samedi 28 décembre 2019

Communisme libertaire Isaac Puente Partie 1



Isaac Puente Amestoy naît en 1896 à Abanto-Zierbena au Pays basque espagnol. Outre son activité de médecin rural, il contribue à de nombreuses revues libertaires. En 1930 il devient membre de la Confédération nationale du travail (CNT), organisation anarcho-syndicaliste, et de la Fédération anarchiste ibérique (FAI). Ses thèses communistes libertaires sont d’une grande influence dans les résolutions de la CNT qui sont mises en œuvre pendant la révolution de 1936. Il est fusillé par les fascistes dans la nuit du 31 août 1936.

LES DEUX ASPIRATIONS FONDAMENTALES

L’homme, par l’effet de son mode d’existence et de sa nature profonde, a deux aspirations inépuisables : « Le pain », c’est-à-dire ce qu’il faut pour satisfaire ses besoins économiques (nourriture, vêtement, habitation, instruction, assistance sanitaire, moyens de communications, etc.) et « la liberté », c’est-à-dire la disposition de ses propres actions. Une obligation extérieure ne nous répugne pas comme telle, puisque nous transigeons avec celles que nous imposent les lois de la nature. Mais nous la rejetons et nous nous révoltons lorsqu’elle est le produit du caprice, de la volonté arbitraire d’autres hommes. Il est si vif, si intense, ce sentiment de liberté, cette aspiration à disposer de nous-même, qu’il a fait passer en proverbe le cas de l’hidalgo espagnol, qui pour la conserver, traîne sa misère sur les chemins, renonçant au pain assuré, à la tranquillité et à la chaleur de l’asile, parce qu’en échange on lui demande de se soumettre à une discipline de caserne. Le communisme libertaire doit rendre compatible la satisfaction des nécessités économiques avec le respect de cette aspiration à la liberté. Par amour pour la liberté, nous répudions un communisme de couvent et de caserne, de termitière ou de ruche, un communisme de troupeau comme celui de la Russie soi-disant « soviétique ».

LA RACINE DU MAL SOCIAL

La misère est le symptôme, mais le mal, c’est l’esclavage. — Si nous nous en tenons aux apparences, nous serons tous d’accord pour signaler que le pire de la société actuelle, c’est la misère. Et cependant, le pire n’est pas la misère, mais bien l’esclavage qui oblige l’homme à succomber devant elle, en l’empêchant de se révolter. De même le pire n’est pas le Capital, qui exploite l’ouvrier et s’enrichit à ses dépens, mais l’État, qui le maintient sans défense et le met en ceinture avec les fusils de la force publique et la réclusion dans les cachots. Toute la méchanceté que nous déplorons dans la société présente (ce n’est pas ici le lieu de le démontrer par le détail) trouve sa source dans l’institution du Pouvoir (c’est-à-dire de l’État) et dans l’institution de la Propriété privée (dont l’accumulation constitue le Capital). L’homme est le jouet de ces maléfices sociaux, supérieurs à sa volonté. Par la richesse, il devient vil, malfaisant et égoïste ; par l’autorité, il se change en brute cruelle, insensible à la douleur humaine. La misère dégrade et la richesse pervertit. L’obéissance réduit l’homme à l’abjection et l’autorité déforme ses sentiments. Rien n’a fait couler plus de larmes et de sang que le capital vorace et insatiable de profits. Toute l’histoire est pleine des crimes et des tortures commises par l’autorité. Nous acceptons une restriction que nous croyons juste, après que nous avons pu la juger telle. Mais nous la repoussons de toutes nos forces quand on nous l’impose, en nous refusant le droit de la discuter.
L’accumulation de richesse ou l’accumulation de pouvoir aux mains de quelques uns, ne peut s’accomplir qu’en dépouillant les autres. Pour détruire la misère comme pour empêcher la servitude, il n’y a qu’à s’opposer à l’accumulation de propriété et de pouvoir, de manière que personne ne puisse prendre au-delà de ses besoins, ni s’arroger le droit de commander sur son semblable.

CE QU’EST LE « COMMUNISME LIBERTAIRE »

Définition : LE COMMUNISME LIBERTAIRE est l’organisation de la société sans État et sans propriété privée. Pour le réaliser, il n’est pas nécessaire de rien inventer ni de créer aucun organe social nouveau. Les noyaux d’organisation autour desquels s’organisera la vie économique future, sont déjà présents dans la société actuelle : ce sont le Syndicat et la Commune libre. Dans le syndicat se groupent spontanément les ouvriers des usines et de toutes les entreprises où se combine le travail de plusieurs. Dans la commune libre, assemblée dont l’usage antique remonte aux origines mêmes de l’humanité, se groupent avec la même spontanéité les habitants d’une même localité. Par là un chemin est ouvert à la solution de tous les problèmes de cohabitation sur la base locale. Ces deux organismes, avec des normes fédératives et démocratiques, seront souverains dans leurs décisions, sans être soumis à la tutelle d’aucun organisme supérieur. Toutefois, ils seront amenés à se confédérer en vue de l’action commune, et à établir des organes de relation et de communication, constituant des Fédérations d’Industrie. Ainsi, le syndicat et la commune libre prennent possession collective ou commune de tout ce qui aujourd’hui est de propriété privée : ils règlent dans chaque localité la production et la consommation, c’est-à-dire la vie économique. L’association des deux mots (communisme et libertaire) indique aussi la fusion de deux idées : l’une collectiviste, qui tend à produire un ensemble harmonieux par la contribution ou coopération des individus, mais au dépens de leur indépendance ; et l’autre individualiste, qui se préoccupe précisément de garantir à l’individu le respect de sa liberté. Le travailleur de l’usine, du chemin de fer ou du bateau, ne pouvant accomplir à lui seul une œuvre complète trouve dans le groupement avec ses compagnons de travail, le moyen de mener à bien l’œuvre commune et de défendre ses intérêts propres par l’intermédiaire du syndicat. Par contre, l’artisan et le travailleur des champs, qui peuvent vivre indépendants et même se suffire à eux-mêmes, ont à cause de cela un penchant tenace à l’individualisme. Le syndicat représente la nécessité de l’organisation collectiviste, et la commune libre interprète mieux le sentiment individualiste du paysan.

L’ORGANISATION ÉCONOMIQUE : BASE DE LA SOCIÉTÉ

Le Communisme Libertaire se base sur l’organisation économique de la société, l’intérêt économique étant l’unique lien qui soit commun à tous les individus, et où puisse s’établir la coïncidence des forces. L’organisation sociale n’a dès lors pas d’autre but que de mettre en commun ce qui constitue la richesse sociale, c’est-à-dire le matériel et l’outillage de production, et les produits eux-mêmes. Elle fait également communes l’obligation de contribuer à la production, chacun suivant ses aptitudes, et la jouissance ou l’usage des produits, dans la mesure des nécessités individuelles. Tout ce qui n’est point fonction ou activité économiques, reste en dehors de l’organisation et en marge de son contrôle. C’est là le domaine inaliénable des initiatives et des activités particulières. Entre l’organisation à base politique, commune à tous les régimes qui se fondent sur l’autorité de l’État et l’organisation à base économique, propre au régime communiste-libertaire, l’opposition est on ne peut plus radicale ni plus complète. Pour la faire ressortir, nous dresserons parallèlement le tableau comparatif suivant :

ORGANISATION POLITIQUE


Organisation Politique

(Parlementarisme)
Organisation Economique

(communisme libertaire)
1/ Elle considère le Peuple comme mineur et incapable de s’organiser, ni de se gouverner sans tutelle de l’État
1. Chaque collectivité professionnelle étant admise à organiser son activité propre, l’État devient superflu.
2. Toutes les vertus sont monopolisées par l’État : en matière d’économie et d’enseignement, dans l’administration de la justice, dans l’interprétation du droit, dans la distribution des richesses, et dans l’organisation de toutes les fonctions.
2. L’initiative passe aux organisations professionnelles : le contrôle de l’enseignement aux instituteurs, celui de santé aux professions sanitaires, celui des communications aux techniciens et employés des transports. Le régime intérieur d’une usine est réglé par les techniciens et ouvriers réunis en Assemblée et le contrôle de la production est exercé par la Fédération des syndicats.
3. L’État est souverain ; il a entre ses mains la force (armée, police, magistrature et prisons). Le peuple est sans défense et désarmé. Ce qui n’empêche pas les démocraties de l’appeler le peuple souverain.
3. La force revient à son origine, de la société au groupe, du groupe à ses composants, et n’étant pas accumulée par quelques individus au nom de la société, chaque individu en possède une part égale, et chaque assemblée la somme de ce qui lui en est concédé par tous.
4. Les hommes se groupent selon les idées politiques, religieuses ou sociales, c’est-à-dire par là où les points de coïncidence sont minimes, puisque c’est précisément dans ce domaine que les divergences et les dissentiments entre les hommes sont innombrables.
4. Les hommes se groupent par l’identité de leurs préoccupations et nécessités professionnelles dans les syndicats, et par la cohabitation locale et la communauté des intérêts dans la commune libre. Là, les points de coïncidence sont en nombre maximum.
5. L’État, qui est une minorité exigüe, prétend avoir plus de force, plus de capacité et de savoir que les diverses collectivités sociales : « Un seul homme en sait plus long que tous les autres réunis ».
5. L’assemblée (syndicale, communale) réunit en elle le maximum de force, de capacité et de savoir dans ce qui professionnellement lui incombe, ou dans ce qui circonstantiellement lui appartient. À eux tous, ils savent plus qu’un seul homme, même d’une intelligence très avancée.
6. L’État, s’appuyant sur une norme fixée une fois pour toutes (Constitution ou Code), compromet l’avenir et fausse la vie sociale qui est multiple et changeante.
6. Dans l’organisation syndicale, la norme de conduite à suivre se décide à chaque instant, en accord avec les circonstances.
7. L’État réserve tout pour lui. Au peuple, il ne reste pas autre chose à faire que payer, obéir, produire et se conformer à la volonté de celui qui le commande. L’État dit : « Donnez-moi le pouvoir et je vous rendrai heureux ».
7. Faute d’intermédiaires et de rédempteurs providentiels, chacun doit pourvoir soi-même à la direction de son activité propre, s’habituant à se passer de contremaîtres et s’affranchissant en même temps des routines séculaires de la délégation politique.
8. L’État divise la société en deux classes antagoniques : ceux qui commandent et ceux qui obéissent. Inévitablement, cette inégalité entraîne toutes les autres : les puissants reçoivent ce que les autres payent, ils exploitent le travail de leurs subordonnés.
8. Toutes les catégories de citoyens s’égalisent dans la classe unique des producteurs. Les charges sont administratives et temporaires. Elles ne donnent pas le droit à ceux qui les occupent d’abandonner leur part de travail manuel effectif, et leur simple continuité est toujours à la merci des déterminations de l’assemblée (syndicale ou communale) dont elles relèvent.
9. II ne concède que des satisfactions fictives et des droits écrits : Liberté, Souveraineté, Justice, Démocratie, Autonomie, et ceci pour maintenir toujours vivant le feu sacré de l’illusion politique.
9. C’est la réalisation pratique de la liberté économique qui est fondamentale. Elle seule réalise la démocratie, c’est-à-dire le gouvernement du peuple par le peuple. Elle seule réalise le fédéralisme, par la reconnaissance à la commune (et à toute Collectivité Productrice) d’une autonomie et d’une indépendance maximales.
10. Le Progrès et l’Évolution sociale conduisent l’État depuis les formes despotiques et absolutistes vers sa mort. Le fascisme déjà, est une solution tardive, et le socialisme autoritaire en est une autre. Ils sont voués à la mort à mesure que se développent la conscience individuelle et la conscience de classe.
10. L’évolution élève les collectivités professionnelles à un niveau d’homogénéité et de perfectionnement croissants. De la défense de l’intérêt égoïste de l’individu, leur rôle et leur capacité passent à l’acceptation de la pleine responsabilité de leur rôle social.
11. Dans l’organisation à base politique, la souveraineté réside dans le sommet. Par-dessus le conseil est la commune ; par-dessus celle-ci la députation ; par-dessus cette autre la préfecture, puis encore le ministre, et au-dessus du gouvernement lui même, le président.
11. Dans l’organisation économique, la souveraineté réside dans la base. Les décisions d’un comité sont révocables par un conseil ; celles d’un conseil par une assemblée et celles de l’assemblée par le peuple.
12. En régime politique, tout repose sur l’État qui est la base de tout. Au peuple, on ne laisse que l’illusion de se croire libre un jour tous les quatre ans.
12. En régime économique, il n’existe point de hiérarchie, mais une délégation conditionnée et passagère dans les Comités. L’État est supprimé.


Aucun commentaire: