La justice est un sentiment
d'égalité ou d'équivalence entre deux actions humaines, on la symbolise par une
balance. Les spiritualistes prétendent que le sentiment de la justice est inné
et qu'il a été mis en nous par un être supérieur. Rien de tel ne saurait être
démontré. Si le sentiment de la justice peut être inné en l'être humain, il ne
l'est pas dans 1'humanité, il s'est formé peu à peu au sein des sociétés
humaines. Il est peu probable que les animaux le possèdent, à part ceux qui
vivent en société comme les fourmis, les abeilles et les termites. Chez l'homme
civilisé, le sentiment de la justice apparaît clairement dans les choses
simples : « Toute peine mérite salaire. » Mais lorsque le cas est complexe, ce
sentiment est obscurci par toutes espèces de considérations : les préjugés, les
mystiques spéciales, surtout les intérêts et les passions. L'homme vit dans un
cercle d'idées assez étroit qu'il a reçues de son milieu ; il s'en abstrait
difficilement, surtout lorsqu'il n'a pas d'intérêt à le faire. C'est pourquoi
le riche ne croit pas du tout, en général, bénéficier d'une injustice, alors
même qu'il n'a produit aucun travail pour acquérir sa fortune. L'intérêt domine
l'âme humaine et le sentiment de la justice se garde de crier trop fort
lorsqu'il n'est pas d'accord avec cet intérêt. On parle volontiers de justice
immanente, on pense que, avec le temps, les injustices doivent se réparer par
la seule force des choses. C'est une erreur, il n'y a pas de justice immanente.
Les choses étant inconscientes ne peuvent être ni justes, ni injustes. Quant
aux hommes, ils se soucient fort peu de réparer les injustices passées, seul
leur intérêt présent les touche ; quand une injustice est réparée, c'est tout à
fait exceptionnel. Par extension, on donne le nom de justice à l'appareil
d'Etat qui est censé la rendre ; cet appareil : tribunaux, magistrats, etc., a
pour fonction d'appliquer la loi. L'idéal de la loi serait d'être l'expression
de la justice. Cet idéal est fort loin d'être réalisé. D'abord la loi par
essence ne peut être juste, parce qu'elle est générale et que les cas où on
l'applique sont particuliers et, par suite, beaucoup plus complexes. C'est pour
cela qu'on met en opposition le droit légal et le droit naturel. C'est aussi en
raison de cette complexité des cas particuliers que les légistes eux-mêmes ont
pu dire : « Summum jus summum injuria ; plus le droit est grand, plus grande
est l'injustice. » Dans la pratique, les lois expriment les intérêts des forts
et pas du tout l'intérêt général ; les dirigeants les font contre les dirigés ;
les hommes contre les femmes. L'appareil de la justice est avant tout une
machine à broyer les déshérités de ce monde. Rarement le riche s'assoie au banc
des accusés. La clientèle du juge est faite de pauvres gens, coupables d'avoir
voulu s'approprier ce qui ne leur était pas destiné. L'idée de justice avec
celle de liberté a présidé à la constitution des Etats démocratiques. C'est en
son nom que se sont faites les révolutions, mais jusqu'ici la justice a
toujours été vaincue, les forts et les habiles n'ont fait autre chose que
réorganiser en leur faveur l'injustice. Il semble cependant que cette ère de
tromperie qu'a été la démocratie doive prendre fin. Le jeune patronat,
répudiant son aîné, rejetterait comme désuètes les idées romantiques de liberté
et de justice. Prenant à son compte l'idée de lutte des classes, il
maintiendrait ses privilèges et exploiterait les masses non plus en vertu d'un
droit fallacieux, mais par la force brutale qu'il avouerait sans ambages. C'est
la mystique du fascisme ; elle est en voie de réussite dans divers pays, elle
ne demande qu'à s'étendre au monde entier. Le triomphe de cette philosophie de
la force serait désastreux pour l'humanité ; il la ramènerait à la barbarie. Le
sentiment de la justice est une conquête de l'évolution, en dehors de lui il
n'y a plus que la guerre, c'est-à-dire l'insécurité et le malheur. - Doctoresse
PELLETIER JUSTICE Le mot justice a deux sens. Tout d'abord il signifie la vertu
qui consiste à reconnaître à chaque chose sa véritable valeur. En second lieu,
il désigne tout l'appareil judiciaire, les tribunaux et les magistrats,
s'éloignant ainsi de toute idée de vertu. Etre juste, c'est avoir un état
d'esprit objectif qui vous permette d'émettre des jugements impartiaux sur les
faits que l'on examine et que l'on considère dans leur intégralité. Etre juste,
c'est savoir se détacher de soi-même, de toute passion, de toute contingence
personnelle pour se prononcer en toute équité. La vraie justice est une vertu
éminemment intellectuelle, mais sans le cœur et l'imagination, il est
impossible d'être juste, car, seuls, ces derniers peuvent compléter le travail
de l'intelligence en nous révélant les causes les plus lointaines, cachées sous
la trame des faits. Pour avoir la possibilité d'être juste, il faut comprendre
et, pour comprendre, il faut connaître les facteurs les plus secrets. Il est
des êtres qui, par leur caractère, sont plus prédisposés que d'autres à la
justice. Mais la justice s'acquiert avec la maîtrise de soi-même, de sa
personnalité. Les anarchistes se doivent de s'efforcer d'être justes pour créer
et faire durer une société anarchiste sans contrainte, où les individus
s'épanouiront, libres, et où ils ne devront cependant pas menacer la liberté de
leurs compagnons. La justice, second sens du mot, n'a évidemment aucun rapport
avec le premier. Entrez dans un Palais de Justice. Vous verrez, sous les hautes
voûtes, des robes noires à rabats blancs qui s'agitent, se congratulent,
marchent à grands pas ou bavardent sur des bancs. Avocats, magistrats, huissiers,
greffiers, n'ont aucune analogie avec la justice-vertu. Ils vivent de « la
justice » tout court. En France, l'appareil judiciaire comprend les
juridictions répressives : tribunal de simple police, tribunal correctionnel,
Cour d'appel, Cour d'assises ; les juridictions civiles : justice de paix,
tribunal civil, Cour d'appel ; les juridictions administratives : Conseil de
Préfecture, Conseil d'Etat ; les juridictions d'exception : conseil de guerre,
conseil de prud'hommes, tribunal de commerce. Sur l'ensemble plane, austère,
lointaine, telle une divinité, celle que l'on appelle la Cour Suprême, la Cour
de Cassation, qui jongle avec des questions de forme. Les avocats plaident dans
toutes les enceintes, soutenant aujourd'hui la thèse opposée à celle pour
laquelle ils ont combattu la veille. Dans les affaires civiles les avoués
rédigent la procédure, c'est-à-dire des actes incompréhensibles pour ceux qui
ne savent que le français, incompréhensibles autant que coûteux. Les huissiers
exécutent les décisions à grand renfort de papier timbré et les
commis-greffiers écrivent, écrivent pour le grand bien du compte en banque de
leur patron, le greffier en chef. La Loi règne sur tout ce monde, on
l'applique, on l'interprète, on la transcrit. Les lois sont votées par quelques
centaines de bavards, de manœuvriers et de fripons. Elles sont si claires que
l'on n'est jamais d'accord pour comprendre ce qu'elles signifient. Elles sont,
par leur essence même, injustes, car elles sont faites pour tous, contre
l'individu ; elles sont froides, insensibles, inexorables. On les montre comme
des phénomènes de cirque, car il faut payer sa place et fort cher pour les
contempler de près. Non, ce n'est pas la justice que l'on rend au nom du peuple
français en appliquant la Loi. La loi, tout d'abord, ligote les juges, les
enferme dans son cadre. Les magistrats ne sont pas libres, ils ont comme
profession de juger, ils ont leur avancement, des décorations en perspective.
En cour d'assises, les jurés ne connaissent pas les faits, il jugent d'après
leurs impressions, la plupart du temps avec la haine des irréguliers. La
justice est rendue au nom du capitalisme que l'on veut protéger. Tel est le but
de l'appareil judiciaire, but que l'on aperçoit pleinement dans la répression
des délits politiques. La Révolution a supprimé définitivement la torture, la
question grande et petite, mais le « passage à tabac », « la chambre des aveux
» de la police judiciaire existent avec la tolérance bienveillante des
officiels. Que d'aveux, souvent faux, arrachés ainsi par la crainte et la
souffrance ! La prison pour dettes a disparu, mais la loi du 22 juillet 1867
sur la contrainte par corps est appliquée journellement. Les galères ne sont
plus qu'un souvenir historique, mais il y a le bagne. Le bagne est une des
grandes hontes de la République des Droits de l'homme. Les campagnes menées ces
dernières années ont attiré l'attention publique sur l'horreur des travaux
forcés avec la peine supplémentaire du doublage ou de la résidence perpétuelle.
Mais les convois partent toujours pour la Guyane avec leurs forçats et leurs
relégués. Les temps ont changé. On ne roue plus en place de Grève, mais on
guillotine boulevard Arago. Les criminalistes modernes soutiennent que la peine
ne doit pas être une vengeance de la société, mais un moyen de relèvement pour
les délinquants. Où sont les maisons de santé pour les demi-fous ? Dans les
prisons, les malheureux souffrent de la faim, du froid, du manque de lectures.
Ils sont murés vivants sans aucun aliment pour leur cerveau. L'interdiction de
séjour les chasse, à leur sortie, des lieux où ils pourraient travailler, de
leur foyer, de leurs amis. Le gouvernement rend la haute et la basse justice.
La haute justice, c'est l'acquittement et le non-lieu sensationnels des grands
seigneurs de la banque, du commerce et des Sociétés anonymes. La basse justice,
c'est la répression féroce contre les malheureux et contre les subversifs.
Lorsque des hommes sont jugés par d'autres hommes, même par les plus justes,
des erreurs judiciaires sont inévitables. A plus forte raison, lorsque des
hommes sont pris, pour être jugés, dans l'engrenage d'un appareil judiciaire,
qui est un instrument de gouvernement, les erreurs judiciaires sont légions et
elles sont souvent volontaires. Depuis que Voltaire, de sa voix généreuse,
dénonça au monde l'innocence de Calas et de Sirveu, roués vifs à Toulouse, que
de crimes judiciaires ! Lesurques, le courrier de Lyon, qui fut condamné à mort
et exécuté, victime d'une funeste ressemblance ; Dreyfus, l'innocent de l'île
du Diable ; Durand, syndicaliste militant, injustement condamné à mort par la
Cour d'assises de Rouen, pour un crime de droit commun, et devenu fou avant de
recevoir sa grâce; Vial, condamné aux travaux forcés par la Cour d'assises de
Lyon pour vol qualifié, sans aucune preuve, par une justice partiale qui
voulait atteindre en lui l'antimilitariste ; nos grands, nos chers Sacco et Vanzetti,
électrocutés à Boston en août 1927, sur l'ordre du gouverneur Fuller, malgré
leur innocence flagrante qui déchaîna les protestations de l'univers entier.
Quelques martyrs seulement nous sont connus et l'on frémit en songeant à la
foule des inconnus dont personne n'évoque le sort, parce qu'ils n'ont pas
d'amis pour le révéler à l'opinion publique. Il appartient aux anarchistes de lutter
pour la justice appareil judiciaire. - Suzanne LÉVY JUSTICE (L'Etat et la
vengeance sociétaire) Le juste et l'injuste, dit Spinoza, sont des notions
étrangères au statut naturel, attendu qu’ « il n'existe rien dans la nature
dont on puisse dire que cela appartient à tel homme et non pas à tel autre,
mais que tout est à tous ». Ils n'apparaissent que dans le statut civil avec
les distinctions de propriété. Interviennent alors les précautions négatives de
la maxime populaire « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te
fît », complétée par le suum cuique tribuere des stoïciens « rendre à chacun le
sien »... La justice est-elle, avec Schopenhauer, fille d'une pitié dressant
d'abord le rempart d'un Nœminem laede devant les élans de nos primitives
violences et s'élargit-elle jusqu'au principe de la résolution définitive par
la réflexion raisonnable et la volonté ? « Le premier sentiment de la justice
nous vient, dit Rousseau, non de celle que nous devons, mais de celle qui nous
est due. » L'amour de la justice ne serait-il, comme le veut La Rochefoucauld,
que « la crainte de souffrir l'injustice », et le pas tâtonnant que font les
hommes vers l'équité se réduit-il à la défense avancée d'une sagesse
instinctive ? Nous constatons, en tout cas, avec Tournier, qu'en général « on
ne défend bien le droit d'autrui que lorsqu'il se confond avec le nôtre »… La
justice nous apparaît comme une disposition, une tendance - on dit ailleurs une
vertu - issue du senti à la base, et qui nous porte à mettre les droits de
l'individu voisin en balance égale avec les nôtres. Nous la concevons active et
ne sommes point surpris de la rencontrer souvent en accord avec d'égoïstes
prémices. Dans sa forme droite et telle que peuvent l'y inciter de simples
réflexes de conservation ou les spéculations d'une obscure conscience, elle
doit, nous semble-t-il, s'accompagner logiquement d'actions de nature à
préserver la zone propre du prochain, à protéger autrui contre des empiètements
et des maux dont nous ressentons, dans nos fibres, nos sentiments, ou nos
intérêts, les atteintes pénibles ou dangereuses. Plus raisonnée et davantage
avertie de son champ de réciprocité, la propension à la justice pénètre plus
loin que la sauvegarde et gagne cette affectivité généreuse où la passion de la
justice pour les autres s'identifie avec l'entrevision clairvoyante de soi.
Avec la conviction que, plus encore qu'un équilibre de justice aux lancinantes
et fallacieuses symétries, résident dans une aide qui ne se mesure les
conditions les plus libres de notre développement et l'aliment le plus
substantiel de notre individualité, nous marchons vers les temps où la justice
apparaîtra comme les béquilles d'une étape de croissance, minuties provisoires
d'une humanité non encore ouverte à l'amour. Même à la conception intermédiaire
d'une justice parallèle, nombre d'humains - nonobstant l'octroi d'une adhésion
théorique dont l'Eglise a accentué la méthode - opposent en fait un déni
quotidien. Proclamée la reconnaissance d' « un autrui égal à la base », se donne
cours la jouissance effrénée d'un privilège dominateur et s'exerce l'abus
facile et tentant des avantages dont la nature ou les circonstances ont pu
favoriser leur activité. La justice est ainsi l'habileté verbale dont se
couvrent la violence et la spoliation. Elle est le pavillon menteur de toutes
les iniquités de la force. Et la charité - ce bouclier- des grands - n'est que
la paralysie intéressée de la justice... A la thèse dogmatique d'une justice
d'ordre divin dont les foulées millénaires de l'injuste ont démontré
l'invraisemblance, se substitue celle d'une notion s'établissant dans la
conscience avec la vitalité même et liée aux manifestations de sociabilité et
susceptible à la fois d'enseignement et d'évolution. Née des contacts mutuels
et de leur nécessité, sinon de leur bienfaisance, elle traduit idéalement la
mesure des interdépendances... La Révolution française a libéré les assises
philosophiques de la justice en les transposant dans le plan humain et l'a
faite - socialement - fonction du niveau général. Ainsi dépendante de nos
volontés et placée sous le contrôle de notre effort, la justice perd cette
passivité redoutable dans laquelle l'enlise la foi. Elle apporte à Proudhon,
sur la promesse d'une théorie du progrès, les éléments d'un système solidariste
en lequel il voit la solution définitive des antagonismes sociaux et le terrain
de la concorde humaine. En matière de morale, les lois engendrent cet état
d'esprit que tout ce qu'elles ne proscrivent pas peut être perpétré. On leur
accorde la vertu d'enfermer la justice et elles suppléent - en les étiolant au
silence - aux scrupules du droit. En elles, l'égoïsme feint d'avoir trouvé les
éclaireurs de la conscience et l'extrême limite des besoins du prochain.
Cependant, comme dit Bentham, « si la législation a le même centre (centre
d'ailleurs théorique), elle n'a pas la même circonférence que la morale ». La
justice, même d'ordre défensif, commence le plus souvent où s'arrête la loi. Et
elle ne peut - au delà - prétendre encore qu'à un pauvre domaine si elle se
rive aux prescriptions négatives, si même elle les dépasse jusqu'aux mobiles
d'échange. Autre chose que l'avant-garde des fixations légiférées est la
justice agissante et positive. Car elle évolue hors des intérêts sommaires aux
gestes restrictifs, plus loin encore des devoirs rituels et des abnégations
mystiques. Une telle justice ébranle un « calcul » plus riche que celui des
chiffres et regarde en pitié les dosages et les supputations. Elle entre,
affranchie d'une vaine et paralysante arithmétique, dans cette zone immense du
fraternel où la justice cesse d'être une avance pour devenir un don. Elle ouvre
- dans la surabondance qui garantit la part - la certitude à l'équité qui
languit, indécise, aux étapes marchandes. Et son butin de joies - le seul qui
vaille - domine les déceptions du prêt et les attentes trompées de
l'équivalence. La Justice ainsi entendue s'identifie aux formes réfléchies de
l'amour. Elle n'est vraiment possible qu'en lui, quand nous avons dépassé, avec
son cortège de doutes, la préoccupation d'être juste. L'affectueuse prodigalité
de qui répand volontairement ses biens multiples est en germe dans le renoncement
obscur de qui aime dans l'inconscience. Mais avec toute la distance de
l'instinct à l'intelligence et de l'aveugle abandon à l'offrande volontaire...
Nonobstant ces espérances et ces velléités, de hasardeux jalons, d'isolées
tentatives, où en sommes-nous ? Quelles furent les étapes de fait de l'esprit
de justice dans un passé d'écrasement et quel en est, socialement, quel en
perdure le caractère ? Et quels sont les rapports de la justice théorique avec
les actes et les institutions de ce nom, avec la « justice » appliquée ?... «
La justice, dit à cet égard Proudhon, a commencé, comme l'ordre, par la force.
Loi du prince à l'origine, non de la conscience ; obéie par crainte, non par
amour, elle s'impose plutôt qu'elle ne s'expose ; comme le gouvernement, elle
n'est que la distribution plus ou moins raisonnée de l'arbitraire. Sans
remonter plus haut que notre histoire, la justice était, au Moyen-Age, une
propriété seigneuriale, dont l'exploitation tantôt se faisait par le maître en
personne, tantôt était confiée à des fermiers ou intendants. On était
justiciable du seigneur comme on était corvéable, comme on est encore
aujourd'hui contribuable. On payait pour se faire juger, comme pour moudre son
blé ou cuire son pain ; bien entendu que celui qui payait le mieux avait aussi
plus de chances d'avoir raison. Deux paysans convaincus de s'être arrangés
devant un arbitre auraient été traités de rebelles, l'arbitre poursuivi comme
usurpateur... Peu à peu, le pays, se groupant autour du premier baron, qui
était le roi de France, toute justice fut censée en relever, soit comme
concession de la couronne aux feudataires, soit comme délégation à des
compagnies justicières dont les membres payaient leurs charges à beaux denier
comptants. Enfin, depuis 1789, la justice est exercée directement par l'Etat,
qui seul rend des jugements exécutoires. Qu'a gagné le peuple à ce changement ?
Rien. La justice est restée ce qu'elle était auparavant, une émanation de
l'autorité, c'est-à-dire une formule de coercition. » Et les puissants, maîtres
de l'Etat, n'ont pas cessé, comme au temps de Voltaire, de « la faire rendre ou
vendre par leurs valets affublés d'une robe. » Si nous dénonçons la « justice
», ce n'est pas uniquement parce qu'elle est claudicante (pede pœna claudo,
disait déjà Horace) et qu'elle a penché séculairement avec ostentation vers la
force, l'intrigue et l'argent sa balance légendaire. L'ère de la justice
immanente ou divine est depuis longtemps révolue dans les esprits cribleurs
d'axiomes et nous pourrions avoir quelque pitié pour ses œuvres ou l'espoir
d'amender ses travaux, la sachant faillible parce que d'essence humaine. Mais
ce n'est pas seulement dans ses divagations cruelles et ses brutales
incartades, dans ses intolérances singulières et ses partialités systématiques,
ce n'est pas dans le rythme décevant d'un glaive qui, obstinément, atteint le
faible et le désarmé, ce n'est pas tant dans des applications dévoyées que
notre critique poursuit une institution qui vise au symbole. Et ce n'est pas
non plus dans telle forme périssable dont elle a revêtu ses interventions, ni
dans le style désuet et pompeux dont elle enveloppe ses arrêts, ni l'archaïsme
bouffon de ses églises aux officiants maquillés. Ce n'est pas davantage dans
les ramifications et les efflorescences où se disperse sa nocivité, ni dans les
caractéristiques « civiles ou militaires » par quoi se sérient ses endémiques
sévérités. Si la « justice du sabre », en effet, n'est pas la même que la «
justice de robe », ni l'une ni l'autre n'ont rien de commun avec la justice
tout court dont nous avons tout à l'heure évoqué les appels. Et c'est dans son
principe, et sa prétention à distribuer ses oracles et ses rigueurs au nom d'un
« droit » contestable, que la harcèlent nos contestations. Le monstre survivra
aussi longtemps que l'alimenteront nos mœurs. Et il y aura des erreurs
douloureuses, des châtiments disproportionnés, de la souffrance distribuée au
nom de la justice tant que des hommes - imparfaits aussi et faillibles -
s'arrogeront le privilège inique de juger leurs semblables, aussi longtemps que
l'humanité rampante d'aujourd'hui n'aura trouvé l'accès de cette vie plus haute
où le « tu ne jugeras point ! » sera le précepte de la vraie justice... Qu'a
réformé depuis des siècles un organisme, armé de répressions redoutables, dont
la tyrannie tourmente toute la vie sociale ? En quoi ses sentences et ses
sanctions multipliées ont-elles atténué l'âpre combat des besoins, des désirs,
des appétits, tari les convoitises protéiformes, prévenu l'oppression de
l'humble et l'angoisse du pauvre, et relevé le niveau moral des fractions
farouchement aux prises ? A-t-il fait autre chose - institution de force et
d'Etat - que de couvrir le rapt, palliant à peine ses complicités sous de
superficielles hypocrisies et n'est-ce pas la « raison » du maître, du riche et
de l'habile que proclame, en attendus retors et en captieuses harangues, la
sacro-sainte gardienne du « juste » qui, à travers les âges, n'a cessé
d'absoudre le vainqueur... « Selon que vous serez puissants ou misérables... »,
les jugements de tous les temps et de toutes les juridictions grossiront en
crime vos menus péchés et blanchiront - comme l'hermine - vos plus noirs
forfaits. La justice des siècles, c'est ... « haro sur le baudet » !
Scandaleuse impudence de l'homme qui s'arroge la souveraineté du juge, mais
persistant renfort des formes oppressives et du pouvoir coerciteur que
l'organisation usurpatrice de l'état prétendu de justice. Depuis des milliers
d'années, l'unilatéralisme n'a point varié sur les Tables grossies d'hiéroglyphes.
Cette Bible modernisée, qu'on appelle le Code, que dit-elle ? « Elle dit que la
femme est l'esclave du mari, que l'enfant est la propriété du père, que le
pauvre est la chose du riche, que le faible est le jouet du fort. Elle protège
le vol sous sa forme propriété ; punit la propriété sous sa forme vol. Elle
décrète qu'une grande partie des hommes n'aura point part, aux richesses
matérielles et intellectuelles de la terre, qu'ils ne pourront point prendre
conscience d'eux-mêmes et s'améliorer, mais croupiront dans l'ignorance, la
brutalité, l'alcoolisme ; puis après, elle les châtie parce qu'ils sont des
ignorants, des brutes, des alcooliques. Elle leur fait un crime au verso de ce
dont elle leur fait une loi au recto. Elle décrète pour les uns le droit à ne
rien faire, pour les autres l'obligation de peiner durement. A ceux-là, s'ils
fautent, elle est toute clémence et toute indulgence ; à ceux-ci toute rigueur
et toute implacabilité. Au rebours de la logique et des lois physiques mêmes,
les gros s'échappent à travers les mailles de son filet, et les petits y
restent pris... « Livre redoutable et sacré, cette Bible nous fut léguée, dans
ses grandes lignes, par un peuple de voleurs cauteleux et d'aventuriers
bavards, qui établirent autrefois leur repaire sur les bords du Tibre, et qui
de là, se lançaient sur le monde pour le désoler. C'est à la lumière de ces
intelligences lointaines et brutales que les jugeurs d'hommes examinent nos
actes ; c'est aux idées de ces pillards sur la morale qu'ils veulent que nous
conformions notre conduite, et nous ne sommes de bons citoyens, d'honnêtes
gens, qu'autant que nous pensons et vivons ainsi que le voulait, il y a
quatorze siècles, l'empereur Justinien. » (R. Chaughi). Auguste Comte, donnant
la prééminence au droit social, condamne comme immorale l'idée de droit
individuel. Tous ceux en effet qui, par quelque principe, légitiment la
domination du groupe, redoutent dans l'affirmation de ce droit, « l'état de
révolte virtuelle contre l'ordre établi, l'état de mécontentement contre la
législation existante ». (Palante). Et cependant, si la justice a fait quelque
progrès dans les institutions, elle le doit aux poussées d'un individualisme
s'élargissant. Mais pour « résoudre » une opposition peut-être insoluble, pour
« résorber » une antinomie sans doute irréductible en absolu, les écoles de la
tradition juridique donnent invariablement le pas à la société, oubliant, à
dessein ou par aveuglement, qu'un composé n'existe que par ses éléments et que
les exigences du tout, portées aux extrêmes, sont la négation des parties.
Elles vont jusqu'au paradoxe de concevoir le justicié réjoui de la sentence et
tentent de lui démontrer qu'il y participe. Comme l'épingle, dans l'ironie, un
personnage de France : « puisque tu y as une part honorable comme citoyen, je
te prouverai que tu dois être content d'être étranglé par justice... » A
l'analyse, la satisfaction du droit, la préoccupation même de l'équité ne sont
pour rien dans les agitations de la justice. Elle poursuit, non des fins
d'harmonie, mais la fin d'un différend, et il lui suffit que son ordre cesse
d'être troublé pour que s'apaise son émoi. Sa soif du bien s'étanche dans la
solution, celle-ci consacrât Code au juge, « nous n'avons pas à con indécision
»… Partie du général et chargée de formule, la justice « démontre » dans le
particulier l'exactitude d'un théorème. Et il se trouve que l'exemple est la
négation fréquente du problème. Comme si un juge que la justice tenterait ne
devrait pas chercher, après la « faute » individuelle, l'individualité des
mobiles et individualiser sa conclusion : la pénalité. Se pratique cependant
l'individualisation de la peine pour des besoins de cause ou de classe, et le
Parquet moderne trie, dans une poursuite - « d'après leur rang social, leur
parenté, leurs relations », les dangers qu'ils font courir au régime - des «
catégories de délinquants ». De fallacieuses « intentions » suffiront à
éveiller les susceptibilités juridiques, à mettre en branle l'appareil
répressif ; et les juges couvriront le risque, non le dommage, atteindront la
possibilité, non le fait, châtieront la potentialité, non le délit. C'est
l'arbitraire déductif assimilé à la justice pour les besognes de compression.
La jurisprudence - interprétation de la loi par les précédents jugés - est,
dans l'ordre pénal, une atteinte à la majesté rigide du collectif. Mais elle ne
s'égare vers l'individualisation qu'en foulant aux pieds la garantie et elle
torture les textes et l'antérieur moins par souci d'une adaptation et par
recherche d'une convenance au cas pendant, par adéquatisation en un mot, que
pour favoriser quelque évasion dilatoire, ou préparer l'abri de finasseries
fructueuses ou d'iniques « retorderies ». Il y a, jusqu'au cœur des
institutions de justice comme parmi ses excroissances parasitaires, une
extralégalité officielle qui préside aux opérations préliminaires, pèse sur les
instructions, emplit les délibérations et les attendus des jugements. Et il y a
une illégalité permanente dont sont imprégnées les mœurs judiciaires et qui
profite aux canailles avérées mais influentes et normalise la corruption. A
cette illégalité intérieure, qui grignote l'absolutisme judiciaire, répond du
dehors l'illégalité frondeuse, ou intéressée, ou réactive, tantôt passagère ou
systématisée. De ces illégalités flottantes autour de la « justice » émane une
action désagrégatrice qui précipite l'évolution du droit et favorise, au
préjudice des institutions, les aspirations éparses de l'unité. Et plus la loi,
à travers la raison d'Etat, la jurisprudence et l'illégalisme circonstancié,
perd de son universalité et de sa rigueur générale, et plus s'appauvrit ce
respect qui est, derrière le fondement de fait de la force, le soutien moral
d'une justice dont le prestige et l'influence ont aussi besoin d'auréole. C'est
là une preuve nouvelle que les mœurs l'emportent sur les monuments et que les
édifices de coercition s'effritent par la diversité de leurs interventions,
l'étendue de leurs attributions, la dispersion de leur compétence. La société
moderne contraint la justice à d'incessantes et inattendues initiatives qui
sont des désaveux d'elle-même, la jette au désarroi d'une improvisation qui met
en relief ses infirmités. Ces imprévus, ces mouvements découverts affectent, en
l'animant, sa sévérité marmoréenne et l'atteignent dans sa divinité, qu'elles
humanisent ; comme le modernisme et la mondanité hommes et les sens profus des
livres sacrés aux dépens de la grandeur du culte et de sa solidité
doctrinaire... Rançon de leur présence multipliée, contrepar manifeste en
sociologie et en religion comme en géologie - d'une tyrannie tentaculaire,
d'une immixtion monstrueusement ramifiée! Mais ces mœurs, aux temps que nous
vivons, n'ont pas ébranlé la justice au bénéfice du droit. Ils l'ont seulement
tournée - ramenée par d'autres chemins, pourrait-on dire - vers les appétits
dont les exigences la déciment. Et ils suppléent aux servitudes juridiques
artificielle, - que leur flot érode, par des servitudes mouvantes qui auront,
dans les sociétés mêmes, leur cristallisation. Le « droit » évolué n'est pas
l'individu libéré. Les mœurs - celles que nous connaissons - à l'assaut de la «
justice » ce n'est pas l'individu libre. Ce n'est pas la barrière brisée, « qui
sépare le droit de l'équité ». Où sont les signes avant-coureurs d'une montée
certaine de l'individu ! L'esclavage - brutal mais à fleur d'être dans les âges
antiques, plus superficiel par la prédominance du physique - ne s'est-il pas
étendu et seulement diversifié, mal perfide et comme impalpable dans la vie
moderne ? De la surface où il tenait les fibres de l'homme fruste, n'a-t-il pas
gagné - avec la gamme folle des « besoins » superflus ou nocifs, les plaisirs
prétendus raffinés, les vices latents ou nouveaux que la société favorise, la
série sans fin des « conquêtes » scientifiques, les « services » d'un milieu
civilisé aux complications incessantes - n'a-t-il pas fait son chemin, avec les
siècles, à travers les mentalités, agrippant l'homme jusqu'en sa retraite
profonde, ne lui laissant plus rien d'intime et de soi ? Et pouvons-nous - du
fumier de la nature aussi des fleurs s'élancent - caresser l'hypothèse d'une
personnalité saine et libre s'éveillant parmi cette matière humaine livrée à
toutes les décompositions et comme frappée d'aboulie morale ?... Pour
l'instant, non seulement un abîme demeure entre une société de rapt et un
social d'équité, mais des régrescences bestiales, aiguës aux heures de crise,
attestent l'anémie ambiante des conceptions de justice et projettent sur
l'écran du sage, les images d'individus féroces et vains, singulièrement
grégaires. La justice apparaît donc, à travers ses plus lointaines
concrétisations, comme la justification pour ainsi dire spontanée - puis
ensuite savamment codifiée - de la contrainte exercée sur l'individu et comme
l'expression de la tyrannie systématisée du groupe. Elle s'incorpore, dès ses
rudiments primitifs, à cette structure longtemps hésitante et embryonnaire, et
aujourd'hui « pyramidale, centralisée » qui a nom l'Etat et symbolise, à ses
côtés, la vengeance sociétaire. Leur connivence étroite et croissante, elle
apparaît dans leur action mêlée, leur appui mutuel constant, leur développement
- d'aucuns disent « leur perfectionnement » - des institutions, dit Kropotkine,
amène forcément à la conclusion que l'Etat et la Justice - c'est-àdire le juge,
le tribunal institués spécialement pour établir la justice dans la société -
sont deux institutions qui non seulement coexistent dans l'histoire, mais sont
intimement liées entre elles par des liens de cause et effet. L'institution de
juges spécialement désignés pour appliquer les punitions de la loi à ceux qui
l'auront violée, amène nécessairement la constitution de l'Etat. Il a besoin
d'un corps qui édicte les lois, de l'uniformité des codes, de l'université pour
enseigner l'interprétation et la fabrication des lois, d'un système de geôles
et de bourreaux, de la police et d'une armée au service de l'Etat. » « En
effet, la tribu primitive, toujours communiste, ne connaît pas de juge. Dans le
sein de la tribu, entre membres de la même tribu, le vol, l'homicide, les
blessures n'existent pas. L'usage suffit pour les empêcher. Mais dans le cas
excessivement rare où quelqu'un manquerait aux usages sacrés de la tribu, toute
la tribu, intervenant collectivement, le lapiderait ou le brûlerait. Et si un
homme d'une autre tribu a blessé un des nôtres, toute notre tribu doit, ou bien
tuer le premier venu de cette autre tribu, au bien infliger à n'importe qui de
cette autre tribu une blessure absolument du même genre et de la même grandeur.
C'était là leur conception de la justice. » « Plus tard, dans la commune
villageoise des premiers siècles de notre ère, les conceptions sur la justice
changent. L'idée de vengeance est abandonnée peu à peu (avec beaucoup de
lenteur et surtout chez les agriculteurs, mais survivant dans les bandes
militaires) et celle de compensation à l'individu ou à la famille lésée se
répand. Avec l'apparition de la famille séparée, patriarcale et possédant
fortune (en bétail ou en esclaves enlevés à d'autres tribus), la compensation
prend de plus en plus le caractère d'évaluation de ce que « vaut » (en
possessions) l'homme blessé, lésé de quelque façon, ou tué : tant pour
l'esclave, tant pour le paysan, tant pour le chef militaire ou roitelet que
telle famille aura perdu. Cette évaluation des hommes constitue l'essence des
premiers codes barbares ... La commune de village se réunit et elle constate le
fait par l'affirmation de six ou douze jurés de chacune des deux parties qui
veulent empêcher la vengeance brutale de se produire et préfèrent payer ou
accepter une certaine compensation. Les vieux de la commune, ou les bardes qui
retiennent la loi (l'évaluation des hommes de différentes classes) dans leurs
chants, ou bien des juges invités par la commune, déterminent le taux de la
lésion : tant de bétail pour telle blessure ou pour tel meurtre. Pour le vol,
c'est simplement la restitution de la chose volée ou de son équivalent, plus
une amende payée aux dieux locaux de la commune. » « Mais, peu à peu, au milieu
des migrations et des conquêtes, les communes libres de beaucoup de peuplades
sont asservies ; les tribus et les fédérations aux usages différents se mêlent
sur un même territoire, il y a les conquérants et les conquis. Et il y a en
plus le prêtre et l'évêque - sorciers redoutés - de la religion chrétienne qui
sont venus s'établir parmi eux. Et peu à peu, au barde, au juge invité, aux
anciens qui déterminaient jadis le taux de la compensation, se substitue le
juge envoyé par l'évêque, le chef de la bande militaire des conquérants, le
seigneur ou le roitelet. Ceux exemples du Vieux Testament, deviendront peu à
peu juges dans le sens moderne du mot. L'amende, qui était jadis payée aux
dieux locaux - à la commune - va maintenant à l'évêque, au roitelet, à son
lieutenant, ou au seigneur. L'amende devient le principal, tandis que la
compensation allouée aux lésés pour le mal qui leur fut fait, perd de son
importance au regard de l'amende payée à ce germe de l'Etat. L'idée de punition
commence à s'introduire, puis à dominer. L'Eglise chrétienne surtout ne veut
pas se contenter d'une compensation ; elle veut punir, imposer son autorité,
terroriser sur le modèle de ses devancières hébraïques. Une blessure faite à un
homme du clergé n'est plus une simple blessure ; c'est un crime de lèse
divinité. En plus de la compensation, il faut le châtiment, et la barbarie du
châtiment va en croissant. Le pouvoir séculier fait de même. » « Au dixième et
onzième siècle se dessine la révolution des communes urbaines. Elles commencent
par chasser le juge de l'évêque, du seigneur et du roitelet, et elles font leur
« conjuration ». Les bourgeois jurent d’abandonner d'abord toutes les querelles
surgies de la loi du talion. Et lorsque de nouvelles querelles surgiront, de ne
jamais aller vers le juge de l'évêque ou du seigneur, mais vers la guilde, la
paroisse ou la commune. Les syndics élus par la guilde, la rue, la paroisse, la
commune ou, dans les cas les plus graves, ces organismes eux-mêmes, réunis en
assemblée plénière, décideront de la compensation à accorder à la personne
lésée. En outre, l'arbitrage à tous les degrés - entre particuliers, entre
guildes, entre communes - prend une extension réellement formidable. » « Mais,
d'autre part, le christianisme et l'étude renouvelée du droit romain font aussi
leur chemin dans les conceptions populaires. Le prêtre ne fait que parler des
vengeances d'un dieu méchant et vengeur. Son argument favori (il l'est encore)
est le châtiment éternel du pécheur... Et comme, dès les premiers siècles, le
prêtre conclut alliance avec le seigneur et que le prêtre lui même est toujours
un seigneur laïque, et le pape un roi, le prêtre fulmine aussi et poursuit de sa
vengeance celui qui a manqué à la loi laïque imposée par le chef militaire, le
seigneur, le roi, le prêtre-seigneur, le roi arbitre suprême, s'entoure de
légistes versés dans le droit impérial et seigneurial romain. Le bon sens
humain, la connaissance des us et coutumes, la compréhension des hommes, ses
égaux - faisaient jadis les qualités des tribunaux populaires - sont déclarés
inutiles, nuisibles, favorisant les mauvaises passions, les inspirations du
diable, l'esprit rebelle. Le « précédent », la décision de tel « juge » -
chercher le précédent dans les époques de plus en plus reculées Rome des
empereurs et de l'Empire hébraïque. » « L'arbitrage disparaît de plus en plus à
mesure que le seigneur, le prince, le roi, l'évêque et le pape deviennent de plus
en plus puissants et que l'alliance des pouvoirs temporel et clérical devient
de plus en plus intime. Ils ne permettent plus à l'arbitre d'intervenir et
exigent par la force que les parties en litige comparaissent devant leurs
lieutenants et juges. La compensation à la partie lésée disparaît presque
entièrement des affaires « criminelles » et se trouve bientôt presque
entièrement remplacée par la vengeance, exercée au nom du Dieu chrétien ou de
l'Etat romain. Sous l'influence de l'Orient, les punitions deviennent de plus
plus atroces. L'Eglise, et après elle le pouvoir temporel, arrivent à un
raffinement de cruauté dans la punition, qui rend la lecture ou la reproduction
des punitions infligées aux XVe et XVIe siècles presque impossibles pour un
lecteur moderne. » « Les idées fondamentales sur ce point essentiel, cardinal
de tout groupement humain, ont ainsi changé du tout au tout entre le XIe et le
XVIe siècle. Et lorsque l'Etat s'empare des communes qui ont renoncé déjà, même
dans les idées, aux principes fédératifs d'arbitrage et de justice
compensatrice populaire (essence de la commune du XIIe siècle) la conquête est
relativement facile. Les communes, sous l'influence du christianisme et du
droit romain, étaient déjà devenues de petits Etats, elles étaient au moins
devenues étatistes dans leurs conceptions dominantes. » « Ce court aperçu
historique permet de voir jusqu'à quel point l'institution pour la vengeance
sociétaire, nommée justice, et l'Etat sont deux institutions corrélatives, se
supportant mutuellement, s'engendrant l'une l'autre et historiquement
inséparables. »... « Les gouvernements faisant des lois pour persuader qu'il existe
une justice. » (A. Tournier) ! La Justice et l'Etat, monstres accroupis sur le
corps social et symbolisant de concert « l'autorité veillant à la sécurité de
la société et exerçant la vengeance sur ceux qui rompent les précédents établis
: la Loi » (Kropotkine) ! De la monarchie de droit divin à la République
ploutocratique, du bon plaisir des rois au bon plaisir des riches, la justice
autoritaire et coercitive n'a fait que s'affirmer davantage avec la
centralisation croissante et l'unification administrative. Au service des idées
cristallisées et des courants d'en-haut, agrippée aux barrières d'un Code plus
stagnant que la coutume, figé dans l'arbitraire et la vindicte, dans le
propriétarisme et la morale biblique, la toutepuissante justice, séculairement
« attachée aux règles », comme disait Bossuet, est liée à l'esprit étatiste et
en épouse l'évolution. Elle est le fondement du règne (justicia regni
fondamentum ! !) et non la délivrance de la liberté. Elle a pour mission
première - et son bras : le juge, « spécialisé pour punir » en est l'agent
hiérarchisé - de se dresser contre qui enfreint, moins en désobéissant qu'en
dissecteur, moins en enfant terrible qu'en opposant, ses règlements iniques et
draconiens, et, plus encore que de ramener dans le giron d'une société
d'obédience les paraphraseurs de sa morale, de réduire à l'impuissance les
irréguliers valeureux. Il n'est pas une unité qui veuille vivre et s'affirmer
dans l'indépendance, ouvrir tout son être à plus de justice et de lumière, et
qui ne trouve quelque jour devant sa marche résolue son appareil inflexible.
Les nôtres - pour l'audace de leurs théories désagrégatrices, pour leurs
revendications individualistes, - ont, plus que tous parmi les novateurs,
saigné sous sa griffe auréolée... Les partis qui bataillent pour la possession
de l'Etat caressent la mainmise sur une justice de « consolidation » assise sur
des lois de « justification ». Pour eux, « la justice est toujours une statue
dont ils brisent la balance et ne saluent que le glaive ». Ils la regardent
avant tout comme un moyen de résister aux retours offensifs des fractions
évincées et aux prétentions des tendances adverses, en un mot comme une digue
dressée devant l'indésiré, le coupable non-conformisme. Et ils utilisent tour à
tour, pour leur sauvegarde et leurs fins particularistes, son armature
séculaire. Justice « de Dieu », justice royale, justice bourgeoise, justice
populaire : justices appuyées sur la religion, la politique, les classes ou
l'économie, sont des armes toujours despotiques de la partialité des systèmes,
et elles s'opposent, avec plus ou moins de franchise, d'intolérance ou de
cruauté, aux aspirations et aux espérances de la justice. Hommes, si tenaces à
appeler des mains des tyrans la sécurité, à bénir la quiétude sous la férule, à
pleurer des maillons d'esclaves pour vos libertés, si vous voulez la justice
d'Etat, vous aurez la machine à légiférer, le Code où se fossilisent les
précédents. Et vous rassemblerez, autour des Tables parcheminées, la monnaie
courante d'une humanité avide et canaille à défaut des insaisissables «
Uebermenschen » nietzschéens. Des légistes ossifiés garderont l'autel « du verbe
et de la lettre » et, par la forme, vous riveront à l' esprit. Si vous voulez
la justice d'Etat, il vous faut - après les juges, fleur de l'institution ! -
les licteurs du pouvoir exécutif, la tourbe des gens de basses œuvres : la
police, le mouchard, leurs adjuvants et leurs succédanés. Il vous faut la
prison, - cet enfer temporel, - sa chiourme, son ombre, ses moiteurs, ses
angoisses, sa pourriture, il faut - autour de la répression - « l'université du
crime » et sa pestilence bacillaire... Et il vous faut - ils se traînent,
embrassés, sa chair s'amalgame à ses os : le Moloch-gouvernement avec ses
impôts et ses sbires, sa dictature et ses chaînes ! Mais nous rejetterons le
Code et les sanctions comme nous avons rejeté le Pouvoir et la Loi. Nous
chercherons hors de la justice punitive, comme hors de l'Etat et de ses cadres
jugulateurs, les sources et les voies d'une justice véritable et d'une
sociabilité rationnelle et féconde. Gardons-nous des formules et des
organisations de la justice. Développons seulement l'esprit et les mœurs de
l'équité jusqu'à la rendre naturelle. Souvenons-nous, avec Proudhon, que les
peuples les plus moraux et les plus paisibles, les plus heureux aussi sont «
ceux où la justice intervient le moins dans l'activité personnelle ; où l'autorité
se fait le moins sentir ; où l'individu a le plus de ressort, où les rouages
administratifs sont les moins nombreux, et les impôts les moins lourds et les
moins inégaux ; où les associations, les conventions et les transactions sont
le moins entravées ; ceux enfin qui approchent le plus de cette solution, dans
les limites du droit : tout par la libre et perfectible spontanéité de l'homme
; rien par la force ! » - Stephen MAC SAY JUSTICE (Historique des institutions
de) Malgré les efforts des chercheurs et les travaux des historiens, nous
connaissons mal les civilisations anciennes. La terre les a ensevelies sous ses
sables et sous sa glèbe. La terre boit les peuples et leur gloire éternelle,
comme elle réserve sa surface à l'agitation des vivants. Seule l'imprimerie
sauve les institutions de l'obscurité ou de l'oubli, procédé simple qu'il a
fallu tant de siècles pour découvrir... « Dans les commencements de la société,
la justice était exercée sans aucun appareil par chaque père de famille sur ses
femmes, ses enfants, ses petits-enfants et ses serviteurs, Lui seul avait sur
eux le pouvoir de correction, et ce pouvoir allait jusqu'au droit de vie et de
mort. Chaque famille formait ainsi un petit peuple dont le chef était à la fois
le père et le juge. Mais bientôt, les familles s'étant réunies, on éleva une
autorité souveraine au-dessus de celle des pères, qui cessèrent alors d'être
juges absolus, comme auparavant, sur les personnes et sur les choses.
Néanmoins, en présence de la justice publique même, ils purent encore exercer
une justice particulière (ou domestique) qui était plus ou moins étendue, selon
les usages de chaque peuple ». Ce gouvernement de famille se confondait ainsi,
dans le principe, avec l'administration de la justice. Les peuples de l'antiquité,
dont la vie sociale s’est répercutée dans la nôtre par des vibrations directes
ou indirectes, ont eu une conception très différente de la justice en
elle-même, c'est-à-dire de ce qui était dû à l'individu et de la façon dont la
justice devait être exercée ou distribuée. La conception autoritaire de la
justice est que l'ensemble des êtres constituant le corps social doit imposer
sa loi à chaque unité composant cet ensemble. C'est le tout qui doit veiller à
son propre équilibre, or si cet équilibre est menacé ou lésé par l'infraction
d'un seul, le tout ne pouvant à tout instant s'occuper du détail, quel sera le
juge, mandataire ou exécuteur de la loi? A chaque époque, la Loi s'inspire de
l'idéal social d'après lequel le corps social a réglé sa vie et son destin. Ici
elle est religieuse, là militaire, ailleurs agricole, basée sur la propriété.
Et la justice est conditionnée d'après la latitude que la vie du corps social
laisse aux mouvements des individus. « Aux sources de l'histoire, Moïse passe
pour avoir été le premier qui ordonna la justice parmi les Juifs. Après lui
vinrent les juges ou chefs militaires qui exercèrent le pouvoir,
irrégulièrement d'ailleurs et sur quelques tribus, jusqu'à la royauté. Ils
étaient élus par tous les citoyens et jouissaient de l'autorité souveraine,
temporaire ou à vie, sans avoir toutefois le droit de percevoir l'impôt et de
créer des lois nouvelles... La justice fut établie en Égypte par Ménès, qui en
devint le premier roi ; en Grèce, les premiers qui gouvernèrent furent les
législateurs, plus connus sous le nom de prytanes et de nomophylaques, ou
protecteurs des lois ; enfin, à Rome, ceux qui appliquaient la justice étaient
des rois et des sénateurs qui déléguèrent, dans la suite, leur autorité à des
proconsuls, à des préteurs, à des préfets du prétoire, à des patrices, des
ducs, des comtes, des centeniers, etc. » Chez les Hébreux, la justice destinée
à régler les conflits privés n'est guère qu'un arbitrage. Le tribunal ordinaire
est une sorte de grand collège de prud'hommes. Sur la liste de ses membres, les
plaideurs choisissent chacun un juge, et ces deux juges, pour se départager, en
élisent un troisième. Mais s'agit-il de juger les causes politiques, les crimes
d'Etat, les atteintes à la Loi religieuse, parce que ses rites en raison de
leur influence et de leur retentissement sont plus graves, s'agit-il de faire
comparaître un sénateur, un chef militaire, un prophète, l'institution de la
poursuite et la connaissance de la cause appartiennent au grand conseil, ce
grand conseil ou Sanhédrin, qui joua un rôle si considérable dans l'histoire en
provoquant l'arrestation de Jésus-Christ, ce rêveur sans importance, interrogé
par les scribes en Galilée et laissé libre d'évangéliser les simples, mais
devenu séditieux après ses incartades à Jérusalem, pendant l'époque tolérante
de la Pâque, amené à Caïphe et déféré à Ponce le roi des Juifs et discutait sur
le tribut qu'il fallait rendre à César. Athènes avait ses archontes, juges
élus, annuellement renouvelés. Ils recevaient les dénonciations publiques et
les plaintes des citoyens. Les juges d'appel étaient les héliastes. Mais ce
corps judiciaire était extrêmement « ouvert », si nous osons dire. Les
héliastes n'étaient pas moins de six mille. Comme certaines villes qui ont
presque autant de médecins que de malades, Athènes avait presque plus de juges
que de plaideurs, en action. Cette multiplicité d'experts juridiques avait
excité les sarcasmes d'Aristophane : on le voit dans ses Guêpes, d'où Racine a
tiré, pour plaire à Louis XIV et seconder la réforme de la procédure, la
classique pièce des Plaideurs. La garde des lois et le culte des dieux étaient
confiés à l'Aéropage devant lequel furent traduits Phryné, s'il faut en croire
la fable, saint Paul, au témoignage de l'histoire : l'un et l'autre, mais de
manière différente s'étaient montrés subversifs ; accusés d'impiété, ils ne
furent pas défendus par les mêmes moyens. Les historiens se déclarent
impuissants à reconstituer et à décrire l'organisation de la justice à Sparte.
Dans un pays où les biens étaient en commun et où les femmes étaient à tout le
monde, les rixes étaient, sans doute, plus fréquentes et les procès moins
nombreux. Les éphores avaient la charge de la sécurité générale, Rome, la
patrie des grands juristes, Rome qui construisit le droit comme le pont du
Gard, sur des piliers solides avec des arcatures savamment ordonnées, Rome
avait fondé son pouvoir et son avenir sur la souveraineté auguste, majestueuse,
homogène du « peuple romain». La fameuse formule qui était l'intitulé des actes
publics : le Sénat et le peuple romain (Senatus populusque Romanus, s. d. q.
R.) n'était pas une fiction lapidaire, mais le résumé saisissant de
l'organisation civique. Rome eut donc tout d'abord ses magistrats élus par les
assemblées populaires qui étaient les comices. Le nom nous est resté, nous
disons encore les comices électoraux. Les comices romains furent au début les
comices par curies, puis, après Servius Tullius, les comices par centuries qui
se réunissaient au champ de Mars. Les historiens voient dans ces comices par
centuries un amalgame tenté du peuple et des patriciens. Les deux magistrats
qui étaient mis à la tête de la République étaient des Consuls, portant des
sceptres d'ivoires surmontés d'aigles, précédés par les douze licteurs qui portaient
les faisceaux. Ils avaient la « juridiction », c'est auxquels toutes les
affaires judiciaires étaient déférées. Mais la multiplicité des causes déborda
cette omnipotence, et en l'an 388 nous voyons apparaître le préteur qui fut
investi des fonctions judiciaires. Le préteur recevait les parties, il lui
était rendu compte de la cause ; il en appréciait la consistance et en
vérifiait la nature ; suivant l'expression consacrée, il « disait le droit »,
après quoi il délivrait la formule, c'est-à-dire qu'il instituait le juge de
son choix chargé de la décision à rendre. En l'an 507, les étrangers qui
affluaient à Rome étaient devenus si nombreux qu'il fallut créer pour leurs
litiges, entre eux ou avec les nationaux, comme nous dirions aujourd'hui , un
préteur spécial: le préteur pérégrin, auxiliaire, à ce titre, du premier
préteur : le préteur urbain. Par la suite il y eut un préteur de chaque
province. Concurremment avec le préteur mais au-dessous de lui, la justice
était rendue par l'édile qui avait à la fois des pouvoirs de police et des
pouvoirs judiciaires. C'est à raison de ces pouvoirs de police étendus aux
questions d'édilité urbaine que le nom d'édile se trouve attribué par
assimilation à nos conseillers municipaux. Le peuple - nous disons le peuple par
opposition aux patriciens - était divisé en tribus, quatre dans la ville, vingt
élisait son magistrat (de là le nom de tribun). L'édile était chargé de régler
les différends entre les tribus et de réprimer les attentats commis par les
patriciens contre les plébéiens. En France, pendant la période féodale et
jusqu'à Philippe Auguste tout au moins, le droit de justice appartint aux
seigneurs sur leurs terres. Ces terres étaient appelées alleux si elles avaient
été conquises originairement par des chefs de bandes, et terres bénéficiaires
si elles avaient été concédées par le roi à ses compagnons d'armes. Le fief
était la terre concédée sous la condition que le preneur reconnaîtrait le
bailleur comme son seigneur et maître, lui jurerait fidélité et s'engagerait
envers lui à l'assistance par les armes de même qu'à certaines prestations.
Nous ne saurions trop insister sur cette idée (déjà exprimée au mot CODE) que,
sous le régime féodal, toutes les personnes vivant sur une terre étaient
attachées à cette terre sous les ordres et la domination du seigneur. Le roi,
chef de la féodalité, avait ses prérogatives, d'où une distinction dans la
justice. Il y eut deux justices : la Justice royale qui s'exerçait par le roi
et les agents du roi, et la Justice seigneuriale. Ainsi, se créèrent les trois
degrés de juridiction, le suzerain seul ayant le droit de haute justice,
comprenant la moyenne et la basse, le seigneur intermédiaire, le droit de
moyenne justice comprenant la basse, et le seigneur inférieur le droit de basse
justice seulement. Les progrès de la royauté emportèrent cet odieux régime qui
favorisait l'arbitraire ; la monarchie fit triompher son adage que « toute
justice émane du roi » et la justice, par délégation, se trouva concentrée dans
les Parlements. Pour que cette assertion trop rapide et trop superficielle soit
exacte, il faudrait tenir compte des tribunaux du Châtelet qui constituaient la
juridiction criminelle et embrassaient aussi ce que nous appellerions le
service de la sûreté. La Révolution vida ces châteaux déjà démantelés, ces
palais et ces bastilles. Dans l'enceinte de l'Assemblée Constituante une parole
retentit, magnifique et formidable : « Nous sommes des dieux : nous avons un
monde à refaire ! » C'était vrai. Il ne suffisait pas de refondre la justice,
il fallait la créer, en une coulée de bronze neuf. La question se posa de
savoir s'il convenait d'instituer pour les causes civiles le jury civil.
L'impossibilité du système apparut dans la discussion. Le décret du 30 avril
1790 rejeta le jury civil, mais le torrent impétueux des idées, les souvenirs
de la République romaine déterminèrent le mode de consécration et d'investiture
des juges. La loi du 16 août 1790 édicta qu'ils seraient nommés par le peuple.
La constituante de l'an 8 n'osa pas abolir ni la prescription ni le principe.
La loi du 27 ventôse an 8 institua un tribunal de première instance dans chaque
arrondissement et créa les tribunaux d'appel. Les juges ne purent être élus que
pris sur des listes d'éligibles. La Restauration effaça le principe de
l'élection, sauf pour les tribunaux de commerce, et le remplaça par celui de la
nomination. - Paul MOREL. QUELQUES SENS PARTICULIERS - ANCIENS OU MODERNES - AU
MOT JUSTICE Justice distributive : qui fait à chacun et selon son mérite, une
équitable répartition de peine ou de grâces. Justice commutative : qui a pour
objet de rendre à chaque individu ce qui lui appartient, dans une juste
proportion : elle opère principalement dans les affaires d'intérêts privés.
Justice domestique : puissance déterminée que les pères ont sur leurs enfants,
les maris sur leurs femmes, etc. Justice civile : celle qui s'occupe
spécialement des contestations relatives à la nature, au partage ou à la
possession des choses ; elle est, en général, du ressort des cours d'appel.
Justice criminelle, la plus redoutable : celle qui prend connaissance des
crimes et délits (voir ces mots et aussi pénalité, torture, question, etc.) et
instruit contre les personnes suspectées : elle a pour interprètes la
correctionnelle et la cour d'assises et s'appuie sur le code criminel et pénal.
Justice fiscale, celle qui ordonne les poursuites pour le recouvrement de
l'impôt. Justice municipale, celle des maires et commissaires de police.
Justice militaire : juridiction d'exception qui soustrait à la compétence des
tribunaux ordinaires les actes « délictueux » des soldats et des officiers. Les
premiers sont ainsi jugés par leurs chefs et ceux-ci par leurs pairs. Ici des
acquittements judiciairement scandaleux, là des condamnations monstrueuses. Le
Moyen Age, avec la féodalité, connaissait toute une hiérarchie de justice :
justice royale ou rendue au nom du souverain par les prévôts, les baillis et
les sénéchaux royaux, les présidiaux, les parlements et le conseil privé du roi
ou conseil des parties. Cette juridiction s'étendit avec l'accroissement de la
puissance monarchique. Justice féodale ou seigneuriale ou subalterne : celle qui
s'attachait à un fief, à une seigneurie. La féodalité possédait ainsi la haute
justice : du roi ou des seigneurs suzerains ; la justice du prince et des
grands vassaux pouvait infliger toutes les peines y compris la peine de mort ;
la basse justice, celle des seigneurs inférieurs ayant dans ses attributions
quelques petits délits (jusqu'à l'amende de 10 sous parisis) et affaires
civiles (jusqu'à la peine de 60 e sous parisis) ; elle jouait auprès des
plaideurs à peu près le rôle de notre justice de paix. Au XIV siècle apparut la
moyenne justice, celle du seigneur dont le juge connaissait de toutes les
affaires civiles, mais, au criminel, ne pouvait juger que « les délits dont la
peine n'excédait pas une amende de 75 sous ». La justice capitale ou supérieure
était, dans une province, une sorte de cour d'appel. Justice d'apanage :
justice royale qui s'exerçait dans l'étendue de l'apanage d'un fils ou
petit-fils de souverain. Justice manuelle : droit du seigneur de saisir les
meubles de ceux qui lui devaient des arrérages de rentes. Justice domaniale :
qui appartenait au seigneur en vertu de son titre. Justice foncière ou censière
: celle dont l'unique attribution était de condamner les redevables à payer au
seigneur le cens et les rentes foncières. Justice sous latte : audience qui se
tenait dans la maison du seigneur. Justice baillagère : qui appartenait au
bailli et s'étendait sur le baillage. Justice patibulaire : signe extérieur de
la puissance sous le règne du bon plaisir, représentée ordinairement par une
potence ou un pilier d'exposition, d'où fourches patibulaires. Justice
consulaire, origine des tribunaux commerciaux; instituée à Paris au XVIe siècle
et rendue par des juges-consuls élus par les corps des marchands. Justice
ecclésiastique : rendue par les officialités, par des juges délégués pour
certaines causes, etc., etc. Elle statuait sur la validité des mariages et
revendiqua longtemps un grand nombre d'affaires criminelles, ou même purement
civiles, afin de mieux étouffer les hérésies, de frapper les dissidents, mais
aussi d'enlever aux autres juridictions la connaissance des actes coupables
commis par les clercs, les réguliers ou par les dignitaires de l'Eglise.
L'ordonnance de 1539 réduisit ces empiètements sur la justice séculière.
Justice temporelle : nom donné par les théologiens à celle qui connaît des
matières autres que les matières ecclésiastiques. Justice du glaive : ce nom s'appliquait
à quelques juridictions ecclésiastiques. Par glaive, on entendait à la fois le
glaive spirituel de l'excommunication ou du retranchement de la communion, et
le glaive matériel, souvent manié par un prêtre bourreau. Justice originelle :
selon la théologie, rectitude que Dieu met dans l'âme par sa grâce. Justice
populaire : celle des citoyens élus qui représentent le peuple ; parfois aussi
sursaut spontané des masses qui mettent en jugement et exécutent leurs tyrans.
Ainsi rendue par le peuple directement, ou par le tribunal suprême issu de sa
volonté, on dit aussi justice souveraine. En mythologie, la Justice, fille de
Jupiter et de Thémis, est représentée d'ordinaire sous la figure d'une jeune
fille tenant d'une main la balance et de l'autre l'épée. Un lion souvent
l'accompagne et symbolise sa puissance. Parfois un bandeau couvre ses yeux.
Signe de l'impartialité à l'égard de qui comparait devant elle, il signifie
aussi bien son impuissance à découvrir le vrai et souligne le caractère
hasardeux de ses interventions... (Pour les problèmes qui gravitent autour de
la justice, voir aussi les mots : incarcération, pénalité, prison, répression,
responsabilité, tribunal, etc.).
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