Dans son poème intitulé Mil
Huit Cent Onze, Victor Hugo a écrit ces vers : ... Quand des peuples sans
nombre Attendaient prosternés sous un nuage sombre... Sentaient trembler sous
eux les Etats centenaires Et regardaient le Louvre entouré de tonnerres Comme
un Mont Sinaï. Si l'on remplace Louvre par Moscou, on aura une idée des
sentiments qui remplissaient les peuples orientaux quand le Kremlin était
habité par les Empereurs autocrates de Russie, qui se faisaient couronner dans
la Ca au Kremlin. Les centaines de peuplades qui entouraient l'empire pouvaient
tout craindre des caprices d'un Pierre Ier, d'une Catherine II, d'un Nicolas
Ier, ces peuples voyaient toujours sur leurs têtes l'épée de Damoclès,
c'est-à-dire une armée régulière énorme et des hordes de cosaques. Aucune
sécurité pour ces peuplades d'origine, de langues, de religions diverses. La
menace d'annexion, de massacres, était toujours présente. Le pouvoir des tzars
étendait chaque jour ses limites. De la Pologne jusqu'à Wladivostok,
d’Arkhangel jusqu'en Transcauscasie, toute liberté devait être écrasée par les
despotes. Du Kremlin ou du Palais d'Hiver à SaintPétersbourg partaient les
ordres les plus iniques qui étaient exécutés avec une rigueur impitoyable par
les sicaires de Moscou. On voyait même des allogènes trahir leurs compatriotes,
comme le Géorgien Dumbadzé, les Baltes Witte, Pahlen, le Polonais Koronowitch
qui se mettaient au service des oppresseurs de leurs frères pour asservir
d'autres nationalités et égorger d'innocentes populations. Le Kremlin était
devenu le symbole de l'autorité, comme pour le soldat le drapeau est le symbole
de la patrie ou plutôt de l'autorité qui peut commander les plus horribles
atrocités, présider aux conquêtes, aux occupations. Et les soldats, abrutis par
ce symbole, sont prêts à sacrifier leur vie, mais surtout celle des autres.
Mais qu'est-ce proprement que le Kremlin ? Les historiens russes ne sont pas
d'accord sur l'origine de ce mot. Il est pourtant probable que c'est un terme
Mongol signifiant une ville fortifiée, dans le même sens que le mot Grad dans
Delgrad (forteresse blanche), dans Tzargrad (la ville des Tzars), c'est-à-dire
Constantinople, etc. Il y a encore des Kremls dans plusieurs villes russes
comme à NijniNovgorod. Les Kremlins servaient non seulement de citadelles, mais
aussi de lieux de refuge pendant les guerres intestines et pendant les
invasions des Mongols et des Tartares. C'est pourquoi ils étaient entourés de
vastes enceintes de palissades et ensuite de briques, tandis que les villes et
les villages ne contenaient que des maisons de bois, de pisé, de boue séchée.
Au Moyen Age et même de nos jours, les populations menacées par des
envahisseurs s'enfuyaient avec tout leur avoir derrière les murs des villes
fortifiées, comme nous l'avons vu à Paris, à Belfort, à Besançon, etc. Quand on
parle de Kremlin, on entend généralement celui de Moscou ; c'est donc de
celui-ci que nous parlerons. Le Kreml-Kremlin est situé sur une petite colline
qui domine la rivière Moskva, dont les Français ont fait la Moscova - comme on
dit la bataille de la Moscova, que les Russes nomment bataille de Borodino. –
La coltine sur laquelle s'élève le Kremlin a été habitée des siècles avant
l'apparition des Princes de la famille de Rurik, en 1147, car dans les fouilles
exécutées pour la construction d’un arsenal en 1847, on a découvert des objets
d'une très haute antiquité, tels que ceux qu'on a trouvés dans les tumulus
scythes. Dans d'autres endroits de la colline on a trouvé des objets remontant
au neuvième siècle de notre ère. De nombreuses traditions, toutes plus ou moins
sans fondement, existent sur l'origine de Moscou et même sur celle du nom de la
ville. L'historien Zabéline (Istoriya Goroda Moskvou) croit que ce nom
viendrait d'une corruption du mot mostok (petit pont), au pluriel mostkvy,
méchants petits ponts, qui auraient existé par dessus les marécages de la
rivière Smorodina qui prit plus tard le nom de Moskva réka. Le mot most paraît
dans beaucoup de noms de villages, de ruisseaux, dans bien des provinces de la
Russie, sous diverses formes. On peut donc admettre que Moskva est une forme de
Moskvouy (Mostkvy). Le mot français Moscou, n'est que l'accusatif du mot
Moskva. Les Français entendant : yédou v Moskvou (je vais à Moscou), ont
simplement adouci la prononciation de cet accusatif. Quelques-unes des
traditions ecclésiastiques font remonter l'origine de Moscou à Mossokh, fils
mythique du non moins mythique Japhet. En réalité on ne sait pas exactement quand
fut fondé le Kremlin, cet oppidum, autour duquel s'est construite une ville,
une agglomération de cabanes qui est devenue la capitale de la Russie. Les
grands Princes de la Rouss, autrement dit de l'Ukraine, dans leurs incessantes
guerres intestines ont dû se rendre compte de l'avantage qu'il y avait pour eux
de posséder une place fortifiée sur le bord d'une petite rivière navigable, au
centre des pays qu'ils traversaient dans leurs expéditions. C'est probablement
pour cela qu'ils choisirent la colline rocheuse qui dominait la rivière. Les
flancs de la colline ont été peu à peu rongés par les érosions de la Moskva, En
1156, le prince Yourii Dolgorouki, transforma son village en une ville
(oppidum, grad.) en entourant le sommet de la petite colline d'un rempart de
bois, qui servait de défenses contre les Lithuaniens conquérants et contre les
républicains de Novgorod. Bientôt les remparts furent entourés de toute une
série de petits hameaux, c'est de ce moment que date le nom de Moscovites ; car
en 1176, déjà nous voyons une troupe de Moskovlianes, ou Moskiévlyanes
accompagner leur prince Michel Youriévitch contre la ville de Vladimir, son suzerain,
mais, repoussé, Michel Youriévitch dut rentrer dans ses foyers. L'année
suivante le prince de Ryazan, Glièbe, attaqua le Kremlin qu'il incendia avec
tous ses faubourgs. Ce fut le commencement des innombrables incendies qui y
éclatèrent jusqu'au commencement du XIXe siècle. En 1214, Moscou fut assiégée
et prise, et le prince dut se rendre à discrétion. En 1238, la ville fut prise
et incendiée avec toute ses églises et tous ses monastères. En 1293, elle fut
prise par les Tartares ainsi que les quatorze villes qui formaient la
principauté de Vladimir. Relevé de ses cendres, le Kremlin fut pourvu de
meilleurs remparts, mais les princes de la périphérie continuaient à l'attaquer
et toute l'histoire de Moscou au XIVe siècle fut une suite ininterrompue de combats,
tantôt victorieux, tantôt désastreux. En 1326, fut érigée au Kremlin la
première église de briques, les temples de bois y étaient en grand nombre, ce
qui servit à rendre Moscou une ville sacrée, tous les princes se faisant un
devoir d'élever des sanctuaires. En 1335, le Kremlin fut dévasté par un
incendie ; en deux ans, on avait pu reconstruire 13 églises qui toutes furent
incendiées en 1337. En 1343, nouvel incendie qui détruisit 18 églises. Les
anciens chroniqueurs appuient surtout sur les églises, car aussitôt qu'un
groupement de maisons toutes de bois s'élevait, on construisait un temple dédié
à quelque saint. C'est ainsi que la tradition parle des Çorok, çorokov églises
de la « bélaya kamennaya Moskva » (quarante fois quarante églises de Moscou aux
pierres blanches), mais c'est une forte exagération, car de nos jours même,
dans l'immense étendue de la ville actuelle, il n'y a guère que 600 églises.
Vers 1370, un mur de briques très élevé entoura le Kremlin proprement dit et le
sépara du reste de l'agglomération. Ce mur servit à repousser les ennemis. Les
Lithuaniens commandés par le grand chef Olgherd l'assiégèrent. Les Tartares de
la Horde d'Or, conduits par Mamaï dévastaient le pays, dont les paysans se
réfugièrent derrière les murs du Kremlin. Mamaï mourut, et Fakhtamoniche,
rassemblant une énorme armée, marcha sur Moscou qu'il assiégea. Les habitants
qui croyaient aux miracles des saints, sortirent des portes en portant des
images saintes, ils pensaient qu'à la vue des miraculeuses images l'ennemi
s'enfuirait, mais les musulmans s'élancèrent, et passèrent au fil de l'épée un
grand nombre de paisibles citoyens ; ils pillèrent les églises. Le grand prince
dut se reconnaître tributaire. Moscou devint donc sujette des Tartares et le
tribut fut payé jusqu'à Jean le Terrible. Pour empêcher les armées romaines
d'avancer, les Scythes incendiaient le pays, et pour arrêter les Tartares on
avait incendié tous les villages, c'est la tactique que les Russes employèrent
en 1812, lors de la grande invasion de Napoléon. Elle était dans les moeurs du
peuple. Pendant la guerre mondiale les armées impériales russes ont incendié
tous les villages de la Lithuanie pour empêcher les progrès des armées
allemandes et autrichiennes. Moscou fut encore une fois brûlée en 1390, en
1393, en 1415. A peine incendiée la ville renaissait. Huit ans après l'invasion
de Fokhtamoniche, le Kremlin était déjà entouré de mille maisons, mais la
mémoire des atrocités commises par les Tartares ne s'est jamais effacée, elle a
passé en proverbe. Nous ne continuerons pas l'histoire du Kremlin qui était
devenu le centre d'une grande ville devenue ellemême la capitale d'un royaume.
Jusqu'au transfert de la capitale de l'empire à Saint-Pétersbourg par le
fondateur de cette nouvelle cité, Pierre Ier, après 1703, le Kremlin resta le
siège du gouvernement, le centre de la vie politique, religieuse et
intellectuelle de la Russie. Depuis lors jusqu'à la révolution bolcheviste, ce
fut une décadence graduelle du Kremlin. On y conserva pourtant une partie du
Sénat, qui n'était qu'un des rouages de l'administration impériale. Le Kremlin
restait cependant le symbole de la puissance russe, puisque les tzars devaient
s'y faire couronner et sacrer. Après la révolution de 1906, Nicolas II dut
encore renforcer le pouvoir de Saint-Pétersbourg en y fixant le siège de la
Douma d'Empire, le nouveau parlement sorti de la grève générale, de la défaite des
Russes par les Japonais et de la première révolution populaire. Pendant la
guerre mondiale, Saint-Pétersbourg, à qui le gouvernement avait enlevé son nom
allemand pour lui substituer la traduction russe - Petrograd - était menacé par
les Allemands et les armées blanches réactionnaires. Les émeutes des marins de
Kronstadt furent le signal d'une nouvelle révolution, Nicolas II fut forcé
d'abdiquer, c'était le triomphe de la révolution politique. La Constituante fut
convoquée, mais elle ne put sié lequel fut votée une loi qui établissait la
propriété commune de la terre aux travail leurs. Le jour même les bolcheviks
(disciples de Karl Marx) envahirent l'Assemblée, dont la majorité était
composée de maximalistes (disciples de Lavrow) ou socialistes révolutionnaires.
L'Assemblée fut dissoute, les membres furent dispersés et plusieurs tués.
Alors, les bolcheviks, comprenant que la proximité de la mer aurait permis aux
ennemis étrangers de supprimer la nouvelle révolution sociale qui menaçait les
intérêts des bourgeois maîtres de tous les autres pays, résolurent de reprendre
l'ancienne tradition et de retransférer la capitale à Moscou. Depuis lors le
Kremlin a repris toute son importance, c'est le centre de toute
l'administration de l'Union des Républiques socialistes soviétiques, créées par
les bolchevistes. Le Kremlin est occupé par les anciens apôtres de la
Révolution qui, à l'étranger, avaient vécu dans la misère et qui, à présent,
sont les maîtres d'un immense pays. Les palais du Kremlin sont pleins de gardes
rouges, les bureaux des commissaires du peuple sont gardés par des plantons de
la garde rouge, n'y entre pas qui veut. Ces commissaires sont plus gardés même
que les anciens ministres. Sous Alexandre II j'ai plusieurs fois pénétré dans
les bureaux du Sénat sans grande difficulté. Il n'en serait plus de même à
présent. Mais notre but n'est pas ici de faire de la politique. Je m'en
abstiens donc. On appelle le plus souvent Kremlin, non seulement l'ancienne
forteresse avec ses murailles de briques flanquées de beaucoup de tours carrées
surmontées d'une sorte de beffroi terminé en pointe et sur lesquelles l’aigle
double étendait ses ailes, on englobe encore sous le nom de Kremlin la place
qui s'étend au pied des murs et dont le nom est Krasnaja plostchad, place rouge
ou belle place, qui a vu tant de tragiques événements. C'est sur cette place
qu'on a érigé la statue assez laide de Minine et Pojarski, le premier, un
boucher qui, soutenu par le petit noble Pojarski, souleva le peuple contre les
Polonais qui avaient occupé le Kremlin. Il les assiégea et les chassa. La Place
Rouge est ornée, si on peut dire, par l'église du Bienheureux Basile (Wassili
Blajennii), qui étonne tous les étrangers par sa curieuse architecture. Ce
temple fameux fut construit par un architecte italien qui s'inspira de divers
styles et surmonta le tout de coupoles multicolores à forme d'oignon, d'ail,
etc. Le tzar était si enthousiaste de cet édifice, que, selon une tradition
très répandue, il fit percer les yeux de l'architecte pour qu'il ne puisse pas
construire ailleurs un pareil chef d'œuvre ! Il est vrai que la même légende
existe sur le constructeur de la célèbre horloge astronomique de la cathédrale
de Strasbourg. Selon cette légende, l'horloger ayant prétendu qu'il était
indispensable de changer une pièce obtint l'autorisation de la changer, quoique
aveugle. Il aurait alors enlevé un rouage qui arrêta l'horloge pendant des
siècles. Ce fut en 1848, que Schwilgué parvint enfin à restaurer cette horloge,
une merveille de mécanique. C'est sur la Place Rouge, au pied des murailles
principales du Kremlin, qu'Ivan IV (Ivan le Terrible ou le cruel) (Ivan Grozni)
fit tuer des centaines d'hommes par sa garde prétorienne (apritchniki) ; le
sang y coulait à torrent. C'est encore sur cette place que Pierre Ier fit
exterminer la garde des strélitz (en russe streltzi), tireurs organisés par
Ivan IV, au nombre de 30.000 et qui, pendant un siècle avaient été les maîtres
de la cour. Ils avaient établi au gouvernement Sophie, sœur de Pierre Ier,
qu'elle tint, durant toute sa jeunesse, presque en chartre privée. A peine
majeur, Pierre suivit de près les actions des streltzi et résolut de s'en débarrasser.
Vu soir qu'il assistait à un banquet de cette garde, il asséna un coup de poing
en plein visage du commandant de cette troupe, le fit arrêter par les soldats
terrifiés, et l'exécution suivit de près. On prétend même que Pierre maniait la
hache pour la décapitation des principaux chefs. Les streltzi furent décimés
devant la principale entrée des murs du Kremlin. Les quelques streltzi qui
n'avalent pas été exécutés, furent exterminés plus tard. C'est encore sur la
Place Rouge, au pied même des murailles du Kremlin, qu'on a érigé un mausolée à
Lénine (W. Oulianov), le chef de la Révolution bolcheviste, lequel a fait, de
l'ancienne capitale de la Russie, la nouvelle capitale de la Révolution. A
présent des milliers de pèlerins visitent chaque jour cette sorte de chapelle
funéraire et baisent la main de l'ancien chef embaumé, comme des millions de
Russes baisent la main des saints momifiés. Cela aurait fort surpris Lénine,
athée, si on lui avait dit qu'un jour son corps serait adoré comme celui d'un saint
orthodoxe ! C'est sur la Place Rouge que furent livrés les derniers combats
contre les troupes impériales. On a fait des obsèques nationales à ceux qui y
sont morts pour le triomphe du peuple. Mais pourquoi faut-il que tant
d'anarchistes et de social-révolutionnaires aient été fusillés par leurs frères
sur cette place fameuse ? Voici à présent une brève description du Kremlin. Les
murailles sont percées de 5 portes dont la principale est la porte Spassky ou
du Rédempteur, qui fait communiquer la Place Rouge avec la terrasse sur
laquelle s'élèvent le principal palais, et la tour de Jean le Grand, etc. Cette
porte bâtie en 1626, contraste avec les autres constructions italiennes des
portes. Elle est pour ainsi dire la Porta sacra et triumphalis de Moscou. Au
plafond se trouve une image miraculeuse du Sauveur de Smolensk en grande
vénération chez les orthodoxes. Tout le monde doit se découvrir en passant sous
cette image. Il y a 65 ans, il m'est arrivé en ce lieu une petite aventure.
Très strict dans mes opinions opposées à toute idolâtrie, j'avais toujours
réussi à me faufiler entre les fiacres (izvostchiki), qui faisaient le signe de
la croix et j'avais pu passer inaperçu du soldat en sentinelle à la porte et je
ne m'étais jamais découvert, quand un jour je fus remarqué par un de ces
soldats qui voulut me forcer à m'agenouiller dans la neige parce que je n'avais
pas salué l'image sacrée. Je fis semblant de ne pas comprendre le russe, et de
guerre lasse le soldat me laissa filer. Depuis lors, quand je devais passer par
le Kremlin, je faisais un long détour pour éviter la porte sainte et son
témoignage de soumission aux superstitions religieuses. C'est devant cette
porte que les streltzi avaient été exécutés par Pierre Ier. La porte la plus
importante après la Porte Spassky est la porte de SaintNicolas (Nikolsky). On
voit au dessus l'image miraculeuse de Saint Nicolas de Mojaïsk, l'effroi des parjures
et, disait-on, le consolateur des affligés. La tour bâtie en 1491 a été
plusieurs fois restaurée. Ce fut par cette porte que passèrent les troupes du
con Napoléon Ier. La tour fut en partie détruite par les Français ; sur la
porte on lit une inscription placée là par ordre d'Alexandre Ier, indiquant que
la destruction s'est arrêtée à l'image même, sans que celle-ci et la lampe
suspendue devant ait souffert la moindre dégradation. Une troisième porte,
celle de la Trinité (Troïtzky), fut comme les autres bâties au XVIIe siècle,
restaurée en 1759 et après la retraite des Français, qui sortirent du Kremlin
par cette issue. La dernière porte, assez curieuse, est celle de Borovizky. La
plupart des Français se figurent que les troupes de Napoléon ont dû fuir
l'incendie immédiatement après leur entrée à Moscou, pourtant ils sont restés
plusieurs mois dans cette ville. Un historien a même écrit que ce n'est pas
Rostoptchine, père de Mme de Ségur (auteur des Mémoires d'un âne et d'une
vingtaine de livres pour les enfants), qui a incendié la ville par stratégie
antique, mais que ce sont les soldats français qui ont détruit les maisons pour
se chauffer et que leur imprudence a incendié les quartiers populaires,
laissant intact l'intérieur du Kremlin, avec ses temples, ses musées, etc. Un
célèbre peintre russe Véréstchaghine a peint un tableau où Napoléon entouré de
flammes est sauvé par le dévouement de ses vieux grognards. C'est une pure
invention, Napoléon quitta tout tranquillement le Kremlin pour battre en
retraite sur Smolensk et Malo Yaroslavetsk, où il fut repoussé. Sa terrible
retraite de la Bérésina a donné naissance à d'innombrables légendes plus ou
moins apocryphes. Un fait certain pourtant c'est que l'empereur abandonna
lâchement ses troupes poursuivies par les Cosaques et mourant de faim et de
froid. Une des curiosités du Kremlin, c'est la tour Ivan Veliki (Jean le
Grand), construite vers 1600, sous le tzar Boris Godounov. Elle se compose de 5
étages dont 4 octogones, le dernier cylindrique. On y remarque 34 cloches dont
la plus grande, celle de l'Assomption, pèse quatre fois plus que la grosse
cloche de Rouen. Les jours de fête, surtout la veille de Pâques, elles sont
sonnées ensemble et le son s'étend bien loin. Il ne faut pas confondre la
grosse cloche d'Ivan Veliki avec la fameuse grande cloche de Kremlin (Tzar
Kolokol). Celle-ci pesait plus de 222.000 kilos lorsqu'en 1731 elle tomba par
suite d'un incendie. Elle se brisa en tombant et s'enfonça dans la terre. En
1836 Nicolas Ier la fit poser sur un piédestal de ciment. La hauteur en est de
près de 7 mètres, l'épaisseur de 60 centimètres, la circonférence a plus de 20
mètres. Beaucoup de personnes peuvent s'y tenir debout. Des basreliefs
religieux et des portraits du tzar Alexis et de l'Impératrice Anne ornent le
bas de cette cloche colossale. Une autre curiosité est le tzar poushka (roi des
canons). C'est une énorme pièce de bronze, avec une gueule monstrueuse où l'on
enfonçait des boulets ronds, mais qui probablement n'a jamais été tirée. Ce
monstre est placé sur des roues de bronze, il est entouré d'un tas de boulets
ronds. Il paraît qu'on hospitalise au Kremlin bien des vieux révolutionnaires,
même des anciens combattants de la Commune de Paris. En terminant cet article,
je voudrais espérer que les maîtres du Kremlin ont enfin compris que ce n'est
pas par des fusillades qu'on fonde une société nouvelle, où les iniquités
sociales feront place à la solidarité, à la paix sociale, au progrès sous
toutes ses formes. Les bolcheviks ont déjà fait faire d'immenses progrès aux
écoles, aux instituts scientifiques; ils ont fondé des musées de toutes sortes
où le travailleur peut s'instruire et développer son intelligence, mais cela ne
suffit pas, il faut que le pays ne soit plus jamais menacé par la famine ; il
faut que les terres appartenant à la communauté ne puissent plus tomber entre
les mains des Koulaks (exploiteurs paysans, usuriers). Il faut surtout que
l'organisation sociale soit un acheminement vers la vraie liberté. - G.
BROCHER.
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