« Au moment où la rédaction de ce rapport touchait à sa
fin, des attentats meurtriers ont frappé la France, la décapitation du
Professeur d’histoire Samuel Paty, et l’assassinat à Nice de trois fidèles dans
une Eglise, victimes du terrorisme islamiste. Ces questions, en particulier le
rapport entre le travail d’éducation et le surgissement de la violence, sont
abordées à la fin de ce travail. A l’heure de la compétition victimaire et de
la reconstruction de récits fantasmés, on verra que la liberté d’esprit et le
travail historique sont des contre-feux nécessaires aux incendies de mémoires
enflammées, surtout dans la jeunesse. »
«! Ne peut-on pas dire que certains peuples souffrent d’un
trop de mémoire, comme s’ils étaient hantés par le souvenir des humiliations
subies lors d’un passé et aussi par celui des gloires lointaines? Mais ne
peut-on pas dire au contraire que d’autres peuples souffrent d’un défaut de
mémoire comme s’ils fuyaient devant la hantise de leur propre passé. "
Paul Ricœur, ! Le pardon peut-il guérir ? " »
« La guerre d’Algérie a longtemps été nommée en France
par une périphrase ! les événements d’Algérie " tandis que, de l’autre
côté de la Méditerranée, les Algériens construisaient leur mémoire antagoniste
de ! la guerre d’indépendance ". Soixante ans après, l’Histoire est encore
un champ en désordre, en bataille quelquefois. La séparation des deux pays, au
terme d’un conflit cruel de sept ans et demi, a produit de la douleur, un désir
de vengeance et beaucoup d’oublis. Les mémoires sont composites en France :
nostalgie langoureuse du pays où ! la mer est allée avec le soleil ",
Atlantide engloutie de l’Algérie française, hontes enfouies de combats qui ne
furent pas tous honorables, images d’une jeunesse perdue et d’une terre natale
à laquelle on a été arraché.
« En France, la guerre d’Algérie se lit toujours comme une page douloureuse de l’histoire récente : pas de commémoration consensuelle de la fin de la guerre, peu de grands films. Pourtant, cette guerre de sept années, qui alors n’osa jamais dire son nom, a été un moment considérable. Elle a provoqué la chute d’une République, la IVème, et la naissance de la Ve, avec une nouvelle Constitution ; l’entrée en politique d’une génération que l’on retrouvera en 1968 ; des fractures dans l’armée française qui, se croyant victorieuse sur le terrain, refuse l'issue politique de l’indépendance algérienne ; le départ de près d’un million de pieds-noirs , de harkis, et leurs familles, vers la métropole"
"Du côté algérien, dans un long entretien publié dans l’édition du 26 mai 2011 du journal El Watan, l’historien Mohammed Harbi s’exprime sur les tabous, liés aux conflits internes du nationalisme algérien, à l’histoire des juifs d’Algérie, aux harkis et aux pieds-noirs. Le fait de ne pas avoir traité ces problèmes a fait le lit de l’islamisme . Il évalue ainsi le nombre de harkis et goumiers à environ cent mille hommes et il estime à quelque cinquante mille les victimes algériennes des actes du FLN/ALN, dont nombre de militants nationalistes authentiques. Préconisant une déconstruction de la pensée nationaliste, il estime que la question identitaire et celle de l’autoritarisme sont deux problèmes majeurs qu’il est impératif de dépasser pour aller vers une Algérie nouvelle et apaisée ."
"Tout au long des années 1980 en France, les enfants des immigrés ou des harkis, ont commencé à se manifester pour l’égalité des droits et contre le racisme. A travers des marches, des rassemblements et des concerts. De leur côté, les associations de pieds-noirs ont réclamé les indemnisations de leurs biens perdus, et les appelés du contingent se sont battus pour leur carte de combattant d’une guerre longtemps restée sans nom. La mémoire de l’Algérie est ainsi revenue par les combats sociaux et de la citoyenneté. Tous ces groupes allaient-ils se rencontrer, pour se comprendre les uns et les autres, sortir de leur isolement et construire un récit commun ? Dans le même temps, sont arrivés, les moments du désenchantement politique, de l’effondrement collectif avant ou après la chute du Mur de Berlin, et de la montée de l’individualisme. Avec ce retour de l’individu, la religion est venue comme une possible solution, l’intégrisme religieux a surgi, d’autres groupes se sont constitués, communautaires , renvoyant aux identités ancestrales. Il n’est pas étonnant, dès lors, qu’une communautarisation des mémoires se soit produite, à propos de la guerre d’Algérie et du souvenir de la colonisation. Le récit collectif de la décolonisation, admis depuis les années 1960, se fragmentait lui, se dispersait, en l’absence aussi d’un récit documenté sur la colonisation."
" Chaque groupe de mémoire semblait porter en lui un univers unique, singulier, impossible à faire partager, et la colonisation est devenue une sorte de mystère incompréhensible, débarrassée des processus de dépossessions culturelles, foncières, des notions d’inégalités juridiques. La nécessité de la décolonisation s’est ainsi transformée en… une question ouverte, problématique, peut être non-nécessaire aux yeux d’une partie de l’extrême-droite française, fonctionnant par la mise en accusation systématique de la politique du général De Gaulle. "
"Cette séparation s’est vue en France, avec l’impossibilité de trouver une date commune pour commémorer la fin de la guerre d’Algérie10. Mais aussi dans une loi reconnaissant l’aspect positif de la colonisation . A la suite de la pétition lancée par des historiens, chercheurs et enseignants français contre cette loi le 25 mars 2005, l’article 411 de cette loi (disposition la plus contestée sur les aspects positifs de la colonisation) a été déclassé par décision du Conseil Constitutionnel du 31 janvier 2006 au motif que le contenu des programmes scolaires ne relève pas des principes fondamentaux que l’article 34 de la Constitution attribue au domaine de la loi. Revêtant, suite à cette décision de déclassement, un caractère réglementaire, la disposition litigieuse a été définitivement abrogée par un décret du 15 février 200612. Une fondation pour la mémoire de la guerre d’Algérie dont la création est prévue à l’article 3 de ladite loi, a ensuite fonctionné principalement par ses travaux en tenant compte des seules victimes françaises de la guerre de 1954-1962. Elle a été accusée par différents historiens de ne pas prendre en compte toutes les mémoires de la guerre d’Algérie. "
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