« Nous étions au
cœur des Trente Glorieuses. Un peu plus de 200 000 personnes étaient
au chômage. Friedmann dénonçait la perte de sens du travail
engendrée par la division du travail et mettait en cause la thèse
de Durkheim pour qui celle-ci ne serait pas mauvaise en soi mais
seulement ses formes pathologiques. Il souhaitait à la fois une
réduction de la place occupée par le travail, un développement des
loisirs et une « civilisation » des deux, de manière à éviter
que la sphère des loisirs ne soit contaminée par la dégradation de
la sphère du travail. Il invitait à faire de l’avenir du travail
un sujet de réflexion majeur. »
« Quand on étudie
cette série de rapports qui s’étalent sur une quarantaine
d’années, on s’aperçoit que certaines thématiques, en
particulier celle du rapport entre le travail et le hors-travail,
très présentes auparavant, ont complètement disparu de nos jours.
La question de l’emploi a évidemment pris toute la place. Nombreux
sont les auteurs aujourd’hui à déplorer que la question de
l’emploi ait éclipsé celle du travail alors même qu’il semble
tout fait nécessaire de traiter les deux thématiques de manière
étroitement liée. »
« Notre concept
actuel de travail est le point d’aboutissement d’un processus au
cours duquel plusieurs couches de signification (c’est le terme
employé par Ignace Meyerson en 1955 dans un numéro spécial du
Journal de psychologie normale et pathologique consacré au travail)
se sont sédimentées à travers les siècles. L’idée que le
travail est une activité à travers laquelle les êtres humains
peuvent transformer le monde dans lequel ils se trouvent, le faire à
leur image et trouver dans ce processus un des principaux moyens de
participer à la vie sociale et d’exprimer leur personnalité est
récente et éminemment moderne. »
« Vernant souligne
à son tour 3 qu’on trouve en Grèce des métiers, des activités,
des tâches, mais qu’on chercherait en vain « le travail ». Les
activités sont, au contraire, classées dans des catégories
irréductiblement diverses qui interdisent de considérer le travail
comme une fonction unique. »
« Mais tant que les
représentations philosophiques et religieuses sont restées ce
qu’elles furent jusqu’au XVIe siècle (surdétermination de
l’au-delà, mépris pour le terrestre et le mouvant en faveur de
l’immobile et de l’éternel, mépris du gain, de l’accumulation
et du commerce, faible valorisation accordée aux activités
humaines…), le travail ne pouvait pas véritablement être
valorisé, ni émerger comme une catégorie homogène rassemblant
diverses activités sous un unique concept. Au contraire, «
l’invention du travail », qui signifie tout à la fois que
l’article défini peut enfin être utilisé (le travail) et que la
catégorie trouve son unité, s’opérera lentement à partir du
XVIe et du XVIIe siècle, comme l’a rappelé Lucien Febvre dans
Civilisation, le mot et l’idée 5, pour trouver une première
définition dans l’œuvre magistrale de Smith. »
« Le XVIIIe siècle
est celui où le terme de travail trouve son unité comme « travail
abstrait ». Le travail est détachable, marchand, abstrait. La
définition qu’Adam Smith donne du travail dans les Recherches sur
la nature et les causes de la richesse des nations est purement
instrumentale : le travail est ce qui crée de la valeur.
Le travail est non
seulement l’activité qui permet de fabriquer la production
nationale mais il est également l’élément qui fonde la stabilité
de l’ordre social et permet de faire tenir ensemble les individus.
Mais le travail n’est pourtant en aucune manière valorisé,
glorifié. Il reste synonyme de peine, d’effort, de sacrifice,
comme Karl Marx le reprochera plus tard à Smith. Le XVIIIe siècle
voit donc l’invention du concept de travail comme ce qui produit de
la richesse ou, comme le disent aujourd’hui les économistes, un
facteur de production.
Sur ce premier niveau, le
XIXe siècle ajoute une dimension essentielle et radicalement
nouvelle. Le XIXe siècle fait du travail le modèle de l’activité
créatrice. C’est une révolution conceptuelle et c’est là que
se forme notre idée moderne, prométhéenne du travail, celle-là
même que nous projetons sur le passé lorsque nous imaginons les
hommes ayant toujours « travaillé » puisqu’ayant toujours
transformé leur milieu.
En Allemagne, l’idéalisme
allemand et notamment Hegel fondent philosophiquement l’idée que
le travail est l’essence de l’homme. Grâce au travail, l’homme
détruit le donné naturel qu’il a face à lui, transforme le monde
et se transforme lui-même. Marx, remettant sur ses pieds le
processus hégélien identifie activité humaine et travail. Le
travail est désormais conçu dans son essence et rêvé comme
épanouissement de soi et moyen du développement de toutes les
facultés humaines.
Une troisième couche de
signification va encore être introduite dans le concept de travail,
à la fin du XIXe siècle, menant à son acmé le caractère
totalement contradictoire de la notion. La fin du XIXe siècle est,
en effet, le moment où la pensée socialiste adopte cette vision du
travail comme valeur créatrice et émancipatrice sans plus,
néanmoins, y mettre les conditions qu’y mettait Marx. Pour Marx,
le travail était en soi pure puissance d’expression, une liberté
créatrice, mais pour actualiser cette puissance, il fallait d’abord
le libérer. Le travail devait d’abord être libéré – et le
salariat aboli – pour que le travail soit pour soi ce qu’il était
seulement en soi. Or, à la fin du XIXe siècle, dans l’ensemble
des courants de pensée des réformateurs sociaux, l’idée que le
travail est une valeur n’est pas remise en cause, mais les
conditions de l’actualisation de cette valeur sont oubliées.
Loin d’être aboli, le
lien salarial devient en effet au contraire le lieu où s’ancrent
les différents droits : droit du travail, droit à la protection
sociale mais aussi droit à consommer. Alors même que dans la pensée
socialiste, et surtout marxiste, la condition sine qua non pour que
le travail devienne une liberté créatrice était l’abolition du
salariat, le salariat devient central et comme Robert Castel l’a
bien montré, le cœur même de ce qui doit être conservé et de ce
qui va être désiré dans le travail. Le salaire devient le canal
par où se répandront les richesses et par le biais duquel un ordre
social plus juste (fondé sur le travail et les capacités) et
véritablement collectif (les « producteurs associés ») se mettra
progressivement en place. Dès lors, l’État se verra confier une
double tâche : être le garant de la croissance et promouvoir le
plein emploi, c’est-à-dire donner la possibilité à tous d’avoir
accès aux richesses ainsi continûment produites. »
« Le XXe siècle
hérite donc d’un concept de travail composé de plusieurs
dimensions qui sont contradictoires. Considérer le travail
principalement comme un facteur de production revient à rechercher
l’efficacité, la plus grande production possible au moindre coût
et à tenir pour secondaire la question de savoir si le travailleur
s’épanouit dans son travail. Le travail comme facteur de
production rentre donc en contradiction avec le travail comme essence
de l’homme, comme activité dans laquelle l’homme se projette,
l’homme se fait, et grâce à laquelle il transforme le monde dans
lequel il vit. Ce qui compte dans cette seconde perspective est la
qualité de l’activité plus que le volume de production. »
« Christian Lalive
d’Epinay, à l’instar de Ronald Inglehart, voit dans les
décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale le moment où les
espoirs placés par le XIXème siècle sur le travail deviennent
réalité et où va se déployer une éthique de l’épanouissement.
Cette dernière se traduit par des attentes à l’égard du travail
qui ne sont plus seulement instrumentales (espérer du travail un
revenu, une place, une fonction) mais symboliques et relatives à la
fois au contenu de l’activité et au rapport que l’individu
entretient avec celle-ci, ainsi que Marx l’avait magistralement
exprimé dans les Manuscrits de
1844 : « supposons que
nous produisions comme des êtres humains : chacun de nous
s’affirmerait doublement
dans sa production,
soi-même et l’autre. Dans ma production, je réaliserais mon
individualité, ma particularité ; j’éprouverais, en travaillant,
la jouissance
d’une manifestation
individuelle de ma vie, et dans la contemplation de l’objet,
j’aurais la joie individuelle de reconnaître ma personnalité
comme une puissance réelle, concrètement saisissable et échappant
à tout doute (…) Nos productions seraient comme autant de miroirs
où nos êtres rayonneraient l’un vers l’autre 7. La dimension
expressive du travail apparaît ici en pleine lumière : dans mon
travail, j’exprime à la fois ma singularité, mon individualité
et mon appartenance au genre humain tout entier. Le produit de mon
travail est à la fois œuvre individuelle et œuvre collective.
L’activité de travail procure jouissance et plaisir parce qu’elle
me permet de faire le monde à mon image, d’expérimenter ma
capacité à le faire et, dans le même acte, à montrer à moi-même
et aux autres qui je suis réellement.
Ce que je voudrais
montrer maintenant, c’est que les Français sont aujourd’hui, en
Europe et dans le monde, les meilleurs porteurs de cette
représentation du travail comme vecteur d’épanouissement et de
réalisation de soi. »
« Plus le taux de
chômage est élevé, plus l’importance accordée au travail est
forte : dans les pays qui doivent faire face à un chômage de masse,
les habitants considèrent plus souvent le travail comme « très
important ». Nous
voici donc en présence
d’une première explication, parfaitement adaptée au cas français.
Mais les Français
présentent une autre spécificité : ils sont les plus nombreux à
plébisciter l’intérêt intrinsèque du travail, c’est-à-dire
le contenu de l’activité de travail. Certes, les aspects
intrinsèques du travail ont acquis à la fin du XXe siècle une
importance croissante dans la plupart des pays européens. Mais les
Français semblent à l’avant-garde de ce mouvement. »
« L’autre
explication consiste à interpréter ce désir non pas comme
l’expression d’une volonté de retrait du fait des conditions de
travail dégradées mais plutôt comme le désir de voir le travail
permettre l’exercice d’autres activités jugées très
importantes, aussi importantes que le travail : la famille, la vie
sociale, les activités amicales, le loisir ou encore les activités
politiques et citoyennes. La France apparaît comme le pays où le
sentiment que le travail déborde sur les autres sphères de vie et
empêche qu’un temps suffisant y soit consacré est
particulièrement souligné. Les Français sont par exemple les plus
nombreux à indiquer que leur emploi les empêche de consacrer le
temps qu’ils souhaiteraient à leur famille et à leur couple.
C’est également le pays où le désir de disposer de plus de temps
pour sa famille est particulièrement vif et où la question « dans
votre vie, la famille est-elle importante ? » remporte le plus grand
nombre de suffrages, comme l’avait également mis en évidence
l’exploitation de l’enquête Histoires de vie – Construction
des identités 11 qui avait révélé la famille comme « pilier des
identités. »
« Un tel scénario
comporte un double risque, que reconnaissent d’ailleurs les
ouvrages cités. Le premier concerne les travailleurs : le
travailleur entrepreneur de soi-même signe presque certainement la
fin du salariat et des protections dont celui-ci était le garant. Le
retour au travailleur libre du XIXe siècle et au travail « au jour
la journée » 25, c’est aussi la fin de la protection sociale
comme modalité principale d’intégration des sociétés modernes
26 et le retour à des protections inégales indexées sur les
rapports inégalitaires en vigueur sur le marché du travail. C’est
toute l’entreprise de sécurisation du statut du travailleur
développée depuis la fin du XIXe siècle qui serait remise en
cause.
Mais l’autre risque est
tout aussi réel : c’est celui de la dissolution de l’entreprise,
conformément à la théorie de la firme de Coase 28 selon laquelle,
si l’on prend en considération les coûts de transaction, il peut
être plus rentable de recruter et d’organiser le travail de façon
hiérarchique pour assurer la production ou d’acheter les
compétences sur le marché 29. Si les NTIC réduisent drastiquement
les coûts de transaction et rendent donc, pour un certain nombre de
biens et services, le recours au marché plus intéressant que le
recours à la hiérarchie, et si de moins en moins de biens et
services exigent une certaine stabilité de la main d’œuvre, alors
ce n’est pas seulement le salariat mais aussi l’entreprise
elle-même qui pourrait disparaître. »
Pour Crawford, le
problème est que les travailleurs ne sont plus en confrontation
directe avec le réel, ne savent plus pour l’élaboration de quel
produit final ils travaillent. Ils doivent poursuivre des objectifs
purement instrumentaux qui ne sont plus en rapport avec le bien ou le
service à produire : les logiques qui se sont interposées entre le
réel à transformer et les travailleurs, les objectifs
intermédiaires inventés par les managers ont créé un niveau de
réalité qui rend l’exercice du travail insensé au sens propre du
terme. L’utilité du produit final et sa qualité sont perdues de
vue, les travailleurs ne savent plus pour qui ni pourquoi ils
travaillent, dès lors, le travail n’a plus de direction, plus de
sens. Crawford impute dans un premier moment la responsabilité
essentielle de cette perte de sens au management et à la place
exorbitante que les instruments déployés par celui-ci ont prise
allant jusqu’à faire naître une couche de réalité qui
s’interpose et réduit à néant pour les travailleurs tout espoir
d’être à l’origine d’une action véritabl. »
«Mais la raison
principale de la perte de sens du travail est bien, pour Crawford, la
logique capitaliste qui s’est imposée au cœur du travail et a
radicalement subverti le sens de celui-ci : « la présence de cette
tierce partie qui cherche à maximiser une plus-value sur mon dos en
restant complètement insensible aux limitations de rythme dues à la
nature même de la tâche effectuée tend par définition à pousser
le processus de travail au-delà de ces limites. Il est dès lors
impossible que la tâche en question soit guidée par des objectifs
qui lui sont propres. Ce sont pourtant ces objectifs propres, en tant
que biens en soi, qui font que je désire accomplir mon travail
correctement. Ils régissent de façon très stricte la « qualité »
d’un produit, dimension quasi-métaphysique qui échappe largement
à ceux qui se contentent de calculer leurs bénéfices mais qui
reste une préoccupation centrale tant pour l’usager que pour le
producteur de l’objet lui-même ».
« L’enquête de
la Fondation de Dublin citée a mis en évidence que les salariés
français semblent disposer de moins d’autonomie, de
responsabilité, de marges de manoeuvre, de possibilités
d’initiative que les salariés d’autres pays européens,
notamment les salariés des pays nordiques. Nos hiérarchies seraient
plus pesantes, les prescriptions plus formalisées, le contrôle en
cours de travail et a posteriori par le biais d’indicateurs plus
développés, les conflits éthiques de valeur plus fréquents. Je
pense à l’exemple concret d’un centre d’appel dans lequel on
dit aux salariés qu’ils constituent la vitrine de l’entreprise
mais dont on minute le temps de réponse à l’aide d’un bandeau
lumineux placé au centre de la plateforme et qui n’ont pas la
possibilité d’apporter réellement une réponse au client parce
que les services de réponse aux appels téléphoniques et les
services de gestion ont été complètement séparés. »
«L’enquête de la
Fondation de Dublin met en évidence une moindre consultation et une
moindre implication des salariés français en cas de changement, de
réorganisation, de restructuration mais aussi au quotidien dans le
travail. Les organisations du travail peuvent être classées selon
le degré d’implication des salariés 33 qu’elles permettent :
une organisation « implicante » (responsabilisante, apprenante,
participative…) permet aux salariés d’avoir une capacité
d’influence sur les tâches qu’ils ont à effectuer et sur les
décisions qui concernent leur travail. Les travaux très récents
réalisés à partir de cette vague de l’enquête 34 confirment
ceux qui avaient été fait sur les précédentes : la France est mal
placée, en tous cas moins bien que les pays nordiques, les pays
anglo-saxons et même les pays de l’Est s’agissant du
développement de ce type d’organisation. Or, les salariés les
plus impliqués dans la prise de décision sont aussi moins
confrontés à des risques physiques dans leur environnement de
travail, connaissent de plus forts niveaux de bien-être et moins de
stress, sont moins absents en raison de problèmes de santé et
réalisent un travail de plus grande qualité.
Un grand nombre
d’observateurs s’accordent à reconnaître que les espaces de
parole, de débat, de prise en compte des avis des salariés manquent
cruellement et qu’il est urgent d’ouvrir de tels espaces et de
remettre de la discussion et de la délibération sur de nombreux
aspects du travail au quotidien. C’est ce à quoi devait aboutir
l’Accord National Interprofessionnel (ANI) sur la qualité de vie
au travail. Il me semble qu’il faut aller beaucoup plus loin et
qu’une telle démarche appelle sans doute une re-conceptualisation
de l’entreprise, la reconnaissance que celle-ci n’est pas un
instrument au service des seuls propriétaires ou actionnaires mais
un projet commun porté aussi et peut-être surtout par les salariés.
Je renvoie sur ce point aux propositions développées par Isabelle
Ferreras dans Gouverner le capitalisme 35, consistant à promouvoir
une organisation où serait pleinement reconnu l’apport des
travailleurs, notamment grâce au « bicaméralisme » et à
l’élection des dirigeants de l’entreprise par deux chambres,
celle des « représentants des apporteurs en capital » et celle des
« représentants des investisseurs en travail ».
« Il me semble
essentiel aujourd’hui, à la fois si nous voulons faire très
nettement reculer le chômage (et pas seulement d’inverser sa
courbe) et assurer effectivement l’égalité entre hommes et
femmes, de remettre la question du temps de travail, et plus
précisément de la réduction de la norme de travail à temps
complet, au cœur de notre réflexion. Si nous voulons promouvoir des
organisations performantes économiquement et socialement, permettant
aux hommes et aux femmes de faire face à leurs responsabilités
professionnelles et familiales, donc promouvoir un modèle dit à «
deux apporteurs de revenus et deux apporteurs de soins égaux », il
nous faut sans doute revoir radicalement l’organisation du temps de
travail et réduire la norme de travail à temps complet, pourquoi
pas autour de la semaine de quatre jours, peut-être autour d’une
norme flottante autour de 32 heures. Nous avons besoin pour cela,
d’abord de tirer un bilan serein de la réduction du temps de
travail en France dont je rappelle qu’elle a été conçue à un
moment où le taux de chômage était exactement au niveau actuel,
qu’elle s’est accompagnée de créations massives d’emploi,
d’un retour de l’espoir, et d’un baby-boom. Par ailleurs, il
faut souligner que si l’on compare les durées hebdomadaires
effectives de travail en prenant en compte non seulement les temps
complets mais aussi les temps partiels, alors la durée effective de
travail française est supérieure à la durée allemande ou
néerlandaise mais aussi américaine. Il y a donc actuellement en
œuvre une forme de partage du travail, qui s’opère au détriment
des femmes, mais aussi des chômeurs. C’est une forme de partage du
travail civilisée que nous devons lui substituer. »
« Ce que vous dites
fait tout à fait écho à ce que je constate dans mes propres
recherches. L’enquête de Radio France regorge de témoignages de
personnes qui subissent les effets de ce New Public Management, et
qui décrivent point par point ce conflit de valeurs dont vous
parlez. Ce conflit consiste à dire aux personnes que leur métier
consiste à faire ceci ou cela, par exemple bien soigner, bien
s’occuper de telle personne, et ensuite à plaquer par-dessus une
couche d’indicateurs, une logique gestionnaire portée par des
managers, qui viennent avec des exigences qui aboutissent au
contraire. Cela ne se voit pas qu’à l’hôpital. Dans le centre
d’appel dont je vous parlais tout à l’heure, on dit aux
employées qu’elles sont la vitrine de la maison et qu’elles
doivent être attentives au client qui appelle au sujet de son
dossier. Mais dans le même temps un bandeau indique le temps qui
défile et le fait qu’elles doivent raccrocher au bout de trois
minutes. Le travail en 12 heures à l’hôpital, qui se répand de
plus en plus, est un autre exemple très intéressant. Vous avez de
plus en plus de personnes qui souhaitent passer dans ce type
d’organisation, parce qu’elles en ont assez de ce qu’est devenu
leur travail, et parce que cela leur fait plus de temps pour être
chez elles, car elles habitent loin et ont des temps de trajet
importants. Mais cela ne risque-t-il pas de contribuer à dégrader
les conditions et la qualité du travail ? L’hôpital est en effet
particulièrement exposé et illustre bien les problèmes posés par
le management de proximité et l’introduction d’indicateurs au
cœur même du travail. »
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