samedi 28 décembre 2019

Communisme libertaire Isaac Puente Partie 2


DEUX PARTAGES À FAIRE : RICHESSE ET TRAVAIL

Entre les habitants d’une même nation, il y a deux choses à partager : la richesse, c’est-à-dire les produits destinés à la consommation de tout le peuple, et le travail nécessaire pour la produire. Tel serait le problème devant la justice, l’équité et la raison. Mais dans la société capitaliste, la richesse s’accumule dans une classe, celle où l’on ne produit pas, et le travail incombe à une autre classe, celle qui ne mange pas à sa faim. C’est précisément le contraire de ce qui se passe dans le corps humain, qui toujours donne plus d’aliment, plus de sang, au membre ou à l’organe qui travaille.
La richesse nationale de l’Espagne se monte à une rente annuelle de 25.000.000.000 pesetas. Bien distribuée, il y en aurait assez pour bien alimenter le peuple espagnol qui compte 24 millions d’habitants, ce qui ferait pour chacun plus de 1.000 pesetas par an 1. Une famille de cinq individus aurait donc 5.000 pesetas annuellement, ce qui permettrait la généralisation d’un certain bien être. Mais comme en régime capitaliste, le capital doit produire au moins 5 % d’intérêt annuel, et que l’autorité doit se mesurer à la solde, pour que les uns puissent avoir des millions à gaspiller, il faut qu’il y ait des familles entières réduites à vivre avec la moitié moins de ce qui leur reviendrait en toute équité. En régime communiste-libertaire, il ne s’agit pas de pesetas, ni de se les partager. Il ne s’agit que de produits qui ne sont plus transformables en argent et ne peuvent donc s’accumuler, mais qui se distribuent entre tous selon les besoins. L’autre chose à partager est le travail. Et là encore, aujourd’hui, nous trouvons la même injuste et révoltante inégalité. Pour que quelques-uns puissent passer leur vie vautrés dans des fauteuils, d’autres doivent suer huit heures par jour, quand ce n’est pas dix ou quatorze. Aujourd’hui, sept millions de travailleurs sont occupés à produire toute la richesse, et il leur faut en moyenne huit heures de travail par jour. Si les quatorze millions d’habitants adultes travaillent tous, il leur faudrait seulement quatre heures par jour pour produire la même richesse ou une plus grande encore, car il n’y aurait ni fatigue, ni chômage. Telle est la résultante nette et claire d’une bonne et juste distribution du travail. Et telle l’utopie que veut réaliser l’anarchiste.

PREMIÈRES RÉALISATIONS

Le Communisme libertaire se base sur des organisations déjà existantes, grâce auxquelles il peut assurer la vie économique dans la ville et au village, en tenant compte des besoins particuliers de chaque localité. Ces organismes sont le syndicat et la commune libre. Le Syndicat réunit les individus selon la qualification du travail et la cohabitation quotidienne de l’atelier. Il réunit premièrement les ouvriers d’une usine, d’un chantier ou de n’importe quelle équipe de travail constituant la section syndicale la plus petite, avec autonomie dans tout ce qui lui est particulier. Ces sections réunies avec d’autres semblables forment la branche locale ou régionale d’une industrie déterminée. Les syndicats d’une même localité sont fédérés entre eux, y compris un syndicat des métiers divers ou variables, afin que soient organisés
1 [NdÉ] En transposant à la France de 2018, un PIB de 2.282 milliards d’euros pour 67,7 millions d’habitants fait plus de 33.000 euros par personne et par an.
ceux-là mêmes qui ne peuvent fonder leur propre syndicat. La Fédération locale est constituée par l’Assemblée générale de tous les syndiqués, en qui réside le maximum de souveraineté (à son défaut par une réunion des comités de chaque syndicat ou par une délégation de chacun de ces comités). La Commune libre, c’est l’assemblée des travailleurs d’une petite localité, village ou hameau, avec souveraineté pour traiter toutes les affaires communes. Cette institution des plus anciennes a été dépossédée par l’immixtion des institutions politiques, mais elle peut recouvrer son ancienne vigueur, en se chargeant de l’organisation de la vie locale. L’économie nationale résulte de l’harmonie entre les diverses localités qui composent le pays. Quand chaque localité en elle-même a son économie bien administrée et ordonnée, l’ensemble réalise le maximum d’harmonie et de perfection. Ceci ne doit pas être imposé par le haut, mais on veut la voir fleurir de la base, comme résultat spontané, non pas comme un ordre imposé. Si l’accord entre les individus s’établit par les relations entre eux, l’accord entre les localités est effet de relations du même genre. Ces relations sont périodiques et circonstancielles dans les assemblées et congrès, persistantes et continues dans les Fédérations d’Industrie (dont la mission spéciale est d’organiser les communications et les transports en ce qui concerne les industries dont l’importance dépasse le cadre local ou régional).

FONCTIONNEMENT DE L’ÉCONOMIE NATIONALE

Chaque syndicat doit s’efforcer de favoriser les initiatives qui ont pour conséquence un progrès dans le bien-être de tous, en particulier celles qui ont trait à la défense de la santé publique et à un aménagement plus sain et plus agréable du travail. La nécessité économique oblige l’individu à coopérer dans la vie économique de la localité. La même nécessité va se manifester sur les collectivités locales, les obligeant à coopérer dans l’économie nationale. Mais l’économie nationale ne doit pas dépendre d’un Comité central, ni d’un Conseil suprême, germes d’autoritarisme, facteurs de dictature et repaires de bureaucratie. Nous avons dit que nous n’avons que faire d’un pouvoir ordonateur ou d’un faiseur de plan étranger à l’accord mutuel entre les localités. Lorsque toutes les localités (villes, villages et hameaux) ont ordonné leur vie intérieure, l’organisation nationale atteint toute la perfection réalisable. Et nous pouvons en dire autant de la vie locale. Lorsque tous les individus qui la composent trouvent la satisfaction de leurs besoins, la vie économique de la Commune ou de la Fédération locale, elle aussi, sera parfaite. En biologie, pour qu’un organisme jouisse de « physiologisme » ou « normalité », il est nécessaire que chacune de ses cellules accomplisse sa tâche naturelle et pour cela, deux choses sont nécessaires : assurer la circulation du sang et les connexions nerveuses. La vie nationale de même, est naturelle ou normale, lorsque chaque localité remplit sa fonction assurant la circulation des produits dont on manque et se débarrassant de ce qui s’accumule. Ceci implique deux choses : les communications, qui mettent les localités au courant de leurs besoins mutuels, et les transports qui leur permettent de se venir en aide. Ici se manifeste la raison d’être des Fédérations nationales d’industries, organismes aptes à former la structure des services collectivisés, selon un plan national de communications et de transports (postes, télégraphe, téléphone ; réseaux routiers, fluviaux et ferroviaire). Au-dessus de l’organisation locale, il ne doit exister aucune superstructure, sauf celle correspondant à une fonction spéciale qu’il est impossible d’organiser localement. Les Congrès confédéraux sont les seuls interprètes de la volonté nationale, encore n’exercent-ils que circonstantiellement et transitoirement la souveraineté que leur confèrent les résolutions des assemblées de base. En plus de la Fédération des Transports et Communications, il peut être nécessaire de former des Fédérations régionales, lorsqu’il s’agit par exemple de distribution d’énergie, d’irrigation ou de rénovation forestière. Les Fédérations nationales ou régionales auront donc à transformer en propriétés communes les voies, réseaux, édifices, machines, appareils et ateliers relatifs aux grands services publics de communications, transports et distribution. Ils offriront gratuitement leurs services aux localités, groupements et individus qui de leur côté coopèrent de leurs efforts à l’économie nationale : 1° en livrant les produits et richesses qu’ils ont de reste ; 2° en s’offrant à surproduire ce dont la nation a besoin, lorsque cela entre dans leurs possibilités ; 3° en contribuant aux offres personnelles de travail, matériaux, etc. en faveur des services publics en question. C’est la mission des Fédérations nationales des communications et transports de mettre en relation toutes les localités, en assurant le transport entre les régions productrices et les régions consommatrices, et en faisant passer d’abord les produits périssables ou qui doivent se consommer de suite, comme le poisson, le lait, les fruits et la viande. Pour assurer le service des localités, répondre aux besoins et décongestionner les localités surproductrices, il s’agit avant tout de la bonne organisation des transports. Ni un cerveau unique, ni un trust des cerveaux, ne peuvent préordonner cette circulation. Les individus s’entendent en se réunissant, et les localités en entrant en relations mutuelles. Un guide de directions, avec la production particulière à chaque localité, permettrait de faciliter les approvisionnements en faisant connaître ce qui peut être demandé à une ville ou région et ce qu’on peut lui offrir. De même que le besoin oblige les individus à rassembler leurs efforts, pour contribuer à la vie économique des localités, de même le besoin aussi forcera les collectivités à réunir leurs activités dans un complexe économique national. C’est le système circulatoire (transports) et le système nerveux (communications) qui permettent l’établissement de ces relations interlocales. Ni la bonne marche de l’économie, ni la liberté de l’individu n’exigent d’autres complications.

CONCLUSIONS

Le communisme libertaire est le point de départ nécessaire pour que la société s’organise spontanément et librement, et pour que l’évolution sociale, sans déviation artificielle, s’accomplisse pour le bien de tous. C’est la solution la plus rationnelle du problème économique, car il répond à une distribution équitable de la production et du travail socialement nécessaire pour l’obtenir. Personne ne doit se soustraire au besoin de coopérer avec son effort à la production, puisque c’est la nature elle-même qui nous impose cette dure loi du travail dans les climats où les aliments ne se produisent pas spontanément. La contrainte économique trouve son expression dans l’organisation sociale. Mais elle est et doit être aussi la seule contrainte que la collectivité puisse légitimement exercer sur l’individu. Toutes les autres activités culturelles, artistiques, scientifiques, doivent rester en marge du contrôle de la collectivité et entre les mains des libres groupements mettant en œuvre les diverses passions et tendances. Comme la journée de travail obligatoire n’épuisera pas, ainsi qu’elle fait aujourd’hui, la capacité de travail du producteur, il y aura place dans la vie en marge de la production contrôlée, pour une activité complètement spontanée, fruit de la joie et de l’enthousiasme, et qui trouvera en elle-même satisfaction et récompense. Dans cette production joyeuse est en germe une vie nouvelle : celle que l’anarchisme exalte et propage. Et quand elle remplira les besoins de la société, il n’y aura plus nul besoin de la tutelle économique des organisations sur les individus.


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