vendredi 29 octobre 2021

Les questions mémorielles portant sur la colonisation française et la guerre d Algérie par Benjamin Stora

 Discours du Président de la République, François Hollande au Mémorial de la guerre d’Algérie.

 19 mars 2016. 

 Mesdames, Messieurs les ministres, 

Il y a cinquante-quatre ans aujourd’hui, le cessez-le-feu était proclamé en Algérie en application des accords d’Evian. Après huit années d’une guerre douloureuse, les peuples français et algérien allaient chacun s’engager dans un nouvel avenir, dans de nouvelles frontières, dans de nouveaux rapports de part et d’autre de la Méditerranée. Le 6 décembre 2012, j’ai promulgué comme président de la République la loi qui proclame le 19 mars journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc . Et je tenais aujourd’hui à donner une traduction à cette loi. Le 19 mars est une date de l’Histoire, elle marque l’aboutissement d’un processus long et difficile de négociations pour sortir d’une guerre de décolonisation qui fut aussi une guerre civile. La signature des accords d’Evian fut une promesse de paix mais elle portait aussi en elle, et nous en sommes tous conscients, les violences et les drames des mois qui ont suivi. Le 19 mars 1962, ce n’était pas encore la paix, c’était le début de la sortie de la guerre dont l’Histoire nous apprend qu’elle est bien souvent la source de violence, ce qui fut tragiquement le cas en Algérie avec des représailles, des vengeances, des attentats et des massacres. Néanmoins, le 19 mars annonce la fin du conflit et c’est pourquoi ce sont les mémoires de toutes les victimes qui sont reconnues. Il y a le 19 mars des Algériens qui s’étaient battus pour l’indépendance de leur pays, laquelle sera proclamée le 3 juillet. Il y a le 19 mars des appelés qui venaient d’effectuer parfois plus de deux ans de service en Algérie et pour lesquels cette date signifiait la certitude du départ, du retour dans l’Hexagone. Il y a le 19 mars de l’Armée Française qui voyait bientôt s’achever une guerre qui n’avait jamais dit son nom et qui l’avait profondément déchirée. Il y a le 19 mars des Français d’Algérie qui se souviennent de cette date comme d’un jour de détresse car signifiant la fin d’un monde, en tout cas de leur monde et le départ d’une terre qu’ils considéraient comme la leur. Il y a le 19 mars des troupes supplétives de l’Armée Française, les Harkis, pour lesquelles le cessez-le-feu était lourd de menaces, pour eux et pour leurs familles et qui ont été dramatiquement abandonnés par la France comme je l’ai reconnu le 25 septembre 2012. Il y a le 19 mars des Français de métropole qui avaient vécu au rythme des troubles pendant huit ans et qui, le 8 avril 1962, approuvèrent par plus de 90% de suffrages le contenu des accords d’Evian, voulus par le Général de GAULLE et fruits d’un long processus. La Guerre d’Algérie aura duré huit ans, de la Toussaint de 1954 aux tragédies d’Oran de juillet 1962. Elle était la dernière page de l’histoire de l’empire colonial français. De 1830 à 1962, d’abord en Algérie puis dans le reste de l’Afrique et en Extrême-Orient, la France a construit un système injuste car fondé sur l'inégalité des conditions, des statuts et des droits, le système colonial qui niait les aspirations des peuples à décider d’eux-mêmes. Un régime d'exploitation des ressources de ces territoires mais où aussi, des hommes et des femmes s'attachaient sincèrement à vouloir apporter le progrès. Je pense à ces instituteurs, ces médecins, ces commerçants, ces agriculteurs, ces fonctionnaires qui se sont attachés à mettre en valeur ce que l'on appelait alors la France d'outre-mer. Pendant toutes ces années, des liens humains se sont créés, se sont formés avec une solidarité dans les épreuves. Aussi lorsque la France fut attaquée en 1914 comme en 1939, c'est côte à côte que les soldats de métropole, l'armée d'Afrique et les troupes coloniales ont versé le sang, leur sang, pour défendre la patrie en danger. De Douaumont à Monte Cassino, ces combattants de toutes origines ont alors défendu les mêmes principes, y compris celui de l'émancipation et c'est pourquoi la France leur rend toujours hommage lorsqu'elle commémore les deux guerres mondiales. Mais le système colonial contenait en débutaient les troubles en Tunisie et au Maroc. Ils aboutiront en 1956 à l'indépendance de  ces  deux  pays  qui  sont  aujourd'hui  des  pays  amis  et  nous  saluerons  avec  cette année  le  60ème  anniversaire  de  leur  accession  à  la  pleine  souveraineté. Et  puis  il  y  a  ce  1er  novembre  1954.  Le  début  de  la  guerre  d'Algérie.  Huit  années terribles.  Huit  années  qui  ont  vu  le  déplacement  de  millions  de  gens,  huit  années  de combats,  d'attentats,  d'exactions,  d'enlèvements,  de  tortures  et  de  répressions  qui ont causé la mort de plusieurs centaines  de milliers  d'Algériens  et  de plusieurs  dizaines de milliers  de Français, soldats qui  étaient partis  mobilisés  appelés,  rappelés  parce  que c'était  leur  devoir.  Huit  années  d'une  guerre  qui,  longtemps,  comme  je  l'ai  dit,  n'a  pas osé  dire  son  nom  mais  en  contenait  toutes  les  horreurs.  Huit  années  qui  ont profondément  marqué  la  France  et  même  provoqué  un  changement  de  République. Huit  années  qui  ont  endeuillé  aussi  terriblement  l'Algérie.  Huit  années  qui  ont  déchiré de  nombreuses  familles  d'un  côté  ou  de  l'autre  de  la  Méditerranée. C'est  vrai  que  jamais  aucune  date  ne  pourra  résumer  à  elle  seule  la  variété  de  ces situations.  C'est  pourquoi  la  France en a officiellement  dédié trois au souvenir de cette période  :  le  19  mars,  le  25  septembre,  le  5  décembre  puisque  c'était  le  jour  de l’inauguration  de  ce  Mémorial,  je  voulais  le  rappeler. Le  sens  de  la  journée  nationale  du  19  mars,  c'est  de  rendre  hommage  à  toutes  les victimes civiles  ou  militaires  qui sont tombées durant la guerre d'Algérie et les  combats du  Maroc  et  de  la  Tunisie.  Le  sens  de  la  journée  nationale  du  19  mars,  c'est  d'honorer toutes  les  douleurs  et  de  reconnaître  toutes  les  souffrances. Celle  des  appelés  du  contingent,  des  militaires  de  carrière,  des  membres  des  forces supplétives  ou  assimilées,  des  forces  de  l'ordre  originaires  de  métropole,  un  million  et demi  de  jeunes  soldats  envoyés  de  l'autre  côté  de  la  Méditerranée,  60  000  furent blessés, près  de  30  000  ne  sont  jamais  revenus,  tués  ou  disparus.  J'ai  une  pensée  pour eux  en  cet  instant,  oui. C'est  aussi  les  souffrances  des  civils  de  toutes  origines,  de  toutes  confessions,  victimes d'exactions,  fauchées  par  un  attentat  ou  assistant,  impuissants,  à  la  destruction  de leur  maison,  de leur  village.  Les  souffrances  aussi  des  Français  d'Algérie  exilés,  rapatriés dans  la  hâte,  privés  de  tout,  de  leurs  biens,  mais  surtout  de  leurs  racines. Souffrances  des  Harkis,  pourchassés  en  Algérie,  abandonnés  par  la  patrie  qui  les  avait appelés,  accueillis  dans  des  conditions  indignes  en  France  avant  que  notre  pays  ne reconnaisse  leur  sacrifice  et  ne  leur  apporte  la  réparation  à  laquelle  ils  ont  droit. 

Drame aussi des disparus, de ces hommes, de ces femmes-là aussi de toutes origines dont la trace s’est perdue dans la guerre. Je sais à quel point cette question est douloureuse pour les familles concernées. La France et l'Algérie travaillent ensemble pour continuer à lever le voile sur le sort de ces victimes. Enfin, je pense aussi aux immigrés qui étaient en France durant la guerre d'Algérie et qui ont vécu à distance une guerre qui les déchirait ; ils ont alors connu la suspicion, parfois la répression la plus brutale comme le 17 octobre 1961. 54 années après la guerre d'Algérie, cette mémoire ou plutôt ces mémoires demeurent encore vives. Derrière chacune d'entre elles, il y a une famille, il y a des survivants, il y a des descendants, il y a une plaie qui ne s'est jamais complètement refermée, d'où le sens aussi de cette cérémonie de rappeler toutes les mémoires pour les réconcilier. Cette mémoire, elle vit aussi dans des lieux. A Marseille qui était le port de départ des appelés du contingent pour l'Algérie, le port d'arrivée des rapatriés à partir de 1962. Le souvenir vit aussi dans des centaines de villes de France dont les habitants ont en partage l'Algérie. La mémoire vit aussi à travers des monuments qui ont été édifiés : à Sète où a été bâti le mémorial en hommage aux Héraultais morts pour la France dans des combats d'Afrique du Nord et dans la guerre d'Algérie ; à Montredon-Labessonnié dans le Tarn qui accueille un mémorial aux victimes d'Afrique du Nord morts pour la France construit symboliquement avec des pierres venues de tous les départements. Il y a en France 4.000 lieux, places ou rues qui portent la date du 19 mars 1962. Cette mémoire vit enfin à travers tous les enfants de ces millions de Français dont les racines étaient en Algérie mais aussi au Maroc, en Tunisie et qui apportent aujourd'hui cet héritage dans le creuset national. D'où l'enjeu de la paix des mémoires pour les reconnaître toutes et n’en occulter aucune. Pour faire du souvenir douloureux de la guerre d'Algérie qui a divisé et meurtri, un facteur de réconciliation et de rassemblement. Pour rappeler que pendant un siècle, la France et l'Algérie ont partagé la même histoire et que nous sommes capables de la regarder en face pour bâtir une relation qui restera toujours singulière et qui doit toujours être à la hauteur des responsabilités qui sont les nôtres, celles de la France et de l'Algérie. Il s'agit de dire ce qui a été, de comprendre ce qui nous a séparés, pour réaliser ce qui aujourd'hui nous réunit. Faire la paix des mémoires, cela veut dire à tous les Français qui ont l'Algérie en partage, que nous sommes ensemble, qu'il y a des lieux, des signes, des  symboles  qui  nous  permettent  de  comprendre  comment  ils  peuvent  inscrire  leur parcours  personnel  dans  notre  destin  national  et  combien  leur  présence  est  une chance  pour  la  République. Pour  faire  ce  travail  de  mémoire  et  de  transmission,  nous  avons  besoin  aussi  de rassembler  toutes  les  collections,  toutes  les  traces,  tous  les  éléments  qui  nous permettent  de  connaître  ce  qui  a  été  -  je  pense  notamment  aux  collections  qui  ont été  réunies  à  Montpellier  mais  aussi  aux  expositions  temporaires  qui  ont  été  réalisées, celles  que  le  Musée  de  l'armée  a  accueillie  en  2012  sur  la  guerre  d'Algérie,  celle  que  le MuCEM  à  Marseille  accueille  en  ce  moment  même  sur  la  représentation  de  l'Algérie par  les  cartes  ;  il  y  a  aussi  de  nombreuses  archives  qui  restent  à  exploiter  –  pour  ces documents  et  pour  le  rassemblement  de  toutes  ses  collections  une  mission  sera constituée  ;  il  lui  reviendra  de  nous  dire  si  ce  projet  de  réunion  de  toutes  ces  pièces, de  tous  ces  documents  peut  s'incarner  dans  une  institution  nouvelle  ou  peut  trouver son  siège  dans  un  lieu  existant. L'école  doit  également  être  mobilisée.  L'Office  national  des  anciens  combattants  et des  victimes  de  guerre  lancera  cette  année  un  programme  global   Histoire  commune et  mémoire  partagée  de  la  guerre  d'Algérie  .  Ce  programme  comportera  une exposition  et  permettra  également  des  interventions  dans  les  classes  de  témoins  de  la guerre  d'Algérie  –  il  y  en  a  de  nombreux  ici  -  en  appui  aux  enseignements  d'histoire  et de  morale  civique. Je  veux  également  encourager  la  recherche  historique  sur  la  guerre  d'Algérie  comme sur  la  présence  de  la  France  en  Algérie.  Je  sais  le  travail  que  mènent  les  historiens  ;  ce sont  eux  qui  nous  permettent  justement  d'arriver  à  ce  travail  de  mémoire  qui  nous donne  l'espérance  de  ce  rassemblement  et  de  cette  réconciliation. Depuis  2008,  nos  archives  sur  cette  période  sont  pour  l'essentiel  ouvertes  mais  ici,  je le  dis,  elles  devront  l’être  entièrement,  ouvertes  et  mises  à  la  disposition  de  tous  les citoyens. Leur  accès  sera  facilité  par  la  mise  en  ligne  de  toutes  ces  ressources.  Vous  savez  qu'il existe  un  portail  général  qui  s'appelle   France  Archives  ,  qui  doit  permettre  de numériser  toutes  les  archives  écrites  et  audiovisuelles.  Je  souhaite  que  les  archives relatives  à  la  guerre  d'Algérie  et  aux  combats  de  Tunisie  et  du  Maroc  soient  traitées  en priorité. De même, un programme de recueil de témoignages, de témoins, d'acteurs de cette période sera lancé cette année afin que tout soit conservé, que la mémoire soit enregistrée, entretenue, grâce encore à la présence des survivants de cette période. En 2016 également, une Grande Collecte des archives privées – et je sais que beaucoup d'associations en ont à leur disposition à travers les membres de leurs associations – oui, je demande que cette Grande Collecte puisse être consacrée au souvenir de la France d'outre-mer, de l'Algérie, du Maroc, de la Tunisie car nous avons besoin de rassembler ces documents pour continuer à faire l'histoire et à donner à notre mémoire tous les éléments, tous les ingrédients qui font qu'elle est partagée. Entre la France et l'Algérie, il y a une amitié et je salue tous les projets franco-algériens qui témoignent de la vitalité des relations entre nos deux pays dans le domaine économique, scientifique et politique. Nous savons le rôle que joue l'Algérie dans la région et je n'oublie pas la force des liens qui nous unissent également avec le Maroc et avec la Tunisie. La Tunisie, ce pays si durement touché par le terrorisme, le terrorisme qui menace d'ailleurs toute la région comme il nous menace et c'est pourquoi nous devons aussi, en ce moment même, partager là encore, les valeurs qui sont les nôtres pour nous défendre communément et lutter partout contre le terrorisme. Je veux également saluer les échanges culturels, ce que font nos artistes, nos écrivains, nos intellectuels, nos historiens et ils le font à travers la langue française qui continue de nous attacher les uns les autres et notamment les pays du Maghreb et la France. Mesdames et Messieurs, En décidant de faire du 19 mars la Journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, le Parlement a voulu que toutes ces mémoires soient évoquées et que toutes les victimes soient honorées. Les victimes françaises et les victimes algériennes, les victimes civiles et les victimes militaires, les victimes d'avant le 19 mars et les victimes qui sont mortes après le 19 mars et puis aussi tous ceux qui ont survécu et qui portent encore douloureusement le souvenir de cette guerre et de ses combats. La grandeur d'un pays se mesure à sa capacité à regarder son histoire, à ne pas en cacher des éléments pour en glorifier d'autres qui seraient inutiles, c'est de prendre l'histoire pour ce qu'elle est, pour ce qu'elle nous apprend, pour les leçons qu'il convient communément d'en tirer. Oui, de convoquer l'histoire, non pas pour nous diviser mais pour nous réunir. La grandeur d'un pays, c'est d'être capable de réconcilier  toutes  les  mémoires  et  de  les  reconnaître.  Alimenter  la  guerre  des mémoires,  c'est  rester  prisonnier  du  passé  ;  faire  la  paix  des  mémoires,  c’est  regarder vers  l'avenir. C'est  ce  message  d'unité  et  de  paix,  de  rassemblement  aussi  que  j'entendais, aujourd'hui  en  ce  19  mars,  délivrer  devant  vous. 

Vive  la  République  et  vive  la  France. 

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