DEUX
PARTAGES À FAIRE : RICHESSE ET TRAVAIL
Entre
les habitants d’une même nation, il y a deux choses à partager :
la richesse, c’est-à-dire les produits destinés à la
consommation de tout le peuple, et le travail nécessaire pour la
produire. Tel serait le problème devant la justice, l’équité et
la raison. Mais dans la société capitaliste, la richesse s’accumule
dans une classe, celle où l’on ne produit pas, et le travail
incombe à une autre classe, celle qui ne mange pas à sa faim. C’est
précisément le contraire de ce qui se passe dans le corps humain,
qui toujours donne plus d’aliment, plus de sang, au membre ou à
l’organe qui travaille.
La
richesse nationale de l’Espagne se monte à une rente annuelle de
25.000.000.000 pesetas. Bien distribuée, il y en aurait assez pour
bien alimenter le peuple espagnol qui compte 24 millions d’habitants,
ce qui ferait pour chacun plus de 1.000 pesetas par an 1. Une famille
de cinq individus aurait donc 5.000 pesetas annuellement, ce qui
permettrait la généralisation d’un certain bien être. Mais comme
en régime capitaliste, le capital doit produire au moins 5 %
d’intérêt annuel, et que l’autorité doit se mesurer à la
solde, pour que les uns puissent avoir des millions à gaspiller, il
faut qu’il y ait des familles entières réduites à vivre avec la
moitié moins de ce qui leur reviendrait en toute équité. En régime
communiste-libertaire, il ne s’agit pas de pesetas, ni de se les
partager. Il ne s’agit que de produits qui ne sont plus
transformables en argent et ne peuvent donc s’accumuler, mais qui
se distribuent entre tous selon les besoins. L’autre chose à
partager est le travail. Et là encore, aujourd’hui, nous trouvons
la même injuste et révoltante inégalité. Pour que quelques-uns
puissent passer leur vie vautrés dans des fauteuils, d’autres
doivent suer huit heures par jour, quand ce n’est pas dix ou
quatorze. Aujourd’hui, sept millions de travailleurs sont occupés
à produire toute la richesse, et il leur faut en moyenne huit heures
de travail par jour. Si les quatorze millions d’habitants adultes
travaillent tous, il leur faudrait seulement quatre heures par jour
pour produire la même richesse ou une plus grande encore, car il n’y
aurait ni fatigue, ni chômage. Telle est la résultante nette et
claire d’une bonne et juste distribution du travail. Et telle
l’utopie que veut réaliser l’anarchiste.
PREMIÈRES
RÉALISATIONS
Le
Communisme libertaire se base sur des organisations déjà
existantes, grâce auxquelles il peut assurer la vie économique dans
la ville et au village, en tenant compte des besoins particuliers de
chaque localité. Ces organismes sont le syndicat et la commune
libre. Le Syndicat réunit les individus selon la qualification du
travail et la cohabitation quotidienne de l’atelier. Il réunit
premièrement les ouvriers d’une usine, d’un chantier ou de
n’importe quelle équipe de travail constituant la section
syndicale la plus petite, avec autonomie dans tout ce qui lui est
particulier. Ces sections réunies avec d’autres semblables forment
la branche locale ou régionale d’une industrie déterminée. Les
syndicats d’une même localité sont fédérés entre eux, y
compris un syndicat des métiers divers ou variables, afin que soient
organisés
1
[NdÉ] En transposant à la France de 2018, un PIB de 2.282 milliards
d’euros pour 67,7 millions d’habitants fait plus de 33.000 euros
par personne et par an.
ceux-là
mêmes qui ne peuvent fonder leur propre syndicat. La Fédération
locale est constituée par l’Assemblée générale de tous les
syndiqués, en qui réside le maximum de souveraineté (à son défaut
par une réunion des comités de chaque syndicat ou par une
délégation de chacun de ces comités). La Commune libre, c’est
l’assemblée des travailleurs d’une petite localité, village ou
hameau, avec souveraineté pour traiter toutes les affaires communes.
Cette institution des plus anciennes a été dépossédée par
l’immixtion des institutions politiques, mais elle peut recouvrer
son ancienne vigueur, en se chargeant de l’organisation de la vie
locale. L’économie nationale résulte de l’harmonie entre les
diverses localités qui composent le pays. Quand chaque localité en
elle-même a son économie bien administrée et ordonnée, l’ensemble
réalise le maximum d’harmonie et de perfection. Ceci ne doit pas
être imposé par le haut, mais on veut la voir fleurir de la base,
comme résultat spontané, non pas comme un ordre imposé. Si
l’accord entre les individus s’établit par les relations entre
eux, l’accord entre les localités est effet de relations du même
genre. Ces relations sont périodiques et circonstancielles dans les
assemblées et congrès, persistantes et continues dans les
Fédérations d’Industrie (dont la mission spéciale est
d’organiser les communications et les transports en ce qui concerne
les industries dont l’importance dépasse le cadre local ou
régional).
FONCTIONNEMENT
DE L’ÉCONOMIE NATIONALE
Chaque
syndicat doit s’efforcer de favoriser les initiatives qui ont pour
conséquence un progrès dans le bien-être de tous, en particulier
celles qui ont trait à la défense de la santé publique et à un
aménagement plus sain et plus agréable du travail. La nécessité
économique oblige l’individu à coopérer dans la vie économique
de la localité. La même nécessité va se manifester sur les
collectivités locales, les obligeant à coopérer dans l’économie
nationale. Mais l’économie nationale ne doit pas dépendre d’un
Comité central, ni d’un Conseil suprême, germes d’autoritarisme,
facteurs de dictature et repaires de bureaucratie. Nous avons dit que
nous n’avons que faire d’un pouvoir ordonateur ou d’un faiseur
de plan étranger à l’accord mutuel entre les localités. Lorsque
toutes les localités (villes, villages et hameaux) ont ordonné leur
vie intérieure, l’organisation nationale atteint toute la
perfection réalisable. Et nous pouvons en dire autant de la vie
locale. Lorsque tous les individus qui la composent trouvent la
satisfaction de leurs besoins, la vie économique de la Commune ou de
la Fédération locale, elle aussi, sera parfaite. En biologie, pour
qu’un organisme jouisse de « physiologisme » ou
« normalité », il est nécessaire que chacune de ses
cellules accomplisse sa tâche naturelle et pour cela, deux choses
sont nécessaires : assurer la circulation du sang et les
connexions nerveuses. La vie nationale de même, est naturelle ou
normale, lorsque chaque localité remplit sa fonction assurant la
circulation des produits dont on manque et se débarrassant de ce qui
s’accumule. Ceci implique deux choses : les communications,
qui mettent les localités au courant de leurs besoins mutuels, et
les transports qui leur permettent de se venir en aide. Ici se
manifeste la raison d’être des Fédérations nationales
d’industries, organismes aptes à former la structure des services
collectivisés, selon un plan national de communications et de
transports (postes, télégraphe, téléphone ; réseaux
routiers, fluviaux et ferroviaire). Au-dessus de l’organisation
locale, il ne doit exister aucune superstructure, sauf celle
correspondant à une fonction spéciale qu’il est impossible
d’organiser localement. Les Congrès confédéraux sont les seuls
interprètes de la volonté nationale, encore n’exercent-ils que
circonstantiellement et transitoirement la souveraineté que leur
confèrent les résolutions des assemblées de base. En plus de la
Fédération des Transports et Communications, il peut être
nécessaire de former des Fédérations régionales, lorsqu’il
s’agit par exemple de distribution d’énergie, d’irrigation ou
de rénovation forestière. Les Fédérations nationales ou
régionales auront donc à transformer en propriétés communes les
voies, réseaux, édifices, machines, appareils et ateliers relatifs
aux grands services publics de communications, transports et
distribution. Ils offriront gratuitement leurs services aux
localités, groupements et individus qui de leur côté coopèrent de
leurs efforts à l’économie nationale : 1° en livrant les
produits et richesses qu’ils ont de reste ; 2° en s’offrant
à surproduire ce dont la nation a besoin, lorsque cela entre dans
leurs possibilités ; 3° en contribuant aux offres personnelles
de travail, matériaux, etc. en faveur des services publics en
question. C’est la mission des Fédérations nationales des
communications et transports de mettre en relation toutes les
localités, en assurant le transport entre les régions productrices
et les régions consommatrices, et en faisant passer d’abord les
produits périssables ou qui doivent se consommer de suite, comme le
poisson, le lait, les fruits et la viande. Pour assurer le service
des localités, répondre aux besoins et décongestionner les
localités surproductrices, il s’agit avant tout de la bonne
organisation des transports. Ni un cerveau unique, ni un trust des
cerveaux, ne peuvent préordonner cette circulation. Les individus
s’entendent en se réunissant, et les localités en entrant en
relations mutuelles. Un guide de directions, avec la production
particulière à chaque localité, permettrait de faciliter les
approvisionnements en faisant connaître ce qui peut être demandé à
une ville ou région et ce qu’on peut lui offrir. De même que le
besoin oblige les individus à rassembler leurs efforts, pour
contribuer à la vie économique des localités, de même le besoin
aussi forcera les collectivités à réunir leurs activités dans un
complexe économique national. C’est le système circulatoire
(transports) et le système nerveux (communications) qui permettent
l’établissement de ces relations interlocales. Ni la bonne marche
de l’économie, ni la liberté de l’individu n’exigent d’autres
complications.
CONCLUSIONS
Le
communisme libertaire est le point de départ nécessaire pour que la
société s’organise spontanément et librement, et pour que
l’évolution sociale, sans déviation artificielle, s’accomplisse
pour le bien de tous. C’est la solution la plus rationnelle du
problème économique, car il répond à une distribution équitable
de la production et du travail socialement nécessaire pour
l’obtenir. Personne ne doit se soustraire au besoin de coopérer
avec son effort à la production, puisque c’est la nature elle-même
qui nous impose cette dure loi du travail dans les climats où les
aliments ne se produisent pas spontanément. La contrainte économique
trouve son expression dans l’organisation sociale. Mais elle est et
doit être aussi la seule contrainte que la collectivité puisse
légitimement exercer sur l’individu. Toutes les autres activités
culturelles, artistiques, scientifiques, doivent rester en marge du
contrôle de la collectivité et entre les mains des libres
groupements mettant en œuvre les diverses passions et tendances.
Comme la journée de travail obligatoire n’épuisera pas, ainsi
qu’elle fait aujourd’hui, la capacité de travail du producteur,
il y aura place dans la vie en marge de la production contrôlée,
pour une activité complètement spontanée, fruit de la joie et de
l’enthousiasme, et qui trouvera en elle-même satisfaction et
récompense. Dans cette production joyeuse est en germe une vie
nouvelle : celle que l’anarchisme exalte et propage. Et quand
elle remplira les besoins de la société, il n’y aura plus nul
besoin de la tutelle économique des organisations sur les individus.
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