Isaac
Puente Amestoy naît en 1896 à Abanto-Zierbena au Pays basque
espagnol. Outre son activité de médecin rural, il contribue à de
nombreuses revues libertaires. En 1930 il devient membre de la
Confédération nationale du travail (CNT), organisation
anarcho-syndicaliste, et de la Fédération anarchiste ibérique
(FAI). Ses thèses communistes libertaires sont d’une grande
influence dans les résolutions de la CNT qui sont mises en œuvre
pendant la révolution de 1936. Il est fusillé par les fascistes
dans la nuit du 31 août 1936.
LES
DEUX ASPIRATIONS FONDAMENTALES
L’homme,
par l’effet de son mode d’existence et de sa nature profonde, a
deux aspirations inépuisables : « Le pain »,
c’est-à-dire ce qu’il faut pour satisfaire ses besoins
économiques (nourriture, vêtement, habitation, instruction,
assistance sanitaire, moyens de communications, etc.) et « la
liberté », c’est-à-dire la disposition de ses propres
actions. Une obligation extérieure ne nous répugne pas comme telle,
puisque nous transigeons avec celles que nous imposent les lois de la
nature. Mais nous la rejetons et nous nous révoltons lorsqu’elle
est le produit du caprice, de la volonté arbitraire d’autres
hommes. Il est si vif, si intense, ce sentiment de liberté, cette
aspiration à disposer de nous-même, qu’il a fait passer en
proverbe le cas de l’hidalgo espagnol, qui pour la conserver,
traîne sa misère sur les chemins, renonçant au pain assuré, à la
tranquillité et à la chaleur de l’asile, parce qu’en échange
on lui demande de se soumettre à une discipline de caserne. Le
communisme libertaire doit rendre compatible la satisfaction des
nécessités économiques avec le respect de cette aspiration à la
liberté. Par amour pour la liberté, nous répudions un communisme
de couvent et de caserne, de termitière ou de ruche, un communisme
de troupeau comme celui de la Russie soi-disant « soviétique ».
LA
RACINE DU MAL SOCIAL
La
misère est le symptôme, mais le mal, c’est l’esclavage. — Si
nous nous en tenons aux apparences, nous serons tous d’accord pour
signaler que le pire de la société actuelle, c’est la misère. Et
cependant, le pire n’est pas la misère, mais bien l’esclavage
qui oblige l’homme à succomber devant elle, en l’empêchant de
se révolter. De même le pire n’est pas le Capital, qui exploite
l’ouvrier et s’enrichit à ses dépens, mais l’État, qui le
maintient sans défense et le met en ceinture avec les fusils de la
force publique et la réclusion dans les cachots. Toute la méchanceté
que nous déplorons dans la société présente (ce n’est pas ici
le lieu de le démontrer par le détail) trouve sa source dans
l’institution du Pouvoir (c’est-à-dire de l’État) et dans
l’institution de la Propriété privée (dont l’accumulation
constitue le Capital). L’homme est le jouet de ces maléfices
sociaux, supérieurs à sa volonté. Par la richesse, il devient vil,
malfaisant et égoïste ; par l’autorité, il se change en
brute cruelle, insensible à la douleur humaine. La misère dégrade
et la richesse pervertit. L’obéissance réduit l’homme à
l’abjection et l’autorité déforme ses sentiments. Rien n’a
fait couler plus de larmes et de sang que le capital vorace et
insatiable de profits. Toute l’histoire est pleine des crimes et
des tortures commises par l’autorité. Nous acceptons une
restriction que nous croyons juste, après que nous avons pu la juger
telle. Mais nous la repoussons de toutes nos forces quand on nous
l’impose, en nous refusant le droit de la discuter.
L’accumulation
de richesse ou l’accumulation de pouvoir aux mains de quelques uns,
ne peut s’accomplir qu’en dépouillant les autres. Pour détruire
la misère comme pour empêcher la servitude, il n’y a qu’à
s’opposer à l’accumulation de propriété et de pouvoir, de
manière que personne ne puisse prendre au-delà de ses besoins, ni
s’arroger le droit de commander sur son semblable.
CE
QU’EST LE « COMMUNISME LIBERTAIRE »
Définition :
LE COMMUNISME LIBERTAIRE est l’organisation de la société sans
État et sans propriété privée. Pour le réaliser, il n’est pas
nécessaire de rien inventer ni de créer aucun organe social
nouveau. Les noyaux d’organisation autour desquels s’organisera
la vie économique future, sont déjà présents dans la société
actuelle : ce sont le Syndicat et la Commune libre. Dans le
syndicat se groupent spontanément les ouvriers des usines et de
toutes les entreprises où se combine le travail de plusieurs. Dans
la commune libre, assemblée dont l’usage antique remonte aux
origines mêmes de l’humanité, se groupent avec la même
spontanéité les habitants d’une même localité. Par là un
chemin est ouvert à la solution de tous les problèmes de
cohabitation sur la base locale. Ces deux organismes, avec des normes
fédératives et démocratiques, seront souverains dans leurs
décisions, sans être soumis à la tutelle d’aucun organisme
supérieur. Toutefois, ils seront amenés à se confédérer en vue
de l’action commune, et à établir des organes de relation et de
communication, constituant des Fédérations d’Industrie. Ainsi, le
syndicat et la commune libre prennent possession collective ou
commune de tout ce qui aujourd’hui est de propriété privée :
ils règlent dans chaque localité la production et la consommation,
c’est-à-dire la vie économique. L’association des deux mots
(communisme et libertaire) indique aussi la fusion de deux idées :
l’une collectiviste, qui tend à produire un ensemble harmonieux
par la contribution ou coopération des individus, mais au dépens de
leur indépendance ; et l’autre individualiste, qui se
préoccupe précisément de garantir à l’individu le respect de sa
liberté. Le travailleur de l’usine, du chemin de fer ou du bateau,
ne pouvant accomplir à lui seul une œuvre complète trouve dans le
groupement avec ses compagnons de travail, le moyen de mener à bien
l’œuvre commune et de défendre ses intérêts propres par
l’intermédiaire du syndicat. Par contre, l’artisan et le
travailleur des champs, qui peuvent vivre indépendants et même se
suffire à eux-mêmes, ont à cause de cela un penchant tenace à
l’individualisme. Le syndicat représente la nécessité de
l’organisation collectiviste, et la commune libre interprète mieux
le sentiment individualiste du paysan.
L’ORGANISATION
ÉCONOMIQUE : BASE DE LA SOCIÉTÉ
Le
Communisme Libertaire se base sur l’organisation économique de la
société, l’intérêt économique étant l’unique lien qui soit
commun à tous les individus, et où puisse s’établir la
coïncidence des forces. L’organisation sociale n’a dès lors pas
d’autre but que de mettre en commun ce qui constitue la richesse
sociale, c’est-à-dire le matériel et l’outillage de production,
et les produits eux-mêmes. Elle fait également communes
l’obligation de contribuer à la production, chacun suivant ses
aptitudes, et la jouissance ou l’usage des produits, dans la mesure
des nécessités individuelles. Tout ce qui n’est point fonction ou
activité économiques, reste en dehors de l’organisation et en
marge de son contrôle. C’est là le domaine inaliénable des
initiatives et des activités particulières. Entre l’organisation
à base politique, commune à tous les régimes qui se fondent sur
l’autorité de l’État et l’organisation à base économique,
propre au régime communiste-libertaire, l’opposition est on ne
peut plus radicale ni plus complète. Pour la faire ressortir, nous
dresserons parallèlement le tableau comparatif suivant :
ORGANISATION
POLITIQUE
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Organisation Politique
(Parlementarisme)
|
Organisation Economique
(communisme
libertaire)
|
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1/ Elle considère le Peuple comme
mineur et incapable de s’organiser, ni de se gouverner sans
tutelle de l’État
|
1. Chaque collectivité
professionnelle étant admise à organiser son activité propre,
l’État devient superflu.
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|
2. Toutes les vertus sont
monopolisées par l’État : en matière d’économie et
d’enseignement, dans l’administration de la justice, dans
l’interprétation du droit, dans la distribution des richesses,
et dans l’organisation de toutes les fonctions.
|
2. L’initiative passe aux
organisations professionnelles : le contrôle de
l’enseignement aux instituteurs, celui de santé aux professions
sanitaires, celui des communications aux techniciens et employés
des transports. Le régime intérieur d’une usine est réglé
par les techniciens et ouvriers réunis en Assemblée et le
contrôle de la production est exercé par la Fédération des
syndicats.
|
|
3. L’État est souverain ; il
a entre ses mains la force (armée, police, magistrature et
prisons). Le peuple est sans défense et désarmé. Ce qui
n’empêche pas les démocraties de l’appeler le peuple
souverain.
|
3. La force revient à son origine,
de la société au groupe, du groupe à ses composants, et n’étant
pas accumulée par quelques individus au nom de la société,
chaque individu en possède une part égale, et chaque assemblée
la somme de ce qui lui en est concédé par tous.
|
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4. Les hommes se groupent selon les
idées politiques, religieuses ou sociales, c’est-à-dire par là
où les points de coïncidence sont minimes, puisque c’est
précisément dans ce domaine que les divergences et les
dissentiments entre les hommes sont innombrables.
|
4. Les hommes se groupent par
l’identité de leurs préoccupations et nécessités
professionnelles dans les syndicats, et par la cohabitation locale
et la communauté des intérêts dans la commune libre. Là, les
points de coïncidence sont en nombre maximum.
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5. L’État, qui est une minorité
exigüe, prétend avoir plus de force, plus de capacité et de
savoir que les diverses collectivités sociales : « Un
seul homme en sait plus long que tous les autres réunis ».
|
5. L’assemblée (syndicale,
communale) réunit en elle le maximum de force, de capacité et de
savoir dans ce qui professionnellement lui incombe, ou dans ce qui
circonstantiellement lui appartient. À eux tous, ils savent plus
qu’un seul homme, même d’une intelligence très avancée.
|
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6. L’État, s’appuyant sur une
norme fixée une fois pour toutes (Constitution ou Code),
compromet l’avenir et fausse la vie sociale qui est multiple et
changeante.
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6. Dans l’organisation syndicale,
la norme de conduite à suivre se décide à chaque instant, en
accord avec les circonstances.
|
|
7. L’État réserve tout pour lui.
Au peuple, il ne reste pas autre chose à faire que payer, obéir,
produire et se conformer à la volonté de celui qui le commande.
L’État dit : « Donnez-moi le pouvoir et je vous
rendrai heureux ».
|
7. Faute d’intermédiaires et de
rédempteurs providentiels, chacun doit pourvoir soi-même à la
direction de son activité propre, s’habituant à se passer de
contremaîtres et s’affranchissant en même temps des routines
séculaires de la délégation politique.
|
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8. L’État divise la société en
deux classes antagoniques : ceux qui commandent et ceux qui
obéissent. Inévitablement, cette inégalité entraîne toutes
les autres : les puissants reçoivent ce que les autres
payent, ils exploitent le travail de leurs subordonnés.
|
8. Toutes les catégories de citoyens
s’égalisent dans la classe unique des producteurs. Les charges
sont administratives et temporaires. Elles ne donnent pas le droit
à ceux qui les occupent d’abandonner leur part de travail
manuel effectif, et leur simple continuité est toujours à la
merci des déterminations de l’assemblée (syndicale ou
communale) dont elles relèvent.
|
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9. II ne concède que des
satisfactions fictives et des droits écrits : Liberté,
Souveraineté, Justice, Démocratie, Autonomie, et ceci pour
maintenir toujours vivant le feu sacré de l’illusion politique.
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9. C’est la réalisation pratique
de la liberté économique qui est fondamentale. Elle seule
réalise la démocratie, c’est-à-dire le gouvernement du peuple
par le peuple. Elle seule réalise le fédéralisme, par la
reconnaissance à la commune (et à toute Collectivité
Productrice) d’une autonomie et d’une indépendance maximales.
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10. Le Progrès et l’Évolution
sociale conduisent l’État depuis les formes despotiques et
absolutistes vers sa mort. Le fascisme déjà, est une solution
tardive, et le socialisme autoritaire en est une autre. Ils sont
voués à la mort à mesure que se développent la conscience
individuelle et la conscience de classe.
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10. L’évolution élève les
collectivités professionnelles à un niveau d’homogénéité et
de perfectionnement croissants. De la défense de l’intérêt
égoïste de l’individu, leur rôle et leur capacité passent à
l’acceptation de la pleine responsabilité de leur rôle social.
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11. Dans l’organisation à base
politique, la souveraineté réside dans le sommet. Par-dessus le
conseil est la commune ; par-dessus celle-ci la députation ;
par-dessus cette autre la préfecture, puis encore le ministre, et
au-dessus du gouvernement lui même, le président.
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11. Dans l’organisation économique,
la souveraineté réside dans la base. Les décisions d’un
comité sont révocables par un conseil ; celles d’un
conseil par une assemblée et celles de l’assemblée par le
peuple.
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12. En régime politique, tout repose
sur l’État qui est la base de tout. Au peuple, on ne laisse que
l’illusion de se croire libre un jour tous les quatre ans.
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12. En régime économique, il
n’existe point de hiérarchie, mais une délégation
conditionnée et passagère dans les Comités. L’État est
supprimé.
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