Se dit d'un local disposé en vue d'un travail défini et
muni des instruments et appareils appropriés. S'emploie plus particulièrement
pour désigner les ateliers spéciaux où se font des travaux et recherches
scientifiques, des opérations et expériences de chimie, de physique, de
biologie, de physiologie, d'électricité, etc. Le cabinet de travail d'un
écrivain, d'un chercheur érudit, peut être, en ce sens et par extension, son «
laboratoire ». Aux lieux où s'accomplissent des transformations, des
combinaisons similaires s'applique aussi, par analogie, l'expression de
laboratoire : au sein de la terre, parmi les éléments en perpétuelle
modification, fourmillent les laboratoires naturels. A côté des usines de
produits chimiques ou métallurgiques, pour les besoins de leur production,
nombreux sont de nos jours les grands établissements scientifiques ou
d'instruction munis de laboratoires ouverte à l'enseignement. Depuis le
sanctuaire mystérieux de l'alchimiste, aux fourneaux inquiétants et au mobilier
symbolique, et les premiers cabinets du physicien où se déroulaient plutôt des
fantaisies de physique amusante, le caractère des laboratoires s'est
curieusement et puissamment modifié. Un matériel toujours accru y facilite des
investigations savantes, vérificatrices et créatrices. Ici les éprouvettes, les
cornues, les creusets, les alambics, les bocaux, les balances et les
chalumeaux, là les seringues à injections, les sondes, les scalpels, les
appareils électro-physiologiques, etc. Une technique toujours plus fouillée et
étendue préside, avec le concours d'instruments de précision, à des expériences
riches d'imprévus, grosses de conséquences incalculables. On peut dire
qu'aujourd'hui une curiosité permanente surveille les révélations de
laboratoires singulièrement actifs et que toute une vie artificielle, à dessein
suscitée, y palpite sous la volonté du cerveau humain peu à peu enrichi et
fortifié de con naissances, appuyé sur de solides jalons. « Il n'y a pas de
plus beau spectacle, dit Larousse, que celui d'un laboratoire fréquenté par des
gens ardents, curieux, amoureux de savoir, disposés à tous les sacrifices,
pourvu qu'une telle abnégation profite à la science, enchainés aux longueurs
d'une besogne rebutante et souvent périlleuse, attentifs à toutes tes voix
quelquefois imperceptibles qui se peuvent faire entendre dans ce sanctuaire de
l'investigation. Le vulgaire est étonné quand il entre dans ces chambres
encombrées et souvent infectes, où les ustensiles de toute forme et les
ingrédients de toute couleur sont là dans le feu, ici dans la glace, ailleurs
dans les chairs sanglantes ou putréfiées, employés à produire quelque résultat
ou à révéler quelque mystère ; où l'observation épie, provoque, accélère,
ralentit, mesure les mouvements et les manifestations phénoménales, où le
théoricien soumet au contrôle de l'expérience les conceptions nées dans les
embrasements de son foyer cérébral et assiste, anxieux et ému, au duel de
l'inexorable fatalité extérieure avec les aperceptions de cette fatalité intime
qu'on appelle la pensée ». Le nombre des « initiés » aussi s'est accru et si le
nombre encore restreint de ces chambres d'étude et le cercle de la jeunesse
prenant part à leurs séances est trop minime à notre gré, si l'abord même des
laboratoires revêt une solennité trop distante et comme religieuse, nous
concevons une ère où, librement accessibles à une progéniture admise enfin au
savoir légitime, ils seront le pivot d'une culture vivante et familière... Le
laboratoire sera le soutien animé de l'éducateur, et s'y contrôleront, pour
tous - et hors des pressions de l'égoïsme et des calculs de l'intérêt - tant de
notions aujourd'hui abandonnées à la souveraineté du dogme. Pour souligner
l'importance pratique - déjà réalisée - des laboratoires, signalons que « leur
office n'est pas borné à la découverte des lois spéculatives et des vérités
abstraites. Ils sont le champ où germent les inventions fécondes et les
applications brillantes qui engendrent la richesse des nations. La science des
laboratoires a substitué à l'empirisme des anciennes industries des procédés
rationnels, et une certitude réfléchie aux tâtonnements séculaires des arts
utiles. On ne citerait pas une grande application industrielle qui n'ait sa
source dans un laboratoire et bien souvent, la découverte qui a provoqué une
telle application a semblé tout d'abord inutile et vaine au point de vue du
profit matériel » (Larousse). Et quand on songe à tout ce qui pourrait
rejaillir de bienfaisant, pour la collectivité, de tant de découvertes
détournées de leur portée générale au seul avantage de bénéficiaires isolés,
quand on sait qu'elles favorisent, la plupart du temps, de grotesques et
malsaines fortunes individuelles là ou tant d'humains trouveraient un
soulagement à leurs maux, un allègement à leurs tâches pénibles, une détente à
des conditions de vie déprimantes, avec quelle impatience n'essayons-nous pas
de découvrir les symptômes si rares encore, d'une conséquence, d'une
utilisation rationnelle et humaine des apports précieux de l'activité des
laboratoires. Parmi les laboratoires parisiens, qui sont en France les plus
marquants (notons à part les laboratoires d'études naturalistes situés aux
abords des côtes, tels ceux de Roscoff, Concarneau, Villefranche-sur-Mer, Banyuls-sur-Mer,
Wimereux, etc.), citons celui de l'Ecole pratique de la Faculté de médecine,
centre des études de physiologie et d'anatomie générale où travailla Robin,
celui du Collège de France où le grand physiologiste Claude Bernard fit ses
principales découvertes, où vint aussi Magendie. Le laboratoire de l'Ecole de
médecine connut les recherches triomphantes de Wurtz sur les ammoniaques, les
glycols, les urées composées, etc., et vit passer les Lieben, les Craft, les
Harnitz-Harnitzkv, les Oppenheim. Quoique plus spécialement affectés à
l'enseignement, les laboratoires de l'Ecole normale supérieure, de la Sorbonne,
de l'Ecole de Pharmacie ont été les témoins des travaux des
Sainte-Claire-Deville (sur la fusion des métaux et la dissociation des vapeurs),
des Pasteur sur les fermentations). Les Thénard, les Gay-Lussac ont travaillé
dans ceux de Polytechnique et de la Sorbonne. C'est à celui de l'Ecole de
Pharmacie et du Collège de France que Berthelot a réalisé ses remarquables
synthèses, à ceux du Muséum et des Gobelins que Chevreul étudia les corps gras,
etc… Les Facultés des sciences, dans les Universités de province, ont également
leurs laboratoires de chimie et le plus grand nombre des Facultés de médecine
ont aussi un laboratoire de physiologie, destiné à la pratique des
vivisections. Depuis longtemps, les savants français et la partie du public qui
s'intéresse aux conditions qui leur sont faites se sont plaints et se plaignent
encore de l'insuffisance et de la pauvreté des laboratoires de leur pays, C'est
devenu lieu commun que de parler de « la grande pitié des laboratoires de
France ». Et leur misère a pu servir, ces temps derniers, de publicité à un
journalisme éhonté... Quand on sait la haute valeur humaine de ces foyers
d'interrogation scientifique (je ne parle pas ici des antres où opèrent les
chimistes criminels qui mettent leur gloire à doter les nations d'un arsenal de
toxiques et à combiner ces gaz foudroyants que les oiseaux de mort porteront à
travers les peuples en vagues d'anéantissement), quand on pénètre les bienfaits
qui peuvent en surgir pour une humanité encore languissante et douloureuse, on
ne peut, sans une bouffée de honte pour notre temps, songer que les
laboratoires délaissés par ceux qui ont la charge du bien public sont à la
merci de précaires interventions charitables. Alors que des milliards sont
allègrement consacrés aux œuvres de destruction, à la multiplication des engins
meurtriers, à l'entretien de contingents formidables de parasites armés, il
paraîtra invraisemblable aux générations futures qu'on ait pu marchander les
crédits et laisser pâtir, dans une humiliante mendicité, les chantiers où l'intelligence
humaine accroît notre plus riche et notre meilleur butin... Que diraient
aujourd'hui - en face d'une situation inchangée, d'une incurie chronique -
ceux-là qui, il y a cinquante ans, frappés déjà de la pénurie des soins
affectés à des œuvres si précieuses et des sommes intimes - ailleurs jetées aux
gouffres, dilapidées sans compter dans une gabegie permanente - apportées à
l'édification et à l'entretien des laboratoires, s'écriaient : « Pour donner
une impulsion énergique et salutaire aux recherches scientifiques, il faut
réorganiser complètement l'enseignement supérieur, en décupler le budget et
créer d'opulents sanctuaires pour les ouvrir à deux battants à tous les
chercheurs qu'embrase le feu sacré de la découverte. C'est ce qui ne pourra être
accompli que par un gouvernement convaincu de la haute importance des sciences
spéculatives et assez libéral pour ne pas marchander l'argent aux savants qui
veulent se consacrer à la besogne difficile de l'expérimentation féconde. D'ici
là, beaucoup de savants seront dans une gêne voisine de la misère et
renonceront, faute de ressources, faute d'instruments de travail, à la
vérification expérimentale des idées que leur suggère une pensée toujours en
travail, une vive et lumineuse conception des lois du monde ». Après un Palissy
brûlant ses meubles, les Curie pleurant sur leur tâche arrêtée!... Les
gouvernements avaient, d'ailleurs, besogne plus pressante ; avec les milliards
trempés dans le sang des peuples, ils propageaient les charniers. Et ils ne
marchandaient pas l'argent, ma foi. Après s'être servis royalement - démocratie
oblige! - nos gouvernants le dispersaient entre les mains des professionnels de
l'armée et des fournisseurs de matériel de guerre. Aujourd'hui encore, si les
laboratoires végètent, anémiques, on ne chôme pas sur les chantiers de la
marine et dans les firmes d'avions et les fonderies du Creusot n'ont pas besoin
d'implorer les commandes... A l'étranger, chez les Germains et les Anglo-Saxons
notamment, en Amérique aussi, dans la Russie nouvelle (tant il est dit que les
nations latines : France, Espagne, Italie, monuments de verbiage stérile, le
bureaucratisme et de furia militaire se laissent incorrigiblement distancer),
les laboratoires sont davantage à l'honneur. On ne leur ménage pas les
sacrifices et des efforts constants en assurent le progrès. Les Universités, au
dehors, ont des laboratoires de physique, de chimie, des instituts anatomiques
et physiologiques où de nombreux travailleurs ont à leur disposition les
ressources nécessaires à la recherche. « Pour ce qui concerne, en particulier,
les laboratoires de physiologie, il semble que c'est en France, la patrie des
premiers grands expérimentateurs de la vie, de Bichat, de Legallois et de
Magendie, qu'on aurait dû fonder des établissements aussi utiles au progrès de
la médecine. Il n'en a rien été et ce sont nos voisins qui nous ont donné
l'exemple de l'expérimentation suivie, publique et régulière... » Par delà «
nos » frontières, on trouve des laboratoires qui sont de véritables palais, et
dont la construction a coûté des millions. Bonn, Berlin, sont en Allemagne des
centres de chimie magnifiques où peuvent œuvrer, dans l'aisance, des équipes de
savants. Les grandes cités universitaires d'Autriche et d'Allemagne, de Suisse
aussi, ont également des laboratoires importants qui gardent la mémoire des
Liebig, des Bunsen, des Wœhler et de tant d'autres... Les laboratoires de
physiologie sont particulièrement bien installés à l'étranger. Vaste est celui
de Petrograd, celui d'Utrecht est un modèle. Florence même nous dépasse. En
Allemagne : à Heidelberg, Berlin, Leipzig, Vienne, Tübingen, Munich, Göttingen,
etc., s'érigent des laboratoires richement organisés pour les études sur la
vie. Pour insuffler aux laboratoires, enfin partout multipliés, l'enthousiasme
de la vie saine, pour les situer à leur place, qui est première, et les ouvrir
à leur véritable rôle, si fécond, il faudra l'atmosphère d'une société libérée
des petitesses de l'argent, de la corruption des affaires et des sophismes
patriotiques, des hostilités de la convoitise et des basses émulations de la
vanité, de toutes les contraintes qui freinent l'humanité dans sa marche, des
déviations qui la désorientent et la déciment, qui la jettent loin des chemins
normaux où l'effort des cerveaux les mieux doués assure des conquêtes utiles
pour l'espèce toute entière. - LANARQUE
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