« Elle devait cependant, au cours de la révolution allemande, prendre ses distances par rapport au principe même d'une assemblée constituante. Beaucoup plus alarmante pour le sort de la démocratie, lui semblait être la place que prenaient les bolcheviks dans l'exercice du pouvoir. La dictature du prolétariat devenait la dictature d'un parti qui, à ses yeux, ne différait guère d'une dictature bourgeoise, en particulier, en ce qu'elle s'appuyait sur la terreur. La terreur ne pouvait être que l'arme dernière, quand toute autre forme de lutte devenait impossible 2. Une minorité agissante n'était autorisée à décréter ni la dictature du prolétariat, ni le socialisme qui devaient être le résultat d'un long processus révolutionnaire parvenu à maturité. »
« Le prolétariat d'un seul pays ne parviendra pas, il
est vrai, a desserrer cet étau, quel que soit l'héroïsme qui l'anime. La
révolution russe prend d'elle-même les proportions d'un problème international.
En effet, dans leurs aspirations pacifiques, les travailleurs russes entrent en
conflit violent, non seulement avec leur propre bourgeoisie qu'ils savent déjà
maîtriser, mais aussi avec la bourgeoisie anglaise, française et italienne. On
voit bien à travers le ton bougon des déclarations de la presse bourgeoise des
pays de l'Entente, de tous les Times, des Matin, des Corriere della Sera que
les capitalistes occidentaux, ces vaillants champions de la « démocratie » et
des droits des « petites nations » observent avec des grincements de dents et
une rage sans cesse croissante les progrès de la révolution prolétarienne qui
fixent le terme de la belle époque d'une hégémonie sans partage de
l'impérialisme en Europe. »
« Que la révolution dévoile son vrai visage
prolétarien, qu'elle se retourne en toute logique contre la guerre et
l'impérialisme et ses chers alliés lui montreront aussitôt les dents et
chercheront à la museler par tous les moyens. Par conséquent, la tâche qui
s'impose aux prolétaires socialistes d'Angleterre, de France et l'Italie est
maintenant de lever l'étendard de la rébellion contre la guerre par des actions
de masse énergiques dans leur propre pays, contre leurs propres classes
dirigeantes, s'ils ne veulent pas trahir lâchement le prolétariat
révolutionnaire russe, le laisser massacrer en un combat inégal, non seulement
contre la bourgeoisie russe mais aussi contre celle de l'Ouest. Les puissances
de l'Entente se sont déjà ingérées dans les affaires intérieures de la
révolution russe, il y va donc de l'honneur des travailleurs de ces pays de
couvrir la révolution russe et d'imposer la paix par une attaque de flanc
révolutionnaire contre leurs propres classes dirigeantes. »
« Dans la tradition du libéralisme petit bourgeois, les
dirigeants de l' « Arbeitsgemeinschaft » ne perçoivent dans la révolution russe
qu'une amélioration libéralo-bourgeoise d'un tsarisme dépassé. Ils ne se
rendent pas compte un seul instant qu'il pourrait bien s'agir aussi d'une
première révolution prolétarienne de transition d'une portée historique
mondiale, destinée à réagir sur l'ensemble des pays capitalistes et que, par
conséquent, ce combat socialiste et prolétarien Pour le pouvoir ne peut
emprunter, en Allemagne comme ailleurs, que des voies révolutionnaires ! Et
cette théorie asthmatique des « merveilleux moyens de pression de l'État » et
de la substitution à la révolution de la « lutte » parlementaire est prêchée
aux ouvriers allemands au moment précis où la paix et l'avenir tout entier du
socialisme international dépendent de ce que la classe ouvrière allemande sorte
enfin de l'aveuglement fatal où la tenait plongée depuis des décennies, la
social-démocratie allemande officielle : le dogme selon lequel tout ce qu'on
obtient ailleurs par des moyens révolutionnaires ne peut être acquis en Allemagne
que « sur le terrain parlementaire », grâce aux hâbleries des députés! ... En
vérité, le message de Pâques de l'A. G. de Berlin se marie à ravir à celui du
Kaiser sur la réforme électorale prussienne : tous deux sont les produits d'une
sagesse politique moisie et éventée qui, malgré la guerre mondiale et les
bouleversements mondiaux s'enorgueillit littéralement de n'avoir rien oublié
sans avoir rien appris. »
« Il n'y a qu'une seule issue au drame qui s'est noué
en Russie : l'insurrection tombant sur l'arrière de l'impérialisme allemand, le
soulèvement des masses allemandes qui donnerait le signal d'un achèvement
révolutionnaire international du génocide. Le sauvetage de l'honneur de la
révolution russe coïncide, en cette heure fatale, avec le salut de l'honneur du
prolétariat allemand et du socialisme international. »
« Ainsi s'explique que dans une révolution, le seul
parti qui puisse s'emparer de la direction et du pouvoir est celui qui a le
courage d'énoncer les mots d'ordre mobilisateurs et d'en tirer toutes les
conséquences. Ainsi s'explique le rôle minable qu'ont joué les mencheviks
russes, les Dan, les Tseretelli 1, etc. qui jouissaient au début d'une
influence considérable parmi les masses ; mais, après une longue période
d'oscillations, s'étant débattus des pieds et des mains pour n'avoir à prendre
ni le pouvoir ni les responsabilités, ils furent balayés sans gloire de la
scène. »
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