lundi 18 octobre 2021

Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie. Par Benjamin Stora

 

 

 

« Au moment où la rédaction de ce rapport touchait à sa fin, des attentats meurtriers ont frappé la France, la décapitation du Professeur d’histoire Samuel Paty, et l’assassinat à Nice de trois fidèles dans une Eglise, victimes du terrorisme islamiste. Ces questions, en particulier le rapport entre le travail d’éducation et le surgissement de la violence, sont abordées à la fin de ce travail. A l’heure de la compétition victimaire et de la reconstruction de récits fantasmés, on verra que la liberté d’esprit et le travail historique sont des contre-feux nécessaires aux incendies de mémoires enflammées, surtout dans la jeunesse. »

 

«! Ne peut-on pas dire que certains peuples souffrent d’un trop de mémoire, comme s’ils étaient hantés par le souvenir des humiliations subies lors d’un passé et aussi par celui des gloires lointaines? Mais ne peut-on pas dire au contraire que d’autres peuples souffrent d’un défaut de mémoire comme s’ils fuyaient devant la hantise de leur propre passé. " Paul Ricœur, ! Le pardon peut-il guérir ? " »

 

« La guerre d’Algérie a longtemps été nommée en France par une périphrase ! les événements d’Algérie " tandis que, de l’autre côté de la Méditerranée, les Algériens construisaient leur mémoire antagoniste de ! la guerre d’indépendance ". Soixante ans après, l’Histoire est encore un champ en désordre, en bataille quelquefois. La séparation des deux pays, au terme d’un conflit cruel de sept ans et demi, a produit de la douleur, un désir de vengeance et beaucoup d’oublis. Les mémoires sont composites en France : nostalgie langoureuse du pays où ! la mer est allée avec le soleil ", Atlantide engloutie de l’Algérie française, hontes enfouies de combats qui ne furent pas tous honorables, images d’une jeunesse perdue et d’une terre natale à laquelle on a été arraché.

 

« En France,  la  guerre  d’Algérie  se  lit  toujours  comme  une  page  douloureuse  de  l’histoire récente  :  pas  de  commémoration  consensuelle  de  la  fin  de  la  guerre,  peu  de  grands films.  Pourtant,  cette  guerre  de  sept  années,  qui  alors  n’osa  jamais  dire  son  nom,  a  été un  moment  considérable.  Elle  a  provoqué  la  chute  d’une  République,  la  IVème,  et  la naissance  de  la  Ve,  avec  une  nouvelle  Constitution  ;  l’entrée  en  politique  d’une génération  que  l’on  retrouvera  en  1968  ;  des  fractures  dans  l’armée  française  qui,  se croyant  victorieuse  sur  le  terrain,  refuse  l'issue  politique  de  l’indépendance algérienne  ;  le  départ  de près d’un  million de   pieds-noirs  , de harkis,  et leurs familles, vers  la  métropole"


"Du côté algérien, dans un long entretien publié  dans  l’édition  du  26  mai  2011  du  journal  El  Watan,  l’historien  Mohammed  Harbi s’exprime  sur  les  tabous,  liés  aux  conflits  internes  du  nationalisme  algérien,  à  l’histoire des  juifs  d’Algérie,  aux  harkis  et  aux  pieds-noirs.    Le  fait  de  ne  pas  avoir  traité  ces problèmes  a    fait  le  lit  de  l’islamisme  .  Il  évalue  ainsi  le  nombre  de  harkis  et  goumiers à  environ  cent  mille  hommes  et  il  estime  à  quelque  cinquante  mille  les  victimes algériennes  des  actes  du  FLN/ALN,  dont  nombre  de  militants  nationalistes authentiques.  Préconisant  une  déconstruction  de  la  pensée  nationaliste,  il  estime  que la  question  identitaire  et  celle  de  l’autoritarisme  sont  deux  problèmes  majeurs  qu’il est  impératif  de  dépasser  pour    aller  vers  une  Algérie  nouvelle  et  apaisée  ."


"Tout au long des années 1980 en France, les enfants des immigrés ou des harkis, ont commencé à se manifester pour l’égalité des droits et contre le racisme. A travers des marches, des rassemblements et des concerts. De leur côté, les associations de pieds-noirs ont réclamé les indemnisations de leurs biens perdus, et les appelés du contingent se sont battus pour leur carte de combattant d’une guerre longtemps restée sans nom. La mémoire de l’Algérie est ainsi revenue par les combats sociaux et de la citoyenneté. Tous ces groupes allaient-ils se rencontrer, pour se comprendre les uns et les autres, sortir de leur isolement et construire un récit commun ? Dans le même temps, sont arrivés, les moments du désenchantement politique, de l’effondrement collectif avant ou après la chute du Mur de Berlin, et de la montée de l’individualisme. Avec ce retour de l’individu, la religion est venue comme une possible solution, l’intégrisme religieux a surgi, d’autres groupes se sont constitués, communautaires , renvoyant aux identités ancestrales. Il n’est pas étonnant, dès lors, qu’une communautarisation des mémoires se soit produite, à propos de la guerre d’Algérie et du souvenir de la colonisation. Le récit collectif de la décolonisation, admis depuis les années 1960, se fragmentait lui, se dispersait, en l’absence aussi d’un récit documenté sur la colonisation."


"   Chaque groupe de mémoire semblait porter en lui un univers unique, singulier, impossible à faire partager, et la colonisation est devenue une sorte de mystère incompréhensible, débarrassée des processus de dépossessions culturelles, foncières, des notions d’inégalités juridiques. La nécessité de la décolonisation s’est ainsi transformée en… une question ouverte, problématique, peut être non-nécessaire aux yeux d’une partie de l’extrême-droite française, fonctionnant par la mise en accusation systématique de la politique du général De Gaulle. "


"Cette séparation s’est vue en France, avec l’impossibilité de trouver une date commune pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie10. Mais aussi dans une loi  reconnaissant    l’aspect  positif  de  la  colonisation  .  A  la  suite  de  la  pétition  lancée par  des  historiens,  chercheurs  et  enseignants  français  contre  cette  loi  le  25  mars  2005, l’article  411   de  cette  loi  (disposition  la  plus  contestée  sur  les  aspects  positifs  de  la colonisation)  a  été déclassé par  décision du Conseil  Constitutionnel du 31 janvier  2006 au  motif  que  le  contenu  des  programmes  scolaires  ne  relève  pas  des  principes fondamentaux  que  l’article  34  de  la  Constitution  attribue  au  domaine  de  la  loi. Revêtant,  suite  à  cette  décision  de  déclassement,  un  caractère  réglementaire,  la disposition  litigieuse  a  été  définitivement  abrogée  par  un  décret  du  15  février  200612. Une     fondation pour  la  mémoire  de  la  guerre  d’Algérie   dont  la  création  est  prévue  à l’article  3  de  ladite  loi,  a  ensuite  fonctionné  principalement  par  ses  travaux  en  tenant compte  des  seules  victimes  françaises  de  la  guerre  de  1954-1962.  Elle  a  été  accusée par  différents  historiens  de  ne  pas  prendre  en  compte  toutes  les  mémoires  de  la guerre  d’Algérie. "

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