La
lâcheté, qu'il ne faut pas confondre avec la poltronnerie - réflexe passager de
la peur qu'ébranle l'imprévu - est non seulement un manque naturel de courage,
mais souvent une pusillanimité de parti-pris. « La peur tient à l'imagination,
la lâcheté au caractère » dit Joubert. C'est par instinct seulement ou par
tempérament que le poltron se dérobe au péril ; le lâche s'y soustrait par
calcul. Alors qu'à certaines défaillances physiques vont l'excuse de la
spontanéité et le bénéfice de la franchise, il y a dans la lâcheté une
préméditation et une méthode - un système pourrait-on dire - qui révèlent à la
fois les tares et les dangers du vice. Plus encore que la lâcheté qui est
effacement d'excessive prudence, retraite voulue en face de dangers redoutés,
est avilissante et constitue un amoindrissement de la personnalité, cette
lâcheté active - certains ne reculent pas devant une infamie pour réussir,
rampent pour atteindre à la fortune, se prosternent devant les grands quitte à
se venger sur les humbles des bassesses que leur esprit d'intrigue ou leur
servilisme leur fait commettre. Pire que la lâcheté du pauvre (que son
ignorance, le défaut de cohésion avec ses pareils, le préjugé d'une sorte de
fatalité de sa condition amènent à un acquiescement permanent à des formes
manifestement iniques) est ce souple abandon, habile et circonstancié, de
l'arriviste, de l'avide ou du dominateur qui supputent les avantages de leur
servilité provisoire et monnaient par avance leur abaissement. Généralement,
couardise physique et lâcheté morale vont de pair. Elles enveloppent et
pénètrent l'individualité, lui impriment le sceau du renoncement, l'écartent
des actions viriles par lesquelles l'homme, au prix de souffrances souvent, se
redresse et s'affirme. Dans l'atmosphère de la moralité courante, distante par
tant de points de la moralité théorique, officielle, il flotte, en dépit d'une
absolution de fait qui est une adhésion cynique à tout ce qui revêt les
apparences de la force et se couvre des attributs du succès, une sorte de
réprobation séculaire, un mépris latent pour la lâcheté. Parmi les humains qui
admettent la situation de fait du parvenu et pressent la main de celui qui
s'est traîné jusqu'au pinacle par ses abdications, ceuxlà en qui toute dignité
n'est pas obnubilée par les altérations d'un régime d'appétits, ressentent en
sa présence le malaise qu'on éprouve au contact de la fourberie et le souvenir
- indélébile - de déchéances échelonnées sur le parcours. Rares d'ailleurs sont
les lâches qui revendiquent crûment la légitimité de leurs procédés et
plastronnent avec ostentation de gloire, poussent le cynisme jusqu' à revêtir
le manteau de Nessus de leurs trahisons... « C'est une lâcheté que de trahir un
parent, un ami, un bienfaiteur. Partout et toujours, c'est une lâcheté de faire
ce que la raison condamne » (Senancour). Que de trahir quiconque, devrait-on
dire, et de faire ce que réprouve le sentiment averti de justice, que de
faillir à la loyauté. Plus odieuse si possible est la lâcheté qui s'abrite
derrière l'anonymat pour atteindre ses visées. Sur la voie aux scrupules
piétinés, n'est-il pas comme obligé que, dans un cortège renforcé de toutes les
connivences, la cruauté aussi accompagne, en complice, la lâcheté? « Les lâches
sont cruels » soulignait Voltaire... La lâcheté est un mal endémique qu'ont
connu tous les temps et sur une échelle trop vaste : « Je ne trouve partout que
lâche flatterie Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie » (Molière). Les
peuples, comme les individus, ont donné le spectacle de lâchetés séculaires.
Esclaves, faux affranchis, fonctionnaires domestiqués, assemblées dociles ont
fait à des tyrans parfois débiles l'offrande des volontés du, nombre et se sont
inclinés sans combattre devant les arrêts du despotisme. La lâcheté favorise et
renforce les institutions d'écrasement : sans elles s'effriteraient,
impuissantes à vaincre, les dictatures dont la passivité multipliée des hommes
assure le triomphe. * * * Lâche signifie proprement : qui est insuffisamment
tendu ou serré : une ceinture, un ventre, une étoffe sont lâches ; c'est aussi
un affaiblissement caractéristique. En botanique, le terme désigne des
inflorescences écartées : ombelle lâche. La grappe du faux cytise est lâche.
C'est aussi de la paresse, un fléchissement d'activité, de vigueur : quelqu'un
de lâche au travail : « mener une vie obscure, lâche, inutile » (Massillon) ou
(Fléchier) : « Sa retraite ne fut ni lâche, ni obscure »... En littérature,
c'est un manque d'énergie, de concision, de fermeté condensée : « toutes ces
expressions impropres, hasardées, lâches, négligées, employées seulement pour
la rime, doivent être soigneusement bannies » (Voltaire). Dans les Beaux-arts,
l'expression s'applique aux œuvres dont le trait est faible, le dessin
hésitant, l'effet mou : « la gravure lâche alourdit, ôte la souplesse, et
fatigue l'œil » (Diderot), etc. - LANARQUE.
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