"Trop d’attachement hystérique à ce que fut l’Algérie a perturbé les relations entre métropole et pieds-noirs, entre les Algériens et nos gouvernants, entre Français de souche et Français de l’immigration avec leurs divergences où se côtoient ou non les vieux ouvriers de Renault, les harkis et les jeunes de la seconde et troisième génération. Cet attachement sentimental est pathologique mais ne s’efface pas. Seule l’éducation par la presse et l’école peut, en mêlant histoire, philosophie, morale et civisme, convaincre d’ériger la tolérance en mode absolu. Tâche ardue et toujours recommencée que vous illustrez au mieux et dont vous ne vous découragez pas, même si un éloignement temporaire peut vous être nécessaire pour apaiser les regrets et une irritation compréhensible. Lettre de Jean-Louis Roy, fils de Jules Roy, décembre 2020.""
"Réconciliation, parce que l’Algérie occupe une place très importante dans l’ensemble du bassin méditerranéen. L’Algérie, avec ses 1400 kilomètres de côtes est la plus longue frontière entre l’Afrique et l’Europe. Il est inutile de préciser que son rôle dans les développements migratoires est essentiel dans cette partie du monde. D’autre part, le Sahara algérien, plus grand désert du monde, occupe des centaines de kilomètres de frontières, avec la Libye, le Niger, le Mali… C’est la plus grande frontière saharienne, où se joue un affrontement considérable face aux groupes djihadistes qui tentent de déstabiliser la région subsaharienne. Cette double frontière, méditerranéenne et saharienne, donne à l’Algérie un poids considérable dans le règlement des problèmes actuels, sur l’immigration, le terrorisme, ou l’instabilité qui règne dans certains pays de cette zone. Comment, alors, ne pas regarder ensemble vers l’avenir pour affronter ces défis du XXI e siècle ? On pourrait aussi ajouter à ces questions essentielles, le fait de partir ensemble à la recherche commune d’énergies renouvelables ; d’approfondir nos relations économiques au moment ou la Chine occupe une place de premier ordre sur le marché algérien ; ou de parler aux jeunes générations en perte de repères identitaires. Le passé colonial, et la guerre d’Algérie, constitue désormais en France l’un des points de cristallisation de la réflexion fébrile qui s’est nouée çà et là autour de l’ identité nationale , au sein d’une société française éminemment diverse dans ses origines. Ainsi en atteste la virulence de débats récents autour de la loi du 23 février 2005 sur la colonisation positive , et des dangers de la repentance , ou à propos des traumatismes laissés par l’esclavage. Les souvenirs de la colonisation ont laissé des traces fort inégales dans l’histoire coloniale et l’Algérie y occupe une place centrale par la longueur du temps de la présence française, (132 ans), la forte colonisation de peuplement européen, la découverte du pétrole et du gaz, l’expérimentation des essais nucléaires au Sahara, et la cruauté d’une guerre de plus de sept ans. On a vu que cette histoire particulière concerne toujours des millions français, piedsnoirs et soldats, officiers et harkis, immigrés algériens, bi-nationaux vivant des deux côtés de la Méditerranée. Comme je l’ai montré, des pas ont été accomplis comme le vote à l’Assemblée nationale en 1999, de la reconnaissance d’une guerre qui avait eu lieu en Algérie ou la reconnaissance, en 2005, des massacres commis à Sétif et Guelma en 1945. Aussi du discours prononcé par François Hollande en décembre 2012 sur la férocité du système colonial. La déclaration d’Emmanuel Macron sur l’affaire Audin s’inscrit dans la grande tradition des décisions de reconnaissance historique du passé sombre de la France (comme, dans un autre registre, le discours le Jacques Chirac sur le Vel d’Hiv). Elle marque un seuil sur lequel il sera bien difficile de revenir. Car cette déclaration nous parle d’un système établi à la faveur des Pouvoirs spéciaux , votés en 1956, qui a limité la liberté d’expression, entravé les droits individuels, légitimé des centres de rétention administrative, mis en place des zones interdites où l’on pouvait tirer sans sommation sur un civil aperçu. D’autres gestes à caractères symboliques et politiques sont nécessaires aujourd’hui, touchant en particulier les personnalités politiques du nationalisme algérien, assassinées. Je pense en particulier à des hommes politiques algériens, considérés comme des héros de la lutte nationaliste en Algérie, comme Ali Boumenjel, avocat, ami de René Capitant, compagnon du général De Gaulle, défenestré par l’officier français, Paul Aussaresses, en mars 1957. Ce meurtre a été avoué par Paul Aussaresses dans ses Mémoires. Cette reconnaissance d’assassinat marquerait un pas supplémentaire dans le fait de regarder en face ce passé colonial. Il est, à mon sens, préférable à des discours de repentance , dont on a pu mesurer les effets illusoires dans le conflit entre le Japon, la Chine, la Corée (effets mentionnés précédemment dans mon rapport).
"La prise de position du Président de la République Emmanuel Macron à propos de Maurice Audin nous renvoie aussi à la question des disparus de la guerre d’Algérie. Le corps de Maurice Audin n’a jamais été retrouvé. Comme ceux de milliers d’Algériens pendant la Bataille d’Alger , ou d’Européens à Oran dans l’été 1962. Comment faire son deuil de cette guerre si l’on n’évoque pas le sort des personnes qui n’ont été jamais enterrées ? Et qui continuent d’errer, comme des fantômes, dans les consciences collectives, françaises et algériennes ? Sortir de l’effacement, de la disparition permet de s’approcher de la réalité, de la réconciliation possible. Bien sûr, ce travail de vérité a fait pousser des cris à ceux qui disent qu’il s’agit là de repentance , et qu’il ne faut surtout pas évoquer la face d’ombre du passé français. Mais pour l’immense masse de ceux qui ont vécu le temps de la colonisation, elle encourage ceux qui se battent aujourd’hui pour aller vers la compréhension de leur propre passé. Plutôt que de repentance , la France devrait donc reconnaitre les discriminations et exactions dont ont été victimes les populations algériennes : mettre en avant des faits précis. Car les excès d’une culture de repentance, ou les visions lénifiantes d'une histoire prisonnière des lobbys mémoriels, ne contribuent pas à apaiser la relation à notre passé. Tous ces faits expliqués, portés à la connaissance des jeunes générations, ne sont pas des verdicts définitifs à propos de la colonisation et de la guerre d’Algérie. Ces faits énoncés, déjà établis depuis longtemps par les historiens, maintiennent ouverte la porte des controverses citoyennes pour sortir de la rumination du passé et des blessures mémorielles ; encouragent les acteurs et témoins à parler de leurs souffrances (en particulier les anciens appelés d’Algérie, les pieds-noirs et les harkis). Ce faisant, ce travail de reconnaissance recréent les outils d’un travail de mémoire jamais clos, en soulignant aussi la nécessaire ouverture, des deux côtés de la Méditerranée, des archives de la guerre d’Algérie. Benjamin Stora "
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