Instabilité,
mouvement de hausse et de baisse. S'emploie au propre et au figuré.
La fluctuation d'un liquide ; la fluctuation des idées, des
opinions. Agitation, variation, alternatives. La fluctuation des
changes. Tant dans le domaine social que dans le domaine politique,
économique, ou dans le domaine des idées, la guerre a ouvert une
ère de fluctuation. Les peuples de la vieille Europe occidentale
croyaient, en 1914, avoir atteint au suprême bonheur et se
reposaient dans la quiétude. Les quelques incidents provoqués
périodiquement par la lutte des classes ne troublaient pas
profondément les esprits et chacun vivait avec cette certitude que
c'en était fini des calamités et des catastrophes qui avaient
ravagé les générations antérieures. La guerre est venue, le rêve
s'est effacé et la réalité brutale est apparue aux yeux de tous.
Cette lumière a désorienté le monde. Les formules de 1913
paraissent aujourd'hui erronées et, à la recherche de formules
nouvelles plus adéquates à la crise née du désaxage universel,
l'individu subit moralement, intellectuellement, politiquement et
socialement les fluctuations d'une période troublée. Où
allons-nous? Devant la force et la puissance des événements, nous
sommes entraînés dans un tourbillon, et il n'est pas toujours
facile de reconnaître sa route. La Révolution russe, en laquelle
les classes travailleuses du monde entier avaient placé toutes leurs
espérances, a subi un recul formidable depuis 1918 ; elle aussi fut
soumise à une quantité de facteurs économiques et moraux qui
influèrent sur sa stabilité, et les fluctuations qu'elle traversa,
qu'elle traverse encore, ne sont pas sans créer une certaine
agitation dans les esprits. Chacun aujourd'hui, quelles que soient
ses aspirations, est à la recherche de la vérité. L'individu est
perdu. Il ne sait où s'arrêter, à qui s'attacher, à qui se
confier. Balloté de droite et de gauche, il regarde, il tâtonne,
brûlant le soir ce qu'il adorait le matin, combattant aujourd'hui ce
qu'il défendait hier, et il suit le mouvement de fluctuation,
prenant ainsi part à la danse furieuse qui s'est emparée de
l'humanité. La période que nous traversons est révolutionnaire et
c'est pourquoi nous assistons à tant de fluctuations. Le Capital, ou
plutôt les capitalistes, ne sont pas moins désorientés que les
travailleurs. La guerre a transformé le monde et la victoire du
capitalisme s'avère incomplète et provisoire. Or, le capitalisme
sait fort bien qu'une victoire incomplète est pour lui un danger, et
dans la terreur d'une révolution détruisant tout un passé de vol
et de brigandage, il cherche ses assises afin de pouvoir mener de
front la lutte contre le prolétariat. En la circonstance, profitant
des alternatives de hausse et de baisse que subit le capitalisme, des
fluctuations et du déséquilibre de l'état social, il serait
heureux que les classes opprimées et asservies ne perdissent pas
leur sang-froid. Certes, le problème est complexe, et il est
compréhensible que l'homme sincère soit troublé devant la grandeur
des événements. La révolution ne se fait plus aujourd'hui à coups
de fourches et de pelles. La révolution moderne n'est pas une
Jacquerie. Le capitalisme est outillé, puissamment organisé pour la
bataille, il possède des armes d'élite, une armée formidable,
autant de facteurs dont il nous faut tenir compte, qu'il nous faut
étudier afin de n'être pas pris au dépourvu lorsque la lutte se
manifestera violente. Ce sont tous ces problèmes qui provoquent des
fluctuations dans les idées des masses laborieuses, et il n'y a pas
lieu de s'étonner si les anarchistes, eux aussi, ont un mouvement
sujet à fluctuations. Chaque jour apporte quelque chose de nouveau,
et chaque jour, nous sommes donc contraints de réviser notre manière
d'agir. L'application des anciennes méthodes de lutte ne répond
plus aux nécessités présentes, et il est souvent difficile de
concilier ses sentiments, ses aspirations avec les besoins pressants
de la bataille. Mais qu'importent les fluctuations, si toujours et
sincèrement on travaille pour atteindre le but poursuivi! Lorsque
l'heure viendra et que nous serons, de gré ou de force, jetés dans
la mêlée sociale, unis dans le même désir, malgré les
divergences idéologiques, les anarchistes useront de toute leur
énergie pour mettre fin à un régime d'opprobre et d'autorité.
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