mercredi 13 octobre 2021

Petit manuel individualiste par Hans Ryner Partie 3

 V. Des relations sociales

Le travail est-il une loi sociale ou une loi naturelle ?

Le travail est une loi naturelle aggravée par la société.

Comment la société aggrave-t-elle la loi naturelle du travail ?

De trois façons : 1° Elle dispense arbitrairement un certain nombre d’hommes de tout travail et rejette leur part du fardeau sur les autres hommes ; 2° Elle emploie beaucoup d’hommes à des travaux inutiles, à des fonctions sociales ; 3° Elle multiplie chez tous et particulièrement chez les riches les besoins imaginaires et elle impose au pauvre l’odieux travail nécessaire à la satisfaction de ces besoins.

Pourquoi trouvez-vous naturelle la loi du travail ?

Parce que mon corps a des besoins naturels que seuls les produits du travail satisferont.

Vous ne considérez donc comme travail que le travail manuel ?

Sans doute.

L’esprit n’a-t-il pas aussi des besoins naturels ?

Le seul besoin naturel de nos facultés intellectuelles, c’est l’exercice. L’esprit reste toujours un enfant heureux qui a besoin de mouvement et de jeu.

Ne faut-il pas des ouvriers spéciaux pour donner à l’esprit des occasions de jouer ?

 Le spectacle de la nature, l’observation des passions humaines et le plaisir des conversations suffiraient aux besoins naturels de l’esprit.

Vous condamnez donc l’art, la science et la philosophie ?

Je ne condamne pas ces plaisirs. Semblables à l’amour, ils sont nobles tant qu’ils restent désintéressés. Dans l’art, dans la science, dans la philosophie, dans l’amour, la volupté que j’éprouve à me donner ne doit pas être payée par celui qui goûte la volupté de recevoir.

Mais il y a des artistes qui créent avec peine et des savants qui cherchent avec fatigue ?

Si la peine dépasse le plaisir, je ne vois pas pourquoi ces pauvres gens ne s’abs[1]tiennent point.

Vous exigeriez donc de l’artiste et du savant un travail manuel ?

Du savant et de l’artiste, comme de l’amoureux ou de l’amoureuse, la nature exige un travail manuel puisqu’elle leur impose, comme aux autres hommes, des besoins matériels.

L’infirme a aussi des besoins matériels et vous n’auriez pas la cruauté de lui imposer une besogne dont il est incapable ?

Sans doute, mais je ne considère pas comme des infirmités la beauté du corps ou la puissance de la pensée.

L’individualiste travaillera donc de ses mains ?

Oui, autant que possible.

Pourquoi dites-vous : Autant que possible ?

Parce que la société a rendu difficile l’obéissance à la loi naturelle. Il n’y a pas de travail manuel rémunérateur pour tout le monde. D’ordinaire, on s’éveille à l’individualisme trop tard pour faire l’apprentissage d’un métier naturel. La société a volé à tous, pour le livrer à quelques-uns, le grand instrument du travail naturel, la terre.

L’individualiste peut donc, dans l’état actuel des choses, vivre d’une besogne qu’il ne considère pas comme un vrai travail ?

Il le peut.

L’individualiste peut-il être fonctionnaire ?

Oui. Mais il ne peut pas consentir à toutes sortes de fonctions.

Quelles sont les fonctions dont s’abstiendra l’individualiste ?

L’individualiste s’abstiendra de toute fonction de l’ordre administratif, de l’ordre judiciaire ou de l’ordre militaire. Il ne sera pas préfet ou policier, officier, juge ou bourreau.

Pourquoi ?

L’individualiste ne peut pas être au nombre des tyrans sociaux.

Quelles fonctions pourra-t-il accepter ?

Les fonctions qui ne nuisent pas à autrui.

En dehors des fonctions rétribuées par le gouvernement, n’y a-t-il pas des carrières nuisibles et dont l’individualiste s’abstiendra ?

Il y en a.

Citez-en quelques-uns.

Le cambriolage, la banque, l’exploitation de la courtisane, l’exploitation de l’ouvrier.

Quelles seront les relations de l’individualiste avec ses inférieurs sociaux ?

Il respectera leur personnalité et leur liberté. Il n’oubliera jamais que le devoir professionnel est une fiction, et le devoir humain la seule réalité morale. Il n’oubliera jamais que les hiérarchies sont des folies et il agira naturellement, non socialement, avec des hommes que le mensonge social affirme ses inférieurs, mais dont la nature a fait ses égaux.

L’individualiste aurait-il beaucoup de relations extérieures avec ses inférieurs sociaux ?

Il évitera les abstentions qui pourraient les froisser. Mais il les verra peu, de crainte de les trouver sociaux et non naturels ; je veux dire de crainte de les trouver serviles, gênés ou hostiles.

Quelles seront les relations de l’individualiste avec ses collègues ou ses confrères ?

Il sera poli et serviable avec eux. Mais, autant qu’il pourra le faire sans les blesser, il évitera leur conversation.

Pourquoi ?

Pour se défendre contre deux poisons subtils : l’esprit de corps et l’abrutissement professionnel.

Comment se conduira l’individualiste avec ses supérieurs sociaux ?

L’individualiste n’oubliera pas que les paroles de ses supérieurs sociaux traitent presque toujours de choses indifférentes. Il écoutera avec indifférence et répondra le moins possible. Il ne fera pas d’objections. Il n’indiquera pas des méthodes qui lui paraîtraient meilleures. Il évitera toute discussion inutile.

Pourquoi ?

Parce que le supérieur social est d’ordinaire un enfant vaniteux et irritable.

Si le supérieur social ordonne, non plus une chose indifférente, mais une injustice ou une cruauté, que fera l’individualiste ?

 Il refusera d’obéir.

La désobéissance ne lui fera-t-elle pas courir des dangers ?

Non. Devenir l’instrument de l’injustice et du mal, c’est la mort de la raison et de la liberté. Mais la désobéissance à l’ordre injuste ne met en danger que le corps et les ressources matérielles, qui sont au nombre des choses indifférentes.

Quelle sera la pensée de l’individualiste devant l’ordre ?

L’individualiste dira mentalement au chef injuste : Tu es une des incarnations modernes du tyran. Mais le tyran ne peut rien contre le sage.

L’individualiste expliquera-t-il son refus d’obéir ?

Oui, s’il croit le chef social capable de comprendre et de revenir de son erreur. Presque toujours le chef social est incapable de comprendre.

Que fera alors l’individualiste ?

Devant un ordre injuste le refus d’obéir est le seul devoir universel. La forme du refus dépend de ma personnalité.

Comment l’individualiste considère-t-il la foule ?

L’individualiste considère la foule comme une des plus brutales parmi les forces naturelles.

Comment agit-il dans une foule qui ne fait point de mal ?

Il s’efforce de ne point sentir en conformité avec la foule et de ne point laisser noyer, même pour un instant, sa personnalité.

Pourquoi ?

Pour rester un homme libre. Parce que tout à l’heure peut-être un choc imprévu fera jaillir la cruauté de la foule, et celui qui aura commencé de sentir comme elle, celui qui fera vraiment partie de la foule aura de la peine à se dégager au moment de l’élan moral.

Que fera le sage si la foule où il se trouve essaie une injustice ou une cruauté ?

Le sage s’opposera par tous les moyens nobles ou indifférents à l’injustice ou à la cruauté.

Quels sont les moyens que le sage n’emploiera pas, même en ces circonstances ?

Le sage ne descendra pas au mensonge, à la prière, ou à la flagornerie. Flatter la foule est un puissant moyen oratoire.

Le sage se l’interdira-t-il absolument ?

Le sage pourra adresser à la foule, comme à un enfants ces éloges qui sont l’enveloppe ironiquement aimable des conseils. Mais il saura que la limite est incertaine et l’aventure dangereuse. Il ne s’y hasardera que s’il est bien sûr non seulement de la fermeté de son âme, mais encore de la souplesse précise de sa parole.

Le sage citera-t-il devant les tribunaux ?

Le sage ne citera jamais devant les tribunaux.

Pourquoi ?

Citer devant les tribunaux c’est, pour des intérêts matériels et indifférents, sacrifier à l’idole sociale et reconnaître la tyrannie. Il y a en outre lâcheté à appeler à son secours la puissance de tous.

Que fera le sage s’il est accusé ?

Il pourra, selon son caractère, dire la vérité ou opposer à la tyrannie sociale le dédain et le silence.

Si l’individualiste se reconnaît coupable, que dira-t-il ?

Il dira sa faute réelle et naturelle, la distinguera nettement de la faute apparente et sociale pour laquelle on le poursuit. Il ajoutera que sa conscience lui inflige pour sa véritable faute le véritable châtiment. Mais la société, qui n’agit que sur les choses indifférentes, lui infligera, pour sa faute apparente, une punition apparente.

Si le sage accusé est innocent devant sa conscience et coupable devant les lois, que dira-t-il ?

Il expliquera comment son crime légal est une innocence naturelle. Il dira son mépris pour la loi, cette injustice organisée et cette impuissance qui ne peut rien sur nous, mais seulement sur notre corps et nos richesses, choses indifférentes.

Si le sage accusé est innocent devant sa conscience et devant la loi, que dira-t-il ?

Il pourra dire seulement son innocence réelle. S’il daigne expliquer ses deux innocences, il déclarera que la première seule lui importe.

Le sage témoignera-t-il devant les tribunaux civils ?

Le sage ne refusera pas son témoignage au faible opprimé.

Le sage témoignera-t-il en correctionnelle et devant les assises ?

Oui, s’il connaît une vérité utile à l’accusé.

Si le sage connaît une vérité nuisible à l’accusé que fera-t-il ?

Il se taira.

Pourquoi ?

Parce qu’une condamnation est toujours une injustice et le sage ne se rend pas complice d’une injustice.

Pourquoi dites-vous qu’une condamnation est toujours une injustice ?

Parce que nul homme n’a le droit d’infliger la mort à un autre homme ou de l’enfermer en prison.

La société n’a-t-elle pas d’autres droits que l’individu ?

La société, réunion des individus, ne peut avoir un droit qui ne se trouve en aucun individu. Des zéros additionnés, si nombreux qu’on les suppose, donnent toujours zéro au total.

La société n’est-elle pas en légitime défense contre certains malfaiteurs ?

Le droit de légitime défense ne dure pas plus longtemps que l’attaque elle-même.

Le sage siégera-t-il comme juré ?

Le sage, appelé à faire partie d’un jury, pourra refuser de siéger ou y consentir.

Que fera le sage qui aura consenti à être juré ?

Il répondra toujours Non à la première question : L’accusé est-il coupable ?

Cette réponse ne sera-t-elle pas quelquefois un mensonge ?

Cette réponse ne sera jamais un mensonge.

Pourquoi ?

La question du président doit se traduire ainsi : « Voulez-vous que nous infligions une peine à l’accusé ? »Et je suis obligé de répondre « Non », car je n’ai le droit d’infliger de peine à personne.

Que pensez-vous du duel ?

Tout appel à la violence est un mal. Mais le duel est un moindre mal que l’appel en justice.

Pourquoi ?

Il n’est pas une lâcheté, il ne crie pas au secours et n’emploie pas contre un seul la force de tous.

 

VI. Des sacrifices aux idoles

Puis-je sacrifier aux idoles de mon temps et de mon pays ?

Je puis laisser avec indifférence les idoles me prendre les choses indifférentes. Mais je dois défendre ce qui dépend de moi et qui appartient à mon Dieu.

Comment distinguerai-je mon Dieu d’avec les idoles ?

Mon Dieu est proclamé par ma conscience dès qu’elle est vraiment ma voix et non plus un écho. Mais les idoles sont l’œuvre de la société.

A quel autre caractère reconnaît-on les idoles ?

Mon Dieu ne désire que le sacrifice des choses indifférentes. Les idoles exigent le sacrifice de moi-même.

Expliquez-vous ?

Les idoles proclament comme des vertus les bassesses les plus serviles, discipline et obéissance passive. Elles exigent le sacrifice de ma raison et de ma volonté.

Les idoles commettent-elles d’autres injustices ?

Non contentes de vouloir détruire ce qui leur est supérieur et que je n’ai jamais le droit d’abandonner, elles veulent que je leur sacrifie ce qui ne m’appartient en aucune façon, la vie de mon prochain.

Connaissez-vous d’autres caractères des idoles ?

Le vrai Dieu est éternel et immense. C’est toujours et partout que je dois obéir à ma raison. Mais les idoles varient avec les temps et les pays.

Montrez comment les idoles varient avec les temps.

Autrefois, on me demandait de supprimer ma raison et de tuer mon prochain pour la gloire de je ne sais quel Dieu étranger et extérieur à moi ou pour la gloire du Roi. Aujourd’hui, on me demande les mêmes sacrifices abominables pour l’honneur de la Patrie. Demain, on les exigera peut-être pour l’honneur de la Race, de la Couleur ou de la Partie du Monde.

L’idole varie-t-elle seulement lorsque son nom change ?

L’idole évite autant que possible de changer de nom. Mais elle varie souvent.

Citez des changements de l’idole que n’accompagne pas un changement de nom.

Dans un pays voisin, l’idole Patrie était la Prusse ; aujourd’hui, sous le même nom, l’idole est l’Allemagne. Elle demandait au Prussien de tuer le Bavarois. Plus tard, elle demanda au Prussien et au Bavarois de tuer le Français. Le Savoyard et le Niçois risquaient en 1859 de s’incliner bientôt devant une patrie dessinée en botte ; les hasards de la diplomatie leur font adorer une patrie hexagonale. Le Polonais hésite entre une idole morte et une idole vivante ; l’Alsacien entre deux idoles vivantes, qui prétendent au même nom de Patrie.

Quelles sont les principales idoles actuelles ?

Dans certains pays, le Roi ou l’Empereur ; dans d’autres, on ne sait quelle fraude dénommée Volonté du Peuple. Partout l’Ordre, le Parti politique, la Religion, la Patrie, la Race, la Couleur. Il ne faut pas oublier l’opinion publique avec ses mille noms, depuis le plus emphatique, l’Honneur, jusqu’au plus trivialement bas, le Qu’en dira-t-on.

La couleur est-elle une idole dangereuse ?

La Couleur blanche, surtout. Il lui arriva d’unir en un même culte Français, Allemands, Russes et Italiens et d’obtenir de tous ces nobles prêtres le sacrifice sanglant d’un grand nombre de Chinois.

Connaissez-vous d’autres crimes de la Couleur Blanche ?

C’est elle qui fait de l’Afrique entière un enfer. C’est elle qui a détruit les Indiens d’Amérique et qui fait lyncher les nègres.

Les adorateurs de la Couleur Blanche n’offrent-ils que du sang à leur idole ?

Ils lui offrent aussi des louanges. Dites ces louanges. Ce serait trop longue litanie. Mais, quand la Couleur Blanche exige un crime, la liturgie appelle ce crime une nécessité de la Civilisation et du Progrès.

La Race est-elle une idole dangereuse ?

Oui, surtout quand elle s’allie à la Religion.

Dites quelques crimes de ces alliées ?

Les guerres médiques, les conquêtes des Sarrasins, les croisades, le massacre des Arméniens, l’antisémitisme.

Quelle est aujourd’hui l’idole la plus exigeante et la plus universellement respectée ?

La Patrie.

Dites les exigences particulières de la Patrie.

Le service militaire et la guerre.

L’individualiste peut-il être soldat en temps de paix ?

Oui, tant qu’on ne lui ordonne pas de crime.

Que fait le sage en temps de guerre ?

Le sage n’oublie jamais l’ordre du vrai Dieu, de la Raison : "Tu ne tueras point". Et il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes.

Quels actes lui dictera sa conscience ?

La conscience universelle ordonne rarement des actes déterminés. Elle porte presque toujours des défenses. Elle défend de tuer ou de blesser son prochain et sur ce point, elle ne dit rien de plus. Les méthodes sont indifférentes ou constituent des devoirs personnels.

Le sage peut-il rester soldat en temps de guerre ?

Le sage peut rester soldat en temps de guerre, s’il est bien sûr de ne pas se laisser entraîner à tuer ou à blesser.

Le refus formel et éclatant d’obéir à des ordres sanguinaires peut-il devenir un devoir strict ?

Oui, si le sage, par son passé, ou pour d’autres raisons, se trouve dans une de ces situations qui attirent les regards. Oui, si son attitude risque de scandaliser ou d’édifier, il peut entraîner d’autres hommes vers le bien ou vers le mal.

Le sage tirera-t-il sur l’officier qui donne un ordre sanguinaire ?

Le sage ne tue personne. Il sait que le tyrannicide est un crime comme tout meurtre volontaire.

 

VII. Des rapports de la morale et de la métaphysique

 

De combien de façons conçoit-on les rapports de la morale et de la métaphysique ? 3

De trois façons : 1° La morale est une conséquence de la métaphysique, une métaphysique en acte 2° La métaphysique est une nécessité et un postulat de la morale 3° La morale et la métaphysique sont indépendantes l’une de l’autre.

Que pensez-vous de la doctrine qui fait dépendre la morale de la métaphysique ?

Cette doctrine est dangereuse. Elle appuie le nécessaire sur le sur le superflu, le certain sur l’incertain, la pratique sur le rêve. Elle transforme la vie morale en un somnambulisme tout tremblant de craintes et d’espérances.

Que pensez-vous de la doctrine qui fonde la métaphysique sur la vérité morale ?

Elle semble d’abord tout donner à la morale. En réalité, si elle se présente comme autre chose qu’une méthode de rêve, si elle la prétention de conduire à la certitude, elle est mensonge et immoralité intellectuelle, puisqu’elle affirme comme des réalités ce qui ne peut-être que désirs et espérances.

Que pensez-vous de la conception qui rend la morale et la métaphysique indé[1]pendantes l’une de l’autre ?

Elle est la seule soutenable au point de vue moral. C’est à elle qu’il faut s’en tenir dans la pratique.

Théoriquement, les deux premières conceptions ne renferment-elles point une part de vérité ?

Fausses moralement, elles expriment une opinion métaphysique probable. Elles signifient que toutes les réalités se tiennent et qu’il y a entre l’homme et l’univers des rapports étroits.

L’individualisme a-t-il une métaphysique ?

L’individualisme paraît pouvoir coexister avec les métaphysiques les plus différentes. Il semble que Socrate et les cyniques aient eu quelque dédain pour la métaphysique. Les épicuriens sont matérialistes. Les stoïciens sont panthéistes.

Que pensez-vous des doctrines métaphysiques en général ?

Je les regarde comme des poèmes et je les aime pour leur beauté.

Qu’est-ce qui constitue la beauté des poèmes métaphysiques ?

Une métaphysique est belle à deux conditions : 1° Elle doit être considérée comme une explication possible et hypothétique, non comme un système de certitudes et elle ne doit pas nier les poèmes voisins ; 2° Elle doit expliquer toute chose par une harmonieuse réduction à l’unité.

Que devons-nous faire eu présence des métaphysiques qui affirment ?

Nous devons généreusement les dépouiller des laideurs et des lourdeurs de l’affirmation, pour les considérer comme des poèmes et des systèmes de rêves.

Que pensez-vous des métaphysiques dualistes ?

Elles sont des explications provisoires, des demi-métaphysiques. Il n’y a pas de métaphysique vraie ; mais les seules vraies métaphysiques sont celles qui aboutissent à un monisme.

L’individualisme est-il la morale absolue ?

L’individualisme n’est pas la morale. Il est seulement la plus forte méthode morale que nous connaissons, la plus imprenable citadelle de la vertu et du bonheur.

L’individualisme convient-il à tous les hommes ?

Il y a des hommes que l’âpreté apparente de l’individualisme rebute invinciblement. Ceux-là doivent choisir une autre méthode morale.

Comment saurai-je si l’individualisme ne convient pas à ma nature ?

Si, après un essai loyal de l’individualisme, je me sens malheureux ; si je ne sens pas que je suis dans le vrai refuge ; si je suis troublé de pitié sur moi-même et sur les autres, je dois fuir l’individualisme.

Pourquoi ?

Parce que cette méthode, trop forte pour ma faiblesse, me conduirait à l’égoïsme ou au découragement.

Par quelle méthode me créerai-je une vie morale, si je suis trop faible pour la méthode individualiste ?

Par l’altruisme, par l’amour, par la pitié.

Cette méthode morale me conduira-t-elle à des gestes différents des gestes de l’individualiste ?

Les êtres vraiment moraux font tous les mêmes gestes et surtout s’abstiennent tous des mêmes gestes. Tout être moral respecte la vie des autres hommes ; nul être moral ne se préoccupe de gagner des richesses inutiles, etc.

Que se dira l’altruiste qui essaya inutilement de la méthode individualiste ?

Il se dira : « J’ai à faire le même chemin. J’ai seulement quitté l’armure trop lourde pour moi et qui m’attirait du sort et des hommes des coups trop violents. Et j’ai pris le bâton du pèlerin. Mais je me souviendrai toujours que je tiens ce bâton pour me soutenir, non pour en frapper autrui ».

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