Violence
actionnelle et violence réactionnelle
Est-il
toutefois possible de catégoriser les configurations subjectives des
conduites violentes ? Certainement, et à coup sûr, de nombreuses
typologies sont envisageables et défendables. Dans la perspective du
thème « violence et travail », je proposerai de distinguer deux
types principaux de configurations subjectives en fonction des
processus psychiques radicalement différents qui les sous-tendent :
la violence réactionnelle d’une part, la violence actionnelle
d’autre part. La violence réactionnelle, c’est lorsqu’une
conduite violente est mobilisée par une réaction subjective, à la
limite de la volonté, au moment même où le sujet perd le contrôle
de soi. Comme on dit couramment de quelqu’un qu’il est « hors de
soi », lorsque la colère peut déboucher sur un acte violent. Je
pense qu’il faut ici être assez restrictif : par violence
réactionnelle, j’entends la violence incontrôlée, en réponse à
une situation actuelle, et non pas en différé, à distance de la
situation, après réflexion, voire délibération et volonté de
vengeance organisée. «La vengeance est un plat qui se mange froid
», dit-on à ce propos. Mais alors, cette violence n’est pas
réactionnelle. Elle est préméditée. Par violence réactionnelle,
je veux surtout indiquer la part qui revient à la compulsion, à la
résolution compulsive d’une excitation supérieure aux capacités
d’endurance ou de liaison intrapsychique. Dans la violence
réactionnelle, on retrouve la séméiologie du « passage à l’acte»
au sens strict, c’est-à-dire d’une solution ultime pour
décharger l’appareil psychique de l’excitation en excès qui
menace de le détruire de l’intérieur. C’est évidemment une
configuration couramment rencontrée en clinique psychiatrique. Mais
cette configuration subjective se voit parfois aujourd’hui dans
certaines situations de travail, notamment dans des conduites
compulsives de vandalisme, de sabotage, de menace à main armée
contre d’autres salariés, conduites à caractère médico-légal
qui sont réactionnelles à des injustices ou à des souffrances
subies dans le travail. L’autre configuration est la violence
actionnelle, c’est-à-dire relevant de l’action, ou mieux encore
de l’action délibérée, impliquant l’exercice de la liberté de
la volonté. Il n’y a pas alors de compulsion, au contraire. La
conduite violente est tout entière soumise ici au principe de
réalité. C’est le cas chez le tortionnaire par exemple ou chez le
coupable d’un meurtre commis avec préméditation. Dans le cadre de
la violence actionnelle, la conduite est délibérée, voire
calculée, et, du point de vue subjectif, elle a directement à voir
avec le sadisme, c’est-à-dire le plaisir ou l’anticipation du
plaisir à faire souffrir ou mourir un tiers.
Violence
et identité
Troisième
et dernière caractéristique de la violence, elle a toujours un
enjeu d’identité. Dans le cas de la violence réactionnelle, c’est
l’identité du sujet violent qui est mise en cause par la
situation, et c’est pour tenter de ne pas perdre son identité
qu’il passe à l’acte compulsivement. Mais j’insiste sur un
point séméiologique, à mes yeux essentiel : certains sujets, pris
en impasse dans une situation qui déborde leurs capacités
d’endurance psychique, sont, si l’on en croit de nombreux travaux
en psychiatrie et en psychanalyse, traversés par des motions
violentes inconscientes qui se traduisent par d’autres formes
cliniques de compulsion : délire psychotique, hallucinations,
dépression aiguë, boulimie, polydipsie, etc. Ayant moi même défendu
la thèse du rôle de la violence dans les processus de somatisation,
je fais partie de ceux qui pensent que la violence occupe une place
très importante dans toute la psychopathologie non névrotique.
Toutefois, dans ces cas, si la violence joue un rôle, on ne peut pas
parler de décompensation violente dans la mesure où, précisément,
ces issues sont « choisies », consciemment ou inconsciemment, pour
ne pas céder au passage à l’acte violent précisément. Accusons
le trait : ces décompensations sont des formes individuelles
d’alternative à la violencequi reste contenue dans le sujet. Nous
sommes ici dans le cas de l’intention subjective sans
concrétisation de la violence dans le monde objectif. Il en va tout
autrement dans la violence actionnelle. L’identité pourtant est,
ici aussi, enjeu de la violence, à la différence près qu’il ne
s’agit pas de l’identité du sujet, que ce dernier tenterait de
protéger par une conduite violente, mais de l’identité de la
victime que le sujet cherche à anéantir. La violence actionnelle
vise très précisément à atteindre l’autre dans son identité :
dégrader, détériorer ou détruire l’identité de l’autre –
exceptionnellement, cette violence est retournée contre le sujet,
dans un acte suicidaire, qui mérite aussi d’être qualifié de
violent. Dans la violence réactionnelle comme dans la violence
actionnelle, la conduite est toujours : – intersubjective ; –
intentionnellement orientée vers la destruction. Dans le premier cas
pour se défendre de l’autre, dans le second cas pour tirer du
plaisir de l’effondrement de l’autre.
Une autre
approche : la violence actionnelle ou délibérée comme instrument
de domination
Abolir le
sens moral
Dans la
controverse à propos de Souffrance en France, le point d’achoppement
est celui de la nature du consentement du sujet à apporter son
concours aux nouvelles formes de direction des entreprises : est-il
libre ou est-il contraint ? La raison principale pour laquelle je
défends l’idée que le consentement à l’injustice est libre,
c’est que je suppose que les gens ordinaires possèdent un sens
moral, ce qui est contesté par la plupart de mes adversaires
théoriques, et que ce dernier n’est pas aboli par les nouvelles
formes d’organisation du travail. Si l’on admet l’hypothèse du
sens moral, la question devient : comment parvient-on à anéantir la
capacité d’un sujet à utiliser la pensée dont il fait usage pour
faire fonctionner son sens moral ? Je crois, personnellement, sur la
base des investigations cliniques, qu’il n’est pas possible
d’obtenir l’anéantissement de la pensée nécessaire à l’usage
du sens moral sans exercer une violence contre son corps. La peur, en
effet, à elle seule, ne suffit pas, car je peux avoir peur et
continuer à penser et juger. Je peux par exemple avoir peur d’être
licencié si je n’obéis pas, mais dans le même temps je peux
parfaitement penser qu’il est immoral d’obéir. Une femme peut
avoir peur de représailles physiques de la part de son mari
alcoolique si elle tente de le quitter et pourtant décider quand
même de prendre ce risque parce qu’elle juge immoral de se faire
battre et de laisser frapper ses enfants. Il n’y a donc, je le
répète, d’abolition du sens moral que si le sujet ne peut plus
penser par lui-même, c’est-à-dire lorsque sa faculté de penser
est effectivement abolie. Il agit alors conformément à la volonté
de l’autre, qui prend la place de sa propre volonté. La clinique
montre que ces états existent : c’est ce qu’on appelle le
traumatisme psychique qui survient à la suite d’un choc, d’un
accident, d’une situation de catastrophe, brusque, soudaine,
inattendue. Dans certaines de ces situations, il y a effectivement
sidération de la pensée. Mais généralement, la pensée n’est
sidérée que transitoirement. La clinique du traumatisme permet
seulement de comprendre comment une pensée s’arrête, mais pas
comment la volonté de l’autre peut s’installer à la place de
celle du sujet. Cet état existe pourtant aussi en clinique : c’est
l’aliénation mentale, l’aliénation dans le désir de l’autre.À
la différence près toutefois que dans ladite aliénation, comme
dans la passion amoureuse – où la volonté de l’objet aimé
prend la place de celle du sujet –, ou comme dans certaines
psychoses, notamment les psychoses hystériques, ou encore comme dans
les états hypnotiques, il faut préalablement une participation du
désir ou une dépendance affective primaire du sujet vis-à-vis de
l’autre. Au-delà de la clinique du traumatisme et de l’aliénation
mentale, il y a la clinique des victimes de tortures, qu’a étudiée
par exemple Bettelheim. Elle suggère que, passé un certain stade de
souffrance, la victime finit par être fascinée par le bourreau,
voire par l’aimer. Mais alors cet amour est secondaire ; secondaire
à l’abolition de toute volonté libre dans le sujet. Cet état
d’expropriation de sa propre volonté, voire de son propre désir,
est possible si l’agression ne porte pas sur la pensée seulement,
mais sur la subjectivité, stricto sensu, c’est-à-dire sur ce qui
constitue le fondement ultime de l’affectivité, de la capacité
d’éprouver des sentiments, des émotions, des affects.
C’est-à-dire lorsqu’on casse la continuité entre subjectivité
et pensée. Comme le montrent tous les documents sur les situations
extrêmes, l’abolition de la subjectivité (Levi P., 1986 ;
Anthelme R., 1957) passe toujours par une action exercée par la
force sur le corps. Pourquoi ? Parce que l’origine de la
subjectivité est le corps luimême, le corps en tant que lieu dans
lequel et par lequel la subjectivité s’éprouve elle-même, se
reconnaît elle-même : souffrance, plaisir, désir, amour, amertume,
colère, désespoir, haine, angoisse, volupté, toute la gamme des
sentiments et des affects a le corps pour point de départ et le
corps pour lieu du sentir. En d’autres termes, je défendrai ici
l’idée que la théorie de la violence est inséparable de la
théorie de la subjectivité, qu’elle repose sur cette dernière.
C’est en imposant au corps certaines contraintes que l’on atteint
la subjectivité, l’affectivité, et, au-delà, la pensée dans ce
qu’elle a d’irréductiblement singulier et libre. Quelles
contraintes sur le corps ? Toutes celles qui, s’exerçant sur le
corps, déstructurent l’affectivité : enfermer quelqu’un dans
une prison, le contraindre à l’isolement, le priver de toute
stimulation – comme dans les techniques de dé-afférentation
sensorielle –, ou au contraire le surcharger de stimulations sans
lui laisser la possibilité de se dégager ou de fuir, relèvent
spécifiquement de la violence. Empêcher un corps d’uriner, le
priver d’aliments ou de boisson, le contraindre à boire sans soif,
l’empêcher de dormir quand il a besoin de repos, lui imposer une
position fixe quand il voudrait bouger, etc., toutes ces manœuvres
sur le corps ont en commun de brimer et de contrarier les besoins
physiologiques.
À partir
d’un certain niveau de contraintes, a fortiori si l’on inflige
des douleurs ou des meurtrissures au corps, on pousse paradoxalement
le corps vers l’accroissement des besoins physiologiques
contrariés. Alors la pensée est progressivement envahie par l’appel
des besoins, le champ de conscience se rétrécit, la pensée se
polarise, la vie de l’esprit s’abolit. À la limite, il n’y a
plus de sujet dans la mesure où le corps subjectif a été dissout
dans le corps physiologique. Le sujet est ramené a des fonctions
impérieuses, les fonctions physiologiques où l’humanitude s’est
perdue. De cette expérience d’abolition de sa subjectivité, il
n’est pas certain qu’on puisse revenir indemne. J.-C. Chesnais,
auteur d’une Histoire de la violence (1981, p. 32), écrit : « La
violence au sens strict, la seule violence mesurable et
incontestable, est la violence physique. C’est l’atteinte
corporelle directe contre les personnes. Elle revêt un triple
caractère, brutal, extérieur et douloureux. Ce qui la définit est
l’usage matériel de la force, la rudesse volontairement commise
aux dépens de quelqu’un. » De son côté, dans un entretien au
journal Le Mondedu 5 octobre 1993, Umberto Eco disait : « (...) on
peut constituer une éthique sur le respect des activités du corps :
manger, boire, pisser, chier, dormir, faire l’amour, parler,
entendre, etc. Empêcher quelqu’un de se coucher la nuit, ou
l’obliger à vivre la tête en bas, c’est une forme de torture
intolérable. Le viol ne respecte pas le corps de l’autre (...) On
pourrait relire toute l’histoire de l’éthique sous l’angle des
droits du corps et des rapports de notre corps au monde... »
L’impact de la violence est soit la destruction de la subjectivité,
c’est-à-dire la mort du sujet, soit l’affaiblissement et
l’appauvrissement de sa subjectivité grâce à quoi peuvent être
abolis sa capacité de penser, son sens moral et la formation de sa
volonté. Dans de nombreux cas, la violence ne vise pas la mort de la
victime mais s’arrête avant pour pouvoir utiliser sa soumission et
l’enrôler dans des actes ou des actions qu’elle n’aurait pas
commis si elle n’avait été soumise à des manipulations violentes
exercées contre son corps.
Consentir
malgré son sens moral
Si j’ai
tant insisté sur les moyens qu’il faut mettre en œuvre pour
obtenir l’impuissance authentique du sujet à s’opposer à la
volonté de l’autre – traumatisme, aliénation mentale et enfin
torture physique –, c’est pour montrer qu’il n’est pas facile
d’obtenir la soumission totale d’un être, lorsque ce dernier s’y
refuse par la mobilisation de sa volonté et de son sens moral, car
il faut alors en passer par des manœuvres lourdes, seules capables
d’atteindre, par l’anéantissement de sa pensée, son sens moral.
Dans les situations ordinaires de travail que nous connaissons
actuellement, il n’est généralement pas fait recours à des
méthodes comparables qui mériteraient la qualification de
violences. En d’autres termes, chez la plupart d’entre nous, on
ne peut considérer que notre capacité de penser pas plus que notre
sens moral soient abolis par des violences exercées contre nous.
Comment expliquer, alors, que nous nous soumettions aux injustices
dont nous sommes agents, victimes ou témoins, comme si nous ne
pouvions pas faire autrement, alors même que cette violence, celle
de représailles violentes contre l’intégrité de nos corps, n’est
pas au rendez-vous ? Si nous nous soumettons, et si ce n’est
manifestement pas parce que notre capacité de penser et notre sens
moral ont été abolis, c’est que nous y consentons.
Violence
et travail
Violence
ou domination ?
En me
référant aux analyses que j’ai esquissées à partir des enquêtes
de psychodynamique du travail sur les nouvelles formes d’organisation
du travail, on peut saisir comment, pour améliorer le travail et la
productivité, on s’efforce d’obtenir l’agrégation de nombre
de gens ordinaires à participer au mal. Il est clair que la
violence, au sens que j’ai tenté de dégager, relève du mal. Mais
mes enquêtes personnelles ne m’ont pas mis devant l’usage de la
violence exercée contre les corps de ceux qui travaillent ou de ceux
qui sont privés de travail. Dans le contexte actuel, si de nouvelles
souffrances apparaissent, et elles sont à la fois graves et
préoccupantes au plan de la santé publique autant qu’au plan
moral et politique, il n’en reste pas moins vrai qu’elles
apparaissent là où, précisément, il n’est pas fait recours à
la violence. Tout le problème vient de ce paradoxe. Comment de
telles injustices, de telles souffrances, de tels drames peuvent-ils
se multiplier au point d’atteindre des milliers de nos concitoyens,
sans que l’usage de la violence soit au premier plan ? Qu’est-ce
qui mobilise donc les gens à participer à des actes qu’ils
réprouvent ? qu’est-ce qui incite tant de gens à subir des
injustices et des souffrances qui vont jusqu’à les rendre fous, en
l’absence d’usage de la violence, stricto sensu ?
C’est pour
ne pas faire l’impasse sur cette question qui me paraît capitale –
les ressorts psychologiques de la servitude – que je défends une
définition restrictive de la violence. Il faut donc chercher
d’autres processus de domination qui ne passent pas par la
violence. On peut, en poursuivant l’analyse, découvrir d’autres
ressorts de la servitude que la violence – des formes spécifiques
de la servitude volontaire. On peut aussi en tirer des conséquences
pour l’action en vue de faire cesser l’évolution désastreuse du
rapport subjectif au travail à laquelle nous assistons depuis
l’avènement du néo-libéralisme. En effet, lorsque la violence
est l’instrument de la domination, c’est-à-dire lorsqu’on est
dans un contexte de domination par la force – dictature –, on
peut penser que la violence, avec sa vectorisation destructive, peut
être utilisée légitimement pour casser cette domination –
illégitime – qui met en péril les vies humaines et la
civilisation. En revanche, lorsque nous ne sommes pas dans un
contexte de domination par la violence ou par la force, il est
peut-être possible de trouver des voies non-violentes pour subvertir
ladite domination. Dans le contexte contemporain du travail, depuis
la conversion des socialistes au libéralisme, la violence n’est
saisissable, semble-t-il, qu’aux marges du système : lorsque des
femmes sont contraintes à des rapports sexuels sous des formes qui
s’apparentent au viol, lorsqu’on fait travailler des immigrés
sans papiers dans le bâtiment et les travaux publics ou dans la
confection, sans payer leur salaire ni leurs charges sociales et en
menaçant de les dénoncer à la police s’ils ne se soumettent pas,
les promettant alors à la violence qui sévit dans leur pays
d’origine, lorsqu’enfin, forme plus discrète mais non moins
intolérable, on abuse sciemment de la naïveté ou de l’ignorance
des travailleurs pour les assigner à des tâches qui les soumettent
à des conditions de travail dangereuses pour leur intégrité
physique – exposition d’intérimaires ou de sous-traitants, tenus
dans l’ignorance, à des radiations ionisantes, à des poussières
d’amiante dont les responsables savent pertinemment la nocivité
(Wallraff, 1985 ; Doniol-Shaw et coll., 1995), ou encore à des
tâches sur des échafaudages dont on sait parfaitement qu’ils ont
été montés à la « six-quatre-deux » et qu’il y a des risques
d’accident, etc. Mais dans leur très grande majorité les gens
acceptent, consentent ou se résignent à participer au système sans
être menacés de violence, sans être menacés d’aller en prison,
d’être torturés ou de voir les membres de leur propre famille
déportés, en cas de refus de se soumettre. Et si nous obtempérons,
ce n’est pas sous contrainte par la force, mais sous une contrainte
non-violente.
Le ressort
de ce consentement pourrait être la domination symbolique,
c’est-à-dire cette domination qui, en douceur et non par la
violence – il me semble préférable d’écarter résolument les
expressions approximatives et métaphoriques telles que « violence
douce » ou « violence imperceptible»–, nous amène à penser
comme les autres que la description qui nous est proposée du système
économique et du système de production, de l’organisation du
travail comme des nouvelles formes de gestion, est vraie. « La
guerre économique », « les sacrifices nécessaires », même si
nous les regrettons, nous en enregistrons la description, nous y
croyons. Faire passer la description actuelle du travail et de ses
déterminations économiques pour la vérité, c’est cela même qui
concrétise, au niveau subjectif, la domination symbolique. Il existe
bien d’autres descriptions du système économique, mais nous n’y
croyons pas. Voilà pourquoi nous consentons non seulement à subir
le système, mais à le faire fonctionner et à le faire subir aux
récalcitrants : parce que nous croyons qu’il ne peut en aller
autrement. Cela dit, le fait que nous soyons pris dans la domination
symbolique n’anéantit pas pour autant notre sens moral. Tout au
plus cela oriente-t-il nos interprétations du monde. Si nous nous
tournons vers les instruments de la domination symbolique, comme tout
à l’heure nous nous sommes penchés sur les instruments de la
violence, nous découvrons que ces moyens sont totalement différents.
Ils sont symboliques et prennent pour cible le fonctionnement
psychique et l’imaginaire social. Ces moyens ne sont pas au service
de l’abolition des volontés ou de l’atteinte à l’intégrité
de chaque personne singulière. Ils sont orientés vers la persuasion
pour obtenir l’adhésion. Ces moyens sont principalement la
formation d’un discours cohérent et plausible d’une part,
d’instruments de communication suffisamment puissants pour faire
perdre aux autres discours et aux autres médias leur prestige
d’autre part. Face à la puissance des moyens de communication mis
en œuvre actuellement par les entreprises, la question n’est plus
tellement à la vérité ou au mensonge d’une description qu’à
la formation ou à l’effacement de son prestige dans le sens
commun.
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