Les jurés sont des magistrats temporaires. Ils représentent
et, dans l'opinion publique, ils incarnent ce qu'on appelle la Justice
populaire. En réalité, il n'en est rien. La loi exige que certaines conditions
soient réunies, pour figurer sur la liste des personnes admises à faire partie
du jury. Le jury, n'étant formé que des personnes ainsi qualifiées, ne
représente donc qu'une faible partie de la population et non la population tout
entière. Les femmes - qui, pourtant, comptent pour moitié au moins dans le
chiffre de la population - ne peuvent faire partie du jury. L'immense majorité
des personnes, hommes et femmes, se trouvant de la sorte éliminée, c'est à
tort, on le constate, qu'on considère le jury comme la personnification de la
Justice populaire. Ce qui a donné naissance à cette appellation erronée, c'est
le besoin de distinguer entre les magistrats de carrière et les hommes appelés
éventuellement et exceptionnellement à se prononcer sur les faits soumis à la
cour d'assises. Au surplus, quand elle s'exerce, la Justice populaire fait fi
des simulacres et formalités qui s'imposent au jury ; elle n'est soumise à
aucune forme protocolaire ; rapide, emportée par la passion qui la soulève,
toujours violente et brutale, soit qu'elle sauve ceux qu'elle estime innocents,
soit qu'elle extermine ceux qu'elle juge coupables, la justice populaire ne
s'accommode pas plus de la procédure qu'elle ne s'embarrasse des lenteurs et
des prescriptions du Code. Elle décide et agit, mettant sur l'heure sa décision
à exécution. L'Histoire enregistre d'innombrables circonstances sur lesquelles
s'appuie l'exactitude de ce qui précède, et précise ce qu'il sied d'entendre
par ces mots : « la justice populaire ». C'est au jury qu'il appartient de se
prononcer sur le degré de culpabilité ou sur l'innocence des accusés ; mais
c'est à la cour qu'échoit le soin de fixer la peine qu'entraîne un verdict de
culpabilité. Par cette séparation des pouvoirs et attributions du jury et de la
cour, le législateur a voulu marquer l'incapacité du jury à graduer la condamnation,
dans l'ignorance où il se trouve de l'échelle des peines à appliquer. De ce
fait, il arrive fréquemment que la peine prononcée par la cour diffère très
sensiblement de celle qu'eussent infligée les jurés, s'ils avaient été admis à
la fixer eux-mêmes. On ne s'explique que par des subtilités cette incohérence
judiciaire à ajouter à tant d'autres. Il est exact que c'est le hasard qui
toujours préside à la confection de la liste des jurés ; c'est, dans la plu
récusations, à la formation de chaque jury. Il est également vrai que,
désignées par l'aveugle tirage au sort, les personnes appelées à constituer le
jury, ne possèdent aucune des compétences que nécessite l'exercice toujours si
délicat et si incertain de la justice et qu'elles n'ont aucune connaissance
spéciale du Droit et de la Loi. Il n'en reste pas moins que la séparation des
pouvoirs et attributions qui confère au jury le soin de prononcer le verdict et
à la cour celui de fixer la peine, est tout à fait illogique. Car, de deux
choses l'une : Ou bien le jury est apte à se guider, à l'aide de ses seules
lumières, dans l'appréciation des faits souvent très complexes, parfois obscurs
et presque inexplicables, que l'accusation met à la charge de l'accusé ; il est
apte à discerner les mobiles qui ont poussé celui-ci dans l'accomplissement de
ces faits, le degré de responsabilité que lui laissent le milieu dans lequel il
a vécu, l'éducation qui lui a été donnée, les exemples qu'il a eus sous les
yeux, les entraînements qu'il a subis, les circonstances qui, au dernier
moment, l'ont poussé à agir ; et si le jury est estimé apte à prononcer dans
ces conditions un verdict éclairé et judicieux, il est plus et mieux que qui
que ce soit apte à fixer lui-même la pénalité qui, en conscience, doit être
appliquée à l'accusé. Car, « qui peut le plus peut, le moins ». En vertu de
cette proposition dont l'exactitude n'est pas discutable, il est certain que,
l’appréciation des faits et mobiles, des circonstances et des conditions, dont
l'ensemble permet au jury d'apprécier sainement le degré de culpabilité de
l'accusé, étant une opération bien autrement malaisée que celle qui consiste,
cette appréciation étant connue, à adapter la peine à la volonté du jury, si le
jury est en état de résoudre le problème le plus complexe et le plus délicat,
il est, a fortiori, en état de résoudre le moins complexe et le moins délicat.
Etant donné cela, la raison veut que le prononcé de la condamnation soit, comme
celui du verdict, laissé à l'appréciation du jury ; Ou bien, on estime que le
jury est incapable de fixer la peine qui concorde avec le verdict et, dans ce
cas, le jury ,étant bien plus encore reconnu, ipso facto, incapable de rendre
un verdict éclairé, ne doit pas plus avoir la responsabilité du verdict que
celle de la sentence. Et, alors, le jury, n'ayant plus aucune raison d'être,
doit être aboli. C'est l'une ou c'est l'autre : tout ou rien. La logique
l'exige. Mais, c'est en cour d'assises que se déroulent les débats les plus
retentissants. Les journaux ont copieusement relaté et commenté le crime,
lorsqu'il a été commis ; les feuilles à grand tirage, sous la plume de leurs
reporters les plus connus, ont entretenu leurs lecteurs de tous les détails
susceptibles de piquer la curiosité du public, de provoquer et d'accroître son
émotion. A la veille des grands procès, la presse rappelle le crime et publie à
nouveau la photographie de l'accusé et de sa victime. Les avocats les plus
renommés prennent place au banc de la défense, T'out est mis en œuvre pour
donner à l'affaire une allure sensationnelle. Tandis que restent désertes les
salles où siègent les magistrats appelés à examiner et trancher les conflits
qui mettent aux prises les intérêts les plus considérables, les salles où siège
le jury sont prises d'assaut par une foule trépidante de malsaine curiosité.
Aussi, conçoit-on que, jalouse de ses prérogatives et de son prestige, la
magistrature ait à cœur de se réserver, dans la tragi-comédie des procès les
plus retentissants, un rôle de premier plan et qu'elle ne veuille pas
abandonner totalement au jury le triste privilège de juger. Qu'on y songe :
s'il était admis que, dans un seul des innombrables ressorts de la machine à
juger, la présence et le concours des professionnels de la justice ne sont pas
indispensables ou ne sont que secondaires, ne se pourrait-il pas qu'on songeât
à éliminer ce concours et cette présence d'autres ressorts ? Et, le temps
aidant, ne pourrait-il pas advenir que, graduellement écartés des fonctions qui
leur sont actuellement dévolues, les magistrats fassent peu à peu figure de
personnages inutiles et, par conséquent, suppressibles ? Je prie le lecteur de
ne pas m'attribuer l'opinion que cette suppression soit possible dans une
société basée sur le principe d'Autorité. Ce principe serait sans force s'il ne
s'appuyait pas sur l'appareil de contrainte et de répression qui, seul, en
assure la mise en pratique. L'Autorité appelle de toute nécessité une
Constitution qui en est l'expression et qui réglemente ses devoirs et ses
droits. Cette Constitution emprunte sa puissance et sa stabilité au système
répressif dont la fonction est de punir quiconque s'insurge contre l'ordre
établi. Ce système répressif comporte fatalement le policier qui arrête, le
magistrat qui condamne, le gardien de prison et de bagne qui répond du condamné
et le bourreau qui exécute. Constitution, police, magistrature, service
pénitentiaire : du chef de l'Etat au bourreau, tout se tient et forme la série
continue d'anneaux qui, étroitement et indissolublement reliés, constitue
l'imbrisable chaîne. Je prie le lecteur de ne pas m'attribuer, non plus,
l'opinion que la suppression des magistrats de carrière - même si elle était
compatible avec le maintien du Régime d'Autorité - et leur remplacement par des
juges temporaires et occasionnels, assureraient un exercice meilleur de la
justice. Dans des études précédentes (voir Juge, Jugement) il a été démontré
et, dans des études qui suivront, il sera établi que le juge, quel qu'il soit,
ne peut être ni infaillible, ni impartial, ni souverain ; que tout jugement,
quel qu'en soit l'auteur, est douteux et exposé à l'erreur; que la justice,
telle qu'elle est pratiquée, n'a rien de commun avec la véritable équité. Il
résulte de ces démonstrations diverses et concordantes que ceux qui assument la
charge de juger, qu'ils soient élus par le Peuple ou désignés par le Pouvoir,
qu'ils soient ou ne soient pas inamovibles, qu'ils forment une caste spéciale
ou appartiennent à la masse, sont voués à la même infirmité et frappés d'une
même incapacité de juger en pleine lumière, qu'ils ne réunissent pas plus les
uns que les autres les éléments d'investigation, de contrôle, de vérification
qui les armeraient de cette certitude irréfragable qui, seule, confère à un
jugement le caractère de rectitude, de précision et de probité devant lequel la
conscience est tenue de s'incliner. - Sébastien FAURE. JURY (Organisation et
historique). Le coupable, en cas de flagrant délit, est traduit devant le
tribunal correctionnel par voie de citation directe. Sinon, il est déféré au
juge d'instruction, en qualité d'inculpé. Si l'instruction est close par une
ordonnance de renvoi en police correctionnelle, les charges paraissant
suffisantes, le présumé coupable comparaît en qualité de prévenu. Si
l'ordonnance de renvoi établit une présomption de crime et non de délit, le dossier
est transmis à la chambre des mises en accusation qui renvoie le présumé
coupable, en cas de charges suffisantes, devant la cour d'assises. Ce présumé
coupable prend alors la qualification d'accusé. L'accusé qui n'a pas été saisi,
qui ne se présente pas sur la notification de l'arrêt de renvoi, ou qui, après
sa présentation ou son arrestation, s'est évadé, est dit contumax ; il est
suspendu de l'exercice de ses droits de citoyen et ses biens sont mis sous
séquestre. Il est jugé par contumace, sans l'assistance d'un défenseur, et la
cour statue à son égard sans l'assistance du jury. La contumace est au criminel
le défaut de comparaître. L'accusé présent est jugé par la cour d'assises avec
l'assistance du jury. La cour d'assises est la juridiction instituée pour juger
les individus accusés de crime. Elle est aussi, depuis la loi du 28 juillet
1881, la juridiction normale des délits commis par la voie de la presse et des
diffamations visant les personnes publiques ou les personnes qui détiennent une
parcelle de la puissance publique. Le premier jour de la session d'assises, le
président de la cour d'assises fait l'appel des jurés inscrits sur la liste de
la session. La cour statue sur les absences et les excuses. Le jury qui doit
être formé pour le jugement de l'affaire inscrite à l'audience est composé,
pour chaque nouvelle affaire, par voie de tirage au sort. Le président procède
à ce tirage. Le ministère public et l'accusé présents ont le droit de récuser
au fur et à mesure du tirage ceux des jurés qu'ils ne voudraient pas avoir pour
juges, et ce jusqu'à concurrence du nombre de jurés nécessaire pour constituer
le jury. Ce nombre est de douze. Si le nombre des jurés qui peuvent être
récusés est impair, l'accusé bénéficie du droit de récuser un juré de plus que
le ministère public. La cour, après ces préliminaires, ayant ouvert son
audience, et procédé à l'interrogatoire d'identité que doit subir l'accusé, les
jurés sont invités à se lever et à prêter le serment dont voici la formule : «
Vous jurez et promettez devant Dieu et devant les hommes d'examiner avec
l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre l'accusé,
de ne trahir ni les intérêts de l'accusé ni ceux de la société qui l'accuse, de
ne communiquer avec personne jusqu'à la fin de votre délibération, de n'écouter
ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection et de vous décider
d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre
intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme
probe et libre. » Chaque juré, nommément interpellé, doit lever la main et
dire: « Je le jure. » Acte est donné du serment. Ce serment est prescrit à
peine de nullité. Il est arrivé que des jurés, par scrupule de conscience et
pour ne pas se soumettre à son principe religieux, aient refusé le serment. Ils
se sont mis dans l'impossibilité de remplir leur fonction et l'affaire a été
renvoyée à une autre session. Les annales judiciaires ont conservé le souvenir
d'accusés qui, se prétendant lésés par la prolongation de leur détention, à
raison de cette remise, ont demandé et ont obtenu de la cour des
dommages-intérêts pour réparation de ce préjudice, mais la cour de cassation a
cassé l'arrêt qui les leur avait accordé, motif pris de ce que la cour
d'assises est incompétente pour statuer sur un préjudice qui ne dérive pas
directement du crime ou du délit spécial qu'elle doit juger. Nous venons de
voir que les jurés, dans chaque affaire, devaient être douze. La cour,
prévoyant la longueur des débats et l'indisponibilité possible d'un ou deux
jurés au cours du procès, peut adjoindre au jury tiré au sort un ou deux jurés
suppléants, également tirés au sort en même temps que les titulaires et qui les
remplaceraient le cas échéant. Dans une affaire longue et retentissante, la
cour, pour parer à toute éventualité, avait cru pouvoir faire tirer au sort
trois jurés suppléants. L'arrêt de condamnation a été cassé. La cour de
cassation a jugé que la cour d'assises, en dépassant le nombre légal des jurés
supplémentaires, avait restreint illégalement le droit de récusation. Les jurés
ne doivent pas faire connaître au cours des débats, même par une question
imprudemment commentée, leur sentiment. Ils ont le droit de faire poser, par
l'intermédiaire du président, à l’accusé et aux témoins, des questions, pour
éclairer leur conscience et former leur conviction. Strictement, les jurés
devraient être confinés dans leur chambre de délibérations ou dans ses
dépendances, depuis le moment où ils sont appelés à siéger jusqu'après leur
déclaration ou verdict. Pratiquement il n'en est pas ainsi, surtout si
l'affaire est renvoyée pour continuation d'un jour au jour utile le plus
prochain. Le juré rentre chez lui, mais la clôture du jury devient réelle
depuis le moment où les questions sont lues et posées jusqu'après le verdict.
Les questions posées au jury sont rédigées à l'avance, et lui sont lues, une
fois les débats terminés. Elles sont modelées sur l'acte d'accusation, elles en
suivent le plan. Le président a le droit d'y ajouter des questions subsidiaires
posées comme résultant des débats : par exemple, si l'accusé est poursuivi pour
meurtre, la question de coups et blessures ayant entraîné la mort sans
intention de la donner. Les débats sont clos après le réquisitoire, les
plaidoiries, les répliques du ministère public, du ou des avocats s'il y a
lieu. L'accusé doit toujours avoir la parole le dernier... Les jurés, dans leur
salle, dont les accès sont gardés par la gendarmerie (mot générique) délibèrent
et votent. Ils reviennent avec une réponse écrite et signée par leur président,
cette réponse est afférente à chaque question. Elle est « Non » ou « Oui », à
la majorité. La mention que la réponse affirmative s'est acquise à la majorité
est indispensable. Il est même indispensable que son inscription sur la feuille
des réponses ne donne prise à aucune incertitude. Un arrêt de condamnation a
été cassé parce que le jury, par lettre, avait inscrit : « Oui à la majorité. »
Les jurés, au cours de leur délibération, s'ils hésitent sur le sens ou la
portée des questions posées peuvent faire appeler le président et le
questionner. Mais, aux termes des lois qui ont organisé la publicité de
l'instruction et complété la sauvegarde de la défense, l'avocat doit être
appelé à cette consultation. Cette réforme récente prévient les abus qui
pouvaient se produire, malgré la réserve observée par le magistrat. Le verdict
prononcé est acquis en faveur de l'accusé même en cas d'erreur. Si le chef du
jury, par une étourderie hypothétique, avait lu et prononcé « non » au lieu de
« oui », l'accusé se trouverait acquitté du chef sur lequel il aurait été ainsi
déclaré. Si le verdict est incomplet, si le jury a omis de répondre à une ou
plusieurs questions posées, le président de la cour d'assises renvoie les jurés
dans la salle de leurs délibérations pour compléter leur verdict. Les jurés ne
sont pas alors tenus par leurs votes antérieurs, ni par la déclaration écrite
avec laquelle ils étaient revenus. Ils peuvent recommencer la délibération
entière et rapporter une réponse neuve à toutes les questions. Nous avons vu
ainsi un jury acquitter après avoir condamné sur sa feuille. Si le jury estime
qu'il existe des circonstances atténuantes en faveur de l'accusé, il l'exprime
en ces termes, après sa ou ses réponses à la question ou aux questions posées :
« A la majorité, il existe des circonstances atténuantes en faveur de l'accusé.
» Dans le cas contraire, le verdict reste muet sur les circonstances
atténuantes. Dans l'ancien état de la législation, le président, après le
réquisitoire et les plaidoiries, résumait les débats avant la délibération du
jury. Le résumé du président fut si tendancieux dans l'affaire Marie Bière, que
le défenseur, Me Lachaud, se dressa frémissant à la barre et exigea la
réouverture des débats. Cette éclatante manifestation de courage remua
l'opinion et le résumé fut supprimé. La déclaration du jury porte sur la
culpabilité de l'accusé. Si le fait n'est pas nié, si, par exemple, le meurtre
est certain, si l'accusé l'avoue, tout en invoquant les raisons de haine,
d'exaspération ou d'égarement qui ont armé sa main, la cour peut retenir la
matérialité du fait comme base d'une condamnation qu'elle prononce en allouant
à la partie civile des dommages-intérêts. Comment est constitué le jury,
comment est-il tiré de la masse des citoyens ? La loi du 21 novembre 1872 règle
sa constitution. Nul ne peut être juré s'il n'est âgé de trente ans accomplis,
s'il ne jouit de ses droits politiques, civils et de famille. Sont incapables
d'être jurés les indignes, nous résumons ainsi la nomenclature de la loi
(condamnés pour crimes, ou pour délits à plus de trois mois, condamnés, quelle
que soit la peine, si elle a été infligée pour vol, escroquerie, abus de
confiance, attentats aux mœurs, les faillis non réhabilités, etc.). Sont
incapables les interdits, les individus pourvus de conseils judiciaires. Les
fonctions de juré sont incompatibles avec celles de député, de ministre, de
magistrat, de préfet ou souspréfet, de commissaire de police, de militaire des
armées de terre ou de mer en activité, d'instituteur primaire, etc. Ne peuvent
être jurés les domestiques et serviteurs à gages, les individus qui ne savent
pas lire et écrire en français. Sont dispensés des fonctions de jurés ceux qui
ont besoin pour vivre de leur travail manuel et journalier, ceux également qui
ont rempli lesdites fonctions pendant l'année courante ou l'année précédente.
Il est formé une liste annuelle du jury. Cette liste comprend pour le
département de la Seine 3.000 jurés ; pour les autres départements un juré par
500 habitants, sans toutefois que le nombre des jurés puisse être inférieur à
400, ni supérieur à 600. La loi du 20 janvier 1910 a déterminé la répartition
du nombre légal des jurés par arrondissement et par canton, pour parvenir à la
composition de la liste annuelle. Une commission composée, dans chaque canton,
du juge de paix, des suppléants de juge de paix et des maires de toutes les
communes du canton dresse la liste préparatoire de la liste annuelle. A Paris,
la composition de cette commission est spéciale. Ces commissions se réunissent
avant le 15 août, et envoient leurs listes au greffe du tribunal civil de
l'arrondissement, un original de ces listes restant déposé au greffe de la
justice de paix. La liste annuelle est dressée pour chaque arrondissement, en
utilisant la liste préparatoire, par une commission composée : 1° du président
du tribunal civil ou du juge qui en remplit les fonctions ; 2° des juges de
paix ; 3° des conseillers généraux qui, empêchés, peuvent être remplacés par
des conseillers d'arrondissement. (A Paris, cette commission se compose du
président du tribunal civil de la Seine, ou de son délégué, du juge de paix de
l'arrondissement et de ses suppléants, du maire et de quatre conseillers
municipaux). La commission d'arrondissement forme également et à part une liste
de jurés suppléants pris parmi les jurés de la ville où se tiennent les
assises, afin qu'on puisse facilement les quérir, au cas où le jury de la
session, par suite de défections, de décès, d'absences, ou d'excuses valables,
ne se trouverait pas en nombre. Enfin, le premier président de la cour d'appel
dresse la liste annuelle du département et la liste des jurés suppléants. Il y
a des villes qui sont chef-lieu d'assises (comme Saint-Mihiel) et où la cour
n'a pas son siège. En pareil cas, la liste est dressée par le président de leur
tribunal. C'est sur la liste annuelle qu'est tirée, dix jours au moins avant
l'ouverture des assises, la liste des trente-six jurés qui composeront la liste
de la session. Le tirage est fait, en audience publique, par le premier
président de la cour, ou par le président du tribunal chef-lieu d'assises. Et
c'est sur la liste de la session que sont tirés, avant chaque affaire, et comme
nous l'avons dit, les douze jurés appelés à siéger. Le juré qui ne se présente
pas pour remplir ses fonctions est passible d'une amende de 500 francs qui peut
être réduite par la cour à 200. En cas de récidive, l'amende, de 500 francs,
peut être portée à 1.000 francs, ensuite à 1.500 francs ; le juré, après sa
seconde récidive et sa troisième amende, est déclaré incapable d'être juré à
l'avenir. Les fonctions de juré constituent une charge civique et sont
gratuites. Les jurés qui avaient droit à une taxe de transport, d'après la
distance, ont droit, d'après des dispositions récentes, à une indemnité
journalière modeste, pour compenser la dépense de leur temps et la perte de
leur gain. Il y eut, dans l'antiquité, des institutions analogues à celle du
jury. « Chez les Hébreux, les Grecs, les Romains, on trouve des traces
évidentes de la participation du peuple aux affaires judiciaires. Il y avait un
juge par 10 hommes selon la loi de Moïse ; ce qui, au total, ne faisait pas
moins de 60.000 juges. Athènes n'en avait pas moins de 6.000 : c'étaient de
véritables jurés répartis par le sort entre les divers tribunaux, après avoir
été désignés par tous les citoyens. Rome avait évidemment des jurys dont les
magistrats n'étaient que les instructeurs et les guides. Les juges ou jurés
étaient pris d'abord dans l'ordre des sénateurs, puis on les choisit dans celui
des chevaliers, et enfin, les plébéiens furent également admis à cette espèce
de magistrature. » Le jury était organisé en Angleterre et en Allemagne bien
avant d'exister chez nous. Nous verrons (au mot justice : historique) que la
création du jury remonte à l'Assemblée Constituante. Le mot et l'institution
sont d'origine anglaise. Pour serrer de plus près l'imitation, il avait été
créé deux jurys : le jury d'accusation et le jury de jugement. Le jury
d'accusation a disparu quand l'inspiration révolutionnaire s'est évanouie dans
le bouleversement fanatique du premier empire, dans la prud'homie haineuse de
la Restauration, quand les sursauts de l'esprit civique se sont figés, laissant
la place libre à la mascarade napoléonienne du charlatan qui singeait le
conquérant. La loi du 17 juillet 1856 attribua à une section de la cour
impériale les mises en accusation ; nous avons encore aujourd'hui cette Chambre
des mises en accusation. Il serait d'ailleurs bien difficile, dans l'état de
nos mœurs françaises, qu'un juge fût assez sage ou assez résigné pour statuer
seulement sur l'opportunité d'une accusation, pour renvoyer un homme en cour
d'assises sans prétendre à le juger au fond et sans délai. Nous avons dit que
l'Assemblée Constituante avait reculé devant l'institution du jury en matière
civile. Il y a pourtant des litiges immobiliers, des différends, des désaccords
que le législateur bien inspiré soumet à la décision d'un jury ; seul le jury
peut, dans son indépendance, tenir la balance égale entre le puissant qui
dépossède et le citoyen dépossédé. Les débats civils que le jury tranche par
l'allocation de l'indemnité « juste et préalable » sont ceux qui s'agitent en
matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. L'expropriation publique
abaisse l’intérêt particulier devant l'intérêt général. Grâce à la loi vitale
du 3 mai 1841, les routes, les canaux, ont pu s'ouvrir, les édifices nécessaires
s'élever, et le sang a circulé dans les veines de la France. - L'expropriation
se prépare et s'effectue ainsi : La loi ou le décret ont déclaré l'utilité
publique les territoires sur lesquels doit s'exercer l'emprise sont désignés,
les formalités administratives sont remplies : le plan des terrains ou des
édifices dont la cession paraît indispensable a été dressé, la commission qui
doit entendre les avis des propriétaires a donné son avis, les acquisitions
amiables ont été tentées ou réalisées, le tribunal rend le jugement qui
exproprie. Ce jugement transforme en une occupation précaire le droit du
propriétaire sur sa chose, il résout les baux ; et à moins que, dans l'année,
l'Administration n'ait pas poursuivi son expropriation, il ne reste plus qu'à régler
l'indemnité due à l'exproprié. L'expropriant a fait des offres, l'exproprié a
formulé sa demande, qu'il pourra d'ailleurs modifier jusqu'à la décision finale
et même à la barre. C'est entre ces deux termes : l'offre et la demande, que
l'allocation doit se mouvoir, elle ne peut être moindre que l'offre ni
supérieure à la demande. C'est le jury qui la fixe. Tous les ans, les conseils
généraux, dans leur session d'août, désignent pour chaque arrondissement de
leur département, les personnes domiciliées dans cet arrondissement parmi
lesquelles sera choisi le jury spécial à cette affaire. Le Conseil général
compose cette liste en se servant de la liste des électeurs et de la liste des
jurés supplémentaires dressée en vue des débats de la cour d'assises. La loi du
3 juillet 1880 autorise, si des circonstances exceptionnelles l'exigent,
l'augmentation du nombre des jurés fixé par la loi de 41, pour le total de la
liste générale. Ce nombre, après des modifications successives est de 600 pour
Paris, de 200 pour Lyon, de 144 pour Rouen, pour les arrondissements
provinciaux de 36 au moins et 72 au plus. La liste étant ainsi dressée, il
s'agit de choisir sur cette liste le jury spécial à chaque affaire. Ce soin est
confié par la loi à la cour, dans les départements qui sont le siège d'une
cour, et dans les autres départements au tribunal. Le jury spécial doit être
composé de seize jurés et de quatre suppléants. Les récusations de
l'Administration et de la partie adverse s'exercent sur le jury ainsi composé.
Faute de récusation, le jury est réduit d'office au nombre voulu : soit douze
jurés. Cette réduction est opérée par le magistrat directeur du jury. On appelle
ainsi le magistrat qui est chargé de diriger les opérations du jury et qui est
nommé à cet effet par le jugement d'expropriation. Ce juge est assisté du
greffier. Les jurés prêtent serment, mais leur serment n'a pas de formule
sacramentelle. Il faut et il suffit qu'ils jurent de remplir leurs fonctions
avec probité et surtout avec impartialité. La probité comporte l'impartialité,
mais la précision d'impartialité semble plus spécialement exigible. Le jury,
connaissance prise des offres, des demandes, des plans, titres ou documents
produits par les parties, peut entendre toutes les personnes qu'il lui convient
d'ouïr pour s'éclairer. Il peut se transporter sur les lieux ou déléguer pour
cette visite soit plusieurs de ses membres, soit un seul. Dans la pratique, ces
transports sur les lieux sont très usités, le jury entier s'y rend avec son
magistrat directeur, dont la présence cependant n'est pas exigée par la loi,
dans cette inspection facultative. - Les débats sont ouverts pour les
plaidoiries : ils sont publics. Le magistrat instructeur les ayant déclarés
clos, les jurés se retirent immédiatement dans leur salle et délibèrent sous la
présidence de l'un d'eux qu'ils désignent. Ils doivent être au moins neuf pour
délibérer valablement. En cas de partage, la voix du président est
prépondérante. Le jury rapporte à l'audience sa décision qui fixe les
indemnités à l'égard de toutes les parties en cause : aussi bien les locataires
et les usufruitiers dépossédés que les propriétaires. La décision, signée par tous
les jurés qui y ont concouru est remise par eux au magistrat directeur qui la
déclare exécutoire, et envoie l'expropriant en possession de la propriété. Tout
juré qui, sans motifs légitimes, manque à l'une des séances ou refuse de
prendre part à la délibération, encourt une amende de 100 francs au moins, 300
francs au plus. L'âge du fisc a quadruplé les amendes de l'âge de bronze, - le
jeu des décimes multiplie aujourd'hui leurs francs. L'ouverture et le
redressement des chemins vicinaux s'opèrent par une procédure abrégée et avec
un jury réduit. Le tribunal de l'arrondissement choisit, pour former le jury
spécial, sept jurés dont trois suppléants. Mais la cour de cassation a jugé que
si, sous couleur de redressement, on portait atteinte à la propriété d'autrui,
les formes de l'expropriation ordinaire devraient être respectées et survies.
Par extension, on appelle jury, un groupement de professionnels ou de
connaisseurs. Généralement élus ou choisis à raison de leur compétence
technique, ils sont chargés d'admettre, de placer, d'examiner, de comparer des
animaux, des produits, ou des œuvres d'art, et même de récompenser ceux qui les
exposent ou les font concourir. Il y a ainsi les jurys des différents Salons,
les jurys des concours agricoles, le jury du Conservatoire classe des
concurrents et décerne des prix, etc... L'assimilation de ces examinateurs
divers au jury vient de ce qu'ils votent et rendent leurs décisions à la
majorité. - Paul MOREL.
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