en
Algérie… Une page douloureuse se tourne-t-elle enfin ? »
« Le vendredi 2 septembre
2005, à Chlef, au Stade Boumezrag, Abdelaziz Bouteflika prononce un discours
électoral. Il aborde, devant un auditoire attentif, une question taboue : les
harkis. Il déclare : Les enfants des harkis ont les mêmes droits que le reste des
Algériens, à condition qu’ils défendent ce paisible pays. " Les enfants
des harkis ne sont pas responsables des actes de leurs parents. " Bien
accueillie par une partie de la communauté harki, la façon de procéder est
toutefois condamnée par une autre importante partie : comment dissocier, voire
opposer, la figure du père à celle des enfants ? Comment accepter de revenir en
Algérie, sans la présence de ses parents ? Faut-il condamner les actions
passées de son père comme condition d’un retour possible ? Les dirigeants
algériens insistent sur le traumatisme de violence subi pendant la période de
guerre pour justifier leur position, qui ne bougera pas. »
«Dans le discours politique
algérien officiel, mais aussi dans une large partie de l’opinion algérienne, le
souvenir d’une période coloniale traumatisante subsiste fortement (le leader
Algérien Ferhat Abbas, a évoqué une nuit coloniale "), avec les violences,
les exactions commises au temps de la guerre (et que bien peu de Français
connaissent). Ce souvenir s’est transmis dans les nouvelles générations.
Citons, en particulier, le déracinement/déplacement de deux millions de paysans
algériens, chassés de leurs terres dans le souci d’isoler les indépendantistes
algériens de leur base sociale, rurale. Ce déplacement forcé, qui a causé un
énorme bouleversement dans le paysage agricole de l’Algérie, a été dénoncé en
son temps par le jeune énarque Michel Rocard, dans un Rapport " de 1959.
Citons aussi, la destruction de centaines de villages et la mise en place des zones
interdites " où aucun Algérien ne pouvait plus circuler sous peine d’être
abattu ; les dizaines de milliers de disparus, dont les familles réclament
encore de connaître l’endroit où gisent leurs corps ; l’utilisation du napalm,
qui porte le nom de bidons spéciaux ", notamment pendant la mise en œuvre
du Plan Challe en 1959 ; la pose de milliers de mines aux frontières marocaine
et tunisienne qui ont tués ou estropiés des milliers de jeunes Algériens ; la
contamination des populations sahariennes par les bombes atomiques par les
essais nucléaires commencés en 1960 ; la pratique massive de la torture ;
l’exil de centaines de milliers d’Algériens vers le Maroc ou la Tunisie ; la
mise en place de centres de rétention administrative où étaient détenus des
milliers d’Algériens, souvent sans jugement… Tous ces cas et d’autres, bien
documentés par les travaux récents d’une nouvelle génération d’historiens en
France, ou à l’échelle internationale, témoignent de la brutalisation de la
société algérienne ; et ils peuvent encore faire l’objet d’enquêtes,
d’investigations, par des commissions de chercheurs d’une rive à l’autre de la
méditerranée. »
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