Nous ne nous
étendrons pas ici sur les aspects multiples (moral, social, pénal,
etc.) du problème de la responsabilité qui seront, à ce dernier
mot, l'objet d'un examen spécial. Nous ne discuterons donc pas
maintenant la valeur du terme innocence opposé à celui de
culpabilité. Nous envisagerons seulement les autres acceptions de ce
mot. L'innocence est proprement l'innocuité, la propriété de ce
qui ne nuit point, une absence de malfaisance. Des choses, on dira :
un remède innocent (pour inoffensif). Des occupations seront
innocentes (simples, naïves). Parce qu'ils sont, en principe du
moins, dépourvus de malice ou de conséquence, un badinage, des
manèges, des jeux sont appelés innocents. Mais l'innocence est,
chez les êtres vivants, un état neutre et une manière d'être
naturelle (elle est d'ailleurs, dans l'espèce humaine, primaire et
provisoire). Elle est aussi une qualité faite de faiblesse ou
d'ignorance : l'innocence de l'agneau, de l'enfant. Il lui manque
cette potentialité volontaire qui donne aux actes un relief moral et
en constitue le gage futur, en détermine la ligne. C'est la
limpidité sans effort d'une eau qui ne connaît la lutte contre les
courants perturbateurs, c'est cette passivité qui faisait dire à
Cousin : « La vertu vaut mieux que l'innocence… ». Avant les
premiers contacts de l'amour et sous la sujétion obscure de sa loi,
la jeune fille ignorante demeure parée de la pureté convenue de
l'innocence. Aux entreprises du mâle, elle n'oppose, hors des
avertissements de l'éducation, que la peur instinctive de sa chair.
Mais cette virginité physique, dont les religions ont fait un culte
et proscrit comme un crime l'abandon (sauf sous le signe de certaines
« adaptations » sociales), et dont les mœurs ont ensuite
anormalement prolongé l'état, s'accompagne souvent, dans des
résistances contrenature, compliquées d'une initiation vicieuse,
d'une atmosphère de perversion qui a ses répercussions
physiologiques et ses déformations mentales. La sainteté qui, sous
prétexte de morale, revêt la feinte d'un manteau d'innocence, ne
fait ainsi qu'ajouter au fardeau des hypocrisies humaines. Et « la
pudeur a sa fausseté où le baiser avait son innocence », comme
disait Mirabeau. Il n'y a pas d'innocence qui puisse voisiner avec
l'arrière-pensée : la franchise est son essentiel attribut... En
théologie, l'innocence a l'ampleur et la puissance d'un symbole.
C'est la pureté de l'âme que n'a point souillé le péché. « Adam
fut créé dans l'état d'innocence ». De cette inclination au mal
dont nous apportons la tare originelle, le baptême est le bain sacré
de rachat... L'histoire religieuse appelle Innocents (et l'Eglise
catholique consacre à leur mémoire un jour spécial) les enfants
juifs dont, selon Mathieu, le roi Hérode ordonna le massacre dans le
dessein d'atteindre Jésus...
Treize «
princes de l'Eglise » ont porté la tiare sous le nom d’ «
Innocent »… Les arts représentatifs ont personnifié diversement
l'Innocence. Ici un jeune homme est traîné par la calomnie devant
le tribunal du despote (Apelles, Raphaël, etc.). Là, à trois
enfants nus un génie apporte un agneau (Rubens). Ailleurs une jeune
fille serre dans ses bras un agneau (Dulci, Greuze). Peinture,
statuaire ont pris fréquemment l'innocence pour thème allégorique
: l'Innocence défendue par l'Ange Gardien (Le Dominiquin) ; l'Amour
séduisant l'Innocence (Basio) ; l'Innocence émue par l'Amour
(Beguin) ; l'Innocence pleurant un serpent mort (Ramey) ;
l'Innocence, statue de Dagand et bas-relief de David d'Angers, etc.
- L.
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