vendredi 29 octobre 2021

Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d Algérie. Par Benjamin Stora

 "Trop d’attachement hystérique à ce que fut l’Algérie a perturbé les relations entre métropole et pieds-noirs, entre les Algériens et nos gouvernants, entre Français de souche et Français de l’immigration avec leurs divergences où se côtoient ou non les vieux ouvriers de Renault, les harkis et les jeunes de la seconde et troisième génération. Cet attachement sentimental est pathologique mais ne s’efface pas. Seule l’éducation par la presse et l’école peut, en mêlant histoire, philosophie, morale et civisme, convaincre d’ériger la tolérance en mode absolu. Tâche ardue et toujours recommencée que vous illustrez au mieux et dont vous ne vous découragez pas, même si un éloignement temporaire peut vous être nécessaire pour apaiser les regrets et une irritation compréhensible. Lettre de Jean-Louis Roy, fils de Jules Roy, décembre 2020.""


 "Réconciliation, parce que l’Algérie occupe une place très importante dans l’ensemble du bassin méditerranéen. L’Algérie, avec ses 1400 kilomètres de côtes est la plus longue frontière entre l’Afrique et l’Europe. Il est inutile de préciser que son rôle dans les développements migratoires est essentiel dans cette partie du monde. D’autre part, le Sahara algérien, plus grand désert du monde, occupe des centaines de kilomètres de frontières, avec la Libye, le Niger, le Mali… C’est la plus grande frontière saharienne, où se joue un affrontement considérable face aux groupes djihadistes qui tentent de déstabiliser la région subsaharienne. Cette double frontière, méditerranéenne et saharienne, donne à l’Algérie un poids considérable dans le règlement des problèmes actuels, sur l’immigration, le terrorisme, ou l’instabilité qui règne dans certains pays de cette zone. Comment, alors, ne pas regarder ensemble vers l’avenir pour affronter ces défis du XXI e siècle ? On pourrait  aussi  ajouter  à  ces  questions  essentielles,  le  fait  de  partir  ensemble  à  la recherche  commune  d’énergies  renouvelables  ;  d’approfondir  nos  relations économiques  au  moment  ou  la  Chine  occupe  une  place  de  premier  ordre  sur  le marché algérien  ;  ou  de  parler  aux  jeunes  générations  en  perte  de repères  identitaires.   Le  passé  colonial,  et  la  guerre  d’Algérie,  constitue  désormais  en  France  l’un  des  points de  cristallisation  de  la  réflexion  fébrile  qui  s’est  nouée  çà  et  là  autour  de  l’  identité nationale  ,  au  sein  d’une  société  française  éminemment  diverse  dans  ses  origines. Ainsi  en  atteste  la  virulence  de  débats  récents  autour  de  la  loi  du  23  février  2005  sur la  colonisation  positive  ,  et  des  dangers  de  la    repentance  ,  ou  à  propos  des traumatismes  laissés  par  l’esclavage.  Les  souvenirs  de  la  colonisation  ont  laissé  des traces  fort  inégales  dans  l’histoire  coloniale    et  l’Algérie  y  occupe  une  place  centrale par  la  longueur  du  temps  de  la  présence  française,  (132  ans),  la  forte  colonisation  de peuplement  européen,  la  découverte  du  pétrole  et  du  gaz,  l’expérimentation  des essais  nucléaires  au  Sahara,  et  la  cruauté  d’une  guerre  de  plus  de  sept  ans.   On a vu que cette histoire  particulière concerne toujours des millions  français,    piedsnoirs    et  soldats,  officiers  et  harkis,  immigrés  algériens,  bi-nationaux  vivant  des  deux côtés  de  la  Méditerranée.  Comme  je  l’ai  montré,  des  pas  ont  été  accomplis  comme  le vote  à  l’Assemblée  nationale  en  1999,  de  la  reconnaissance  d’une    guerre   qui  avait eu  lieu  en  Algérie  ou  la  reconnaissance,  en  2005,  des  massacres  commis  à  Sétif  et Guelma en 1945. Aussi du discours  prononcé par  François Hollande en  décembre  2012 sur  la    férocité   du  système  colonial.  La  déclaration  d’Emmanuel  Macron  sur  l’affaire Audin    s’inscrit  dans  la  grande  tradition  des  décisions  de  reconnaissance  historique  du passé  sombre  de  la  France  (comme,  dans  un  autre  registre,  le  discours  le  Jacques Chirac  sur  le  Vel  d’Hiv).  Elle  marque  un  seuil  sur  lequel  il  sera  bien  difficile  de  revenir. Car  cette  déclaration  nous  parle  d’un  système  établi  à  la  faveur  des    Pouvoirs spéciaux  ,  votés  en  1956,  qui  a  limité  la  liberté  d’expression,  entravé  les  droits individuels,  légitimé  des  centres  de  rétention  administrative,  mis  en  place  des    zones interdites   où  l’on  pouvait  tirer  sans  sommation  sur  un  civil  aperçu.   D’autres  gestes  à  caractères  symboliques  et  politiques  sont  nécessaires  aujourd’hui, touchant  en  particulier  les  personnalités  politiques  du  nationalisme  algérien, assassinées.  Je  pense  en  particulier  à  des  hommes  politiques  algériens,  considérés comme  des  héros  de  la  lutte  nationaliste  en  Algérie,  comme  Ali  Boumenjel,  avocat, ami  de  René  Capitant,  compagnon  du  général  De  Gaulle,  défenestré  par  l’officier français,  Paul  Aussaresses,  en  mars  1957.  Ce  meurtre  a  été  avoué  par  Paul  Aussaresses dans  ses  Mémoires.  Cette  reconnaissance  d’assassinat  marquerait  un  pas supplémentaire  dans  le  fait  de  regarder  en  face  ce  passé  colonial.  Il  est,  à  mon  sens, préférable  à  des  discours  de    repentance  , dont  on  a  pu  mesurer  les  effets  illusoires dans  le  conflit  entre  le  Japon,  la  Chine,  la  Corée  (effets  mentionnés  précédemment dans  mon rapport). 


"La prise de position du Président de la République Emmanuel Macron à propos de Maurice Audin nous renvoie aussi à la question des disparus de la guerre d’Algérie. Le corps de Maurice Audin n’a jamais été retrouvé. Comme ceux de milliers d’Algériens pendant la Bataille d’Alger , ou d’Européens à Oran dans l’été 1962. Comment faire son deuil de cette guerre si l’on n’évoque pas le sort des personnes qui n’ont été jamais enterrées ? Et qui continuent d’errer, comme des fantômes, dans les consciences collectives, françaises et algériennes ? Sortir de l’effacement, de la disparition permet de s’approcher de la réalité, de la réconciliation possible. Bien sûr, ce travail de vérité a fait pousser des cris à ceux qui disent qu’il s’agit là de repentance , et qu’il ne faut surtout  pas  évoquer  la  face  d’ombre  du  passé  français.  Mais  pour  l’immense  masse  de ceux  qui  ont  vécu  le  temps  de  la  colonisation,  elle  encourage  ceux  qui  se  battent aujourd’hui  pour  aller  vers  la  compréhension  de  leur  propre  passé.   Plutôt  que  de    repentance ,  la  France  devrait  donc  reconnaitre  les  discriminations et  exactions  dont  ont  été  victimes  les  populations  algériennes  :  mettre  en  avant  des faits  précis.  Car  les  excès  d’une  culture  de  repentance,  ou  les  visions  lénifiantes  d'une histoire  prisonnière  des  lobbys  mémoriels,  ne  contribuent  pas  à  apaiser  la  relation  à notre  passé. Tous  ces  faits  expliqués,  portés  à  la  connaissance  des  jeunes  générations,  ne  sont  pas des  verdicts  définitifs  à  propos  de  la  colonisation  et  de  la  guerre  d’Algérie.  Ces  faits énoncés,  déjà  établis  depuis  longtemps  par  les  historiens,  maintiennent  ouverte  la porte  des  controverses  citoyennes  pour  sortir  de  la  rumination  du  passé  et  des blessures  mémorielles  ;  encouragent  les  acteurs  et  témoins  à  parler  de  leurs souffrances  (en  particulier  les  anciens  appelés  d’Algérie,    les    pieds-noirs    et  les harkis).  Ce  faisant,  ce  travail  de  reconnaissance  recréent  les  outils  d’un  travail  de mémoire  jamais  clos,  en  soulignant  aussi  la  nécessaire  ouverture,  des  deux  côtés  de  la Méditerranée, des  archives de  la  guerre  d’Algérie. Benjamin  Stora "

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